Arnaud Peyronnet, membre associé FMES de l’Observatoire stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient (OS2MO)
Résumé :
D’abord structurées par les échanges dans le domaine énergétique, les relations entre la Chine et les monarchies du Golfe s’étendent désormais aux hautes technologies, dont certaines liées au secteur de la défense. Cette pénétration chinoise au Moyen-Orient, outre ses aspects économiques, engendre des implications stratégiques majeures, notamment au travers de l’interconnexion croissante de cette région avec les nouvelles routes de la soie chinoises. L’appétit moyen-oriental pour la croissance asiatique et l’intérêt chinois pour un « colonialisme commercial » d’un nouveau type s’inscrit dans un contexte de découplage croissant des pays de la péninsule arabique avec les Etats-Unis, tant dans les domaines économiques que géopolitiques. Toutefois, ce rapprochement des monarchies du Golfe avec la Chine est loin d’être un signal d’alignement complet de l’Arabie saoudite et des EAU avec Pékin. Au contraire, il est plutôt le symbole de leur autonomisation croissante.
Vers un réalignement géopolitique du Moyen-Orient au détriment des Etats-Unis ?
La visite très médiatisée du Président chinois en Arabie Saoudite au mois de décembre 2022 en pleine coupe du monde de football au Qatar a révélé le développement exponentiel des relations commerciales entre Pékin et les pays du Golfe. La signature, le 10 mars 2023, sous égide chinoise, d’un accord irano-saoudien pour le rétablissement de relations diplomatiques entre les deux pays antagonistes constitue un signal majeur de l’irruption durable de la Chine sur la scène moyen-orientale. Elle constitue un revers pour la politique américano-israélienne dans la région.
Offensive très stratégique de la Chine au Moyen-Orient
Le développement de la relation économique sino-saoudienne est essentiellement mue par des intérêts commerciaux pragmatiques : l’Arabie Saoudite est le plus gros fournisseur de pétrole au monde et la Chine le plus important consommateur mondial. Près de 20% de la consommation de pétrole chinoise vient d’Arabie Saoudite[1] et Ryad est le 1er fournisseur de pétrole de Pékin, les deux pays ayant d’ailleurs reconduit en 2016 un partenariat pour une coopération énergétique sur le long terme[2]. La relation énergétique est donc l’ossature première du rapprochement sino-saoudien. En 2021, les échanges bilatéraux ont été évalués à plus de 87 milliards de dollars, indiquant une diversification des échanges entre les deux pays. La visite du 7 au 10 décembre 2022 de Xi Jing Ping dans le royaume wahhabite a eu pour objectif de finaliser des contrats commerciaux et industriels dans différents domaines[3], pour près de 30 milliards de dollars. Mais au-delà de l’Arabie Saoudite, la Chine accroît son influence commerciale et industrielle avec l’ensemble des pays de la région. La Chine et la Ligue Arabe avaient, dès 2004, créé un forum de coopération collectif (CASCF pour China-Arab States Cooperation Forum) pour développer les relations économiques et commerciales entre ces deux acteurs. En 2014, le président chinois avait proposé l’établissement d’une « communauté d’intérêts communs et de destin sino-arabes »[4] dans le cadre de ce même forum. En 2016, il s’était rendu au siège de la Ligue Arabe en visite officielle et en 2018, la Chine a cherché à développer un « partenariat stratégique sino-arabe de coopération globale et de développement commun orienté vers l’avenir » au sein de ce même cénacle sino-arabe, ce qui a été rappelé de nouveau en 2020[5]. La puissance économique chinoise compte ainsi profiter de la croissance économique des pays du Golfe pour trouver des débouchés technologiques à ses industries, tout en s’assurant un approvisionnement régulier et massif en hydrocarbures. Le Président chinois a d’ailleurs rencontré à Ryad, à la suite du sommet bilatéral Chine/Arabie Saoudite, quatorze dirigeants arabes[6] lors du sommet de coopération et de développement Golfe/Chine, démontrant ainsi la stratégie économique régionale de Pékin.
Ces différents accords-cadres de coopération économique sino-arabes assoient la politique d’expansion commerciale de Pékin dans le cadre des nouvelles routes de la Soie (projet OBOR[7]). La Vision 2030 prônée par le dirigeant saoudien pour faire entrer son royaume dans la diversification économique et la modernité est ainsi facilitée par le projet chinois OBOR[8].
Les Emirats Arabes Unis sont eux aussi devenus un élément essentiel de ce projet chinois. L’Egypte, qui a rallié en 2017 le projet OBOR, est aussi stratégique pour la Chine, le canal de Suez abritant une zone de coopération économique bilatérale à Ain Sokhna. D’ailleurs, le Caire a été le théâtre de la première visite à l’étranger du nouveau ministre des Affaires étrangères chinois en janvier 2023[9]. Les fonds chinois financent une partie de la nouvelle capitale administrative égyptienne près du Caire[10] et les importations chinoises en Egypte en 2022 ont atteint plus de 12 milliards de dollars[11], ce qui témoigne de l’engouement croissant de Pékin pour l’Egypte, verrou commercial vers l’Afrique du Nord et la Méditerranée.
Si ces dernières années ont marqué l’extension impressionnante de l’influence chinoise au Moyen-Orient, une nouvelle étape a été franchie en décembre 2022 avec la signature par Ryad et Pékin d’un accord de partenariat stratégique global, qui vient peu après ceux signés par la Chine avec les Émirats arabes unis, Oman et surtout l’Iran[12]. La prochaine étape, un accord de libre-échange entre les pays du Golfe et la Chine est en cours de négociation alors que Pékin continue d’appeler à utiliser sa monnaie, le yuan, dans les échanges économiques entre les deux blocs. Une telle situation constituerait une rupture symbolique et financière majeure. En février 2023, le gouvernement irakien a ainsi annoncé que ses échanges commerciaux avec la Chine seraient désormais effectués en Yuan[13].
Au plan politique, le rapprochement avec l’Arabie Saoudite, puissance arabe sunnite majeure et gardienne des Lieux Saints musulmans, après la signature d’un accord de partenariat stratégique avec l’Iran, permet à Pékin de pratiquer une politique d’équilibre entre les deux puissances régionales (Téhéran et Ryad), de chercher à s’assurer la reconnaissance du monde musulman, déjà plutôt anti-occidental, et de calmer les critiques vis-à-vis des traitements que la Chine inflige à la minorité ouïghoure.
A l’inverse, le soutien des pays arabes à « l’unicité de la Chine » conforte la position diplomatique de la Chine quant à Taïwan. Pékin tente ainsi de constituer au Moyen-Orient un glacis politico-économique connecté à ses nouvelles routes de la Soie qui marginaliserait progressivement l’Occident. Si pour le moment les pays du Golfe se sont bornés aux échanges économiques et n’ont pas complètement cédé aux sirènes politiques chinoises, il n’en reste pas moins que l’intensification des échanges sino-arabes enfonce un coin dans la relation historique entre l’Occident et la région et érige Pékin en rival de substitution.
Découplage croissant du Moyen-Orient avec les Etats-Unis
La visite du président chinois révèle la progression de la puissance chinoise au Moyen-Orient, alors que les relations entre le royaume saoudien et les Etats-Unis restent tendues.
Les relations entre l’administration Biden et Ryad, tant sur les droits de l’homme que sur la question iranienne sont en effet structurellement compliquées depuis l’élection de Joe Biden[14]. La visite du président américain à Ryad, en juillet 2022, avait été entourée de beaucoup moins de faste que celle du président chinois, un signal fort dans la région. Enfin, dans le contexte de divergences d’appréciation sur la crise ukrainienne, Washington avait critiqué très vivement[15] la décision (5 octobre 2022) de l’OPEC+ et notamment de l’Arabie Saoudite de limiter la production de pétrole pour accroître drastiquement les prix, à l’opposé de la politique souhaitée par Washington[16] dans le contexte de la guerre en Ukraine. Cette décision saoudienne avait été vue comme un signe supplémentaire du découplage stratégique entre le royaume wahhabite et les Etats-Unis. Certains experts font d’ailleurs débuter cette tendance à l’invasion de l’Irak en 2003[17], vécue comme un traumatisme dans les pays arabes qui a creusé la défiance arabe vis-à-vis de Washington. La Chine en avait profité à l’époque pour créer le forum CASCF dans le respect de « 5 principes de coexistence pacifique » (respect mutuel, respect de l’intégrité territoriale, respect de la souveraineté, non-interférence dans les affaires intérieures, non-agression)[18] qui tranchaient avec la politique interventionniste et moralisatrice des Etats-Unis. En Egypte, certains officiels voient d’ailleurs les projets chinois des nouvelles routes de la Soie comme une « transformation de la coopération qui est passée d’un modèle colonial à un modèle collaboratif »[19].
La signature (10 mars 2023) sous égide chinoise d’un accord irano-saoudien pour le rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays[20] met en évidence le rôle de « puissance pacifique et responsable »[21] que la Chine dit vouloir jouer sur la scène internationale, tout comme l’autonomie décisionnelle de l’Arabie Saoudite qui, ayant besoin d’une stabilité sécuritaire pour ses réformes économiques (Vision 2030), préfère finalement collaborer avec son rival régional et s’associer à la Chine plutôt que d’approfondir ses relations avec un axe américano-israélien devenu imprévisible. Cet accord, outre l’officialisation du rôle majeur de la Chine dans le Golfe, sort l’Iran de son isolement, place durablement ce pays dans l’orbite sino-russe et pourrait signer un coup d’arrêt aux accords d’Abraham, du moins en tant qu’axe régional anti-Iran. Cet accord spectaculaire piloté par la Chine a d’ailleurs été salué par le sultanat d’Oman et les EAU, voisins et partenaires de l’Arabie Saoudite, désireux eux aussi de renforcer leurs liens avec Pékin.
Outre les divergences politiques croissantes, le découplage est également économique et énergétique. Les Etats-Unis ne sont plus que le 3ème importateur de pétrole saoudien tandis que les relations commerciales s’effritent entre les deux pays (76 milliards de dollars en 2012 contre seulement 29 milliards en 2021, soit près de 3 fois moins qu’entre l’Arabie et la Chine la même année)[22]. Les Etats-Unis, grâce à l’exploitation intensive de leurs propres ressources, ne sont plus dépendants du Moyen-Orient pour leurs besoins énergétiques. Or, ce découplage progressif entraîne un risque de découplage sécuritaire et militaire. Les Etats-Unis persistent toutefois à ne pas y croire, compte-tenu de la dépendance des pays du Golfe aux matériels militaires américains[23]. Pour Dawn Murphy, professeur associé au National War College, la « Chine ne semble pas vouloir accroître son rôle dans la sécurité de la région »[24]. De même, d’anciens diplomates américains affirment toujours que « la Chine ne peut remplacer les Etats-Unis comme garants de la sécurité régionale tant que celle-ci maintient des liens étroits avec Téhéran »[25]. De plus, et toujours dans le même esprit, les Etats du Golfe, en courtisant la Chine, chercheraient plutôt à faire pression sur les Etats-Unis pour obtenir davantage de garanties de sécurité de leur part. Le divorce avec Washington ne serait ainsi pas définitif, mais plutôt transitoire.
Toutefois, de forts doutes se sont multipliés ces dernières années quant à la crédibilité de la protection américaine pour la défense des monarchies du Golfe[26]. La Chine est, dans ce contexte, devenue un partenaire intéressant pour la sécurité régionale, d’abord par la voie commerciale en livrant des équipements de défense alternatifs (drones de type Wing Loong notamment) ou des infrastructures de communication (5G voire 6G avec Huaweï). En 2021, les EAU ont abandonné brusquement leur projet d’achat de chasseurs F-35 après l’ire de Washington concernant les contrats passés entre les Emirats et Huaweï pour les réseaux 5G. Par la même occasion, les EAU ont acheté à Pékin une douzaine d’avions d’entraînement de type L-15, geste de défiance clair vis-à-vis des Etats-Unis. De plus, et malgré l’intérêt que les monarchies du Golfe pourraient avoir pour le matériel militaire américain, certains sont de moins en moins disponibles, nombre d’entre eux étant désormais envoyés en Ukraine[27]. Les stocks s’amenuisant, ce n’est pas non plus l’arsenal russe, discrédité au combat et sous tension à la suite des pertes de guerre, qui peut remplacer l’arsenal américain sur ce marché. Quant aux Européens, ils font face aux mêmes difficultés que leurs homologues américains. Ne restent donc finalement que les matériels israéliens, sud-coréens et chinois à pouvoir investir durablement ce marché en l’absence d’effort majeur des pays européens vers cette région… En mars 2022, la Chine et l’Arabie Saoudite ont ainsi décidé la création d’une joint-venture pour développer localement des drones[28]. En novembre 2022, l’Arabie Saoudite aurait commandé pour près de 4 milliards de dollars de drones armés TB001 et missiles antinavires YJ-21 chinois. Enfin, un communiqué conjoint sino-saoudien à la fin du forum bilatéral de décembre 2022 a fait part de la volonté des deux parties de renforcer leur coordination et leur coopération dans différents domaines liés à la défense, dont le renseignement à but de contre-terrorisme[29]. Pékin a même proposé de construire une future architecture de sécurité commune au Moyen-Orient, inclusive, coopérative et durable qui s’inscrit, du moins en rhétorique, en opposition avec l’architecture proposée par les Etats-Unis. A terme, il est probable que Pékin déploie davantage ses forces militaires aux limites du Moyen-Orient, en prenant appui sur sa base en plein développement de Djibouti[30] voire de Gwadar[31], fournissant ainsi tant une protection pour les nouvelles routes de la Soie qu’une garantie sécuritaire supplémentaire pour ses nouveaux partenaires de la région. A plus long terme, le projet chinois de base navale chinoise aux Emirats Arabes Unis, en plein cœur du golfe arabo-persique, participe à cette tendance. Outre ces bases, la marine chinoise multiplie désormais ses déploiements opérationnels en océan indien.
De fait, la relation sécuritaire et de défense entre les pays du Golfe et la Chine devrait pourrait continuer à se développer dans les prochaines années, aboutissant à terme à un réel découplage sécuritaire entre les Etats-Unis et le Golfe.
Stratégie d’équilibre et d’autonomisation des pays du Golfe
Les Emirats Arabes Unis se rêvent en hub logistique de la péninsule arabique, intégré dans les nouvelles routes de la Soie chinoises. L’Arabie Saoudite lorgne quant à elle sur le statut d’observateur au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) pilotée par Pékin, qui lui offrirait une tribune à même de montrer le Royaume comme une plaque tournante essentielle entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Le prince héritier vient d’ailleurs d’annoncer son souhait de créer une nouvelle compagnie aérienne tournée vers l’Asie, rivalisant par là-même avec les compagnies Emirates, Etihad et Qatar Airways. Les monarchies du Golfe, ne voyant plus les Etats-Unis comme un partenaire de confiance, veulent investir pleinement le nouveau paysage multipolaire que leur propose la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Le ministre des Affaires étrangères saoudien a ainsi indiqué que « nous ne croyons pas en la polarisation, nos politiques étant fondées sur nos propres intérêts », ajoutant que « l’économie du Royaume est en pleine croissance, nous avons besoin de tous les partenaires et nous avons des intérêts communs tant avec les Etats-Unis que la Chine »[32] démontrant le réalisme des gouvernants. La signature de l’accord irano-saoudien met en évidence l’autonomisation géopolitique de l’Arabie Saoudite. Les pays du Golfe défendent, dans une logique mondialisée, une vision d’un ordre mondial connecté dans lequel les relations étatiques doivent être multiples, complémentaires et centrées sur la défense de leurs intérêts nationaux ou régionaux, et non pas simplement fondées sur l’idéologie ou les alliances[33]. Les EAU, tout en maintenant une relation de défense importante avec les Etats-Unis, se rapprochent ainsi sans complexes de la Chine mais aussi d’autres partenaires asiatiques[34]. De même, l’approche transactionnelle des EAU et de l’Arabie Saoudite vers la Turquie, l’Iran ou Israël démontre l’importance de cette connectivité dans leur perception des enjeux géopolitiques qui ne sont plus unis ou bipolaires.
Les dirigeants des pays du Golfe semblent donc promouvoir désormais une vision ambitieuse pour leur pays en cherchant un pôle d’équilibre qui servent leurs seuls intérêts. Cette nouvelle stratégie, servie par des moyens financiers considérables et de véritables leviers de puissance (financière, énergétique) leur permet de rêver jouer un rôle international de 1er rang dans les décennies à venir. Ce jeu d’équilibriste illustre aussi un nouvel ordre international fondé sur la distinction entre Global West et Global South[35], le second groupe étant composé de nations qui ne s’alignent plus automatiquement sur les idées, les valeurs ou les principes défendus par l’Occident.
Quelles conséquences pour le Moyen-Orient ?
La Chine voit dans l’affirmation de sa présence au Moyen-Orient une bonne occasion d’affirmer son rôle géopolitique mondial, dans une zone stratégique pour ses approvisionnements en hydrocarbures et qui était jusque-là un pré-carré américain. Elle se pose en arbitre international « impartial », du fait de son implication quasi-uniquement économique à ce stade, essentiellement attaché à la stabilisation de la région, bien loin des critiques allant à l’encontre de l’interventionnisme militaire américain des dernières décennies. L’implantation chinoise au Moyen-Orient, dans l’arrière-cour du rival indien, s’inscrit aussi dans la compétition des deux puissances asiatiques pour l’Indopacifique. Elle ne peut susciter que des craintes à New Dehli, notamment pour ses approvisionnements de pétrole qui pourraient être à terme détournés aisément vers la Chine.
La pax sinica en cours de constitution dans cette région permet avant tout d’assurer à la Chine et aux pays du Golfe, Iran inclus, des échanges commerciaux sereins et fluides. Si la pax sinica ne remettra pas en cause les différends fondamentaux entre Iran et Arabie Saoudite, elle pourrait toutefois permettre un apaisement ponctuel en périphérie de la région du Golfe, tant en Syrie qu’au Yémen, deux pays essentiels pour les Nouvelles Routes de la Soie chinoises. Dans ce contexte, l’Iran voit sa stratégie d’influence régionale confortée tandis que l’isolement israélo-américain va croître, sauf à changer radicalement de posture, tant vis-à-vis de l’Arabie Saoudite que de l’Iran ou la Syrie, ce qui paraît peu probable.
Quant à l’Europe, celle-ci brille par son absence, tiraillée entre son alignement anti-iranien avec Washington et ses divisions internes (exacerbation de la concurrence entre France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie). L’autonomisation croissante du Moyen-Orient pourrait cependant constituer une chance économique et géopolitique pour la France, dans son rôle de puissance d’équilibres, en associant, en pleine égalité, les principaux pays de la région à toute réflexion sur le nouvel ordre mondial.
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La pénétration stratégique chinoise au Moyen-Orient, notamment au travers de l’interconnexion croissante de l’Iran et des pays arabes avec les nouvelles routes de la soie devrait se poursuivre compte-tenu de l’alignement des intérêts économiques et commerciaux mutuels. De plus, si l’ambition chinoise est de créer au Moyen-Orient un glacis géopolitique compatible avec ses intérêts, la vision arabe est de faire de la péninsule Arabique un pôle d’équilibre et de croissance entre Occident et Orient. Les deux projets semblent ainsi compatibles. Enfin, le réel développement économique systémique en Asie, comparativement à la stagnation occidentale, devrait sur le long terme renforcer le pivot vers l’Asie des pays du Golfe et de l’Iran.
Ce rapprochement sino-arabe démontre in fine l’indépendance politique croissante des monarchies du Golfe qui, fortes de leurs ressources financières et pétrolières, souhaitent ne plus avoir à choisir un camp et pourraient se rêver en chefs de file d’une troisième voie géopolitique. Cette situation pourrait dès lors constituer une opportunité pour la France, dans le cadre de sa vocation de puissance d’équilibres, en associant cette région à la refondation du cadre international actuel.
[1] Atlantic Council, 09/12/2022.
[2] Partenariat initialement conclu en 1991 pour une durée de 25 ans et prévoyant notamment la fourniture de missiles balistiques chinois à l’Arabie saoudite.
[3] Construction de réseaux télécoms par Huawei, d’usines par Baosteel, accords croisés entre les secteurs pétroliers saoudien et chinois (Saudi Aramco, ACWA power Sinopec, Shandong Energy Group), création d’un centre régional pour les entreprises chinoises notamment dans la technologie et l’intelligence artificielle. Al Monitor, 07/12/2022 et South China Morning Post, 08/12/2022.
[4] Xinhua, 08/12/2022.
[5] Ibid.
[6] Un Sommet sino-arabe (Chine, pays du Conseil de Coopération du Golfe, Irak, Egypte, Jordanie, Liban) élargi à d’autres pays de la Ligue Arabe (Mauritanie, Tunisie, Djibouti, Algérie, Libye, Yémen, Soudan, Palestine, Somalie, les Comores).
[7] One Belt One Road.
[8] Le projet Vision 2030 profite d’ailleurs aux entreprises chinoises du BTP. Le Président chinois a visité le projet Neom sur la côte saoudienne de la mer Rouge, élément clé de Vision 2030, lors de sa visite dans le royaume en décembre 2022.
[9] RFI, 16/01/2023.
[10] Eurasia review, 16/12/2022.
[11] Al Monitor, 09/12/2022.
[12] L’Iran a été le principal point d’appui de Pékin dans la région avec la signature, le 27 mars 2021, d’accords commerciaux pour 400 milliards de dollars et un partenariat stratégique sur 25 ans. Oman avait signé un partenariat stratégique avec la Chine en mai 2018, tout comme les Emirats Arabes Unis avec Pékin en juillet 2018.
[13] L’Arabie Saoudite étudie depuis début 2022 la faisabilité d’effectuer, avec la Chine, des transactions de pétrole brut en Yuan. Al Monitor, 23/02/2023.
[14] Critiques très virulentes de Joe Biden lors de sa campagne électorale sur l’action saoudienne au Yémen, sur l’implication du pouvoir saoudien dans l’assassinat du journaliste du Washington Post, Jamal Khashoggi, sans compter la volonté du futur Président américain de relancer les négociations du JCPOA avec l’Iran, rival de Ryad.
[15] Biden menaçant l’Arabie Saoudite de “conséquences” non spécifiées.
[16] L’idée défendue par les Etats-Unis et l’Europe était au contraire d’accélérer la production de pétrole afin d’entraîner une baisse massive des prix qui priverait la Russie d’importants revenus tout en contribuant à lutter contre l’inflation.
[17] Middle East Monitor, 07/12/2022.
[18] Middle East Monitor, 07/12/2022.
[19] Al Monitor, 09/12/2022.
[20] Les deux pays ont aussi convenu de respecter mutuellement leur souveraineté et de ne pas interférer dans leurs affaires intérieures respectives. RFI, 11/3/2023.
[21] Ibid.
[22] Al Monitor, 07/12/2022.
[23] Systèmes de défense aérienne THAAD, chars et blindés, bâtiments de combat MMSC notamment.
[24] Politico, 07/12/2022.
[25] Ibid. La Chine et l’Iran ont conclu un accord de coopération sur 25 ans, Pékin continuant d’acheter du pétrole à l’Iran.
[26] Doutes en partie motivés par le désengagement brutal des Etats-Unis d’Afghanistan en 2021, par le pivot effectué par l’armée américaine vers l’Indopacifique, par la reprise des négociations avec l’Iran et ce alors que les menaces perçues provenant d’Iran augmentaient sensiblement (guerre au Yémen, multiples tirs de missiles et de drones sur l’Arabie Saoudite et les EAU entre 2019 et 2022).
[27] Les forces américaines au Moyen-Orient retirant même certains de leurs moyens pour les envoyer en Europe, puis en Ukraine.
[28] Cette annonce suivant l’établissement de liens identiques en 2021 entre des entreprises émiriennes et chinoises. Asia Times, 27/02/2021.
[29] Al Monitor, 11/12/2022.
[30] La base logistique chinoise de Djibouti, inaugurée en août 2017, devra être en mesure d’accueillir 5 000 militaires si nécessaire d’ici 2026 et pouvoir accueillir des bâtiments de 1er rang (destroyers, sous-marins, navires amphibies, porte-aéronefs).
[31] La marine chinoise entend ainsi utiliser Gwadar, au Pakistan, comme base navale projetée, ce port (loué à la société chinoise China Overseas Port Holding Company pour un bail de 40 ans) étant aussi le point d’entrée pour un corridor logistique devant relier le Pakistan à la Chine continentale.
[32] Middle East Monitor, 11/12/2022.
[33] Middle East Institute, 5/4/2022.
[34] Notamment avec Séoul qui a récemment vu la promesse émirienne d’investir 30 milliards de dollars dans les industries sud-coréennes. Al Monitor, 17/01/2023.
[35] Le Global West verrait l’époque comme un combat des démocraties contre les autocraties (représentées par la Russie et la Chine notamment) et sur la nécessité d’un alignement mondial au profit des démocraties. Le Global South voit en revanche surtout les risques économiques potentiellement incontrôlés d’une telle dichotomie, notamment pour ceux qui ont fait du développement économique accéléré la marque de fabrique du développement de leur stratégie nationale.