Découvrez nos conseils de lecture du mois de décembre 2023.
« Les ambitions inavouées », Thomas Gomart, Tallandier, Paris, 2023, 336p., 22.50€
La stratégie commence par la connaissance des ambitions de ses partenaires et de ses adversaires. C’est en partant de ce constat que Thomas Gomart nous propose d’inverser l’approche traditionnelle des recompositions géopolitiques en se concentrant sur les attributs de puissance de neuf Etats. Il rassemble ces puissances en trois groupes. La Terre, qui réunit la Russie, la Chine et l’Allemagne en raison de leur assise continentale en Eurasie. La Mer, où il regroupe les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Inde pour leur présence en Atlantique et dans l’Indopacifique. Enfin, la croyance religieuse symbolisée par le Ciel, qui comprend la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Iran.
Au travers de ces trois parties, l’auteur décrypte les ambitions de ces puissances, à plus ou moins long terme. Après avoir analysé les objectifs de leur dirigeant, leur présence dans les relations internationales et leurs vecteurs d’influence, l’auteur conclut chaque chapitre par les priorités stratégiques de chaque pays ainsi que les enseignements à en tirer pour la France.
L’analyse de ces stratégies permet d’appréhender les pistes d’action envisageables pour la France dans ses relations avec ces neuf grandes puissances. L’enjeu consiste pour Paris à sortir de son nombrilisme stratégique et d’étudier avec lucidité les ambitions affichées et cachées des puissances. La France doit également repenser sa stratégie en déterminant d’une part si elle veut maintenir sa singularité sur la scène internationale et par quels moyens, et d’autre part elle doit se questionner sur le cadre qu’elle privilégie (bilatéral ou européen).
L’enjeu, pour la France, consiste à coordonner ces neuf relations bilatérales dans un cadre qui n’entre pas en choc frontal avec l’Union européenne, dans une grande stratégie qui priorise les enjeux énergétiques et climatiques qui font l’objet de développements très intéressants.
Dans un ordre international bousculé par le retour de la guerre de haute intensité en Europe, nous ne pouvons que recommander cet ouvrage très clair et très pédagogique dont l’objectif est d’analyser les ambitions de neufs acteurs cruciaux, afin de permettre à la France de repenser sa stratégie si elle veut se maintenir au rang des grandes puissances. C’est la raison pour laquelle la FMES a récompensé ex-aequo cet ouvrage de son Prix Géopolitique 2023, avec celui de Jean-Pierre Filiu.
« Stupéfiant Moyen-Orient – une histoire de drogue, de pouvoir et de société », Jean-Pierre Filiu, Seuil, Paris, 2023, 224p., 22€
A travers douze chapitres thématiques, Jean-Pierre Filiu analyse les rapports qu’entretiennent les pays du Moyen-Orient avec différents stupéfiants. De l’opium au haschich, en passant par le qat, le cannabis et l’héroïne, l’auteur retrace dans cet ouvrage savant, rédigé dans un style remarquable, l’histoire de la production, de la consommation et de l’instrumentalisation de ces drogues au Moyen-Orient. L’approche historique, religieuse, culturelle, sociologique et géopolitique des stupéfiants au Moyen-Orient apporte une compréhension complète des dynamiques à l’œuvre dans la région. C’est la raison pour laquelle la FMES a récompensé ex-aequo cet ouvrage de son Prix Géopolitique 2023, avec celui de Thomas Gomart.
L’auteur analyse la manière dont la culture et la consommation de ces substances ont participé à la construction des pouvoirs politiques au Moyen-Orient et du contrat social instauré entre les régimes politiques et les sociétés. Dans une région marquée par les conflits et les rivalités de pouvoir, le commerce des stupéfiants a profité de ces instabilités pour redessiner les circuits d’échanges illégaux et contourner les normes adoptées. Jean-Pierre Filiu démontre également les ambiguïtés entre Islam et drogues, ces dernières étant souvent tolérées dans l’histoire par les représentants des différentes tendances de l’Islam, à l’inverse de l’alcool rapidement banni.
Aujourd’hui, deux centres de gravités s’illustrent dans la région. L’Afghanistan des talibans, dont la culture du pavot est le vivier du trafic d’héroïne. Et la Syrie de Bachar Al-Assad, devenue l’épicentre mondial de la production de captagon. Nous recommandons cet ouvrage érudit qui offre une analyse riche des dynamiques du Moyen-Orient sous le prisme de l’instrumentalisation de la production et de la consommation de stupéfiants. Combinant un angle sociologique et historique, l’ouvrage revêt un intérêt géopolitique certain, participant à une meilleure compréhension des dynamiques régionales.
Ces deux ouvrages ont été récompensés par le Prix FMES Géopolitique 2023, remis par l’Institut FMES le 16 novembre 2023.
