Ce mois-ci, l’actualité géopolitique nous ramène encore aux États-Unis et au Moyen-Orient. Les signaux se multiplient montrant qu’Américains et Iraniens ont entamé les négociations que nous évoquions dans notre Lettre du mois dernier. Après une phase avenante pendant laquelle les Iraniens ont souhaité la bienvenue à Joe Biden, l’ont invité à prendre le thé et à grignoter quelques pistaches dans une arrière-boutique du Bazar en lui montrant le tapis qu’ils espèrent lui vendre, ils font désormais grimper les enchères. Ils ont repris l’enrichissement d’uranium à 20 %, laissent entendre qu’ils pourraient passer à 60 % et ont décidé de réduire l’accès de leurs sites nucléaires aux inspecteurs de l’AIEA. Parallèlement, ils se sont déclarés prêts à retourner aux clauses de l’accord nucléaire de 2015 dès que les États-Unis auront fait tomber les sanctions économiques frappant Téhéran, trouvant même un accord temporaire avec le directeur général de l’AIEA. Les Américains ont multiplié quant à eux les gestes de bonne volonté, mais ils restent fermes sur le fond et attendent que le pouvoir iranien fasse le premier pas. De leur côté, les Israéliens compensent l’ouverture américaine par une plus grande intransigeance à l’encontre de l’Iran, laissant planer l’hypothèse d’une action militaire – comme à l’époque de Barack Obama – tout en préparant l’élection du mois prochain dans laquelle Benjamin Netanyahou, poursuivi judiciairement, jouera sa survie politique ; le Premier ministre israélien espère retourner une fois de plus la situation à son profit.
Le nouveau Secrétaire d’État Antony Blinken ayant évoqué la possibilité d’un accord séparé sur les futurs équilibres régionaux avec Téhéran, le régime iranien a pris les devants et a multiplié les démonstrations de force : assassinat au Liban de l’intellectuel chiite Lokman Slim connu pour sa proximité avec les Occidentaux, tirs répétés de roquettes (via des milices chiites locales) sur la base d’Erbil abritant quelques-unes des dernières troupes américaines stationnées en Irak, survol de drones en Arabie saoudite, offensive victorieuse des Houthis à la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite. Comme dans toute négociation, chacun montre sa détermination avant d’entamer la discussion. Nul doute qu’en agissant ainsi, les factions conservatrices iraniennes ont cherché à tester la nouvelle administration démocrate, lui faisant passer le message suivant : un accord rapide nécessitera des gestes forts et des compromis visibles de la part des Américains. Les conservateurs souhaitent sûrement remettre les accords après leur retour probable au pouvoir lors de l’élection présidentielle de juin prochain. Alors que nous commémorons ce mois-ci le trentième anniversaire de la guerre du Golfe (1991) qui a marqué un quart de siècle de domination américaine totale sur la région, l’Irak, avant-poste de la rivalité entre Washington et Téhéran, illustre le déclassement de la posture américaine au Moyen-Orient.
En attendant, Joe Biden sait qu’il doit sécuriser le corridor stratégique que représente la Méditerranée pour continuer à peser sur les multiples facettes du dossier moyen-oriental. C’est le sujet de la conférence du mois. Sur ce même front méditerranéen, le président Erdogan semble s’être momentanément calmé. Nul doute qu’il faut y voir sa volonté de donner des gages au nouvel hôte de la Maison Blanche comme l’explique l’article de la jeune universitaire que nous avons décidé de mettre en exergue. De son côté, le président Sissi occulte le dixième anniversaire de la révolution égyptienne. Nul ne semble très motivé pour commémorer les dix ans du « Printemps arabe » qui aurait pu ouvrir une ère nouvelle dans l’espace arabo-musulman, mais qui s’est soldé par la crispation des pouvoirs en place et par les chaos libyen et syrien. L’histoire n’est certes pas terminée à l’image de ce qui se passe en Algérie où le « Hirak » célèbre en fanfare ses deux ans d’existence sous le contrôle strict du pouvoir militaire. C’est dans ce contexte délétère que l’historien Benjamin Stora a rendu public son rapport sur les enjeux mémoriels entre la France et l’Algérie que nous décryptons dans un article de cette lettre.
Pour conclure sur une note plus positive, février 2021 aura vu le début de mission prometteuse d’un rover extraordinaire sur le sol martien, démontrant à la fois que l’avenir de l’humanité était sans doute lié aux conséquences positives de la conquête spatiale, mais que celle-ci redevenait un champ de compétition entre puissances globales. C’est ce que les auditeurs de notre 31ème SMHES ont pu toucher du doigt lors du séminaire mensuel, centré sur les enjeux aérospatiaux, qui les a conduits à visiter les installations industrielles de Thalès Alenia Space à Cannes La Bocca.
Plus que jamais, l’institut FMES décrypte l’actualité géopolitique à l’instar de notre directeur général qui brosse en podcast les priorités stratégiques pour 2021. Les mois qui viennent seront déterminants.
L’équipe de direction de l’institut FMES