RSMED, ENTRETIEN DANS VAR MATIN : “L’ARMÉE N’ÉCHAPPE PAS AUX QUESTIONS ÉNERGÉTIQUES”

Expert sur les questions d’énergie et de matières premières, Nicolas Mazzucchi participera aux Rencontres Stratégiques de la Méditerranée, les 27 et 28 septembre à Toulon. Il a accordé un entretien à Var Matin. Vous pouvez découvrir le programme des RSMed et vous y inscrire ici.

Longtemps en poste à la Fondation pour la Recherche Stratégique, Nicolas Mazzucchi a rejoint le 1er juillet dernier le ministère des Armées où il est directeur de recherche du Centre d’études stratégiques de la Marine. En pleine crise énergétique, ce docteur en géographie économique nous éclaire sur les conséquences pour les opérations militaires.

Dans le contexte actuel de hausse des prix, les questions énergétiques sont-elles au cœur des préoccupations de la Marine nationale, et des armées en général?
Bien évidemment. N’oublions pas que pour faire la guerre, il faut être capable de se déplacer. Nos armées s’intéressent donc de près à toutes les innovations en matière d’énergie, y compris les batteries de stockage. Mais avec la guerre en Ukraine, on assiste également à la “décontinentalisation” des flux énergétiques. C’est-à-dire que l’approvisionnement en hydrocarbures s’est diversifié. Il ne se fait plus uniquement par voie terrestre à travers l’Europe, mais par voie maritime depuis la côte sud de la Méditerranée, l’Amérique du Nord ou le Moyen-Orient. Et l’une des missions de la Marine nationale est de sécuriser ces flux. Mais les armées se préoccupent également des questions climatiques et environnementales.

Pour quelles raisons?
Les raisons sont multiples. Le changement climatique peut, à terme, déstabiliser certaines régions. Les rendre invivables ou y exacerber la compétition pour l’accès aux ressources en eau ou en terres arables. Autre conséquence du changement climatique, l’acidification des océans peut accélérer la corrosion des coques, ou encore modifier la détection de certains objets sous-marins. Et puis pour nos soldats qui sont par exemple en opération dans la bande sahélo-saharienne, les changements climatiques à venir auront un impact non négligeable sur leur quotidien.

Mais plus concrètement, comment cette sobriété, réclamée du plus haut niveau de l’État, se traduit-elle?
On recherche par exemple à diminuer la consommation des véhicules militaires en les rendant plus légers, ou en faisant en sorte que leurs moteurs soient plus efficients. Et puis un travail est mené également sur la diversification des sources. Pour revenir au Mali [que l’armée française a quitté le 15 août dernier, ndlr], outre le fait que les groupes électrogènes utilisés pour alimenter les camps en électricité consommaient énormément, on s’est rendu compte que le flux logistique constituait une vulnérabilité. À l’avenir, pour être beaucoup moins dépendant du flux carburant, on s’appuiera sur un mix énergétique avec du solaire et des systèmes de stockage de l’électricité. Mais j’insiste: c’est le gain d’efficacité opérationnelle qui dicte la transition énergétique des armées, pas tant la réduction de la consommation.

On a tous en mémoire les images, au début de la guerre en Ukraine, de ces colonnes de blindés russes à l’arrêt en attendant la logistique. C’est vraiment le talon d’Achille des armées modernes?
C’est un point totalement dimensionnant des grandes opérations militaires. Mais ça n’a rien de nouveau. Durant la Seconde guerre mondiale, l’offensive allemande sur le front de l’est s’est arrêtée à 50 km de Moscou parce que l’approvisionnement en carburant ne suivait pas. Plus près de nous, en 2003, alors qu’elles faisaient route vers Bagdad, les troupes américaines ont subi d’énormes coups d’arrêt, là encore à cause d’une logistique carburant défaillante. Et pour être tout à fait complet, une étude de 2007 a révélé que plus de 50% des pertes humaines américaines en Afghanistan et en Irak concernaient la chaîne logistique carburant et eau. Ce n’est pas pour rien si l’US Air Force mène des tests pour utiliser des biocarburants, y compris à partir de graisses de cuisson usagée. Mais en gardant toujours à l’esprit l’efficacité opérationnelle.

A-t-on une idée de l’impact de la hausse des prix du pétrole sur l’entraînement, sur la capacité opérationnelle de nos armées?
Les armées sont de très grosses consommatrices d’énergie, et notamment de carburants. Pour l’armée française, la dépense s’élève environ à un milliard d’euros par an. Elle est donc très attentive aux fluctuations des prix, surtout quand ils sont à la hausse. Mais en même temps, l’armée française dispose de bonnes capacités de stockage, ce qui permet de lisser en partie ces variations de prix. Et puis, par rapport aux années 2015-2016, où elles étaient engagées simultanément au Mali et au Levant contre Daesh, nos armées mènent actuellement moins d’opérations.

En 2020, les tensions entre la Turquie, la Grèce et Chypre, sur fond de découverte de gisements gaziers, étaient à leur paroxysme. Avec la hausse des prix de l’énergie ces derniers mois, ces tensions sont-elles sur le point de ressurgir?
Si les tensions ont effectivement atteint leur pic dans les années 2018-2020, elles ne sont pas vraiment retombées. Pour preuve, le week-end dernier, le président Recep Tayyip Erdogan s’est montré encore menaçant vis-à-vis de la Grèce. Ces tensions sont peut-être juste moins médiatisées. En réalité, du fait d’une situation économique très délicate, avec une inflation qui a atteint les 80% en juillet, la Turquie ne peut pas vraiment faire plus que protester.

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