Par Anne BOULNOIS, chargée de mission Afrique du Nord Moyen-Orient à l’institut FMES

L’ancien président égyptien Hosni Moubarak est mort, à l’âge de 91 ans, le 25 février 2020 à l’hôpital militaire Galaa du Caire. Cet homme politique a dirigé l’Egypte pendant trois décennies de 1981 à 2011 date à laquelle il a été évincé par la vague des Printemps Arabes. L’annonce de son décès a été relayée par la presse locale égyptienne ainsi que par la présidence qui s’engage à organiser ses funérailles et a décrété trois jours de deuil national.

L’homme décrié lors du printemps arabe a reçu quelques hommages de la part des dirigeants de ce monde, à l’instar de Benjamin Netanyahou qui décrit un « ami personnel, un leader qui a conduit son peuple vers la paix et la sécurité ainsi qu’à l’apaisement avec Israël ». Néanmoins les rapports avec Israël restent particulièrement froids tout au long de son règne. Le président palestinien Mahmoud Abbas a salué son engagement en « faveur de la liberté et de l’indépendance du peuple palestinien ». Du côté des hommes politiques égyptiens, Mohamed el-Baradei, figure de proue de l’opposition libérale à l’ancien président, a présenté toutes ses condoléances à sa famille. Ayman Nour, ancien candidat à la présidentielle de 2012 et opposant en exil en Turquie a formulé ses condoléances et déclaré « pardonner personnellement » l’ex-président.

Retour sur le parcours d’Hosni Moubarak

Hosni Moubarak est né en 1928 à Kafr Al-Masilhah à Menoufia. Diplômé de l’Académie militaire égyptienne en 1948, puis de l’Académie égyptienne de défense aérienne en 1950, il était pilote de bombardier, avant d’être nommé chef d’état-major de l’armée de l’air égyptienne, puis de devenir vice-ministre de la défense pendant la guerre israélo-arabe d’octobre 1973.

En 1975, le président Anwar el-Sadate le choisit comme vice-président. Il prêtera serment en tant que président après l’assassinat de Sadate en octobre 1981 et signe dans la foulée les accords de paix avec Israël de Camp David, négociés par son prédécesseur.

Hosni Moubarak est élu président de l’Organisation de l’union africaine en 1989 et 1993. Sous sa mandature, l’Egypte fait son retour dans la Ligue arabe après en avoir été expulsée à la suite de la signature de l’accord de paix avec Israël. En 2005, il demande au Parlement égyptien de modifier l’article 76 de la Constitution pour procéder à l’élection du Président au scrutin direct. Il est toutefois accusé d’ouvrir la voie à son fils ainé Gamal qu’il imagine lui succéder. En réaction, plusieurs mouvements d’opposition, tels que Kefaya et le Mouvement des jeunes du 6 avril, se forment et deviennent actifs contre la politique du régime à la fin de son mandat. En prenant la décision de modifier la Constitution, le peuple égyptien lui a reproché d’être corrompu et de ne pas mener à bien les réformes nécessaires. Lors de sa destitution, il sera notamment jugé avec son fils pour corruption.

Le défi de la place de l’islamisme pendant sa présidence

Trois factions islamistes luttent pour le pouvoir religieux en Egypte : l’université Al Azhar qui représente l’islam sunnite traditionnel ayant fait alliance avec le pouvoir ; celle des Frères musulmans nés en Egypte dans les années 1920, qui prône un islam politique visant la mise en place d’une république islamique en opposition avec le pouvoir « militaire » ; et celle des salafistes, qui se décline en un mouvement quiétiste sans ambition politique, mais qui cherche à réislamiser la société et imposer la Chariah (alors que l’Egypte dispose d’un Code civil inspiré du code Napoléon) et en un mouvement salafiste dit djihadiste, tel la Jama’a al Islamiya qui a assassiné Sadate. La lutte de Hosni Moubarak contre ces organisations islamistes lui a permis de gagner le soutien de divers segments de la société égyptienne et donc de consolider son règne.

Au milieu des années 1990, son appareil sécuritaire parvient à éradiquer largement les organisations islamistes terroristes. La répartition du pouvoir entre les différentes agences de sécurité protège le clan de Moubarak. Celui-ci s’est appuyé alternativement sur les Services de Renseignements intérieurs, mais surtout sur les Services de Renseignements militaires dont étaient issus de nombreuses personnalités appartenant à « son premier cercle ».

Ce sont les militaires qui reprennent progressivement les choses en main après le décès de Sadate ; mais on assiste à des querelles de généraux instrumentalisées par Moubarak. Selon Pierre Razoux, « de l’avis de ses pairs aviateurs, Hosni Moubarak était un médiocre pilote et un piètre général qui s’est attaché à marginaliser tous ceux de ses anciens collègues militaires qui lui faisaient de l’ombre, en s’appuyant sur les services de renseignements militaires qu’il a longtemps protégés ». Certains, tels Saad el-Shazli, l’artisan du succès de la traversée du Canal de Suez en octobre 1973, sont envoyés en exil à l’étranger.

Les succès de Moubarak contre la menace interne des Frères musulmans n’ont cependant pas marqué la fin de son investissement contre l’islamisme radical. Au contraire, ils ont continué d’alimenter et d’exacerber les craintes locales et occidentales en nourrissant l’idée que toute opposition radicale à son régime – ou toute démocratisation – aboutirait à une prise de contrôle de l’Egypte par les islamistes. Dans cette équation, les Frères musulmans, perçus à l’extérieur comme une mouvance modérée finalement acceptable, se sont progressivement imposés comme les adversaires politiques les plus redoutables du clan Moubrak.

Agiter le spectre de la menace « frériste » sur la société égyptienne impliquait que ces derniers soient toujours présents sur la scène politique, même de manière discrète. C’est ce qui explique que cette mouvance politique, bien que théoriquement interdite, ait été tolérée dans les faits et qu’elle ait été autorisé, en sous-main, à s’engager dans la compétition politique. Cette stratégie a permis à Moubarak de diviser la mouvance islamiste, tout en achetant la paix sociale, car l’aide sociale et de nombreux services publics étaient tenus par les Frères musulmans, notamment à travers les syndicats professionnels et les unions étudiantes[1]. Ainsi, tout au long de son mandat, Moubarak a permis à la Fraternité de se présenter aux suffrages des syndicats étudiants, des conseils de syndicats professionnels et du Parlement, ce qui n’a pas empêché sa police d’orchestrer des vagues d’arrestations visant à l’affaiblir, mais sans jamais la démanteler. Partout, les stratégies de Moubarak ont empêché l’émergence d’alternative politique laïque ou religieuse à son régime.

En 2005, sous fortes pressions américaines et européennes, Moubarak a permis aux Frères musulmans de remporter une victoire électorale sans précédent. Leurs candidats ont remporté 88 des 444 sièges contestés et sont devenus le plus grand bloc d’opposition de l’Assemblée populaire, dominée par le parti démocratique national de Moubarak.

Une politique étrangère fondée sur des relations personnelles

Alarmée par les victoires électorales des islamistes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, les pressions occidentales initiales visant à démocratiser le « Grand Moyen-Orient »[2] se sont progressivement tues, redonnant à Moubarak une marge de manœuvre pour réprimer ses islamistes. Fin 2006, sa police a arrêté trente-trois hauts dirigeants des Frères musulmans, dont Khairat al-Shater, et les a envoyés devant un tribunal militaire qui les a condamnés à de lourdes peines de prison.

L’utilisation par Moubarak de la menace islamiste pour justifier le maintien d’un État autoritaire et répressif lui a longtemps permis de conserver ses soutiens étrangers. D’après Pierre Razoux, « François Mitterrand, président de la France entre 1981 et 1995, était devenu l’ami de Hosni Moubarak[3] Ils se voyaient régulièrement que ce soit en France ou en Egypte où François Mitterrad se rendait souvent en déplacement privé. »

Lorsque Moubarak devient président, il hérite également d’une relation étroite avec les États-Unis et l’Occident, tout comme d’une paix froide avec Israël. Ces relations sont restées les mêmes tout au long de son règne grâce à d’excellents contacts personnels et à des intérêts mutuels. Au cours de sa présidence, les relations avec la Syrie restent tout aussi bonnes qu’à l’époque de Nasser qui avait vu la fondation d’une République Arabe Unie. Sans oublier que ces deux états ont toujours fait front commun contre Israël durant les guerres de 1948-49, la guerre des six jours (1967), puis celle du Kippour (1973). De par ses responsabilités militaires, Moubarak avait tissé des liens de proximité avec le clan Assad. En 2016, alors que la plupart des pays arabes rompent leurs relations diplomatiques avec la Syrie, l’Egypte continuera de soutenir Bachar Al Assad.

Les rapports entre l’Egypte et l’Irak sont fluctuants tout au long du mandat de Moubarak. Initialement unis dans les guerres contre Israël, les deux pays rompent leur alliance après la signature des accords de Camp David. Un rapprochement s’opère lors de la guerre Irak-Iran, mais qui ne durera pas. En 2013, l’Irak dominé par les Américains et l’Egypte s’unissent de nouveau face à un ennemi commun : le terrorisme islamiste.

Les relations de l’Egypte avec ses voisins africains sont également inégales. Le Soudan et l’Egypte connaissent des querelles récurrentes de nature frontalière, alors qu’avec l’Ethiopie les dissensions portent sur l’exploitation du Nil et la construction récente du fameux barrage de la Renaissance.

Selon le politologue Hassan Nafaa[4], l’Egypte et la Lybie partageaient des intérêts mutuels. Selon ce politologue, la Lybie et l’Egypte étaient deux régimes corrompus. Les proches de Mouammar Kadhafi investissaient dans des entreprises égyptiennes et bénéficiaient de la protection du pouvoir. Pour lui, « cette proximité se manifestait notamment par la venue fréquente d’officiels libyens au Caire ». La démission de Hosni Moubarak et la mort du guide libyen bouleversent des liens politiques et économiques tissés pendant trois décennies.

L’Egypte se rapproche des Etats-Unis à partir des années 70 et devient récipiendaire de l’aide financière américaine après la rupture du traité d’amitié avec l’URSS et la signature des accords de paix signé avec Israël. Selon le service de recherche du Congrès (CRS), depuis 1979 « l’Egypte est le plus gros bénéficiaire, après Israël, de l’aide bilatérale américaine ». Celle-ci est essentiellement militaire mais s’élèverait à 1.3 milliard de dollars annuels – le même montant depuis 1987 – pour 250 millions d’aide économique.[5] L’Egypte de Hosni Moubarak opère un bref rapprochement avec l’URSS dans la seconde partie des années 80, mais aucun chef d’Etat russe ne visitera l’Egypte jusqu’en 2005. Depuis, cette relation, mutuellement profitable avec le Kremlin permet à l’Egypte d’acheter des armes russes pour équilibrer ses approvisionnements militaires, permettant en contrepartie à Moscou de bénéficier du soutien égyptien dans sa démarche visant à rejoindre progressivement l’organisation mondiale du commerce.

Enfin, les rapports qu’entretient Moubarak avec la Turquie sont cordiaux, les deux pays restant proches des Etats-Unis et s’investissant mutuellement dans un rôle de médiateurs du conflit israélo-palestinien.

Une économie fragile qui n’a pas achevé sa mue libérale

Moubarak a hérité du système économique de Sadate qui avait entamé un processus d’infitah (ouverture) et de privatisations prudente – un héritage du socialisme arabe de Gamal Abdel Nasser – vers un modèle de marché libre. Moubarak a poursuivi ce programme, permettant au secteur privé de dominer l’économie égyptienne. Les chantiers entamaient par Moubarak on t un but précis privatiser bet diversifier l’économie. Les rentes traditionnelles de l’Egypte sont le Canal de Suez, le tourisme, le pétrole, Moubarak souhaite privatiser l’électricité et les télécommunications. Il a voulu faire également de son fer de lance le développement des entreprises informatiques.

L’adhésion sans réserve de Moubarak aux politiques économiques néolibérales occidentales est intervenue à la fin des années 1980, alors que la situation budgétaire de l’Égypte s’était affaiblie après la chute des prix du pétrole. À partir de 1986, Moubarak a signé des accords de prêt qui ont créé l’espace nécessaire pour l’investissement d’institutions extérieures, telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et l’USAID, créant par là-même une dépendance à leur égard.

Il convient de conserver en mémoire que si Sadate a fait la guerre à Israël en 1973, c’était pour in fine prendre des gages qui allaient lui permettre de ramener Israël à la table des négociations, dans le but de tourner le dos aux Soviétiques et de nouer une alliance avec les Américains, vitale pour le développement de l’économie égyptienne. Sadate pariait sur l’argent et les aides américaines, de même que sur les dividendes du tourisme et de l’exploitation du canal de Suez rendus possibles par la paix, pour redresser la situation économique égyptienne. Il avait compris que l’URSS déclinante ne serait jamais en mesure de sortir l’Egypte de son ornière financière.

Moubarak n’a toutefois pas su développer une économie de marché véritablement libre qui permette une croissance continue et équilibrée suffisante pour fournir suffisamment d’emplois à une population jeune et en croissance rapide ; environ 13.9% des jeunes âgés entre 15 et 24 ans sont au chômage, selon les chiffres de l’OIT[6] en 2000.

Le développement des inégalités économiques, le népotisme et la corruption ont accru l’opposition à Hosni Moubarak au début des années 2000. Cette opposition s’est transformée en un soulèvement de masse le 25 janvier 2011, qui a abouti à sa destitution par l’armée le 11 février 2011. Le bilan de Moubarak demeure donc controversé, tant sur le plan intérieur qu’extérieur.

* * *

Au bilan, que retenir de la présidence de Hosni Moubarak (1981-2011) ? Que celle-ci a été marquée par la logique des blocs à la fin de guerre froide, puis par les intérêts personnels de celui qui se percevait comme le Raïs une fois celle-ci finie. Ce parcours s’inscrit finalement dans une trajectoire commune à de nombreux dirigeants d’Afrique du nord et du Moyen-Orient, mêlant autoritarisme, corruption et volonté de s’accroche au pouvoir, comme l’ont montré ses contemporains : Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi, le clan al-Assad.

Cela n’a pas empêché Hosni Moubarak d’œuvrer contre la menace islamiste en donnant de forts gages à l’Occident, tout en participant activement à la recherche d’une solution dans le conflit Israélo-palestinien. Au bout du compte, l’ancien Raïs égyptien n’a pas échappé au destin de ses coreligionnaires. Les frères Musulmans ont cru y voir une opportunité lors de sa destitution, suivie de l’élection de Mohammad Morsi, mais ses outrances et son agenda trop ouvertement islamiste ont favorisé le retour des généraux, rappelant à ceux qui l’avaient oublié le poids des militaires en Egypte, des pharaons aux Mamelouks.

[1]Sarah Ben Nefissa et Mahmoud Hamdy Abo EL Kassem appuyé des travaux de Hossam Tammam (2010)(https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2015-2-page-103.htm

[2]http://www.irenees.net/bdf_fiche-analyse-957_en.html

[3]Pierre Razoux, directeur de recherche à l’IRSEM, associé à l’institut FMES, conversation privée le 11-03-2020

[4]Hassan Nafa, Docteur en science politique, professeur de sciences-politiques à l’Université du Caire

[5]https://www.lapresse.ca/international/dossiers/crise-dans-le-monde-arabe/legypte-sous-tension/201308/15/01-4680203-laide-militaire-americaine-a-legypte-etat-des-lieux.php

[6]https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/SL.UEM.1524.ZS

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