Le mois de septembre a illustré une fois de plus le fait que le multilatéralisme a laissé place à une diplomatie mondiale néo-Bismarckienne fondée sur une approche transactionnelle qui privilégie les accords bilatéraux aux résolutions collectives d’une communauté internationale exsangue.
Aucun membre du P5, à part l’hôte américain, n’a jugé bon de se déplacer pour participer à la traditionnelle Assemblée générale de l’ONU. Celle-ci a été l’occasion d’arrangements bilatéraux entre les gouvernements américain et iranien qui se sont entendus pour échanger leurs cinq prisonniers politiques respectifs, alors même que les négociations sur l’accord nucléaire patinent ; Washington et Téhéran n’ont de toute façon pas la volonté de trouver une issue sur ce dossier qui irriterait forcément leurs franges conservatrices. Téhéran a récupéré au passage 3 500 tablettes achéménides, véritable trésor archéologique détenu par des musées américains, mais surtout 6 milliards de dollars d’avoirs gelés en Corée du Sud, soit un pactole de 1,2 milliard de dollars par otage ! De son côté, l’Arabie Saoudite fait monter les enchères entre Washington et Pékin pour l’obtention d’un programme nucléaire civil doublé d’un accord de défense en bonne et due forme, laissant entendre qu’une normalisation avec Israël était possible ; un ministre israélien s’est d’ailleurs rendu pour la première fois officiellement en Arabie saoudite, même si le prince héritier MBS rappelle que des concessions israéliennes substantielles aux Palestiniens sont un préalable.
Bachar el-Assad s’est pour sa part rendu à Pékin où Xi-Jing Ping lui a déroulé le tapis rouge, obtenant des investissements indispensables à la reconstruction de son pays, mais gagnant surtout un soutien de poids au Conseil de sécurité des Nations unies qui lui permet de ne plus dépendre du seul véto russe. En échange, la Chine accroit son influence au Moyen-Orient et obtient désormais l’accès à la Méditerranée orientale via une route terrestre traversant la péninsule Arabique et le Croissant fertile.
De son côté, le premier ministre indien Narendra Modi cherche à rebaptiser son gigantesque pays de son nom ancestral de « Bharat », tournant définitivement la page du souvenir de la colonisation anglaise. Il s’impose à New York comme le champion du multi-alignement, là où ses prédécesseurs se revendiquaient comme ceux du non-alignement. Une chose paraît sure, la sourde rivalité entre les trois géants du groupe des BRICS est en marche (voir notre précédent édito) et Narendra Modi ne souhaite pas voir Pékin et Moscou prendre le leadership du Sud global.
Une autre illustration de ce chacun pour soi international a été l’offensive éclair du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev – soutenu par son homologue turc R.T. Erdogan – lui permettant de récupérer la totalité du Nagorno-Karabakh au détriment des Arméniens, dans l’indifférence générale. Son coup de force réussi trace la voie pour d’autres candidats au Fait accompli, qui seraient sans nul doute renforcés si le Kremlin l’emportait en Ukraine, montrant que le recours à la force désinhibé est une option gagnante.
Le départ imposé des forces françaises du Niger, après le Mali et le Burkina Faso, marque également ce nouveau monde où les pays européens et les normes occidentales ne sont plus craintes ni respectées.
Rabat, en écho, a accepté l’aide de nombreux pays amis après le terrible tremblement de terre qui l’a affecté, notamment celle d’Israël et même celle du rival algérien, mais elle a ignoré la main tendue par Paris, soulignant la difficulté de la France à redéfinir une politique globale lisible, audible et cohérente à l’égard de la rive sud de la Méditerranée. C’était l’un des thèmes abordés par Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, qui a décrypté « l’énigme algérienne » à l’occasion de l’ouverture de notre nouveau cycle de conférences mensuelles que nous vous invitons à suivre régulièrement.
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