CONSEILS DE LECTURE MAI 2023

« Les câbles sous-marins », de Camille Morel, CNRS Éditions, 2023, 200 p., 10 €.

Cet ouvrage arrive à pic pour clarifier et démystifier le thème des câbles sous-marins, bien souvent commenté mais pas toujours compris. Chercheuse associée à l’Institut d’Études de Stratégie et de Défense (IESD) de l’Université de Lyon III ainsi qu’au Centre d’Études Stratégiques de la Marine (CESM), Camille Morel est l’auteur de ce remarquable ouvrage. Son expertise des technologies au sein des relations internationales, et plus particulièrement dans le domaine sous-marin, facilite à la compréhension de ce sujet, traité sous tous ses angles. Caractéristiques techniques, histoire, entreprises du secteur, rôle actif dans la géopolitique actuelle, rien n’échappe à cet ouvrage d’une concision remarquable.

Le câble sous-marin est souvent très loin des considérations véhiculées par l’imaginaire collectif. D’un diamètre équivalent à un poignet humain, il est composé de différentes matières, dont une dizaine de paires de fibres optiques en son cœur. Cet outil technologique du XXIe siècle est bien loin du premier câble sous-marin télégraphique posé entre le Cap Gris-Nez et le Cap Southerland en 1850. Aujourd’hui, ce sont plus de 98% des flux d’informations qui transitent dans le monde par les fonds-marins, permettant de relier 4 milliards d’internautes entre eux. Camille Morel rappelle l’importance vitale et le rôle actif du câble sous-marin dans la géopolitique actuelle.

L’arrivée des GAFAM dans la compétition mondiale, dans les années 2010, a renforcé la volonté de certains États – comme la Chine ou l’Europe – de posséder leurs propres câbles pour réduire la dépendance aux États-Unis. À titre d’exemple, 70 à 80% de l’ensemble des flux entrants ou sortants de France passent par les États-Unis. Les révélations d’Edward Snowden en 2013 n’ont fait que confirmer cette tendance mondiale à l’autonomisation stratégique. Selon l’auteur, ce sont pas moins de 450 câbles qui parcourent aujourd’hui les abysses de nos mers et océans.

La problématique du financement, de la fabrication, de la pose et de la maintenance de ces câbles est également abordée. On apprend que les plus grandes entreprises qui contrôlent ces marchés sont américaines, françaises, chinoises, japonaises et britanniques. Le poids d’Alcatel Submarine Network et d’Orange Marine est décisif concernant la France. Les façades maritimes françaises favorisent cette position avec Marseille en tête, représentant un hub européen de cet outil de communication devenu indispensable.

L’auteur poursuit son ouvrage en s’intéressant aux vulnérabilités et à l’impact de ces câbles. Ce réseau sous-marin ne fait pas l’objet pour l’instant d’une réglementation commune officielle à ce jour. Son impact environnemental immédiat sur les fonds-marins est minime, bien que des quantités astronomiques d’électricité soient nécessaires pour partager et stocker les informations transmises. Les GAFAM ont de facto choisi d’avoir des câbles qui relient directement leur datas center entre eux, afin de réaliser des économies d’échelles.

La réelle vulnérabilité de ces câbles repose sur les choke points qu’ils traversent (canal de Suez, détroit de Bal el Mandeb, d’Ormuz et de Malacca). Bien que l’écrasante majorité des incidents survenus sur les câbles ne soit pas intentionnelle (ancres de navires, filets de pêches, catastrophes naturelles), un sabotage massif n’est pas à exclure en cas de guerre ou de crise grave. L’exemple du sabotage des gazoducs Nord Stream prouve que ce scenario n’est pas à prendre à la légère.

En somme, ce livre permet d’apporter une compréhension globale des enjeux inhérents aux câbles sous-marins. Ce remarquable ouvrage participe entièrement de la réflexion française des relations internationales.

B.G

Revue Moyen-Orient, N°58 : « Chine : puissance du Moyen-Orient ? » (Avril-Juin 2023), 96 p., 10,95€. 

Ce numéro de la revue Moyen-Orient dirigé par Alexis Bautzmann et Guillaume Fourmont s’attèle à décrypter les interactions chinoises au Moyen-Orient. À travers les onze dossiers de ce numéro, le lecteur se familiarise avec les enjeux de la présence chinoise au Moyen-Orient. Cinq articles traitent de sujets transverses allant d’une analyse du militantisme kurde en France par Rémi Carcélès à la situation des réfugiés au Moyen-Orient par Rima Hassan.  

Thierry Pairault est l’auteur du dossier traitant de l’axe Le Caire-Pékin. Par le biais d’une approche historique, le lecteur se rappelle que l’Égypte est le premier pays arabe à avoir établi des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine en 1956. Par sa position géographique de gardienne du canal de Suez, l’Égypte est une étape obligatoire des nouvelles routes de la soie. Le partenariat stratégique sino-égyptien, signé en 2014, prend tout son sens dans le domaine maritime. L’auteur dépeint les liens maritimes étroits qui unissent ces deux États à travers les investissements et la présence de la China Ocean Shipping Company (COSCO) dans les ports de Damiette et du Port-Saïd. Enfin, le statut de zone économique spéciale est abordé en expliquant l’intérêt pour la Chine d’y implanter des entreprises à moindre coût, avec le label made in Egypt.  

Saïd Belguidoum et Jean-Pierre Taing abordent tous deux le thème de la diaspora chinoise. Le premier traite ce sujet sous le prisme algérien. Il décrit avec acuité les infrastructures construites en Algérie par les Chinois : grande mosquée d’Alger, stade olympique d’Oran, méga-port d’El-Hamdania. Rappelant que la Chine est le premier partenaire commercial de l’Algérie, il caractérise la diaspora chinoise comme vecteur de développement de cette relation, même si les 80 000 travailleurs chinois présents sur le sol algérien vivent isolés, en marge de la population algérienne.  

Jean-Pierre Taing s’intéresse quant à lui à la diaspora chinoise présente dans le quartier de Derb Omar à Casablanca. Comme en Algérie, cette diaspora entretient uniquement des relations économiques et professionnelles avec les Marocains. Bien que le Maroc soit l’un des rares pays à accueillir des touristes chinois sans visa, la masse de visiteurs présents sur place consomme chinois, faisant travailler la diaspora venue de Chine. Que ce soit au Maroc ou en Algérie, les échanges culturels sont inexistants et les interactions avec les populations locales limitées. Ces deux articles évoquent avec clairvoyance l’ambivalence d’une diaspora chinoise non intégrée mais participant de fait au développement de ces pays.  

Le dossier de Jean-François Di Meglio démêle les interactions chinoises avec les pays du Golfe. En retraçant la situation géopolitique de la région, l’auteur décrit le désengagement américain favorable au positionnement chinois. Il décrypte l’axe Arabie Saoudite-Chine comme le fer de lance des relations chinoises au Moyen-Orient. Cette relation commerciale est dynamisée par les hydrocarbures exportés vers les côtes chinoises. On apprend que 50 % du pétrole importé en Chine provient du Moyen-Orient parmi lesquels 17 % d’Arabie Saoudite. La relation commerciale s’appuie notamment sur les succès des nouvelles routes de la soie dans la région.  

Bien que de la méfiance existe envers la Chine dans les pays du Moyen-Orient, aucun ressentiment ne vient obstruer les relations bilatérales établies entre ces États. Le propre de la méthode chinoise au Moyen-Orient est de créer des liens économiques sans s’immiscer dans les affaires internes des États. En faisant fi des systèmes de valeurs intégrés par ces États, la Chine s’assure une coopération économique solide. Au-delà d’être un partenaire économique, « la Chine est un exemple de modernisation autoritaire à suivre » comme le souligne l’entretien avec Jean-Pierre Cabestan. C’est ce réalisme qui a permis à la Chine d’être l’instigateur de l’accord de normalisation des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite signé le 10 mars 2023. 

Étrangement, ce numéro ne consacre pas de dossier aux relations sino-iraniennes. Jean-François Di Meglio y consacre quelques lignes, mais le sujet n’est que partiellement évoqué. Pourtant, la realpolitik chinoise les a poussés à signer en 2021 un partenariat stratégique avec l’Iran. Ce dernier équivaut à une promesse d’investissement chinoise de 400 milliards de dollars sur 25 ans. La visite d’Ebrahim Raïssi en Chine en février 2023 ne fait que conforter cet élan nouveau.  

Au bilan, ce numéro analyse en profondeur les particularismes de la relation Chine Moyen-Orient. On recommande la lecture de ce numéro très enrichissant qui renforce la littérature française des relations internationales.   

     B.G 

« Guerres silencieuses : Embargos et blocus au Moyen-Orient de 1948 à nos jours», de Caroles André-Dessornes, Geuthner, 2023, 176 p., 25 €.

Carole André-Dessornes est chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Son ouvrage intitulé Guerres silencieuses : Embargos et blocus au Moyen-Orient de 1948 à nos jours est un formidable rappel pour le lecteur de ce que sont et ce que représentent les sanctions internationales. Spécialiste des rapports de forces et des violences au Moyen-Orient, de la guerre asymétrique et du terrorisme, l’expertise de l’auteur est nécessaire pour détricoter ce sujet à travers 6 chapitres. Allant des blocus du canal de Suez, à ceux de l’Irak ou du Qatar récemment, rien n’échappe à son analyse aiguisée.

La distinction entre blocus, embargo et boycott est importante. L’embargo vise un État qui menace la paix et ne respecte pas le droit international. Cette forme de pression peut concerner différents domaines de l’économie en visant bien souvent à limiter l’accès à un certain type de produit (armement, matières premières). Le blocus est pour sa part plus agressif, précédant souvent une déclaration de guerre ou poussant l’État viser à la déclarer. Dans les deux cas, l’objectif recherché est l’affaiblissement d’un pays pour impulser un changement politique et pousser sa politique à se retourner contre le régime en place. Enfin, le boycott est l’instrument de sanction de la société civile. Il place les citoyens au cœur de l’orientation de politique étrangère.

Ces formes de pressions se sont largement développées à la suite de la Seconde Guerre mondiale et ne sont pas l’unique apanage des pays occidentaux. En 1948, l’Égypte impose un blocus sur le canal de Suez pour tous les navires qui seraient susceptibles d’approvisionner Israël. Durant la guerre des Six Jours, en 1967 un embargo produit par les pays arabes permet de restreindre l’apport de brut aux États-Unis et au Royaume-Uni. Même son de cloche 6 ans plus tard lors de la guerre du Kippour avec un embargo partiel et progressif des pays arabes envers l’Occident. Ces sanctions ont d’ailleurs permis de démontrer la dépendance des pays occidentaux à ces approvisionnements d’hydrocarbures.

Les occidentaux utilisent les embargos et blocus comme outil de politique extérieure. Les États-Unis sont à ce titre un acteur majeur de ce système. Ce serait inhérent à leur façon de penser que leur droit justifie ces mesures coercitives, en adéquation avec leur politique d’extraterritorialité des lois nationales. Cela explique que des sanctions américaines ont visé l’Irak de 1991 à 2003. Le blocus faisait suite à l’invasion du Koweït combiné à des

années de sanctions et d’embargo sur les armes s’est soldé par la déclaration de guerre des États-Unis.

L’Iran représente à coup sûr le pays emblématique des sanctions américaines. Instiguées en 1979 à la suite de la prise d’otage à l’ambassade des États-Unis de Téhéran, Washington s’évertue depuis 44 ans à sanctionner le pays des mollahs. Allégées sous la présidence du réformiste Khatami, les sanctions se sont finalement alourdies en 2005 lors de l’élection d’Ahmadinejad : le point de cristallisation des tensions étant le projet iranien d’enrichissement du nucléaire. On apprend que l’UE qui n’était pas sur la ligne des États-Unis avant 2007, décide cette année-là de rejoindre la position de Washington. Le Join Comprehensive Plan Of Action signé en grande pompe en 2016 n’y fera rien, l’arrivée l’année suivante de Donald Trump sonne comme un grand retour aux sanctions.

L’auteur en s’intéressant aux effets des sanctions relève que bien souvent l’objectif politique initial n’est pas atteint. Au contraire, cela peut provoquer l’effet inverse comme en Iran où le pouvoir s’est renforcé grâce à ces trains de sanctions. La Syrie est un autre exemple de l’échec des sanctions avec le retour de Bachar el-Assad sur la scène internationale. Le blocus de 2017 au Qatar a eu pour conséquence « l’asianisation » de la politique étrangère qatarienne.

Carole André-Dessornes analyse ce système comme une punition globalisée des classes pauvres qui amène au sentiment d’humiliation. La banalisation du système de sanctions renforce le ressentiment des populations visées envers les États ou organisations, auteurs de ces dernières. Un acharnement dans les sanctions conduit inévitablement à une violation des droits fondamentaux des citoyens de l’État visé, comme à Gaza. La population est écartelée sous le joug du régime extrémiste du Hamas et d’un cycle infernal de sanctions rendant Gaza dépendant des perfusions financières internationales.

Cet ouvrage concis explique parfaitement bien au-delà de l’historique des sanctions, les enjeux attenants à ce mode de résolution de conflit. Bien souvent plébiscité par l’Occident et plus particulièrement les États-Unis son efficacité est largement remise en cause. Au bilan, la lecture de ce livre renforce sensiblement la compréhension des enjeux géopolitiques au Proche et Moyen-Orient.

B.G

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