Le dessalement de l’eau de mer : Une solution de facilité face au stress hydrique, au fort impact environnemental

Résumé : Compte tenu de son impact environnemental, la technologie du dessalement de l’eau de mer ne doit plus être envisagée comme étant la solution idéale à la pénurie d’eau douce en Méditerranée. Les solutions doivent d’abord résider dans une meilleure gestion de la ressource (économies, réduction des pertes, stockage) ou dans l’utilisation de technologies moins impactantes comme la réutilisation d’eaux usées. Un effort de recherche pour développer des solutions technologiques de dessalement plus écologiques doit par ailleurs être encouragé.

Nouvelle illustration de l’urgence climatique, le programme européen Copernicus a confirmé que l’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée dans le monde. Une des conséquences de cette urgence climatique, aggravée par l’accroissement démographique et les besoins de certaines activités économiques comme l’agriculture, l’industrie et le tourisme, est le stress hydrique qui affecte tous les pays riverains de la Méditerranée. Cette situation inquiétante va sans doute s’aggraver avec les conséquences annoncées du changement climatique, que les lentes avancées rendues possibles par la COP28 ne viendront pas ralentir. La problématique de la rareté de la ressource, notamment pendant les mois d’été où la très forte demande en eau des populations estivales n’est plus contrebalancée par des précipitations ou des réserves en eau suffisantes, va donc s’accentuer.

Parmi les solutions techniques proposées pour pallier la rareté en eau douce, en complément de la réutilisation des eaux usées traitées ou de l’utilisation des eaux pluviales, le dessalement de l’eau de mer est apparu comme la solution la plus séduisante pour beaucoup de pays.

L’essor croissant du dessalement de l’eau de mer pour répondre au stress hydrique[1]

Si les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, d’une grande aridité, ont été parmi les premiers à recourir au dessalement de l’eau de mer, en Europe, c’est l’Espagne qui est le premier producteur d’eau dessalée avec 405 millions de m3 produits par an. Un vaste plan de dessalement y a en effet été mis en place à partir du milieu des années 2000 afin de remédier au manque structurel d’eau du littoral méditerranéen. Ainsi, la plus importante usine de dessalement d’eau de mer en Europe a été aménagée dans la banlieue sud de Barcelone ; 200 000 m3 d’eau douce y sont produits tous les jours.

Les autres pays méditerranéens connaissent les mêmes difficultés, voire des situations plus graves, et ont décidé de s’orienter vers la technique du dessalement de l’eau de mer pour y faire face. Les plus importants producteurs d’eau douce par dessalement sont Israël (645 millions de m3), l’Algérie (631 millions de m3), l’Espagne (405 millions de m3) et l’Égypte (200 millions de m3). Malte est le leader du dessalement en termes de pourcentage dans l’eau consommé, avec plus de la moitié de son approvisionnement en eau potable produite par dessalement. D’après les prévisions d’équipements, on peut ainsi estimer que les capacités de productions d’eau dessalée vont encore doubler d’ici à 2030.

Or, le dessalement de l’eau de mer n’est pas sans poser de problème. En premier lieu, son coût demeure élevé. Le procédé est également très énergivore malgré les innovations technologiques et donc potentiellement producteur de gaz à effet de serre selon la source d’énergie utilisée. Enfin les rejets d’eau chargée en saumure ont un impact environnemental important sur la faune et la flore.

Une technologie difficilement accessible aux pays pauvres…

L’usine de dessalement de Barcelone a coûté 230 millions d’euros, financés à 75 % par l’Union européenne. Celle de Sorek, dans le Sud de Tel Aviv, qui est la plus grande usine au monde, a nécessité un investissement de 400 millions de $US.

Même si son coût a été divisé par dix en vingt ans, pour flirter aujourd’hui avec la barre des 50 centimes d’euro le mètre cube, le dessalement coûte cher.  En comparaison des 0,3 euro par mètre cube d’eau produite par captation, l’eau dessalée coûte de 0,4 à 0,8 euro le m3 lorsqu’elle est produite par le procédé de l’osmose inverse, et de 0,65 à 1,8 euro par le procédé de la distillation. Ce coût rend difficile l’équipement des pays en développement avec ce type d’usines.

…qui évolue pour minimiser sa consommation énergétique…

Plusieurs techniques sont utilisées pour purifier l’eau de mer[2]. Le traitement consiste à faire passer la concentration en sel de l’eau de mer, de 35 g/l à moins de 0,5 g/l, seuil de potabilité généralement admis.

Deux procédés sont employés afin de séparer les sels dissous de l’eau : un procédé thermique faisant intervenir l’évaporation et un procédé membranaire appliquant le principe de l’osmose inverse.

La distillation est la première technique historiquement utilisée du fait de sa simplicité. Elle consiste à faire évaporer l’eau de mer. Par ce processus, les sels ainsi que les autres composés dissous se déposent tandis que de la vapeur d’eau s’élève. Cette dernière est ensuite condensée afin d’obtenir de l’eau douce. Cette technique a l’avantage de produire une eau très pure mais l’inconvénient de consommer énormément d’énergie (15kWh/m3 d’eau traitée) et donc de coûter très cher. Bien qu’encore très largement répandue dans le golfe persique, elle est aujourd’hui progressivement délaissée au profit de l’osmose inverse.

La technique de l’osmose inversée consiste à faire passer l’eau de mer sous pression à travers une membrane semi perméable de filtrage qui permet de retenir les impuretés présentes dans l’eau de mer pour ne laisser passer que les molécules d’eau. Cette technique consomme beaucoup moins d’énergie que la distillation car seuls 4 à 5kWh/m3 sont nécessaires.

Considérant les volumes d’eau produits, le besoin en énergie reste néanmoins considérable et nécessiterait donc le recours à des énergies décarbonnées pour éviter d’alimenter la cause du stress hydrique auquel le dessalement est censé répondre, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas.

…mais produit des eaux à plus forte concentration de saumure…

La principale caractéristique des eaux rejetées par les usines de dessalement est leur forte salinité. Cette dernière est le principal impact sur les écosystèmes marins. Le rejet de saumure aboutit en effet à la formation d’un système stratifié de couches de plus en plus salées en allant vers le fond, ce qui diminue les brassages entre eau de fond et eau de surface et peut conduire à l’anoxie des fonds marins et à une diminution de la lumière car la présence d’eau saumurée provoque la formation d’un brouillard qui rend difficile le passage de la lumière, affectant ainsi la photosynthèse des espèces marines végétales.

Si un rejet au large dans un océan aura des effets limités, il n’en n’est pas de même dans une mer fermée comme la Méditerranée avec parfois des conséquences irréversibles pour les fonds marins. Des travaux de recherche ont ainsi montré que les rejets de saumure issus des usines de dessalement du golfe Persique augmentaient localement la concentration en sel de 5 à 10 g/L.

Or, pour les usines à procédé thermique, à faible rendement, le taux de conversion de l’eau de mer en eau douce est en moyenne de 10 %. Les eaux de rejets sont donc diluées par deux avec des eaux de refroidissement (eau de mer classique), ce qui donne un effluent seulement 5% plus concentré que l’eau de mer naturelle. Alors que pour les usines à procédé membranaire, en revanche, l’eau de rejet est de 30 % à deux fois plus concentrée.

Par ailleurs, quelle que soit la technique, de nombreux produits chimiques sont utilisés tout au long du procédé de dessalement de l’eau. Même si les effluents des usines de dessalement sont traités par des dispositifs d’épuration avant rejet, tous les polluants ne sont pas éliminés et la technique de l’osmose inverse présente l’inconvénient de rejeter davantage de produits chimiques (chlore et cuivre).

Enfin, le dessalement s’accompagne d’une forte demande énergétique avec son lot d’impacts économiques et environnementaux selon la source d’énergie utilisée. Les industriels sont donc confrontés au paradoxe du choix d’un procédé moins énergivore pour limiter l’impact sur l’atmosphère des gaz à effet de serre émis par des installations utilisant des sources d’énergie carbonées, mais plus polluant pour le milieu marin par l’effet de saumure et des effluents chimiques produits en plus grande quantité.

…dont l’impact environnemental est certain mais insuffisamment étudié[3].

Malgré les nombreuses publications scientifiques discutant des effets potentiels liés aux rejets des usines de dessalement, un réel manque demeure de données expérimentales de laboratoires et d’études de terrain permettant d’évaluer précisément ces impacts. Il est néanmoins établi que la plupart des organismes peuvent s’adapter à des petites variations de la température et de la salinité, et même tolérer temporairement des conditions extrêmes. Ils ne peuvent en revanche résister à des conditions défavorables permanentes. Hormis pour quelques espèces, on ignore précisément quel niveau de salinité peut être dangereux à long terme pour la plupart des organismes marins.

Ainsi, il est établi que les herbiers de posidonie, qui ont été très étudiés car y vit une grande diversité d’espèces en Méditerranée, sont très sensibles aux variations de salinité. Ils ne tolèrent que des augmentations de l’ordre de 1mg/L. Ils sont donc menacés par les rejets de saumure, comme de façon évidente l’ensemble de la flore sous-marine à proximité des lieux de rejet qui vont être directement impactés.

Déjà largement utilisée sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, la poursuite du développement des installations de dessalement et les rejets continus d’eaux avec une forte salinité vont affecter les organismes de la chaîne alimentaire et l’abondance de la faune et la flore dans les zones impactées dans des proportions encore difficiles à quantifier par manque de données scientifiques.

D’autres solutions sont donc à privilégier, en particulier pour la France métropolitaine.

A première vue solution facile et séduisante pour faire face aux pénuries en eau potable, l’analyse des processus technologiques utilisés pour dessaler l’eau de mer démontre qu’il convient d’être très prudent compte tenu de son impact environnemental significatif sur le milieu marin.

La richesse du littoral méditerranéen français, notamment en herbier de posidonies, incite à exclure cette solution de production d’eau potable. En outre cette technologie pose d’autres contraintes et vulnérabilités comme le besoin en foncier sur le littoral qui pourrait contrecarrer les politiques de “zéro artificialisation nette” du littoral ou la création de nouvelles infrastructures stratégiques à protéger. Une politique volontariste d’incitation à réutiliser des eaux usées traitées pour une consommation du quotidien, qui se heurte aujourd’hui à un blocage psychologique, est une solution beaucoup plus prometteuse[4]. Elle a déjà été mise en œuvre dans plusieurs pays du Moyen-Orient, comme Israël et la Jordanie.

Au plan international, le fait que pour rechercher des sources d’énergie sans émission de carbone, de nombreux pays sous stress hydrique mais potentiellement instable d’un point de vue géopolitique, seront tentés de rechercher l’alimentation de leurs centrales de dessalement par des centrales nucléaires civiles, est par ailleurs à surveiller compte tenu des risques de prolifération induits.


[1] https://planbleu.org/publications/la-gestion-de-la-demande-en-eau-lexperience-mediterraneenne/

[2] Elsaid K., Kamil M., Sayed E.T., Abdelkareem M.A., Wilberforce T., et Olabi A. 2020. Environmental impact of desalination technologies: A review. Science of The Total Environment, 748. DOI : 10.1016/j.scitotenv.2020.141528 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32818886/

[3] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/06/13/le-dessalement-de-l-eau-de-mer-en-plein-essor-malgre-son-cout-environnemental_6177369_3244.html

[4] Recommandation 17 du Rapport d’études de la FMES sur « Quelle politique de la France pour les fonds marins en Méditerranée ». https://fmes-france.org/wp-content/uploads/2023/07/rapport-detudes-1ere-s2m_quelle-politique-de-la-france-sur-les-fonds-marins-en-mediterranee_version-finale-imprimerie.docx.pdf

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