“NATO exists for peace by collective security – peace first, peace last, peace all the time”[1]
Nous reviendrons sur cette affirmation du premier secrétaire général d’une organisation dont il faut reconnaître qu’elle fut indéniablement au rendez-vous du succès dans l’Histoire. La fin de la Guerre froide en témoigne. Pourtant, jamais elle ne fut autant observée avec aujourd’hui l’invasion russe en Ukraine et en corollaire le retour de la guerre en Europe.
Avec ce conflit, c’est la bien la question de la nouvelle architecture de sécurité en Europe qui est posée aux puissances sans épargner l’Europe elle-même qui se trouve dans une position d’équilibriste. Équilibriste avec la volonté de gagner une certaine autonomie stratégique tout en se réfugiant sous le parapluie militaire de l’OTAN pour sa défense collective. Le principe de réassurance des pays sur le flanc Est, antérieur d’ailleurs à la guerre en Ukraine, en est la plus évidente démonstration. Déploiement de forces en Roumanie, missions d’Air Baltic Policing (Estonie, Lituanie, Lettonie). Cette année, le séminaire bruxellois des auditeurs de la 33ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques revêtait donc une portée particulière car le thème d’étude relatif à l’influence des Balkans en Méditerranée prend un écho particulier. L’influence des Balkans en Méditerranée est elle-même assujettie aux influences des puissances qui affectent cette région.
Et l’influence russe y est évidente. N’oublions pas que cette région fut, il n’y a pas si longtemps, le point d’embrasement de l’Europe au moment où le monde se recomposait. Comparaison n’est pas raison mais la guerre en Ukraine survient au moment précis où le monde se recompose une fois encore. Jamais les rivalités des puissances n’ont été aussi fortes. Aussi fortes entre celles qui pèsent le plus, les Etats-Unis, la Chine et la Russie auxquelles il faut ajouter les puissances régionales comme la Turquie, les monarchies du Golfe ou l’Iran qui jouent leur propre partition en ménageant toujours très habilement leur principal mentor. Jamais un séminaire ne fut aussi imbriqué à l’actualité.
En allant questionner les principales institutions européennes et en se rendant au quartier général de l’Alliance atlantique, l’agenda des auditeurs correspondait à celui du président Volodymyr Zelensky, lui-même, venu à a rencontre de l’Union européenne et des chefs d’États des pays membres. Ce déplacement intervient à un moment où l’aide européenne est cruciale pour l’Ukraine pour s’opposer à une armée russe dont on dit qu’elle s’apprête à lancer une offensive d’importance. C’est évidemment le hasard du calendrier qui nous a valu d’être au même moment à Bruxelles sans pour autant perturber le programme que l’institut FMES avait proposé pour une séquence fondamentale du parcours des auditeurs de nos sessions.
A n’en pas douter, ce séminaire restera inscrit dans les annales. Rappelons aussi que les sessions méditerranéennes reçoivent toujours un accueil à la hauteur de nos attentes témoignant de l’intérêt grandissant de nos hôtes pour un institut régional en constante croissance.
Le premier rendez-vous était fixé à la commission européenne le jeudi 9 février au bâtiment Charlemagne. Cette rencontre est traditionnelle et permet un échange approfondi avec les experts de la Commission. Saluons la disponibilité de madame Nicole Peil de la direction générale de la communication qui cherche toujours à nous offrir un parterre d’intervenants adapté au thème de nos sessions. Deux séquences étaient programmées avec la première consacrée à l’élargissement et la politique européenne de voisinage et la seconde à la réponse européenne à la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine. Pour la première, les auditeurs se seront familiarisés avec les différentes étapes de la boîte à outils de l’élargissement.
Le statut de pays candidat d’abord dont chacun se souviendra qu’il a été accordé à l’Ukraine et la Moldavie au moment de l’agression russe. Ce statut sera suivi d’une période dite de négociations qui, dans les faits, n’en est pas une mais s’apparente plutôt à une période d’obligations pour converger vers les principaux critères européens (État de droit, justice, gouvernance…) avant d’aborder l’adhésion elle-même dans une échelle de temps qui, au total du processus, peut dépasser dix ans. Autant dire qu’il peut être long voire s’interrompre en fonction de la satisfaction ou non des différents points d’étape. Ce fut notamment le cas pour la Turquie dont le processus d’adhésion fut gelé. Notre intervenant, monsieur Vincent Rey, a pu préciser l’état d’avancement des pays candidats de la région des Balkans (Bosnie, Kosovo et Serbie).
Si cette présentation ne soulève pas d’interrogations particulières, elle met en exergue les mécanismes d’influence exercées par les puissances telles que la Chine ou la Russie. D’ailleurs, la république de Serbie n’est pas ambiguë sur la nature des liens stratégiques privilégiés qu’elle entretient avec la Russie. Notons que cette influence s’étend au Kosovo et à la Macédoine du Nord. En la matière, les campagnes de désinformation sont très présentes pour garder dans le giron russe des provinces qui pendant l’empire ottoman étaient sous l’emprise de l’empire russe.
La seconde séquence était consacrée à la réponse européenne à la guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine. Monsieur Gabriel Blanc, chef d’équipe pour le groupe d’appui à l’Ukraine, a d’abord rappelé aux auditeurs quelques dates clés depuis l’indépendance de ce pays. Elles étayaient la démonstration selon laquelle l’Ukraine a depuis longtemps tourné son regard vers l’Europe. La place de Maïdan, ou place de l’indépendance, fut toujours le lieu d’expression politique des Ukrainiens (révolution Orange en 2004 – 2005, émeute de Maïdan ou Euromaïdan en 2013 alors que les Ukrainiens militaient pour l’accord d’association entre l’Ukraine et l’Europe dénoncé par le pouvoir en faveur d’un accord russo-ukrainien).
Elle marque ainsi depuis l’indépendance cet attachement à l’Europe avec néanmoins un conflit armé né en 2014 entre l’Ukraine et deux territoires pro-russes, Donetsk et Lougansk. Ce conflit est survenu au moment où la Russie annexait la Crimée. Cet attachement à l’Europe est évidemment dénoncé par les Russes et ce n’est pas l’accord ou le traité de Minsk[2] (pas plus que l’accord de Minsk 2 en 2014 marquant un cessez-le-feu immédiat entre les belligérants) qui allait y changer quelque chose. Notre expert s’est ensuite concentré sur l’aide européenne apportée aux ukrainiens qui témoignent de la solidarité des États membres.
Cette aide vise à la fois à l’acquisition d’équipements militaires tout en permettant à l’Ukraine de supporter le déficit budgétaire mensuel compte tenu de l’effondrement du produit intérieur brut du pays. Ce rendez-vous avec la Commission a permis aux auditeurs de la session de mettre en perspectives les travaux déjà bien avancés sur leur thème d’étude.
En début d’après-midi, la visite à l’OTAN des auditeurs de la 33ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques allait évidemment constituer un temps fort de ce séminaire. Il faut saluer ici l’action de monsieur Damien Arnaud de la division diplomatie publique de l’OTAN, instance au cœur même du secrétariat international et en liaison étroite avec l’état-major militaire international. L’occasion était donc donnée de mesurer les grands enjeux de l’Alliance dans un contexte inédit depuis la fin de la Guerre froide. Le dernier Sommet de l’OTAN organisé à Madrid en 2022 a permis d’élaborer un nouveau concept stratégique réaffirmant la menace russe comme étant la menace la plus significative et la plus directe pour la sécurité des alliés.
Ce Sommet est d’ailleurs pour l’OTAN une refonte du concept stratégique équivalent à la boussole stratégique européenne. Il confirme aussi l’intérêt qu’il convient d’apporter à la Chine dont le rôle de puissance ne cesse de s’affirmer. L’actualité semble confirmer cette tendance et de nombreux signaux accroissent significativement la tension entre les États-Unis et la Chine dont les ambitions régionales ne peuvent être sous-estimées. Notons que ce Sommet fut aussi l’occasion d’inviter la Finlande et la Suède à devenir membres de l’OTAN. Au bilan, l’OTAN réaffirme l’absolue prééminence de sa mission de sécurité collective de ses membres.
C’est un retour aux fondamentaux (en référence à la déclaration de son premier secrétaire général) d’une organisation qui au cours des trente dernières années s’était plutôt consacrée à la gestion des crises avec des résultats pour le moins mitigé. C’est aussi, sans négliger la recherche de coopération, une posture nouvelle permettant de faire face aux possibles confrontations. En cela, ces tendances rappellent les acquis des visites antérieures de la 33ème SMHES où bien souvent le triptyque compétition, contestation, confrontation était mis en avant pour caractériser l’environnement. La confrontation pouvant conduire à des conflits où la haute intensité.
Au cours de ce rendez-vous et sans revenir dans le détail des différentes interventions, les auditeurs ont pu apprécier la nature du dialogue politique de l’OTAN principalement avec l’Union européenne. Ils ont pu aussi mesurer les défis de sécurité présents en Europe, notamment dans les Balkans, ou au Sud. Ces défis sont multiples et démontrent, s’il en était besoin, un réel changement de l’état du monde. Enfin pour clore cette séquence très riche, madame Carmen Romero, secrétaire général adjoint déléguée, a tenu à prolonger le débat avec les auditeurs de la 33ème SMHES à l’occasion d’une réception organisée à cette occasion. La division diplomatie publique sait, et c’est le moins que l’on puisse dire, recevoir. Nous leur en sommes infiniment reconnaissants.
Les auditeurs se sont retrouvés au rond-point Schuman le vendredi 10 février pour aborder la dimension sécuritaire de la politique européenne au service européen de l’action extérieure. Rappelons qu’il s’agit de l’organe diplomatique institutionnel de l’Union européenne placé sous l’autorité du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. La première intervention de monsieur Clive Rumbold était centrée sur les Balkans occidentaux et les relations entretenues avec l’Europe dans sa politique européenne de voisinage.
Ce fut l’occasion d’approfondir les sujets traités à l’occasion des rendez-vous antérieurs et de confirmer les stratégies d’influence sur les différents pays de cet espace régional. Si l’influence russe s’affirme au tout premier rang, elle se conjugue à d’autres issues des pays limitrophes tel que la Turquie mais aussi des monarchies du Golfe avec les risques induits par certains mouvements salafistes. L’occasion était également donnée de rappeler aux auditeurs l’édition du premier livre blanc de la défense ou la boussole stratégique de l’Union européenne qui vise à définir les grandes orientations de la sécurité et de la défense européennes.
Ses grandes orientations allaient d’ailleurs être précisées par le directeur des opérations militaires au sein de l’état-major de l’Union européenne (External European Military Staff), dont le rôle est de planifier et de conduire des opérations militaires sous le drapeau européen. A cette occasion, les principales missions ont été présentées qu’ils s’agissent de celles réalisées en Europe avec l’opération EULEX au Kosovo, l’opération EUFOR Althéa en Bosnie-Herzégovine ou à l’extérieur comme les opérations de lutte contre la piraterie en océan Indien Atalanta et l’opération EUNAVFOR Irini dont la vocation est d’imposer un embargo sur les armes à la Libye.
Rappelons enfin la récente opération européenne d’assistance militaire à l’Ukraine (European Union Military Assistance Mission – EUMAM) créée le 17 octobre 2022 en complément de l’aide fournie par l’Union européenne à l’Ukraine et de la mission de conseil aux forces de sécurité intérieures ukrainiennes. Ce rendez-vous a indéniablement permis aux auditeurs de mesurer les défis qui s’imposent à l’Europe.
Il a aussi confirmé le rôle de l’Europe dans ses engagements à l’extérieur de ses frontières. Il confirme ainsi la pertinence des orientations de la boussole stratégique en cohérence avec la refonte de la stratégie de l’OTAN entérinée au Sommet de Madrid en 2022. Car l’architecture de sécurité en Europe s’articule bien autour de ces deux piliers. Nous saluons ici tous les officiers qui ont accompagné le général Bart Laurent pour donner aux échanges toute la profondeur attendue. Les auditeurs de la 33ème SMHES ont pour leur part contribuer à l’animation de cette séquence en faisant un point d’avancement de leurs travaux par comité.
Pour clore ce séminaire bruxellois, la rencontre de nos représentants français auprès de l’Union européenne et de l’OTAN s’imposait. Elle apporte un éclairage complémentaire aux présentations faites antérieurement et le plus souvent par des représentants d’autres pays membres de l’Union européenne ou de l’Alliance atlantique. Car au sein de ces organisations, il faut nuancer certaines positions et tenir compte de certaines divergences dans des processus où le consensus est souvent nécessaire pour la prise de décision.
Pour l’Alliance, cette décision exprime bien la volonté collective de tous les Etats souverains qui en sont membres.
Pour l’Union européenne, le vote à l’unanimité représente une autre voie sans exclure un potentiel frein dans le processus décisionnel.
Le général de brigade aérienne Nicolas Chambaz, adjoint du représentant militaire français auprès de l’Union européenne a très librement exprimé son appréciation et le colonel Anne-Henry de Russe, coordinateur de la représentation militaire française auprès de l’OTAN, a décliné précisément les subtilités de fonctionnement d’une Alliance où la comitologie tient toute sa place pour contrôler les centres de décisions. En tout état de cause, ces grandes organisations internationales ne produisent des résultats que sur la base d’une nécessaire solidarité de leurs États membres[3]. En soi, cette nécessité est déjà une épreuve.
[1] Lord Ismay : Hastings Lionel Ismay, ou plus simplement lord Ismay, est un général, diplomate et homme politique britannique, proche de Winston Churchill. Il fut le premier secrétaire général de l’OTAN de 1952 à 1957.
[2] Accord de Minsk : L’accord de Minsk ou traité de Minsk est un traité signé le 8 décembre 1991 dans la forêt de Belovei en Biélorussie. Ce document donne naissance à la Communauté des Etats indépendants (CEI).
[3] Lord Robertson – the 10th Secretary General of NATO from 1999 to 2003 : Solidarity is the essence of our Alliance