Six mois se sont écoulés depuis l’invasion russe de l’Ukraine. Ses conséquences apparaissent désormais clairement en termes de menaces directes sur la sécurité alimentaire (tout particulièrement pour les pays de la rive sud de la Méditerranée), sur la sécurisation des approvisionnements énergétiques, sur la sécurité des pays situés à l’est de l’Europe et sur le fonctionnement de notre système démocratique. L’armée russe continue de grignoter le territoire ukrainien et rien ne laisse présager la fin de cette guerre qui s’enlise et dont tout indique qu’elle va durer. Grâce à leur courage et leur mobilisation totale, les Ukrainiens disposent de combattants, mais ils manquent d’armes et de munitions malgré les fournitures occidentales ; les Russes ont le matériel et les armes, mais ils manquent de combattants car leur tactique du rouleau compresseur s’avère très meurtrière pour les deux camps. Les pertes ont été très lourdes des deux côtés : au moins 20 000 morts et 60 000 blessés côté russe (selon Michel Goya et les services de renseignements américains) ; au moins 9 000 soldats et 6 000 civils tués et 35 000 blessés côté ukrainien (selon les responsables militaires ukrainiens).
Mais cette guerre révèle également les évolutions géopolitiques : les pays du sud s’émancipent de plus en plus des Etats-Unis et de l’Europe. Nombre de pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – à commencer par l’Algérie –persistent dans leur neutralité et refusent de condamner l’invasion russe, pour ménager leurs approvisionnements énergétiques et/ou alimentaires, pour ne pas remettre en cause leurs fournitures d’armements russes, et pour ne pas fâcher le Kremlin dont ils ont besoin sur la scène régionale. Cela s’appelle la realpolitik et nous avions oublié que ce concept n’était pas l’apanage des Etats occidentaux. Nul doute que ce même concept a sous-tendu la visite complexe du président Emmanuel Macron en Algérie en cette fin de mois d’août 2022. Elle est survenue dans un contexte sécuritaire rendu volatil par le désengagement français du Mali, la reprise des combats entre factions gouvernementales en Libye et les tensions intra-maghrébines générées notamment par le président tunisien Kaïs Saïed qui a abandonné la posture classique de neutralité de son pays dans le contentieux opposant Alger à Rabat, pour croiser le fer avec le Maroc en déroulant le tapis rouge au chef historique du Front Polisario.
Cet été aura également été marqué du sceau de l’énergie nucléaire : retour en grâce du nucléaire civil pour réduire à terme la dépendance aux hydrocarbones et réduire les effets dramatiques du réchauffement climatique que chacun peut observer (incendies gigantesques y compris en Algérie, inondations, tempêtes) ; risques induits avec le chantage russe lié à la sécurité de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia ; nucléaire militaire avec les intimidations russes et l’accélération de la négociation sur le nucléaire iranien entrée dans sa phase finale. Quelle que soit l’issue de cette négociation, les Iraniens ont reconnu informellement en juillet qu’ils étaient parvenus au « seuil de la capacité nucléaire ». Que l’accord nucléaire initial (JCPOA) rentre en vigueur ou pas, les voisins et rivaux de l’Iran devront en tenir compte. Le Koweït et les Emirats arabes unis ont déjà renvoyés leurs ambassadeurs à Téhéran ; l’Arabie saoudite a annoncé un nouveau round de négociations avec l’Iran ; Israël demande des garanties supplémentaires à Washington. Que l’accord nucléaire soit scellé ou pas, les défis du régime iranien resteront toutefois les mêmes ; à cet égard, la FMES a eu le privilège de coordonner le numéro spécial de la revue Diplomatie consacré à « Où va l’Iran ? » que vous trouverez en kioske ce mois-ci. De leur côté, les Etats-Unis se sentent davantage concernés par la menace d’un blocus chinois de Taïwan et par la préparation des élections de mi-mandat en novembre prochain.
Bref, les recompositions majeures qui affectent le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient s’accélèrent. La première édition de nos Rencontres stratégiques de la Méditerranée (RSMed-2022) tombe donc à point nommé pour décrypter ces évolutions. Cette rencontre ouverte à tous, mais sur inscription obligatoire, se déroulera à Toulon au Palais Neptune les 27 et 28 septembre prochains. Ces rencontres permettront de croiser les regards géopolitiques, opérationnels et technologiques liés notamment aux premières leçons tirées de la guerre en Ukraine. Elles réuniront de très nombreux experts et personnalités. Dans l’attente de vous y retrouver, toute l’équipe de la FMES vous souhaite une bonne rentrée.
L’équipe de direction de l’Institut