Ukraine: des accords de sécurité bilatéraux face aux hésitations multilatérales

Pierre Razoux, directeur académique de la FMES a été interrogé par l’AFP sur la signature récente de partenariats sécuritaires liant Paris et Berlin à Kiev alors que le soutien américain à la résistance ukrainienne devient de plus en plus mesuré.

Agence France-Presse (Didier LAURAS). Munich (Bavière, Allemagne)

Repères

Après Londres, Berlin et Paris ont signé vendredi avec Kiev des accords bilatéraux de sécurité, signe de la nécessité pour l’Ukraine de contourner les incertitudes sur son adhésion à l’Otan et les faiblesses actuelles de l’Alliance atlantique. Ces signatures interviennent deux ans après l’invasion russe de l’Ukraine et sur fond de remise en cause de l’aide militaire américaine.

L’exemple britannique

Londres est la première capitale occidentale à avoir signé, le 12 janvier dernier, un accord bilatéral complet avec l’Ukraine, valable 10 ans et couvrant un spectre extrêmement large.

Sur le plan budgétaire, le Royaume-Uni s’est engagé à ce que l’enveloppe de 2,3 milliards de livres (2,7 milliards d’euros) d’aide en 2022 et 2023 augmente à 2,5 milliards en 2024 (2,9 milliards d’euros). Tout y passe, de la livraison d’armes à la formation des soldats, en passant par le renforcement de la dissuasion, la cybersécurité, le soutien à l’industrie de défense ukrainienne, la désinformation, la reconstruction après-guerre, la coopération humanitaire.

Tout y passe, de la livraison d’armes à la formation des soldats, en passant par le renforcement de la dissuasion, la cybersécurité, le soutien à l’industrie de défense ukrainienne, la désinformation, la reconstruction après-guerre, la coopération humanitaire.

Allemagne et France

Vendredi, l’Allemagne a signé à son tour un accord qui couvre sensiblement les mêmes aspects, avec un mécanisme de consultation rapide en cas de crise.

Mais il n’est juridiquement pas contraignant, a-t-on admis à Berlin. « Aurions-nous mis la barre si haut que nous n’aurions pas terminé les discussions à la fin de l’année », dit-on côté allemand.

En fin de journée, la France a suivi le mouvement, évoquant une aide à l’Ukraine d’une valeur de 1,7 milliard d’euros en 2022, 2,1 milliards en 2023 et jusqu’à 3 milliards cette année.

En plus des puissances du G7, 25 autres pays occidentaux négocient, avec l’Italie et le Japon sur le point de conclure, la Norvège et la Suède ayant aussi bien avancé.

L’ombre d’une Otan hésitante

En privilégiant le bilatéral, Kiev témoigne de ce qu’elle ne considère pas l’Otan comme une assurance tout risque.

Le probable candidat républicain à l’élection présidentielle américaine de novembre, Donald Trump, vient de donner un nouveau coup de pied dans la fourmilière en stigmatisant les mauvais payeurs de l’Alliance atlantique, menaçant d’encourager la Russie à s’en prendre à ceux dont les dépenses de défense sont insuffisantes.

Or, sa réélection, quatre ans après son premier mandat, relève d’une probabilité réelle.

Ces accords bilatéraux « pourraient signaler que l’Ukraine, et plusieurs pays européens, sont de plus en plus inquiets de la victoire de Trump et de sa possible décision de se retirer de l’Otan », estime Colin Clarke, directeur de recherche au Soufan Center, un think tank spécialisé à New York.

Le poids de l’urgence

En admettant même qu’elle résiste aux tempêtes, l’Otan n’est pas une option à court terme pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky.

L’intégration de Kiev suscite autant l’unanimité de l’opinion ukrainienne qu’elle soulève de débats dans les rangs de l’alliance, relève Ivan Klyszcz, du Centre international pour la défense et la sécurité (ICDS), en Estonie.

Or « l’Ukraine ne peut pas attendre », ajoute-t-il, soulignant que Kiev « n’a malheureusement toujours pas été invitée » à rejoindre l’organisation.

En attendant, ces accords envoient des messages politiques importants, fait valoir l’analyste: « Pour l’Ukraine, ils signalent un engagement. Pour la Russie, ils signalent la volonté d’assurer la survie de l’Ukraine, en particulier au-delà des cycles électoraux ».

Le bilatéralisme rassurant

Les efforts ukrainiens pour entrer dans l’Union européenne doivent vaincre le même obstacle cardinal que pour l’Otan: l’absence d’unanimité des pays membres.

Plutôt que d’attendre que ceux-ci s’accordent sur un projet commun, l’Ukraine entreprend de les convaincre un par un.

« Un lien bilatéral paraît plus fragile mais il est psychologiquement et politiquement plus compliqué à remettre en cause, surtout avec des contrats d’armement à la clé », relève Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES).

Signer des accords bilatéraux, « c’est multiplier les filets de sécurité et créer les conditions de menus à la carte, plus faciles à mettre en œuvre ».

Une efficacité à démontrer

Ce processus d’accords bilatéraux avec l’Ukraine avait été décidé par le G7 en juillet 2023 et prend forme aujourd’hui. Mais son efficacité reste à démontrer, à l’aune des livraisons d’armes et des actes concrets.

Ces documents signés en grande pompe ne révèlent guère plus qu’une déclaration d’intentions, avertit à cet égard Sascha Ostanina, experte de l’Institut Jacques Delors à Berlin.

« Si la volonté politique disparaît, il n’existe pas de mécanismes d’exécution pour empêcher l’accord de se briser », note-t-elle.

Dans le cas germano-ukrainien, les deux parties peuvent dénoncer l’accord avec un préavis de six mois, avec certes des « risques réputationnels attachés à une telle décision mais qui devraient être limités et à court terme ».

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