Edito de décembre : la France et l’Europe sont seules

La publication de la nouvelle stratégie de sécurité des Etats-Unis n’a pas surpris les lecteurs de cette lettre d’information. Elle illustre les recompositions géopolitiques à l’œuvre à travers le monde et confirme que l’ancien hégémon, confronté à son déclassement, a rejoint le camp des puissances révisionnistes. Désormais, Washington se recentre sur la sphère américaine et souhaite y préserver sa prépondérance impériale, en activant une nouvelle Doctrine Monroe 3.0. Après avoir menacé d’annexer le Canada et le Groënland en début d’année, la Maison Blanche s’en prend maintenant directement au Venezuela et à la Colombie, appelant leurs dirigeants à quitter le pouvoir. L’élection de l’ultra-conservateur José Antonio Kast au Chili, dans la lignée de celle de Javier Milei en Argentine, conforte la mainmise des Etats-Unis sur leur environnement proche, notamment en Amérique latine. En assumant ce repli, Donald Trump officialise le schisme occidental qui affleurait depuis quelques décennies et laisse les Européens à leur sort en les priant de se prendre en main pour garantir leur sécurité de long terme et celle de l’Ukraine, s’ils l’estiment opportun. Sinon, ils seront vassalisés, par Moscou ou Washington. On peut s’attendre à ce que les Européens soit soumis à une guerre informationnelle brutale, issue des deux bords, dans les années à venir.

En Ukraine, comme chaque année depuis bientôt quatre ans, les frappes s’intensifient de part et d’autre en ce début d’hiver, tout particulièrement contre les infrastructures énergétiques et les quartiers d’habitation, pour tenter d’affaiblir le moral de l’adversaire. Si les Ukrainiens semblent prêts à négocier sous très forte pression américaine, le Kremlin joue la montre et fait preuve de la même intransigeance que les mois précédents, tout en adaptant son langage pour amadouer la Maison Blanche. Bien qu’il s’en défende, il y a fort à parier que Vladimir Poutine pense déjà à la suite et à la meilleure stratégie pour dépecer sa prochaine proie. Il continue d’ailleurs de nous tester de manière clandestine (survol de drone, sabotages) avant de passer à la phase où il assumera ouvertement ses provocations pour mieux nous humilier. A quand des attentats, des assassinats ciblés et des frappes revendiquées ?  Certains Européens semblent en avoir pris conscience. En la matière, a récente déclaration du chancelier Friedrich Merz comparant en cas d’accord de cessez-le-feu en Ukraine la reconnaissance de l’annexion du Donbass à l’annexion des Sudètes en 1938 est une première pour un dirigeant allemand. Face à cette solitude stratégique, il est vital de poursuivre l’autonomisation de l’industrie européenne d’armement[1].

Pour continuer le décryptage de la stratégie de sécurité américaine, il est clair qu’en Asie, deuxième priorité de l’administration Trump, l’endiguement de la Chine se poursuivra, sans toutefois chercher le conflit ou l’affrontement. Donald Trump n’a d’ailleurs pas réagi à la relance du conflit frontalier entre la Thaïlande et le Cambodge qu’il s’était pourtant vanté d’avoir résolu. Nul doute que Xi-Jing Ping en a pris bonne note, ainsi que les dirigeants japonais, coréen et taiwanais. Au Moyen-Orient, il s’agit de maintenir l’équilibre et d’éviter que la région ne bascule dans l’escarcelle chinoise. Après avoir accouché au forceps d’une résolution du Conseil de sécurité sur Gaza le mois dernier, la Maison Blanche tente maintenant de convaincre des Etats crédibles de contribuer à la Force internationale de sécurisation de cette enclave. En Afrique, il s’agit de multiplier les investissements pour sécuriser l’accès aux ressources indispensables à la croissance technologique. Pour résumer, les Etats-Unis assument pleinement leur entrée dans le jeu du pur rapport de force, s’appuyant sur la fusion de la puissance militaire, économique et technologique dans un continuum qui s’inspire directement de la guerre hors-limite chinoise et de la guerre asymétrique russe. C’en est fini du soft power du 20ème siècle et de la défense des valeurs désormais remplacée par la défense du front intérieur et le contrôle des réseaux sociaux pour contrer toutes menaces susceptibles de déstabiliser un peu plus la société américaine. Donald Trump est ainsi à l’unisson de Xi-Jing Ping, Vladimir Poutine, Narendra Modi, Recep Tayyip Erdogan ou Benyamin Netanyahou qui privilégient tous le contrôle strict de leur population, même si ces dirigeants ont des intérêts divergents. Mais au moins, ils parlent le même langage.

Il n’y aura pas de retour en arrière car cette stratégie américaine de « Paix par la Force » prolonge et amplifie une tendance sensible de longue date, acte la perte de puissance américaine et solde les errements néoconservateurs de l’après-guerre froide. L’Europe et la France, engluées dans des débats budgétaires byzantins de court-termes, doivent en prendre acte et réagir. La France est d’autant plus concernée qu’elle est désignée comme un adversaire prioritaire par Moscou et Alger[2], qu’elle apparaît de plus en plus vulnérable aux agressions mafieuses – y compris des triades chinoises[3]– et que ses outre-mer font face à des vulnérabilités accrues, comme en témoigne notre carte du mois[4]. La France doit réapprendre à faire peur pour dissuader ses adversaires, quels qu’ils soient. Pour cela, ses dirigeants doivent faire preuve de courage et de détermination. Ils doivent également réfléchir aux ripostes calibrées qu’il conviendra d’apporter aux provocations qui ne manqueront pas de survenir. Les citoyens doivent quant à eux comprendre qu’il faut durablement changer de logiciel et d’état d’esprit. Cela pourrait être une excellente résolution pour l’année à venir. En attendant, toute l’équipe de la FMES vous souhaite de belles fêtes de fin d’année.

L’équipe de direction de l’Institut


[1] Voir infographie « Industrie de défense européenne » https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7404520374090235905.

[2] « Les ambitions maritimes de l’Algérie », Esteban Aguado, voir ici : Les ambitions maritimes de l’Algérie – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques

[3] « Triades : la mafia chinoise à la conquête du monde », Antoine Vitkine, voir ici : Triades : la mafia chinoise à la conquête du monde – Antoine Vitkine – YouTube

[4] Les vulnérabilités des outre-mer français, voir ici : Les vulnérabilités des outre-mer français – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques

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