Par Jehan-Christophe Charles, chercheur associé à la FMES

A chaque tension avec l’IRAN resurgit la menace de fermeture du détroit d’Ormuz, comme si ce passage maritime entre l’Iran et le Sultanat d’Oman pouvait être condamné d’un simple tour de clé. A son segment le plus étroit, ce passage fait 55 km, mais les eaux peu profondes du golfe Persique imposent des restrictions de navigation, notamment pour les plus grands pétroliers. En termes de navigation, puisque c’est de cela qu’il s’agit, fermer le détroit d’Ormuz revient à empêcher le passage des navires par un couloir virtuel de quelques kilomètres de large.

Pour bien comprendre les enjeux d’une telle fermeture, et avant d’envisager les moyens et conséquences militaires, il faut comprendre les impacts économiques et géopolitiques de la coupure du trafic.  Ces différents aspects décrits, il sera temps de se poser la question du réalisme d’une telle menace.

Une zone enclavée, dépendante de la mer

Parmi les pays côtiers du golfe Persique, certains sont totalement enclavés, d’autres le sont partiellement. Irak, Koweit, Qatar, Bahrein ont le détroit pour seul débouché maritime. L’Iran, les EAU, l’Arabie Saoudite ont des accès extérieurs au golfe Persique, le golfe d’Oman pour les deux premiers, la mer Rouge pour le troisième. Cette mer est elle aussi d’accès limité, par le canal de Suez au nord et le détroit de Bab el Mandeb au sud. Ce dernier est par ailleurs sous menace des Houthis alliés de l’Iran. Le dispositif de séparation de trafic du détroit – couloir de navigation obligatoire pour limiter les risques de collision –  se trouve dans les eaux territoriales du Sultanat d’Oman, qui n’a aucun intérêt économique à l’intérieur du Golfe et cherche à préserver son statut d’Etat neutre dans la région.

Afin d’évaluer la vulnérabilité économique des pays concernés à un arrêt du trafic maritime à travers le détroit d’Ormuz, le tableau ci-dessous indique le pourcentage des exportations d’hydrocarbure qui y transitent par rapport au total des exportations et dans l’autre sens le pourcentage de produits alimentaires transitant par ce même passage. La coupure du trafic maritime engendrerait des pertes financières sur les exportations et un risque social élevé lié au manque de disponibilité de la nourriture, ou à la crainte de pénurie.

 IrakKoweitArabie SaouditeBahreinQatarEAUIran
Export hydrocarbures98%94%71%60%86%50 %50%
Importation alimentaire50 %96 %80%90 %90%90%60%

Il est à noter que les pays du golfe, notamment l’Arabie Saoudite, le Qatar, mais aussi les EAU font, depuis quelques années, de l’autosuffisance alimentaire une priorité. Le problème est donc identifié.

Le pétrole du golfe : une denrée vitale pour certaines régions

Du côté des clients, il convient de rappeler que 20% du pétrole mondial et 25% du gaz (GNL) transitent par le détroit d’Ormuz. Les deux tiers de ce pétrole sont dirigés vers l’Asie, la Chine (30% de ses importations), la Corée du Sud (68%), le Japon (95%) et l’Inde (52%) notamment.   L’Union Européenne, qui s’est désengagée du gaz Russe, achète 4% de sa consommation de GNL au Qatar. Pour le pétrole, 7% des approvisionnements Européens viennent d’Arabie Saoudite. En ce qui concerne les USA, 11% de ses importations de pétrole viennent du Golfe Persique (Arabie Saoudite et Irak).

La vulnérabilité économique à une crise est donc différente d’un pays à l’autre, notamment selon la capacité de chacun à trouver des sources d’approvisionnement alternatives. Cependant, en cas de rupture d’approvisionnement dans cette région, l’augmentation massive des prix du pétrole impactera toute l’économie mondiale. C’est pourquoi cette menace est réveillée à chaque crise, comme actuellement après les frappes israéliennes et américaines sur le programme nucléaire iranien.

Quelle menace concrète ?

Fermer le détroit d’Ormuz ne consiste pas à donner un tour de clé à une porte. Un blocage consiste à dissuader des navires de passer à un endroit ou de les empêcher physiquement de naviguer. Il faut donc être en mesure de mettre en place des moyens concrets. Si le passage du détroit lui-même se fait dans les eaux territoriales omanaises, le reste de la navigation passe par les eaux iraniennes. Une simple annonce de mesures de rétorsions, comme c’est le cas actuellement, aurait déjà un impact significatif.

Un perturbateur peut agir dans trois domaines : maritime en surface, sous-marin, aérien. La menace sous-marine iranienne existe, avec des sous-marins classiques et des mini sous-marins bien adaptés aux eaux peu profondes du golfe Persique. L’Iran a également une capacité de minage importante. Une action de ce type a été menée à la fin des années 80, perturbant la navigation et endommageant des navires, y compris un navire de guerre américain, l’USS Samuel B. Roberts. Il s’agissait de mines dérivantes mais l’Iran dispose de mines de fond, statiques. Utiliser des sous-marins dans une zone minée est très déconseillé, même si une action combinée peut être envisagée, mais dans des zones séparées. Autre action possible, le sabotage des câbles sous-marins. Ceux qui alimentent les pays du golfe passent par le détroit d’Ormuz.

Dans le domaine de la surface, la marine iranienne existe et est active. Mais le moyen principal reste la flotte des gardiens de la révolution, les Pasdarans, constituée spécifiquement pour cette mission. Ils possèdent des vedettes lance-missiles et des milliers de petites embarcations qui opèrent en essaim. Les capacités anti-navires démontrées par les Houthis à partir de la terre, missiles drones aériens et de surface, indiquent que l’Iran peut mener une guerre asymétrique identique dans le détroit d’Ormuz en se cachant dans les nombreuses anfractuosités du littoral iranien.

Si les forces aériennes iraniennes peuvent être facile à neutraliser, leurs capacités en drones et missiles divers font peser une menace sur le trafic maritime dans tout le golfe Persique.

L’Iran ne manque ainsi pas d’atouts militaires pour faire peser une menace sur le trafic maritime. La large palette disponible permet de graduer cette menace et de la faire plus ou moins durer. Ainsi mettre en place quelques mines, assorties d’un avertissement, ou saturer le détroit de ces engins n’aura pas le même effet. Harceler les pétroliers avec des Pasdarans, ou mener une campagne drones-missiles ne montrera pas non plus la même détermination.

Quelle défense ?

Les forces occidentales – France, USA, Royaume-Uni – sont présentes dans le golfe Persique. Des accords de défense ont été signés avec différents pays. Ces forces s’entraînent régulièrement avec les forces locales, notamment dans le domaine maritime. Des capacités de guerre des mines sont régulièrement déployées et entraînées. La réponse à des mines dérivantes ou à des mines de fond n’est pas la même. Libérer Ormuz de mines de fond se fera sous la menace proche des Iraniens. En ce qui concerne les mines dérivantes, tactique déjà employée à la fin des années 80, le système de convois escortés a fait ses preuves. Ce n’est pas sans risque, mais les moyens de détection, notamment aéroportés, peuvent être utilisés de manière concentrée.

La supériorité aérienne, que ce soit en nombre ou en qualité d’appareils est déjà acquise, surtout depuis l’attaque par Israël des capacités iraniennes.

La flotte de surface iranienne est surclassée par les flottes occidentales, là aussi en nombre et en qualité.

Avec la supériorité aérienne, les moyens aéroportés alliés de lutte anti-sous-marine auront la part belle pour traquer et couler les submersibles iraniens.

Reste la menace Pasdaran. Les 1500 navires qu’ils possèdent peuvent saturer toute flotte s’engageant dans les eaux concernées. Avec l’appui de drones et de missiles, la situation peut rapidement être compliquée. Face à cette masse, les forces alliées ont deux atouts : la supériorité aérienne et l’allonge de feu. La proximité de la terre dans le détroit permet la mise en œuvre d’hélicoptères d’attaque qui sauront engager au plus loin les petites embarcations. L’artillerie navale peut ouvrir le feu à longue distance sur ces vedettes, bien avant qu’elles aient la possibilité d’utiliser leurs armes. Il leur faudrait alors progresser longtemps sous le feu, ce qui nécessite une grande force morale et de la chance. Pendant la seconde guerre mondiale, les attaques de destroyer à la torpille sur des croiseurs ou cuirassés se soldaient souvent par la perte totale des assaillants. Enfin, la supériorité aérienne doit permettre de frapper les bases de ces forces et les sites de lancement de drones et missiles. Couler à quai la menace est la manière la plus sûre de ne pas l’affronter.

Il s’agit donc de réaliser une véritable opération navale, longue, difficile, probablement coûteuse en vie humaine et en navires. La supériorité locale et temporaire devrait être possible et faire passer des convois de pétroliers rapides solidement escortés affirmerait une capacité de résistance à la menace et enverrait un message d’espoir. Ces opérations de supériorité locale devraient pouvoir se multiplier et s’allonger au fur et à mesure de l’arrivée des renforts et de l’attrition de l’ennemi. Cependant, rouvrir le détroit pour une navigation commerciale prendrait du temps.

Quelle est la crédibilité de cette menace de fermeture ?

L’arrêt du trafic maritime à Ormuz provoquerait, nous l’avons vu, une crise économique mondiale, un choc très violent en Asie et une guerre sur le flanc sud de l’Iran. Les Russes seraient bénéficiaires de cette crise, grâce à l’augmentation des revenus pétrolier, mais les Chinois seraient durement impactés. Or ces derniers sont les alliés de l’Iran et pèsent certainement pour que cette action n’ait pas lieu. L’Iran signerait également son arrêt de mort économique et militaire.

Ce serait donc une action suicidaire.

Elle n’est donc pas raisonnablement envisageable, c’est-à-dire sur le plan de l’unique raison et de la balance des avantages et des inconvénients. Cependant, le parlement Iranien l’a votée, elle fait donc partie des options de réplique mises sur la table. La mesure pourrait également être un “jeu” entre pragmatiques et ultra pour conduire les seconds à leur perte. Le choix de l’embrasement final correspond également à une vision religieuse apocalyptique: quitte à disparaître, autant entraîner le pays et la région dans le chaos. Cet Armageddon est présent dans l’imaginaire chiite, notamment dans leur conflit avec les sunnites. Entrainer dans leur chute les dirigeants de la péninsule arabique, affaiblis par la perte de prestige et les émeutes de la faim, serait un choix plausible.

Les nations d’Asie auraient intérêt à intervenir en premier, mais en auront-elles la volonté ou la capacité ? Une réponse dispersée n’est pas le meilleur moyen d’avoir une réponse globale.

Paradoxalement, le monde occidental, s’il arrive à s’unir et à rétablir la circulation maritime, serait le grand vainqueur de la situation : il subirait des conséquences économiques limitées car peu dépendant des hydrocarbures du golfe. De plus l’affaiblissement de la Chine et des pays du Moyen-Orient lui serait particulièrement favorable. Enfin, le prestige militaire retrouvé permettrait de réaliser des alliances renouvelées.

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