Par l’équipe de direction de l’Institut
Voilà un mois que le président russe a lancé ses légions à l’assaut de l’Ukraine. Son offensive initiale qui visait à s’emparer de Kiev en un éclair afin de décapiter le pouvoir ukrainien a fait long feu. Fini le rêve poutinien de rééditer une prise de contrôle à la mode hongroise (1956), tchécoslovaque (1968), afghane (1979), géorgienne (2008) ou de Crimée (2014) à l’aide de spetznaz et de raids aéroterrestres. Malgré ses armes « miracles », l’armée russe d’aujourd’hui n’est plus la redoutable armée soviétique de la guerre froide et la résistance des Ukrainiens, qui s’appuient sur une détermination exceptionnelle et des armements légers mais sophistiqués, s’est révélée d’une autre nature que celle de leurs prédécesseurs. Seul point commun : l’arsenal nucléaire russe qui a été modernisé et qui constitue l’ultime rempart du régime poutinien. Le conflit prend désormais l’allure d’une guerre d’usure qui place en confrontation un rouleau compresseur et des partisans et oppose trois résiliences : d’un côté celle des Ukrainiens face aux pertes humaines et des Européens face aux conséquences de leurs sanctions économiques, et de l’autre celle de la Russie confrontée aux deux pressions. Rien n’est joué car dans une guerre d’usure, celui qui l’emporte reste celui qui s’effondre moins vite que son adversaire. Celui qui reste debout sur le ring risque une victoire à la Pyrrhus qui fera le jeu de ses rivaux, voire même de ses partenaires stratégiques. Dans le cas présent, la Chine pourrait tirer les marrons d’un feu qui consumerait les forces déclinantes des vieilles puissances européennes. Le reste du monde retient son souffle en attendant de connaitre le vainqueur même si beaucoup, animés d’un fort sentiment de revanche sur l’Occident, espèrent sans doute secrètement la victoire du maître du Kremlin.
Toute guerre d’usure entraîne cependant des risques d’escalade. C’est bien là le défi des Européens qui restent les premiers concernés, après les belligérants eux-mêmes bien sûr, par cette guerre qui illustre le retour du tragique. La recette paraît simple : aider les Ukrainiens pour accroître au maximum le coût de l’agression par la Russie afin de convaincre son armée et ses élites de l’inanité de cette option, tout en maintenant la porte de la négociation ouverte pour limiter au maximum la montée aux extrêmes. Cette stratégie repose toutefois sur l’unité du camp européen et occidental. Ce n’est pas acquis car si la France et l’Allemagne recherchent un compromis, les États-Unis et la Grande Bretagne semblent décidés à précipiter la chute de Vladimir Poutine en s’évertuant à fermer la porte des discussions avec le Kremlin. Joe Biden se montre d’autant plus intransigeants avec la Russie qu’il est sur le point de s’entendre avec l’Iran sur l’épineux dossier nucléaire. Il sait que le Congrès, tout comme l’opinion publique américaine, aura du mal à avaler la pilule d’un « deal » avec la République islamique d’Iran. Il lui faut donc apparaître intraitable avec la Russie pour tenter de sauver ses élections de mi-mandat. De son côté l’Iran pourrait en cas d’accord se targuer d’être le second grand bénéficiaire de cette guerre d’Ukraine dont les conséquences affectent déjà l’ensemble de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ; c’est le sujet de notre article du mois. C’est aussi pour cela qu’il est crucial d’entretenir les liens entre les rives de la Méditerranée, à l’instar de la session méditerranéenne des hautes études stratégiques « Jeunes 5 + 5 » que la FMES vient d’animer avec succès.
Face à la fragmentation du monde qui suit son cours, l’Europe et la France doivent identifier leurs intérêts, développer leurs stratégies et surtout regagner en crédibilité. Pour l’instant, les Européens ont surpris – très positivement – en montrant leur unité, leur détermination à soutenir leurs valeurs et leurs intérêts (en se dotant notamment d’une boussole stratégique, en annonçant la relance des budgets militaires et en mettant en place une ébauche de politique énergétique commune) et leur volonté d’armer et de soutenir les Ukrainiens. Mais dans la durée les risques sont réels de voir des dissensions resurgir. Tout compromis léonin, procrastination ou marque de pusillanimité serait immédiatement interprétée comme un signe de faiblesse par ceux – et ils sont nombreux – qui n’attendent qu’un signal pour multiplier les provocations à notre encontre. Dans le contexte des élections présidentielles françaises, il apparaît essentiel d’aller au-delà des simples effets d’annonce et de lancer un réarmement intelligent et rapide de nos forces armées : il n’y aura pas beaucoup d’autres coups de semonce.
L’équipe de direction de l’Institut