Le changement climatique : nouvelle grande cause du tribunal international du droit de la mer et des juridictions internationales ?

Thierry Duchesne, commissaire général de 1ère classe (2S – Marine), directeur du département maritime de l’Institut FMES.

Le changement climatique est l’enjeu contemporain de notre planète. L’avenir de notre Humanité se joue désormais sur la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre émis par nos activités humaines. Mais, à l’heure de la remise en cause unilatérale par certains États de leurs obligations internationales, les engagements de réduction des gaz à effet de serre pris par les 196 États Parties de la COP 21, ne sont pas toujours au rendez-vous. Devant ce qu’ils considèrent comme une violation de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015, dont les clauses sont pourtant contraignantes, une partie de la communauté internationale a décidé de franchir un cap en passant désormais par la voie contentieuse pour avoir des moyens de pression plus puissants sur les États « climato-sceptiques », récalcitrants ou trop attentistes.

C’est ainsi que, le 29 mars 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a adopté une résolution demandant à la Cour internationale de Justice (CIJ) un avis consultatif sur le contenu des obligations des États à l’égard du changement climatique. Cet avis doit permettre de renforcer l’action internationale dans ce domaine en définissant les contours d’éventuelles mises en cause de la responsabilité juridique des États défaillants. Plus précisément, l’Assemblée Générale a demandé à la CIJ de se prononcer sur « les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement »[1].

Un récent communiqué de presse de la CIJ, diffusé en plein cœur de l’été (16 août 2024) nous a rappelé que cette saisine continue à prospérer, en nous informant que la procédure de recueil des observations écrites des États était désormais close et que les audiences publiques débuteront le 2 décembre prochain.

Mais, cette communication a souligné le fait que, pour le volet maritime, l’avis du tribunal international du droit de la mer (TIDM), dont le siège est à Hambourg, a déjà été rendu avec des conclusions contraignantes pour les États qui risquent fort d’inspirer le prochain avis de la CIJ. Comme souvent dans le domaine international, la mer est aux avant-postes des évolutions les plus sensibles…

C’est le 21 mai 2024 que le tribunal international du droit de la mer (TIDM) a rendu un avis consultatif historique, le troisième seulement depuis ses quarante-deux années d’existence.

Cette juridiction a en effet considéré que les gaz à effet de serre doivent être considérés comme des sources de pollution du milieu marin. Dans ces conditions les États, qu’ils soient du pavillon, côtier ou du port, doivent être en mesure de maîtriser ces pollutions au même titre que les rejets d’hydrocarbures, de substances nuisibles ou atmosphériques. Avec cet avis innovant, le TIDM rend effectif la mise en œuvre des dispositions de l’Accord de Paris de 2015 pour les rejets de CO2 des navires liés à leur mode de propulsion. On n’a pas fini de mesurer les conséquences de cette interprétation qui risque d’agiter la communauté maritime dans les prochaines années.

Un ministre des Tuvalu a filmé son discours à la COP26 les jambes dans l’eau. Photo Handout/AFP

Comment en est-on arrivé là ?

Le TIDM avait été initialement saisi par les petits États insulaires, afin de savoir si l’affirmation qui veut que « les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, principalement le CO2, polluent les océans, en provoquant leur réchauffement, leur acidification, et la montée du niveau de la mer » était correcte. Et, en cas de réponse affirmative, ces États demandaient au TIDM de se prononcer sur « les obligations légales des États pour réduire leurs émissions de carbone ».[2]

Avec cette question, la Commission des petits États insulaires souhaitait voir reconnu l’impact de ces émissions sur l’environnement marin et donc sur leur espace territorial particulièrement exposé aux enjeux maritimes.

Il est important de préciser que cette question, formulée par neuf États insulaires du Pacifique et des Caraïbes[3], s’inscrit dans un contexte qu’ils considèrent d’urgence vitale pour leur avenir, ces États vivant sous une menace de submersion totale de leur territoire liée à la montée des eaux.

Les organisations non gouvernementales (ONG) ont aussi beaucoup œuvré pour amener le TIDM vers cette nouvelle interprétation du droit international. Dans leurs exposés écrits, elles se sont presque toutes retrouvées pour s’accorder sur le fait que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre contribuent à la pollution des océans. La conséquence la plus nocive étant l’acidification des océans, mise en avant dans tous les rapports.

Pour rendre cet avis consultatif, le tribunal a pu s’appuyer sur les importants rapports scientifiques du GIEC[4]. Ceux-ci démontrent que l’océan, en tant que régulateur du climat, absorbe en grande partie le dioxyde de carbone émis. Le GIEC conclut que c’est cette situation qui provoque le grave phénomène d’acidification des mers menaçant les écosystèmes marins. C’est pour cela que les scientifiques s’accordent sur l’idée que les gaz à effet de serre peuvent être considérés comme des polluants climatiques affectant tout particulièrement le milieu marin.

C’est sur cette notion de polluant que le TIDM va fonder son avis consultatif et être la première juridiction internationale à créer un lien juridique entre une Convention internationale, celle sur le droit de la mer, et les effets du changement climatique.

Photo TIDM

Le TIDM a consacré toutes les données scientifiques mises à sa disposition en décidant de reconnaitre les conséquences néfastes des gaz à effet de serre, et surtout du CO2, sur le milieu marin.

Pour ce faire, il a réalisé ce rapprochement en considérant que les rejets de gaz à effet de serre des navires entraient bien dans la définition de la pollution du milieu marin de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM)[5].

Ces rejets de gaz entrant dans le champ d’application de la CNUDM, ceux-ci sont donc également couverts par l’article 192[6] de Montego Bay qui dispose que : « Les États ont l’obligation de protéger et préserver le milieu marin ». Le tribunal précise même qu’on est en présence d’une obligation générale de comportement et non d’une obligation de résultat. Les États ont donc l’obligation de mettre tous les moyens en œuvre pour atteindre l’objectif fixé. L’article 194 de la CNUDM vient compléter l’article 192, en précisant que l’obligation consiste en une obligation de prévention qui se définit comme : « une obligation de diligence, imposant aux États de prendre toutes les mesures raisonnables ou nécessaires pour éviter qu’un événement donné ne se produise, mais sans garantir que l’événement ne se produira pas ». Le TIDM précise aussi que : « l’obligation de diligence requise peut varier en fonction des capacités des États et des ressources dont ils disposent. »

La diligence raisonnable consiste à élaborer et à maintenir des politiques, des procédures, des standards conformes au niveau de risque et aux exigences réglementaires de l’organisation. Elle implique aussi une surveillance et une évaluation continue de l’efficacité de ces mesures.[7]  Une telle obligation fait donc peser une contrainte légale et générale, de lutte contre les effets néfastes du changement climatique sur le milieu marin. En droit, une obligation de moyen est une contrainte qui pèse sur une partie et qui lui impose de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires permettant de parvenir à respecter un objectif.

Elle se distingue de l’obligation de résultat qui, elle, contraint à une finalité bien précise. Dans un tel cas, elle imposerait que le milieu marin ne soit contaminé par aucune pollution. Cet article a bien une valeur conventionnelle impérative, qui a acquis une valeur coutumière reconnue. Cette obligation s’applique donc de manière universelle même aux États qui n’ont pas ratifié la CNUDM. Ce sera le cas, par exemple, des États-Unis qui bien que n’ayant pas ratifié la Convention de Montego Bay, sont tenus par la coutume internationale de respecter les dispositions de la Convention considérées comme coutumières.

Dans son avis, le TIDM a choisi d’appliquer littéralement la Convention des Nations Unies sur le droit de la Mer en considérant que les émissions de gaz à effet de serre des navires sont des sources de pollution marine ayant un impact sur les océans. En procédant de la sorte, il vient de clarifier considérablement le droit international sur ce point. Mais nul doute que cette interprétation va avoir des incidences importantes pour les États et leurs flottes de commerce.

Cette interprétation de la CNUDM s’appliquant aux États, c’est sur eux que pèsent désormais la mise en œuvre de la réduction et la répression des effets de gaz à effet de serre émis par les navires.

Pour ce faire, ils devront, sur la base de normes internationales à définir[8], mettre en place des réglementations nationales et des mécanismes d’inspection. Dans ce domaine, les États ont déjà une expérience du contrôle des émissions atmosphériques des navires avec la réglementation de la Convention MARPOL[9][10] sur les émissions d’oxyde de soufre (SOx), principaux précurseurs des particules fines. Comme pour les rejets d’oxyde de soufre, ce sera à l’Organisation maritime internationale (OMI) de fixer aux États les normes à mettre en œuvre pour les rejets de gaz à effet de serre. C’est sur la base de cette réglementation internationale et nationale qu’il appartiendra aux États ensuite de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour faire appliquer ces normes aux navires battant leur pavillon, de lutter contre cette nouvelle pollution marine dans leurs espaces sous juridiction et dans leurs ports.

Cette obligation fait aussi peser sur les États, la nécessité de prendre toute mesure pour que les émissions d’origine humaine de gaz à effet de serre qui relèvent de leur juridiction : « ne causent pas de préjudice par pollution à d’autres États et à leur environnement » afin que cette pollution anthropique « ne s’étende pas au-delà des zones où ils exercent des droits souverains ». Le niveau de « diligence requise » peut être ici encore plus élevé « en raison de la nature de la pollution transfrontière ».[11]  Le tribunal recommande également la coopération internationale, point récurrent et dans la logique de fonctionnement de la Convention de Montego Bay.[12]

L’Accord de Paris de 2015 sur le changement climatique a suscité un considérable espoir dans toute la communauté internationale. Mais, presque dix ans plus tard, il faut se rendre à l’évidence. Pour la première fois, la température mondiale mesurée en 2023 a été légèrement supérieure (1,52 °C) à la période 1850-1900, seuil fixé par cette Convention internationale.  Par ailleurs, il faut faire le constat que les États ne font pas toujours les efforts qu’ils s’étaient fixés en signant cet Accord.

Face à cette situation, une partie de la communauté internationale, des associations environnementales ou des individus ont décidé de « changer de braquet » en transférant au niveau des juridictions internationales et nationales les manquements aux obligations climatiques. Déjà, en France, l’État a été condamné à plusieurs reprises par sa propre justice administrative pour non-exécution de ses engagements internationaux dans le domaine climatique ; comme cela a été aussi le cas des Pays-Bas, de la Belgique ou de l’Allemagne. Il y a aussi ces États dont les juridictions commencent à regarder de près la constitutionnalité de certaines lois au regard de leurs engagements environnementaux. Mais, un autre coup de semonce vient d’être tiré également par une juridiction internationale, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui dans un récent arrêt a condamné la Suisse pour inaction climatique[13]. C’est la première fois que la CEDH statuait en matière de changement climatique, et elle n’a pas hésité à le faire en reliant le climat aux droits de l’homme.

© Conseil de l’Europe, Architecte :Sir Richard Rogers (GB) ; groupement d’architectes : Richard Rogers Partnership Ltd, Londres, et Claude Bucher, Strasbourg

Au-delà de la Suisse, la portée de cet arrêt devrait être aussi très contraignante à l’avenir pour les États et servira de base jurisprudentielle aux juridictions nationales qui auront à apprécier l’engagement climatique des autorités nationales. Il constitue assurément un point de bascule dans le flot jurisprudentiel qui ne cesse de croitre des contentieux climatiques contre les États en raison de l’assise régionale de la CEDH.

Il faut faire un constat. Sur la scène internationale, les États défaillants n’ont pas encore été véritablement pénalisés pour leurs manquements aux obligations de l’Accord de Paris. Mais cette situation pourrait évoluer rapidement.

Certains États pensaient sans doute pouvoir se dispenser des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015. Mais la situation de ces États va devenir difficile sur la scène internationale car il va être de plus en plus délicat d’assumer politiquement son inaction climatique d’autant plus qu’un mécanisme de transparence est prévu.

Sans attendre le prochain avis consultatif de la Cour internationale de justice sur ce sujet, on voit qu’avec l’avis du TIDM mais aussi l’arrêt de la CEDH, les États signataires sont de plus en plus tenus de respecter leurs engagements.

L’efficacité du droit international repose sur sa capacité à être appliqué. Les nations respectueuses de l’ordre mondial jouent un rôle clé dans ce processus. Elles doivent, notamment, veiller à conserver une économie puissante sous peine, demain, de ne plus avoir aucun moyen de pression, sur les Etats non respectueux du droit international. L’Union Européenne doit cependant rester attentive, elle n’est pas la seule à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre. Aujourd’hui, des pays comme la Chine et l’Inde font aussi des efforts significatifs en matière de décarbonation. Ces efforts sont réalisés parce que ces pays souffrent considérablement des effets de la pollution atmosphérique mais aussi parce qu’ils ont bien compris qu’une inaction dans ce domaine pourrait leur fermer demain les marchés occidentaux.  

Dans le cas du maritime, sur la base de l’avis consultatif du TIDM, les États respectueux de leurs engagements risquent d’avoir d’importants moyens de pression. En effet, en se référant à la jurisprudence Erika, les États auront la capacité d’interdire l’accès à leurs eaux ou à leurs ports des navires, soit émetteurs de grande quantité de gaz à effet de serre, soit appartenant à des États ou à des armateurs ne remplissant pas leurs obligations. Souvenons-nous qu’au lendemain du naufrage de l’Erika (1999) puis du Prestige (2000), l’Europe avait adopté une réglementation maritime bannissant les navires dangereux des eaux européennes. Vingt ans après les « paquets Erika », il faut reconnaitre que les navires sous-normes et dangereux ont déserté les eaux et les ports européens. C’est sans doute par la multiplication de ce type de mesure que les États respectueux du droit international et de l’avenir de la planète sauront donner la meilleure effectivité à l’Accord de Paris de 2015.


[1] Résolution A/77/76 du 29 mars 2023 de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU).

[2] Communiqué de presse du TIDM sur l’affaire N°31

[3] Antigua-et-Barbuda, Tuvalu, la République des Palaos, Nioué, la République de Vanuatu, Sainte-Lucie, Saint Vincent-et-Grenadines, Saint-Christophe et Niévès et le Commonwealth des Bahamas.

[4] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

[5] L’article 1 de la CNUDM  « On entend par pollution du milieu marin, l’introduction directe ou indirecte, par l’homme, de substances ou d’énergie dans le milieu marin, y compris les estuaires. Lorsqu’elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques et à la faune et la flore marines, risques pour la santé de l’Homme, entrave aux activités maritimes, y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer, altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d’agrément »

[6] Article 192 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dans sa partie XII « protection et préservation du milieu marin, section 1, dispositions générales.

[7] Le devoir de diligence expliqué. (s. d.). Marché Intérieur, Industrie, Entrepreneuriat et PME.

[8] Ce sera sans doute à l’Organisation maritime internationale (OMI) de définir les normes de rejet de gaz à effet de serre en insérant une nouvelle annexe dans la Convention MARPOL.

[9] Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) du 2 novembre 1973 – Annexe VI – Règles relatives à la prévention de la pollution de l’atmosphère par les navires (entrée en vigueur le 19 mai 2005).

[10] En raison de leurs immunités, les navires de guerre ne sont pas soumis aux règles de la Convention destinée à prévenir la pollution par les navires (MARPOL).

[11] Actu-environnement. (S. d.). Changements climatiques : le Tribunal international du droit de la mer affirme le devoir d’action des États. Actu-Environnement.

[12] Avis consultatif du TIDM affaire n°31.

[13] Arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 9 avril 2024, Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse (requête no 53600/20).

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