SÉMINAIRE DE LA 33ÈME SMHES – L’ARMÉE DE TERRE DE COMBAT !

Cette visite très attendue de l’armée de terre confirme, s’il en était besoin, les orientations précisées par le Président de la république lors de sa venue à Toulon en octobre dernier à l’occasion de la revue stratégique. Le monde est clairement marqué par la compétition des puissances incluant d’ailleurs les puissances régionales pour le moins désinhibées dans leurs actions. Elles occupent d’ailleurs une place singulière dans l’établissement des nouveaux équilibres des grandes puissances mondiales en tenant, selon leurs intérêts, un rôle de médiation limitant les risques pesant sur leurs propres ambitions régionales.

Le triptyque de compétition, contestation, confrontation caractérise donc plutôt fidèlement l’environnement international que nous vivons sans présenter d’issue où le multilatéralisme des relations internationales pourrait reprendre sa juste place. A l’image des visites antérieures réalisées au sein de nos armées, cette visite de l’armée de terre confirme ce changement de paradigme stratégique. Elle le confirme d’ailleurs dans une rhétorique des intervenants de moins en moins aseptisée. Les mots sont choisis ! Il ne s’agit plus de l’armée de terre au contact mais d’une armée de terre de combat ! Les niveaux d’engagement ne sont plus évoqués de manière feutrée mais sont caractérisés par leur dureté. Il faut désormais se réhabituer à la guerre, aux ennemis et au combat sous toutes ses formes…

Bien sûr, cela n’exclut pas l’éventualité de guerres asymétriques pas plus que celles faisant appel à une combinaison de modes d’actions. Il faut donc aussi prendre en compte les modes hybrides où ceux exigeant d’élargir les domaines coercitifs. Les opérations multi domaines devraient tenir une place plus importante et les ruptures technologiques à venir viendront le confirmer. Le cyberespace, l’apport de l’intelligence artificielle dans la mise en œuvre de capacités autonomes sont autant d’éléments venant changer en profondeur la physionomie des conflits. Cette guerre en Ukraine aura donc eu d’indéniables conséquences sur la stratégie en générale et la conflictualité en particulier.

S’il y a bien en effet une forme de haute intensité dans cette guerre, gardons à l’esprit qu’elle n’est que relative et qu’il faut sans doute imaginer un niveau encore plus élevé dans les conflits futurs. Car l’armée russe n’a pas, à l’évidence, démontré l’aptitude opérationnelle qu’elle prétendait détenir. Pour autant, plus d’une année après le début de cette invasion, il est toujours aussi risqué de tirer des conclusions sur l’issue de cette guerre.

Une conclusion partielle émerge pourtant. Il faut repenser la sécurité pour en assurer la garantie. Il faut la repenser au niveau national, européen et international. Une autre émerge aussi et nous permet de confirmer que nous nous sommes éloignés des temps de la révision générale des politiques publiques appliquée tous azimuts dont les effets ont lourdement pesé sur le fonctionnement de nos armées. Il faut toujours, en matière de défense et de sécurité, se garder de penser que les économies réalisées à un moment donné se solderont pas des dividendes exclusivement positifs. Sans être excessif, il faut donc prêter la plus grande attention au modèle d’armée dont la France a besoin pour jouer ce rôle majeur de puissance d’équilibre ! Ce message doit être entendu…

Cette rencontre avec l’armée de terre marque donc la fin du cycle consacré aux enjeux de défense proprement dits. Elle le conclut avec éclat répondant aux attentes des auditeurs de la 33ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques qui disposent désormais d’une appréciation d’ensemble très précise au moment où leur parcours est sur le point de s’achever. Nous avons donc conservé la logique établie depuis plusieurs sessions maintenant en allant rechercher la vision stratégique du chef d’état-major de l’armée de terre aux écoles militaires de Draguignan, la présentation des capacités d’aérocombat à l’école de l’aviation légère de l’armée de terre puis le rôle clé du maillon de la manœuvre terrestre au niveau régimentaire avec un régiment, à nul autre pareil, le 1er régiment étranger de cavalerie.

C’est donc l’armée de terre au combat qui nous a été présentés aux écoles militaires de Draguignan le jeudi 11 mai 2023. Les officiers généraux de l’école, les généraux Yvan Martin et Eric Lendroit accompagnés d’officiers supérieurs responsables des études prospectives des armes de l’infanterie et de l’artillerie ont décliné les principaux enjeux en tirant les enseignements des opérations réalisées en Afghanistan, au Sahel ou au Levant ainsi que ceux résultant des premières analyses de la guerre russo-ukrainienne.

Pour reprendre l’expression du chef d’état-major de l’armée de terre, il faut être prêt dès ce soir ! C’est dire toute l’importance de la préparation opérationnelle nécessaire à l’aguerrissement des militaires quel que soit leur rang ou leur spécialité.  C’est aussi la mise en œuvre complète du programme Scorpion qui permettra une numérisation de l’espace de bataille dont la plus-value vise essentiellement à donner un avantage décisif dans l’exécution des manœuvres.

Toutes les armées utilisent ce démultiplicateur de forces. La digitalisation a pris toute sa place. Elle ne remplace rien, elle accélère le rythme stratégique, opératif et tactique. L’accélération des cycles décisionnels, celui de l’acquisition du renseignement militaire sont des gages de la supériorité opérationnelle.

Dans tous les champs désormais, cette supériorité doit être recherchée alors qu’elle était, dans la plupart des cas, acquises dans les engagements asymétriques. Le déni d’accès plus connu sous l’appellation A2AD[1] s’inscrit dans l’ordre de bataille de nos ennemis. Au terme de ces remarquables interventions, les auditeurs ont pu apprécier la présentation des nouvelles capacités avec le Griffon, le Serval et le canon Caesar[2] dont l’efficacité fut démontrée pour la première fois au cours de l’opération PAMIR en Afghanistan. Cette séquence fut exceptionnelle avec, il faut le souligner, une disponibilité totale de nos hôtes. Qu’ils en soient ici remerciés. Ils peuvent compter sur les auditeurs de la 33ème SMHES pour disposer à l’extérieur de solides relais qui exprimeront avec justesse leur compréhension d’une vision stratégique de long terme en cohérence avec les défis à venir.

L’après-midi de cette journée a permis de prendre en compte les nouvelles avancées capacitaires dans le domaine de l’aérocombat. Le général David Cruzille a une nouvelle fois accepté d’aller à la rencontre des auditeurs de la session pour exprimer lui-même les ambitions stratégiques de cette Arme devenue une composante de manœuvre essentielle quelle que soit la nature des engagements. Cette visite s’inscrit désormais systématiquement dans le programme consacré à l’armée de terre.

C’est une tradition ! Ce moment d’échanges est admirablement construit et cette tradition a donc un bel avenir au bénéfice des auditeurs de nos sessions futures. Au niveau européen, il s’agit sans doute de l’implantation la plus importante dédiée à la formation des équipages de nos trois armées et de la gendarmerie avec des pôles d’excellence relevant de coopérations bilatérales. L’école franco-allemande de formation des équipages de l’hélicoptère Tigre en est l’évidente démonstration ici au Cannet des Maures. La coopération franco-belge s’exprimant de son côté à Dax où sont réalisées les formations initiales.  

Au terme du propos introductif, le colonel Sylvain Coulon, directeur des formations, a présenté les spécificités et enjeux de la composant héliportée de l’armée de terre. Evidemment, une inévitable interrogation pèse sur l’emploi des hélicoptères de manœuvre et d’assaut dans la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie. Sur ce point, les auditeurs auront remarqué qu’une certaine prudence prévaut car nous ne disposons pas d’un retour d’expérience suffisamment complet.

En première analyse, il existe un évident écart dans le rapport des forces entre la Russie et l’Ukraine d’une part et un manque de coordination de l’emploi des capacités russes d’une manière générale et en particulier dans l’emploi des capacités d’aérocombat, d’autre part.

Au bilan, il semblerait que, de part et d’autre, le niveau d’attrition soit assez élevé. Au terme de ces présentations, les auditeurs ont participé à une présentation des matériels en découvrant le Tigre dans sa version HAD (hélicoptère d’appui destruction) et l’hélicoptère Caïman (NH 90).

N’oublions pas non plus de rappeler ici que le programme Scorpion, largement présenté au cours de la visite des écoles militaires de Draguignan, s’intégrera au sein des composantes héliportées augmentant significativement la performance de l’ensemble des capacités utilisées sur un espace de bataille. L’ensemble des présentations confirment un changement profond de l’armée de terre qui, au-delà d’une vision stratégique en parfaite cohérence avec les défis de notre temps, peut désormais tracer le chemin avec l’arrivée des équipements dont elle avait besoin.

Cette journée s’est s’achevée avec la conférence mensuelle organisée par l’institut FMES ouverte aux auditeurs de la session. Le thème était centré sur la fonction de dissuasion dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne. Monsieur Benjamin Hautecouvertue de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) s’est livré à une belle démonstration replaçant la dissuasion nucléaire à sa juste place et rappelant quelques fondamentaux souvent oubliés.

Une intervention importante au regard des interrogations qui ont pesé et pèsent encore sur le dossier nucléaire en se référant aux discours agressifs de Vladimir Poutine mettant en avant ses capacités tactiques et mettant en garde la communauté internationale. Il n’y a là rien de très surprenant pour les experts de ces questions qui connaissent les détails de la doctrine russe. Mais rien d’étonnant non plus que cette grammaire nucléaire puisse inquiéter la plupart des pays occidentaux.

Pour autant, les puissances dotées conserveront une posture équilibrée soulignant ainsi la persistance d’une dissuasion crédible. De plus, la question de la dissuasion n’avait-elle pas quitté la scène de nos préoccupations ? Avec parfois des remises en questions compte tenu des coûts qui y sont associés… Son retour, sans sous-estimer les risques notamment liés à la prolifération des armes, remet donc les choses en ordre dans un domaine ô combien stratégique.

Le vendredi 12 mai devait se concentrer sur le niveau régimentaire. C’est le 1er régiment étranger de cavalerie qui a accepté d’accueillir les auditeurs de la session comme il le fait traditionnellement depuis 3 ans maintenant. Pour ne rien vous cacher, j’ai une affection particulière pour cette unité de l’armée de terre. Je l’ai croisée souvent dans ma carrière et même avant que celle-ci ne commence.

C’est un creuset de valeurs ! C’est un symbole de l’engagement et du dépassement de soi ! C’est aussi un symbole d’unité et de fraternité d’armes qui n’existe nulle part ailleurs ! Cette demi-journée consacrée au régiment fut aussi celle de l’échange à tous les niveaux de la hiérarchie de l’officier supérieur au légionnaire récemment engagé. Il faut une nouvelle fois le rappeler ici, ce régiment s’est illustré partout au cours de la Seconde guerre mondiale, en Indochine, en Algérie et sur les théâtres d’opérations extérieures avec très récemment des escadrons déployés au Liban où le chef de corps, le colonel Henri Leinekugel Le Coq, occupait d’importantes fonctions dans le cadre de l’opération Daman.

Cette unique régiment de cavalerie de la Légion étrangère suscite une évidente admiration tant par la performance qu’il a démontré et qu’il continue de démonter dans ses engagements que par les valeurs portées par ceux qui ont choisi d’y servir. La Légion étrangère est une singularité française qui n’a pas d’égal à l’étranger.  Les auditeurs ont pu ensuite effectuer une visite dynamique où ils ont pu découvrir le tout nouveau char léger Jaguar et les nouveaux équipements de leurs opérateurs qu’ils s’agissent ou d’équipements de protection.  Avec sa belle devise « Nec Pluribus Impar[3] » le 1er régiment étranger de cavalerie porte haut ses traditions.

La salle d’honneur a suscité le plus vif intérêt des auditeurs qui se sont attardés pour parcourir un siècle d’histoire. Cette visite s’est terminée autour d’un déjeuner permettant de poursuivre les échanges avec les officiers, sous-officiers et militaires du rang. Indéniablement, ce fut une exceptionnelle séquence pour clore le séminaire de l’armée de terre. Nous en garderons tous un souvenir inoubliable !

De retour à Toulon, les auditeurs ont bénéficié d’une conférence centrée sur les Balkans occidentaux. Notons au passage que cette appellation très utilisée ne correspond peut-être pas à l’idée que nous nous en faisons et que celle d’Europe du Sud-Est paraîtrait mieux adaptée. Elle fut prononcée par un expert, le professeur Nebojsa Vukadinovic. Je ne détaillerai pas ici le contenu très dense mais préciserai qu’il vient consolider les nombreux échanges réalisés au cours de la mission d’études que nous avons faite en république de Serbie au mois d’avril.

Nous avons d’ailleurs déjà rencontré monsieur Vukadinovic à l’occasion du séminaire du mois de novembre à Paris dans le cadre d’un colloque organisé au palais du Luxembourg. A cette époque, les auditeurs ne disposaient pas encore de toutes les clés de compréhension géopolitique d’un espace géographique particulièrement complexe.

Le temps file et nous rappelle l’approche du dernier rendez-vous qui viendra clore une année exceptionnelle. D’autant plus exceptionnelle que c’est monsieur le préfet Pascal Mailhos, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, qui présidera la restitution des auditeurs de la 33ème SMHES. Un parrain prestigieux qui nous oblige dans la qualité des travaux que nous présenterons.

Le samedi 13 mai, les auditeurs se sont donnés rendez-vous à la maison du numérique et de l’innovation. Les y attendaient messieurs Fabien Schaeffer, chef de cabinet de monsieur Yannick Chenevard député du Var, et Eric Moreau de l’université de Toulon pour un exercice à blanc de restitution des travaux dans le même esprit que celui programmé le 24 juin prochain et qui viendra clore la 33ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques devant un parterre de personnalités régionales et nationales.

Mais nous n’y sommes pas encore avec, en ultime étape, la rencontre, à Genève, des principaux acteurs des Nations unies et de nos représentations françaises auprès de cette historique organisation internationale. Cela marquera pour ce qui me concerne la fin d’une belle aventure. Je remercie les auditeurs de toutes les sessions de la confiance qu’ils m’ont accordé !

Car la grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes ; il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines[4] !

[1] A2AD : Anti-Access Area Denial
[2] CAESAR : Camion Equipé d’un Système d’Artillerie
[3] Nec Pluribus Impar : A Nul Autre Pareil
[4] Antoine de Saint-Exupéry

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