Ce mois de mai a été marqué par l’affrontement direct, bien que limité, entre l’Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires qui se disputent le contrôle du Cachemire et qui ont la capacité de déstabiliser leur voisinage. Ce n’est pas en soi une nouveauté, New Dehli et Islamabad s’étant combattus à plusieurs reprises, mais cela rappelle que deux pays dotés d’un arsenal nucléaire peuvent s’affronter directement, sans avoir besoin de passer par des proxys. La crainte du nucléaire a probablement participé à la maitrise de l’escalade mais cette mini-guerre illustre la volatilité de l’atmosphère géopolitique du moment. Cet affrontement entre l’Inde et le Pakistan a en effet donné lieu à la plus grande confrontation aérienne depuis des décennies, montrant – comme dans le conflit ukrainien – les défis de la supériorité aérienne, que ce soit en Europe, en Asie ou au Moyen-Orient. Il a permis à la Chine de revendiquer une supériorité (qui reste à confirmer) de ses chasseurs J10, employés pour la première fois en opérations, sur ses concurrents. Notre article du mois traite de ce sujet pour le Moyen-Orient[1], en coïncidence avec le salon du Bourget où la FMES sera présente, dans un contexte extrêmement volatile où des frappes aériennes américaines et israéliennes sur l’Iran restent une éventualité plausible en cas d’échec des négociations en cours entre Washington et Téhéran sur le dossier nucléaire.
En parallèle, Donald Trump a réalisé une tournée ostentatoire au Moyen-Orient, qui a défaut de faire avancer les négociations sur Gaza et sur l’éventuelle normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël, lui a permis d’afficher que les Etats-Unis restait le partenaire majeur des monarchies du Golfe et d’annoncer des « deals » totalisant plusieurs milliers de milliards de dollars, notamment dans les domaines de l’armement, de la high tech et de l’intelligence artificielle. Elle lui a permis aussi de conclure de bonnes affaires sur le plan personnel. Trois éléments méritent l’attention : Donald Trump a cessé les frappes contre les Houthis et a conclu un cessez-le-feu avec eux quelques jours avant sa visite dans la région, donnant par là même un gage à Téhéran ; lors de sa visite, il a privilégié l’Arabie Saoudite et curieusement le Qatar, reléguant les Emirats Arabes Unis en seconde division ; fait assez exceptionnel, il ne s’est pas rendu en Israël. De son côté, le gouvernement israélien, de plus en plus isolé, a lancé l’opération « Chars de Gédéon » qui vise ouvertement à s’emparer de 75 % de la bande de Gaza, afin de préparer son occupation militaire durable. Alors que Donald Trump semble battre froid Benyamin Netanyahou, la Chine rentre comme à son habitude dans les interstices et a proposé un partenariat stratégique à Israël et des investissements massifs aux EAU, bien consciente du potentiel high tech de ces deux pays.
De son côté la Turquie engrange les points. Le renoncement officiel du PKK à la lutte armée et l’annonce de son autodissolution (12 mai) constituent un tournant historique et le résultat d’une décennie de négociations difficiles entre le pouvoir turc et Abdullah Öcalan, leader historique du PKK. C’est un coup dur pour les Kurdes de Syrie et une bonne nouvelle pour les Kurdes d’Irak qui ont toujours été en rivalité avec Öcalan. Dans la foulée, des négociateurs russes et ukrainiens, de même que des émissaires européens et iraniens se sont rencontrés à Istanbul. Même si ces discussions n’ont pas abouti, elles illustrent le fait que la Turquie souhaite se positionner au centre du jeu. Le président turc R.T. Erdogan adopte une rhétorique apaisée à l’égard de l’UE et de l’OTAN, même s’il pousse ses pions sur le dossier Ukrainien ainsi qu’au Caucase, en Libye, mais surtout en Syrie où il ambitionne d’installer des bases militaires, quitte à heurter les intérêts israéliens. La France suit ce mouvement, au grand dam de la Grèce qui se sent de plus en plus isolée et songe à se rapprocher d’Israël et de la Russie[2]. Le président syrien Ahmed al-Charaa, quant à lui, ne renie pas ses origines djihadistes mais pratique un multi-alignement pragmatique tout en restant proche de la Turquie. Il courtise à la fois l’Arabie Saoudite, les EAU, le Qatar, l’UE, la France (il vient d’être reçu à l’Elysée) et les Etats-Unis, avec succès puisque Donald Trump vient d’annoncer la levée de l’ensemble des sanctions visant la Syrie.
En Russie, après le succès de la cérémonie du 9 mai sur la place rouge où Xi Jinping a réaffirmé son soutien, Vladimir Poutine déroule sa stratégie (sujet de notre podcast avec l’expert Igor Delanoë)[3] et continue de « balader » Donald Trump et les Européens qui espèrent encore une négociation et un cessez-le feu. Les forces russes ont lancé leur offensive de printemps et le grignotage continue. Les Européens tergiversent et les Ukrainiens s’affaiblissent progressivement. Le destin de l’Ukraine reste aujourd’hui pour l’essentiel dans les mains de cette population qui a montré au monde sa cohésion, son inventivité et son incroyable courage.
L’Europe continue de faire face à ses contradictions : elle se lamente des provocations de Donald Trump, tergiverse sur la stratégie à adopter face aux Etats-Unis, s’inquiète d’une possible victoire russe en Ukraine, mais donne des gages à la Maison Blanche. Le nouveau chancelier allemand Friedrich Merz a pris ses fonctions à la tête d’une coalition fragile qui reste écartelée entre sa volonté de réarmer l’Europe mais de renouer des liens économiques avec la Russie et la Chine. Dans ce contexte incertain, l’élection du président roumain Nicusor Dan, résolument pro-européen, constitue un signal positif, même si le score de son rival témoigne de la montée de l’influence russe en Europe. L’élection présidentielle en Pologne et législative au Portugal, le mois prochain, seront suivies avec attention.
La scène africaine ne donne pas de signe plus positif. À Diafarabé, dans le centre du Mali, le massacre du 12 mai proféré par les forces armées sur la communauté peule a créé un chaos dont profitent les groupes djihadistes, pourtant sensés être la cible des juntes au pouvoir. En Libye des milices et des forces loyales au gouvernement Abdelhamid Dbeibah se sont affrontées en plein cœur de Tripoli, favorisant son opposant Khalifa Haftar tapi dans l’ombre à Benghazi. Au Soudan, les autorités américaines qui avaient accusé il y a quelques mois les rebelles des Forces de soutien rapide (FSR) de génocide au Soudan ont mis à jour des crimes de guerre imputés à l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane qui aurait utilisé des armes chimiques. Ces éruptions de violences sont les symptômes d’une Afrique qui se recompose sous l’action des Africains eux-mêmes, contrairement à de nombreuses idées reçues[4]. Les nouvelles puissances extérieures qui agissent discrètement, en particulier la Russie, la Turquie et les Emirats arabes Unis, ne font qu’accompagner ces mouvements avec opportunisme. Les Etats-Unis de leur côté continuent de se désintéresser du continent. L’agressivité qu’a montré Donald Trump à l’égard du président sud-africain Cyril Ramaphosa étaient plus marqués par l’idéologie que la stratégie. L’influence des milliardaires de la Silicon Valley ayant grandi dans le pays à l’époque de l’apartheid (tels Peter Thiel, David Sachs ou Elon Musk) l’emporte sur les considérations économiques ou politiques.
L’Europe, confrontée à la violence et à la prédation à l’est, au sud et désormais l’ouest, doit désormais quitter la posture du constat effaré et du débat stérile[5]. L’heure est à l’action des responsables politiques et des citoyens de chaque Etat. Il y va de leur survie et de la civilisation dont ils sont les héritiers.
L’équipe de direction de l’Institut
[1] « Les défis de la supériorité aérienne au Moyen-Orient », P. Razoux, 20 mai 2025, Institut FMES. Disponible ici : Les défis de la supériorité aérienne au Moyen-Orient – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques
[2] « La Grèce à la croisée des chemins : de la prise de Damas aux premiers mois de l’administration Trump », A. Marghellis, 27 mai 2025, Institut FMES. Disponible ici : La Grèce à la croisée des chemins : de la prise de Damas aux premiers mois de l’administration Trump – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques
[3] Podcast « Trump, Chine, Moyen-Orient, Europe : Quelle stratégie pour Vladimir Poutine ? », Igor Delanoë et Institut FMES. Disponible ici : Trump, Chine, Moyen-Orient, Europe : Quelle stratégie pour Vladimir Poutine ? – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques
[4] « Comprendre la relation Etats-Unis/Afrique à l’ère de Donald Trump », N. Bagayoko, 30 mai 2025, Institut FMES. Disponible ici : Comprendre la relation États-Unis/Afrique à l’ère de Donald Trump – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques
[5] « L’Europe à découvert : de la solitude stratégique au test de la violence », P. Ausseur, 27 mai 2025, Le Grand Continent. Disponible ici : L’Europe à découvert : de la solitude stratégique au test de la violence – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques