L’équipe de direction de l’Institut
Le 14 octobre 2021, des combats de rue ont éclaté au sud de Beyrouth, provoqués par le Hezbollah et certains ultras du parti chiite Amal contestant la nomination d’un juge chargé d’instruire le procès de l’explosion dramatique du port de Beyrouth, au mois d’août 2020. Ce recours à la force témoigne de la crise institutionnelle et sociétale profonde que traverse le Liban, démontrant l’incapacité des grandes familles qui tiennent le pays, toutes communautés confondues, à sortir d’une logique de prédation et à gérer la pénurie en privilégiant l’intérêt public. Il illustre aussi la fébrilité de l’Iran qui fait face à quelques difficultés imprévues : baisse de popularité du Hezbollah au pays du cèdre sur fond de grave crise économique et de réinvestissements français et américain ; résultats décevants aux élections législatives irakiennes du 11 octobre qui ont vu la victoire du bloc chiite nationaliste de Moqtada Al-Sadr, distant de l’Iran ; reprise prochaine à Vienne de négociations sur le nucléaire iranien qui promettent d’être difficiles. Sur ce dernier point, force est de constater que l’équipe de Joe Biden n’est pas naïve et sait faire preuve à la fois de pragmatisme, d’esprit d’ouverture et de fermeté, comme en témoigne la cyberattaque massive qui a visé les centres de distribution de carburant en Iran (26 octobre) ; nul doute qu’il faut y voir l’un des éléments du fameux « Plan B » évoqué par le Secrétaire d’État Antony Blinken quelques semaines plus tôt. Notre article du mois tombe donc à point nommé pour décrypter les évolutions en cours à Téhéran et répondre à la question « Où va l’Iran ? ».
La France est concernée par tous ces évènements pour trois raisons : tout d’abord, elle reste très attachée à la stabilité du Liban, pour des raisons historiques et stratégiques (c’est notre point d’entrée privilégié au Levant). Ensuite, les élites politiques, économiques et médiatiques françaises savent le poids des 250 000 binationaux franco-libanais qui restent influents dans les deux pays ; en cas de nouvelle guerre civile, voire de guerre entre Israël et l’Iran, Paris sait qu’il lui faudrait organiser le rapatriement massif de citoyens binationaux résidant au Liban, réduisant un peu plus son influence au Levant et imposant une opération militaire complexe à des forces armées déjà sous tension. Enfin, la victoire des nationalistes irakiens est plutôt une bonne nouvelle pour la France qui ambitionne de rester active sur place : ils représentent l’espoir d’un Irak indépendant et apte à peser dans l’équilibre des forces régionales prédatrices (Iran, Arabie Saoudite et Turquie), et savent que la France reste le pays européen qui les comprend le mieux, et qu’elle ne les a jamais combattu sauf lors de la très brève guerre de libération du Koweït en janvier-février 1991, commémorée ce mois-ci aux Invalides par le président de la République et par un remarquable documentaire de l’ECPAD.
Ce mois d’octobre a également vu un regain de tensions entre l’Algérie et la France dans un contexte marqué par les enjeux mémoriels (les 60 ans de l’indépendance algérienne seront commémorés l’année prochaine), la crise des visas, le durcissement de la répression contre le Hirak et les prémices de la campagne présidentielle française. Alger a rappelé son ambassadeur à Paris, a fermé son espace aérien aux vols militaires à destination du Sahel et a multiplié les déclarations acrimonieuses à l’encontre de l’exécutif français. À l’autre extrémité de la Méditerranée, le président turc Recep Tayyip Erdogan, dans un mouvement d’aller-retour dont il est coutumier, a menacé d’expulsion dix ambassadeurs occidentaux – dont celui de France – avant de faire marche arrière, pour fédérer ses partisans sans s’isoler excessivement à quelques jours du prochain sommet du G20. Ce raidissement de certains régimes autoritaires illustre à la fois la montée des tensions géopolitiques et les difficultés qu’ils traversent, économiques bien sûr, mais aussi politiques, amplifiées par les conséquences dévastatrices de la crise du covid qui est loin d’être terminée. C’est le thème de la 32ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques qui a débuté mi-octobre, rappelant que la FMES reste fidèle à sa double vocation de réflexion stratégique et de formation des futures élites régionales et nationales.