« Connaitre et anticiper » Séminaire parisien de la 34ème SMHES

C’est sous l’angle de la première des cinq fonctions stratégiques qui, en France, structurent la stratégie de défense et de sécurité nationale, que les auditeurs de la 34ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques (34ème SMHES) ont conduit leur second séminaire à Paris du 16 au 18 novembre 2023. Ce rendez-vous parisien est toujours une étape importante dans le parcours des auditeurs de nos sessions méditerranéennes. Destiné à leur présenter les principaux centres qui participent à la fonction « connaissance et anticipation » au sein de l’appareil d’Etat français, il prépare aussi le séminaire organisé à Bruxelles au mois de février qui leur permettra de disposer d’une vision complémentaire et approfondie de l’ensemble des centres de décisions impliqués dans la mise en œuvre de notre défense et de notre sécurité à l’échelle européenne. Après Istres et Cadarache qui, en octobre, leur avaient dévoilé des aspects fondamentaux et structurants de la puissance d’un Etat : sa capacité à innover, à maîtriser ses ressources et son approvisionnement énergétique, les efforts qu’il fait pour préparer son avenir technologique et industriel, les outils de puissance et d’influence dont il se dote ; il était donc pertinent de poursuivre l’examen des facteurs de puissance de l’Etat en explorant quelques-unes de ses institutions clef dans les domaines cardinaux que sont le Renseignement et les relations diplomatiques et internationales. Aller à la rencontre de tels acteurs qui, au quotidien, proposent des options au pouvoir exécutif pour répondre aux multiples exigences induites par une situation internationale sans équivalent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale avait donc beaucoup de sens pour une session dont le thème d’étude est celui des conséquences en Méditerranée de la guerre en Ukraine. De surcroît, passer par Paris permet aussi d’y poursuivre la découverte des perles technologiques dont la France a su se doter ; ce séjour parisien a donc permis aux auditeurs de mieux connaître l’une d’elles : l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA).

Pendant ces trois journées, les auditeurs ont eu cette année l’honneur d’être les hôtes du prestigieux Yacht Club de France. Idéalement situé à quelques pas de l’Arc de Triomphe, ce club offre des conditions idéales pour y tenir un séminaire : confort, discrétion et une accessibilité permettant à tous les intervenants de venir à la rencontre de la 34ème SMHES avec la plus grande facilité. Dans une belle unité de temps et de lieu, les auditeurs ont donc débuté ce séjour parisien par une première journée dense et studieuse pendant laquelle quatre organismes se sont succédé au pupitre : le secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN), la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées, la direction du renseignement militaire (DRM) et enfin le pôle relations internationales de l’état-major des armées (PRIM-EMA).

Discret car se tenant à dessein éloigné des turbulences médiatiques, le SGDSN est un organe essentiel du fonctionnement de l’Exécutif. Placé sous l’autorité de la Première Ministre, sa mission de coordination et de synthèse entre les ministères s’exprime tout particulièrement par les Conseils de défense que le SGDSN prépare, conduit et dont il exploite les décisions. Ce mécanisme est particulièrement utile pour décider vite et bien en situation de crise et d’urgence comme l’illustre l’exemple des 84 conseils de défense qui se sont tenus pendant les phases les plus aigües de la crise COVID 19.  Plus particulièrement tourné vers les questions de défense et de sécurité, le SGDSN est un échelon particulièrement important pour coordonner la réponse du gouvernement face aux crises et aux chocs internationaux comme ceux de la guerre en Ukraine ou plus récemment de l’attaque du Hamas contre Israël.

Descendant de quelques crans dans l’organigramme de l’Etat, les auditeurs ont ensuite entendu un représentant de la DGRIS.  Figurant avec l’EMA, le Secrétariat Général pour l’Administration (SGA) et la Délégation Générale de l’Armement (DGA) parmi les subordonnés directs du ministre des armées, la DGRIS est la tête pensante du ministère des armées en matière de stratégie et de relations internationales. C’est à cette direction qu’échoit, en coordination étroite avec le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, la gestion des relations de la France avec ses partenaires en matière de défense que ce soit dans un processus bilatéral ou dans le cadre d’alliances, comme l’OTAN, auxquelles la France est partie. Le représentant de la DGRIS a dressé un tableau complet des missions de sa direction notamment en matière de stratégie et de prospective. Ensuite, en lien avec le thème d’étude de la 34ème SMHES, il a dressé un tableau de l’espace méditerranéen, des tensions qui s’y nouent, des acteurs qui y émergent et des alliances qui s’y recomposent. Cet espace de tensions et de rivalités qui reste en même temps une zone de rencontre entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie reste au cœur de l’actualité géopolitique pour la France qui en fait une priorité dans ses réflexions stratégiques et dans les partenariats qu’elle noue et entretient avec les pays méditerranéens.

La conférence qu’a ensuite prononcée le représentant de la direction du renseignement militaire (DRM) a parfaitement confirmé cet axe. De surcroît, il a présenté aux auditeurs la communauté française du renseignement et la manière dont ses différentes composantes opèrent et se coordonnent afin d’assurer à l’Etat français l’autonomie d’appréciation indispensable pour un pays souverain qui, comme le nôtre, se positionne comme une puissance d’équilibres. Les missions de la DRM ont été illustrées par de nombreux exemples montrant comment le renseignement dans ses multiples facettes a éclairé la prise de décision du gouvernement et les défis que pose une telle exigence : exhaustivité, précision, objectivité, rapidité.

Cette première longue journée s’est ensuite achevée avec l’intervention d’un officier général du pôle relations militaires internationales de l’Etat-major des armées. Soulignant le haut degré de coordination du pôle RIM de l’EMA avec la DGRIS, cet officier a concentré son intervention sur les profondes mutations de la conflictualité et les chocs stratégiques qui caractérisent la période actuelle. La guerre en Ukraine, les guerres au Moyen Orient, les guerres dans le Caucase, les tensions dans la zone indo pacifique conduisent à reconsidérer les grilles de lecture qui ont prévalu durant les trente dernières années et à adapter l’outil de défense en conséquence. Insistant sur la dimension et la portée des crises et des chocs qui touchent ou concernent la France, le représentant du pôle RIM de l’EMA a souligné l’importance des alliances et des partenariats. Face à l’ampleur de ces crises et de ces chocs, eux seuls offrent de bonnes chances de les surmonter.

Au terme de cette journée dense et studieuse, un moment de détente a été octroyé aux auditeurs puisqu’ils étaient tous conviés à la soirée offerte à ses amis par la FMES sur la péniche « l’Evènement » fièrement amarrée en bord de Seine sur les quais du musée d’Orsay. Occasion pour le Président, le Directeur Général et le Directeur académique de la FMES de faire un bilan de l’année écoulée et de dresser les perspectives de celle qui s’ouvre, cette chaleureuse soirée regroupait de nombreuses et très hautes autorités civiles et militaires, des membres et des représentants d’institutions partenaires de la FMES dans le domaine de la géopolitique et de la géostratégie ainsi que des journalistes, des éditeurs et des chercheurs investis dans ces domaines. Leur présence n’était pas le fait du hasard puisqu’au cours de cette soirée a été remis le prix géopolitique de la FMES. Premier du genre, ce prix consacrant un ouvrage traitant d’un sujet géopolitique et publié au printemps 2023 a vu s’affronter vingt-cinq livres et essais qui étaient tous d’une très grande qualité. Au terme d’une sélection qui s’est étalée sur toute la période estivale et qui n’a pas cessé de gagner en intensité tant les ouvrages étaient tous passionnants, deux livres ont finalement été déclarés vainqueurs, à égalité. Les ambitions inavouées de Thomas GOMART et Stupéfiant Moyen Orient, une histoire de drogue de pouvoir et de société de Jean-Pierre FILIU se sont donc partagé lauriers, éloges et applaudissements chaleureux et nourris. Très différents par leurs sujets et leurs approches, ces deux ouvrages ont suscité d’intenses débats au sein du jury qui a finalement décidé que distinguer les deux était le meilleur moyen de vraiment faire justice à leur très grande qualité.

A peine les souvenirs de cette belle soirée étaient-ils dissipés que les auditeurs de la 34ème SMHES ont repris le rythme soutenu de leur séminaire. Le 17 novembre matin, ils sont allés à la découverte de l’ONERA.  Sous statut EPIC (Etablissement public industriel et commercial) l’ONERA a, comme le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) été créé en 1946 sous l’impulsion du général de Gaulle avec pour objectif le développement d’une autonomie française dans les domaines énergétique et stratégique. Ses travaux sont donc centraux pour la défense dans les domaines cruciaux pour notre dissuasion que sont les vecteurs de l’arme atomique, les radars et tous les systèmes de détection associés. Les priorités de l’ONERA sont les travaux sur les nouvelles générations d’armes stratégiques, l’accès sûr et performant à l’espace et l’utilisation sécurisée de l’espace. Dans les murs de l’ONERA les auditeurs ont eu le très rare privilège de bénéficier de conférences et de démonstrations très pointues tout en restant pédagogiques sur les applications liées à la première et à la seconde révolution quantique, sur l’évolution des vecteurs hypersoniques et enfin sur les radars à très longue portée. Ces recherches et ces applications s’inscrivent dans la capacité qu’a la France à maintenir sa dissuasion et les différents outils qui la composent au meilleur niveau de performance et de fiabilité. Performance et fiabilité ont un prix élevé mais leur pertinence et leur qualité, comme l’illustrent l’ONERA, les recherches et les travaux de développement qui s’y mènent, placent notre pays dans le club très fermé des nations qui pèsent et continueront de peser dans le domaine de la dissuasion nucléaire. A l’heure où le monde semble de nouveau être à l’aube d’un embrasement général, disposer de tels atouts n’a pas de prix !

De retour à l’intérieur du boulevard périphérique, les auditeurs de la 34ème SMHES ont terminé cette journée du 17 Novembre au centre de conférence du ministère de l’Europe et des affaires étrangères situé rue de la Convention ; à deux pas de la Tour Eiffel. Diplomate de carrière particulièrement expérimentée, Madame Audrey LESPERRES y a présenté l’organisation et les missions de son ministère ainsi que celles du service où elle est affectée : le centre d’analyse de prévision et de stratégie (CAPS). Après avoir évoqué les principales caractéristiques et résultats des récentes réformes qui ont touché le Quai d’Orsay, Madame LESPERRES s’est livrée avec talent et perspicacité aux nombreuses questions de son auditoire. La plupart de ces questions concernait les guerres en cours, tout particulièrement celles d’Ukraine et de Gaza et le positionnement des grands acteurs que sont les Etats Unis, la Chine, et l’Europe à leur égard. Sans prétendre prévoir l’avenir, Madame LESPERRES a beaucoup insisté sur l’indispensable coordination qui doit se renforcer entre Etats amis et alliés de la France. Elle a développé le rôle de sa diplomatie pour faire comprendre les positions françaises mais aussi interpréter, anticiper et expliquer celles de ses partenaires en Europe et outre-Atlantique tout en faisant de même s’agissant de ses adversaires. C’est le rôle du CAPS, à travers l’élaboration de scenarii qui informent et éclairent nos autorités sur la façon dont telle ou telle situation ou crise pourrait évoluer. Plus généralement c’est bien là la mission cardinale de ce ministère de l’Europe et des affaires étrangères qui porte la voix et la vision de la France hors de ses frontières tout en tenant le gouvernement informé de l’état et de l’évolution du monde. Vaste et exigeante mission qui oblige celles et ceux qui l’incarnent à un travail de veille incessante que l’imprévu et l’inattendu parviennent néanmoins parfois à contourner. « Connaissance et anticipation » s’obtiennent à ce prix, celui d’un travail qui rappelle Sisyphe poussant sans cesse son rocher. Peu d’éloges lorsque la prévision et l’anticipation sont justes et beaucoup de blâmes lorsqu’elles le sont moins ; tel est souvent le lot du diplomate.

De retour le lendemain matin dans l’écrin prestigieux du Yacht Club de France, la 34ème SMHES a terminé ce séminaire parisien par une conférence sur les aspects opérationnels de la guerre en Ukraine. Il semblait en effet important que les auditeurs puissent comprendre un peu plus en détail cette guerre pour travailler ensuite sur ses conséquences en Méditerranée. Cette présentation du Colonel Frédéric JORDAN, Docteur en Histoire, visait donc à donner aux auditeurs une connaissance et une compréhension approfondies du déroulement de cette guerre, de ses enjeux stratégiques opératifs et tactiques et de la façon dont ils ont pu varier au fil des différentes phases des combats. Enfin, elle avait pour ambition de leur donner un aperçu des ruptures techniques et tactiques que le conflit a généré mais aussi de leur faire comprendre que si la guerre peut souvent changer de caractère par le biais des évolutions techniques et tactiques qui s’y expriment ou qui s’y développent, elle ne change pas pour autant de nature. Les grands invariants et les principes qui structurent toute guerre ouverte se retrouvent en Ukraine : ses dimensions politique et géopolitique, ses niveaux stratégique, opératif et tactique, les conditions du succès, la nécessité de coordonner les domaines, les effets et leurs champs d’application, l’impact de la surprise, de la ruse et de la concentration des efforts, la qualité du commandement dans son organisation et son incarnation, le poids et le rôle des forces morales sont autant d’aspects que Sun Tzu avait déjà abordés il y a 2 500 ans dans « l’art de la guerre ». Fruit d’un travail personnel de plus de deux ans mené par le Colonel Jordan en dehors de son temps de travail, cette présentation d’une exceptionnelle richesse est une véritable radiographie de la guerre en Ukraine ; sa valeur est inestimable. Les auditeurs en sont sortis à la fois impressionnés et perplexes. Impressionnés car ils ont pu mesurer l’extrême complexité de ce conflit et ce qu’il requiert d’énergie, d’inventivité, de résilience, de moyens mais surtout d’abnégation et de courage de la part des Ukrainiens pour ne pas laisser les Russes dépecer leur pays et piétiner leur drapeau et leur identité. Perplexes aussi car le fil des événements et des batailles qui se sont déroulés depuis bientôt deux ans montre hélas qu’une Russie qui n’a engagé dans ce conflit qu’un tiers de son potentiel militaire ne peut pas perdre militairement tandis qu’à l’inverse, sur ses seules ressources notamment en matière de combattants disponibles, l’Ukraine pourra difficilement gagner.

Au bilan, ce second séminaire de la 34ème SMHES a été à la fois très riche et intense. Organisé autour de la fonction « connaissance et anticipation » il a donné aux auditeurs l’occasion de mieux comprendre pourquoi elle est la première citée dans l’énoncé des fonctions stratégiques qui structurent la défense et la sécurité de la France et comment elle s’organise. Trois jours, aussi denses soient-ils, ne suffisent pas pour faire le tour d’une telle question mais, entre les séminaires, nos auditeurs poursuivent leurs travaux et leurs recherches. De fait, ces séminaires pléniers servent davantage à les aider à se poser les bonnes questions et à les orienter vers les bonnes pistes qu’à leur donner des réponses exhaustives. Le prochain se déroulera début décembre à Toulon et il sera l’occasion de revenir sur les outils de puissance de l’Etat en découvrant la Marine Nationale et l’importance du fait maritime pour la géopolitique et la géostratégie de la France.

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