SÉMINAIRE DE LA 33ÈME SMHES À TOULOUSE : A LA RENCONTRE DU MONDE AÉROSPATIAL.

« We cannot solve our problems with the same thinking we used when we created them »[1]

Cette citation pourrait avoir de très nombreux points d’application. Nous l’introduisons ici car elle correspond plutôt bien aux domaines de l’innovation quelle qu’en soit la nature. Elle correspond donc parfaitement au milieu aérospatial. Dans ce domaine en effet, l’innovation est au cœur de toute démarche.  Elle ne se limite pas seulement à la performance des lanceurs comme ce fut le cas au début de l’aventure spatiale dans une compétition acharnée entre l’URSS et les États-Unis au début des années 1960. Tout le monde se souviendra ici de la célèbre phrase de John Fitzgerald Kennedy où il réclamait le besoin d’Hommes sachant rêver à des choses inédites. S’en est suivie la conquête spatiale américaine jusqu’au premier pas sur la lune de Neil Armstrong en 1969. Cette innovation conjugue aussi toutes les technologies émergentes avec en particulier la miniaturisation des systèmes et l’apport des technologies numériques. Cette conjugaison s’applique d’ailleurs à presque toutes les activités industrielles fussent-elles de surface, sous-marines ou spatiales.  Le monde est connecté ; il l’est globalement du smartphone qui nous accompagne où que l’on soit jusqu’au volant de notre propre véhicule. Cette compétition prend aussi une forme nouvelle avec l’implication croissante d’acteurs privés. Pour autant, et ne nous y trompons pas, SpaceX dirigé par Elon Musk, n’aurait sans doute pas connu l’élan actuel sans l’appui presque inconditionnel du gouvernement des États-Unis. Nous faisons face finalement à une forme de partenariat public privé qui peut être d’ailleurs contesté. C’est un nouvel enjeu de différends commerciaux au niveau international.  Il faut malgré tout reconnaître à ce dirigeant une forme de génie dans l’art de commercialiser les différents segments spatiaux.

Pour cette rentrée, les auditeurs de la 33ème SMHES ont donc mis le cap sur Toulouse, ville emblématique de l’envol aérospatial. Au fil des années, la région toulousaine s’est transformée en se concentrant sur les activités aéronautiques et spatiales. A dire vrai, et pour y avoir séjourné à deux reprises dans les années 1990 sur la première base aérienne de l’armée de l’air[2], je ne la reconnais plus tant les aménagements ont modifié la géographie avec l’émergence de l’Aerospace valley française. Les différentes sessions méditerranéennes des hautes études stratégiques sont d’ailleurs les témoins de cette transformation. Entre le passage des auditeurs de la 30ème SMHES et celui de ceux de la 33ème, avec une interruption de deux ans à cause de la crise du COVID 19, cette transformation est particulièrement visible.

Rappelons enfin, que le domaine spatial présente des enjeux stratégiques et géopolitiques. En cela, il établit donc un lien avec les travaux des auditeurs de la session même si le thème de l’influence des Balkans en Méditerranée en paraît éloigné. L’espace est devenu le 5ème domaine de confrontation potentielle.  Il s’inscrit en toute logique dans le triptyque décliné dans la revue nationale stratégique où sont exposés les facteurs de compétition, de contestation et de confrontation. Rappelons également que le seul traité de 1967 n’interdit pas la militarisation de l’espace. Il interdit seulement qu’y soit placée une arme de destruction massive. Il était donc grand temps de s’intéresser aux menaces spatiales réversibles et irréversibles. La décision de créer le commandement de l’espace, le 3 septembre 2019, illustre le besoin évident de disposer d’une défense spatiale renforcée et d’une autonomie stratégique spatiale.  En somme, il n’y a pas d’espace sans opérations et pas d’opérations sans espace !

La première visite s’imposant à l’occasion de ce déplacement fut celle consacrée au centre national d’études spatiales le jeudi 12 janvier. Dans l’esprit qui animait le général Charles de Gaulle, le CNES a été créé peu de temps après la création de la direction générale de l’armement le 19 décembre 1961 soulignant ainsi la cohérence nécessaire pour tout ce qui concerne les travaux technologiques tournés vers l’autonomie stratégique à laquelle il était très attaché.

A cette époque, face à la compétition spatiale acharnée entre l’URSS et les États-Unis, la France était le premier pays d’Europe à participer à cette compétition. Ce signal n’était pas neutre lorsque l’on observe l’implication croissante de la France dans la recherche et les études spatiales. Le CNES est toujours aujourd’hui l’agence spatiale nationale la plus importante des pays de l’Union européenne. Monsieur Vincent Toumazou, chargé de mission auprès du directeur du centre a présenté le site dans sa globalité et dessiné les perspectives d’un milieu très convoité.  

Trois ateliers ont permis aux auditeurs de mesurer la performance des activités réalisées. L’un était consacré à l’exploration et la recherche avec des avancées scientifiques significatives réalisées sur la planète Mars avec les différents robots de la NASA (curiosity et perseverance) pour lesquels certains capteurs ont été réalisés par La France. En créant la FOCSE (French Operations Centre for Science Operations), le CNES dispose d’un laboratoire centré sur la programmation des différents systèmes déployés sur Mars ainsi que le recueil des données en coordination avec le centre spatial américain installé à Pasadena en Californie. Un deuxième atelier était consacré au traitement de l’image. Les satellites de la composante spatiale optique du programme MUSIS (Multinational Space-Based Imaging System) sont stratégiques dans la chaine des opérations de renseignement militaire ainsi que dans l’établissement de cibles qu’il faudrait traiter dans le cadre d’une opération. Le niveau de résolution et les capacités de revisite des satellites d’observation ont apporté un niveau de performance très élevé nous plaçant résolument parmi les meilleurs dans ce domaine.

Enfin, un atelier plus technique a permis d’apprécier certains tests réalisés avant le lancement des différents satellites pour mesurer les contraintes d’ordre électromagnétique. Même si ces ateliers peuvent paraître, à bien des égards, très techniques, les intervenants auront su donner un aperçu très clair des objectifs permettant aux auditeurs de cerner précisément les enjeux de ces différents laboratoires et d’en comprendre tout l’intérêt dans les domaines civils et militaires.  

L’après-midi fut consacrée, dans une suite logique, à la présentation du commandement de l’air et de l’espace. Dépendant du chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, ce commandement reste interarmées comme l’était le commandement interarmées de l’espace qui le précédait, créé en 2010 et relevant du chef d’état-major des armées. Mais il consacre un plus fort engagement des armées sur un domaine stratégique. 

Son implantation à Toulouse démontre, s’il en était besoin, la nécessaire coordination avec le centre national d’études spatiales et tous les acteurs industriels installés en région. C’est le colonel Alexis Rougier, chef d’état-major du CDE, qui s’est plié à cet exercice avec un immense talent. Il a su transmettre aux auditeurs quelques clés de lecture indispensables pour comprendre les enjeux du domaine spatial. Il a ainsi rappelé les différentes périodes qui ont marqué l’histoire spatiale avec la première ère de compétition entre l’URSS et les États-Unis jusqu’en 1970, la seconde plus linéaire (1980 – 2010) au lendemain des missions lunaires ne soulevant pas les débats d’aujourd’hui et la troisième ère spatiale qui souligne le caractère disruptif de ce domaine.

En somme ce qualificatif est le reflet de l’importance des ruptures technologiques propres à ce domaine. Et nous y retrouvons donc tous les grands compétiteurs, acteurs de la recomposition géopolitique que nous traversons.  Les États-Unis, la Chine et la Russie comptent parmi les plus importants. Notons que l’Europe reste assez loin derrière dans le nombre de lancements de satellites sur les différents niveaux orbitaux[3]. La Russie, malgré son niveau économique très en retrait des autres grandes puissances, joue une partition assez complète et agressive en étant capable d’espionner et de détruire manifestant ainsi ses potentielles aptitudes militaires. Il est donc aisé de comprendre le besoin d’être présent sur segment capacitaire représentant un enjeu de sécurité nationale.

Evidemment, si cette présence s’affirme au niveau offensif et défensif, elle sous-tend d’importants programmes à venir. Aujourd’hui, dans l’esprit de la fameuse OODA Loop (boucle Observation-Orientation-Décision-Action), chacun aura compris que nous sommes dans une phase initiale d’observation pour mieux apprécier les menaces présentes dans l’espace. Il faudra à l’évidence investir davantage pour gagner l’autonomie stratégique recherchée et donc la capacité d’agir.  Cette nouvelle ère spatiale concomitante au 5ème domaine de confrontation potentielle ouvre indéniablement de nouvelles perspectives nationales et européennes. Il faudra être au rendez-vous ! 

Le lendemain, le vendredi 13 janvier, l’approfondissement de la connaissance du milieu spatial s’est confirmé avec la visite de l’entreprise Thalès Alenia Space. Cet industriel s’affirme comme un référent européen et un compétiteur à l’échelle mondiale.

J’y ai retrouvé un ancien camarade qui connaît bien le sujet. C’est le général de division aérienne (2s) Philippe Cexus qui représentait le directeur de l’établissement de Toulouse que je tiens à saluer au passage car il réserve systématiquement le meilleur accueil aux auditeurs de nos sessions. 

La visite dynamique de l’établissement a plongé les auditeurs en salles blanches et leur a permis aussi d’apprécier l’évolution des techniques dans la fabrique des composants équipant les différents satellites. Cette séquence a aussi permis de présenter l’innovation clusterCe fut l’occasiond’appréhender les mécanismes spécifiques favorisant l’innovation au sein des équipes.

Nous y avons (re)découvert la sérendipité qui est l’un des principes favorisant l’innovation par opportunité. Les organisations constituent également un facteur pouvant l’encourager. L’ambidextrie organisationnelle n’a donc plus de secret pour les auditeurs de la 33ème SMHES.  Dans les faits, la démonstration limpide de besoin d’innovation était au cœur du débat. En somme, l’innovation ne se décrète pas et ne peut être imposée, elle se vit…  Une visite exceptionnelle donc qui clôt le volet spatial proprement dit.

Toulouse, terre d’envol ! Il nous fallait inévitablement revenir au berceau de l’aéronautique française et européenne. Un retour donc sur le site emblématique où est né l’avionneur Airbus. Au moment où toutes les transitions s’entrechoquent qu’elles soient environnementales, énergétiques, numériques voire sociétales, les perspectives d’évolution du transport aérien restent très encourageantes. Ici aussi, l’innovation est au cœur de tous les travaux des ingénieurs de cette entreprise majeure qui tient le premier rang mondial aujourd’hui.

L’avion est désormais un système où il faut combiner les technologies pour accroître la performance et les coûts d’exploitation.  Bien sûr, le numérique tient toute sa place dans la conception, dans la gestion des équipements allant des systèmes de navigation au contrôle aérodynamique et à la gestion de la propulsion. La transition environnementale pose la question des carburants futurs. Notons que depuis les années 1980, les émissions de gaz à effet de serre restent à peu près constantes[4]. C’est une forme de réponse aux détracteurs du transport aérien car la croissance en nombre de vols s’est considérablement accélérée dans les 30 dernières années.

Notons aussi que nous ne disposons pas encore de la réponse technologique pour cette question environnementale et qu’elle reposera probablement sur une combinaison de solutions associant les biocarburants, l’hydrogène et des modes hybrides En se rendant sur le site de production où les bâtiments anciens aux couleurs de la ville rose côtoient des structures récemment sorties de terre, l’Airbus A350 sur sa chaîne de montage ressemble étrangement aux avions qui l’ont précédé. Mais ne nous y trompons pas ! Presque tout y est différent. Toulouse fut une terre d’innovation ! Elle le reste !

C’est un peu le bilan que les auditeurs retiendront de ce séjour très dense consacré au fait aérospatial.

En repassant devant le bâtiment B612[5], nom de l’astéroïde dont le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry est dépositaire, nous pouvons légitimement constater qu’une dynamique industrielle existe et qu’elle est visible dans un monde où tout paraît plus incertain.  Peut-être ne faut-il pas toujours jouer les Cassandre et savoir mettre en avant nos atouts. Sans doute faut-il aussi retenir cette belle phrase du même auteur qui rappelle que « l’homme se découvre en se mesurant avec l’obstacle ». C’est le prix à payer pour innover, c’est le prix à payer pour ne pas subir et relever tous les défis. Les auditeurs de la 33ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques auront apprécié cette escapade revigorante en Occitanie. Leur prochain rendez-vous sera quant à lui pleinement européen à Bruxelles. Belle opportunité d’aller à la rencontre des instances européennes au moment où les questions internationales dominent tous les débats. 


[1] Albert Einstein

[2] Base aérienne 101 général Lionel de Marmier – première base aérienne créée en 1934.

[3] LEO – MEO – GEO : Low Earth Orbit 500 à 1500 km – Medium Earth Orbit 1500 à 12 000 km – Geostationary Earth Orbit 35800 km

[4] L’aviation commerciale représente 2% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire.

[5] Pôle d’excellence aérospatial

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