Edito du mois – mars 2024

Le débat sur la guerre en Ukraine a été relancé ce mois-ci par les difficultés sur le terrain de l’armée ukrainienne, la tournée européenne du président Zelensky et l’assurance affichée par Vladimir Poutine après sa réélection sans surprise (17 mars). Le président Emmanuel Macron en a pris acte et a lancé le débat d’une implication militaire sur le terrain des forces armées européennes, créant une forme de cacophonie effrayée mais instillant auprès des populations la question d’une implication plus concrète de l’Europe dans une guerre qui la concerne au premier chef (voir ici).

L’adhésion pleine et entière de la Suède à l’OTAN (7 mars), après celle de la Finlande l’année dernière, a transformé la mer Baltique en un « lac otanien », alors qu’il y a deux ans, il s’agissait d’un espace maritime partagé avec la Russie. La marine russe de la Baltique se retrouve dès lors en posture défensive, acculée sur ses bases navales de Kaliningrad et Saint-Pétersbourg. La Russie se retrouve donc aujourd’hui à devoir protéger l’enclave russe de Kaliningrad située à l’intérieur de l’espace otanien, tout comme l’OTAN devait protéger pendant la guerre froide l’enclave de Berlin-Ouest située à l’intérieur de l’espace alors contrôlé par l’Union soviétique. De même qu’il a désenclavé la Crimée en envahissant l’Ukraine il y a deux ans, le Kremlin pourrait être tenté de désenclaver par la force Kaliningrad, mais aussi le territoire vassalisé de Transnistrie au sud. Ce pourrait être pour lui deux points d’application de sa stratégie de sidération des Européens, alors même que l’hypothèse d’un désengagement américain d’Ukraine paraît de plus en plus crédible en cas de victoire de Donald Trump. C’est le thème de notre nouvelle rubrique « La carte du mois » (voir ici). Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev semble lui aussi attendre le moment opportun pour lancer une offensive surprise visant à désenclaver le Nakhitchevan azéri en s’emparant par la force du corridor de Zangezour dans le sud de l’Arménie.

L’attentat meurtrier de Moscou du 22 mars, revendiqué par l’Etat islamique au Khorasan (Asie centrale), démontre en tout cas que les relations complexes avec l’Islam et le « Sud Global » pour reprendre l’expression du Kremlin, ne sont pas l’apanage exclusif des Occidentaux, mais affectent tout autant la Russie et probablement la Chine. Les tensions géopolitiques entre l’Est et l’Ouest, s’accompagne de tensions en termes de représentation entre le Sud et le Nord qui ne se résument pas à l’anti-occidentalisme, comme voudrait le faire croire le Kremlin et ses relais. Cet attentat du Crocus City Hall rappelle étrangement celui du théâtre Doubrovka de Moscou (octobre 2002) qui avait servi de prétexte à Vladimir Poutine pour intensifier sa guerre en Tchétchénie. Aujourd’hui c’est contre l’Ukraine qu’il tente d’orienter la colère des Russes.

Au Moyen-Orient, les élections générales en Iran (1er mars) ont été marquées par le plus faible taux de participation depuis l’instauration de la République islamique en 1979. Malgré la victoire sans partage des ultraconservateurs, le régime ne semble plus soutenu, au mieux, que par un tiers des électeurs. Les réformistes et les conservateurs modérés semblent désormais hors-jeu et le clergé vient de prouver qu’il était encore capable de tenir la dragée haute aux gardiens de la révolution. L’actuel président Ebrahim Raïssi a donc toutes les chances d’être autorisé à candidater et remporter un second mandat présidentiel en juin 2025.

Pendant ce temps, le conflit à Gaza s’enlise chaque jour davantage face à la double intransigeance de la branche armée du Hamas recroquevillée dans la ville de Rafah et du premier ministre israélien qui cherche à faire durer le conflit pour survivre politiquement et éviter de devoir ouvrir trop tôt un nouveau front face au Hezbollah au Liban. Benyamin Netanyahou paraît de plus en plus isolé sur la scène internationale, comme l’illustre les critiques acerbes de Joe Biden et l’abstention des Etats-Unis – une première – lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU de la Résolution 2728 du 25 mars exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza. De leur côté, les Houthis n’en poursuivent pas moins leurs attaques de navires commerciaux et militaires dans le sud de la mer Rouge, défiant les missions américaine (« Gardiens de la Prospérité ») et européenne (« Aspides »). La frégate Alsace vient d’ailleurs tout juste de détruire dans ce contexte trois missiles balistiques antinavires tirés depuis le Yémen, démontrant l’efficacité de son système d’armes. Au-delà des Etats participants à ces deux missions, ce sont plus généralement les pays africains qui font face aux rivalités de puissance en mer Rouge, thème de l’article du mois (lire notre article sur ce sujet).

En Afrique justement la violence s’étend : la guerre civile au Soudan a imposé le déplacement de plus de 8 millions de personnes et des massacres ethniques dont on ne voit pas la fin tandis qu’un groupe armé du Darfour – l’Armée de libération du Soudan (SLA), du chef rebelle Minni Minawi, également gouverneur de la province – a annoncé avoir rejoint l’armée du général Abdel Fattah al-Burhan, pour se battre contre les forces paramilitaires du général Hemedti. La fin de la coopération militaire entre le Niger et les Etats-Unis, annoncée le 16 mars à travers la demande brutale de retrait des forces militaires américaines stationnées sur le territoire nigérien formulée par les autorités militaires à la tête du pays, s’inscrit dans l’agenda de rupture avec les partenaires traditionnels déroulé par les Etats du Sahel central, qui font valoir leur volonté de rapprochement avec la Russie ainsi que leur aspiration à la diversification des partenariats. La violence de l’attaque perpétrée par l’Etat-Islamique-Sahel (EI-S) contre les forces armées nigériennes dans l’Ouest du pays témoigne de la résistance des groupes islamistes armés radicaux face aux Etats de la région et leurs partenaires internationaux. Les combats entre les forces rwandaises et congolaises en République démocratique du Congo ne semblent pas pouvoir s’interrompre malgré l’implication de l’Union africaine. L’élection, finalement apaisée, de l’opposant Bassirou Diomaye Faye comme Président du Sénégal représente une lueur d’espoir dans ce paysage. Cette victoire de la démocratie sénégalaise, qui a démontré la solidité des institutions républicaines (justice et armée notamment), tout comme la vitalité de la société civile et des médias, est d’une importance majeure pour l’avenir de la CEDEAO (Communauté économiques des Etats d’Afrique de l’Ouest), désormais moins menacée d’être majoritairement composée de régimes autoritaires, civils comme militaires. Le programme politique souverainiste, patriote et conservateur sur le plan sociétal du nouveau Président Bassirou Diomaye Faye augure de changements majeurs dans les partenariats noués par le Sénégal, jusqu’ici traditionnel allié de la France et des pays libéraux. Toutes ses questions ont été abordées par notre directrice du programme Afrique, Niagalé Bagayoko, lors de sa conférence sur les recompositions géopolitiques à l’œuvre au Sahel et en Afrique de l’Ouest (regarder la vidéo) + Décryptage de l’élection présidentielle au Sénégal.

L’équipe de direction de la FMES

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