Terres rares : vers la fin de la suprématie chinoise ?

Par Gilles Lepesant, directeur de recherche au CNRS (CEFRES – Centre français de recherche en sciences sociales, Prague)

Recherchées pour leurs propriétés dans un large éventail de secteurs (notamment celui de la défense), les terres rares illustrent dans le contexte des tensions commerciales sino-américaines à quel point diplomatie et technologie sont désormais liées. Forte d’une législation environnementale peu contraignante, de gisements de qualité et d’innovations technologiques, la Chine s’est en effet forgée depuis les années 70 une position de quasi-monopole pour l’extraction et surtout pour le raffinage de ces métaux. Les restrictions aux exportations ont été progressivement durcies depuis les années 90 et le régime de licences d’exportations réformé en 2025 expose les industriels importateurs à une incertitude sur les prix et sur les volumes disponibles. Dans ce contexte, les stratégies de diversification esquissées en Asie, en Europe comme sur le continent américain bénéficient d’un soutien inédit. Elles associent relance de l’activité minière, recyclage, soutien aux acteurs privés, stockage et diplomatie minérale. Elles sont susceptibles à terme de remettre en cause la suprématie chinoise sur l’approvisionnement en terres rares.

Peu avant la rencontre Xi Jinping – Donald Trump à Busan, en Corée du Sud (30 octobre 2025), le ministère chinois du Commerce annonça l’introduction de licences d’exportation pour cinq terres rares. Des mesures similaires avaient été prises pour d’autres métaux en décembre 2024 et avril 2025, visant explicitement les États-Unis à la suite de mesures commerciales prises contre la Chine. Le Président Trump répliqua en brandissant sur les réseaux sociaux la menace d’une nouvelle hausse des droits de douane. Sans surprise, le sommet s’est conclu par des concessions réciproques, en l’occurrence un report d’un an des dispositions annoncées de part et d’autre, offrant aux équipes américaine et chinoise le temps nécessaire pour négocier de nouveaux accords. L’épisode aura illustré à quel point technologie et diplomatie sont plus que jamais imbriquées, les terres rares devenant un enjeu clef.

Si la notion de métal critique ne connait pas de définition précise, les terres rares (au nombre de 17[1]) sont recensées dans le tableau des éléments périodiques. Une fois séparés les uns des autres et transformés, ces éléments sont ductiles et ont des propriétés recherchées, magnétiques pour certains, optiques pour d’autres. Résultat : les terres rares, même en quantité infime, se retrouvent dans un large éventail d’applications (écrans, moteurs de véhicules électriques, lunettes de visions nocturne, éoliennes, munitions guidées, avions de chasse, IRM, etc.). Largement répandus à la surface de la terre, ces éléments sont dits rares en raison des volumes importants de roche brute qu’il convient d’extraire pour les obtenir puis les raffiner, le plus souvent à l’aide de réactifs chimiques polluants. Forte d’une législation environnementale peu contraignante, de gisements de qualité et d’innovations technologiques, la Chine s’est forgée une position de quasi-monopole pour l’extraction et surtout pour le raffinage de ces minerais. Ses partenaires commerciaux semblent néanmoins avoir désormais pris acte des risques de dépendance pour leur sécurité et leur souveraineté. En Asie et en Europe, comme sur le continent américain, des stratégies de diversification sont initiées.

Une suprématie de la Chine inscrite dans la durée

Une situation de quasi-monopole forgée depuis les années 1970

Découvertes en Europe (principalement en Suède), les terres rares ont fait l’objet de recherches et de déploiement industriels aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Dans le cadre du projet Manhattan, le laboratoire Ames conduisit ainsi des recherches sur l’uranium et sur le raffinage de ces métaux. Les États-Unis disposaient d’une mine (Mountain Pass, en Californie) laquelle a fermé avec le déplacement vers la Chine du centre de gravité de la production de terres rares. En 2012, la mine a été relancée et les investissements ont repris, mais la Chine conserve toujours une position forte qu’elle doit moins à sa géologie (60% « seulement » des terres rares sont extraites en Chine) qu’à son savoir-faire technologique (sa part de marché mondiale est de l’ordre de 90% sur chacune des étapes suivant l’extraction des minerais). Pékin a débuté la valorisation de son potentiel géologique dès le début des années 1970 et a ainsi pu tirer profit des réticences d’autres pays à maintenir des activités minières polluantes. Après les premières exportations (1973) et l’énoncé des premières stratégies (1975), les acteurs économiques chinois ont peu à peu remonté la chaîne de valeur, les États-Unis et l’industrie de l’électronique grand public japonaise lui concédant la production de certains équipements. Depuis les années 1990, Pékin s’emploie par ailleurs à réguler plus strictement le secteur ainsi que les exportations[2].

L’usage des terres rares comme arme diplomatique

L’encadrement du secteur des terres rares a été le plus souvent justifié par les autorités chinoises par la volonté de fermer les mines clandestines, de structurer le secteur (ce dernier est désormais contrôlé par trois sociétés d’État) et de répondre aux protestions locales face aux impacts environnementaux de l’activité minière. Au fil des années, l’accès au marché chinois a par ailleurs été verrouillé (les deux dernières raffineries étrangères sur le sol chinois sont passées sous le giron d’une société d’État chinoise en 2025). Les restrictions aux exportations ont été étendues à une large palette de métaux (au gallium, au germanium, à l’antimoine par exemple) et ont affecté différents secteurs industriels dans plusieurs pays. La gestion des terres rares est ainsi devenue l’un des piliers de l’ambition de la Chine d’asseoir sa supériorité technologique.

Replacées dans ce contexte, les décisions annoncées en octobre 2025 par Pékin ne sauraient surprendre. La politique commerciale américaine de Donald Trump (hausse des droits de douane, restrictions commerciales frappant plusieurs milliers d’entreprises chinoises, limites imposées pour la vente à la Chine de certains semi-conducteurs) a fourni à Pékin le prétexte pour des mesures de rétorsion en apparence réciproques. De même, le principe d’extra territorialité prisé par l’administration américaine a trouvé un écho à Pékin, la Chine annonçant l’encadrement de la commercialisation dans le monde des technologies contenant plus de 0,1% de terres rares extraites ou raffinées en Chine.

Au terme de la rencontre Donald Trump – Xi Jinping, les mesures les plus récentes ont été suspendues. La plupart des restrictions adoptées antérieurement (notamment en décembre 2024 et avril 2025) sont néanmoins demeurées en l’état. Le gallium, le germanium et l’antimoine (utiles notamment aux industries de l’armement et des semi-conducteurs) ont été de nouveau autorisés à l’export vers les États-Unis[3] sans que l’obligation d’une demande d’autorisation soit pour autant levée. De leur côté, les États-Unis ont revu à la baisse leur ambition de réduire leur exposition à la Chine (à travers des concessions portant sur les droits de douane et sur les restrictions aux exportations vers les entreprises chinoises). Les deux parties s’étant entendues sur un report d’un an des dispositions annoncées, Busan a plus initié que conclu une négociation globale. Celle-ci pourrait intervenir vers novembre 2026, soit au même moment que les élections américaines de mi-mandat.

En convoquant le sujet des terres rares dans une négociation commerciale plus large, Pékin est parvenu à faire reculer les États-Unis contraints de réduire au moins momentanément le rythme du découplage avec la Chine. Les terres rares étant indispensables (entre autres) au complexe militaro-industriel, les autorités chinoises ont pointé les vulnérabilités d’un secteur supposé être l’un des principaux points forts des États-Unis. Elles ont dans le même temps pris le risque de perdre le quasi-monopole dont elles disposaient, les stratégies de diversification déjà esquissées dans les pays partenaires étant désormais appelées à se déployer rapidement.

La politique chinoise encourage des stratégies de diversification

En Asie, une course de vitesse pour réduire l’exposition à la Chine

À mesure que la Chine a renforcé sa suprématie et contrôlé ses exportations, les pays asiatiques spécialisés dans l’électronique n’ont cessé de renforcer leur autonomie. Le Japon vise désormais une autosuffisance de 80 % pour certains métaux d’ici 2030. Il ambitionne de réduire sa dépendance vis-à-vis d’un seul fournisseur à moins de 50 % et de créer des stocks stratégiques couvrant soixante jours de consommation nationale pour 34 métaux critiques. La JOGMEC[4] met en œuvre cette stratégie à travers des prises de participation dans des projets miniers au Chili (lithium), en Indonésie (nickel), en Australie (dans les terres rares, après l’éviction par les autorités d’un investisseur chinois) ou encore en France (projet CAREMAG[5]). La liste des partenariats signés n’a cessé par ailleurs de s’allonger (avec l’Australie, l’Inde, le Vietnam, le Kazakhstan).

Deuxième producteur mondial de semi-conducteurs depuis 2013, la Corée du Sud a éprouvé sa vulnérabilité en 2023 quand la Chine réduisit ses exportations de gallium et de germanium. Depuis, une politique visant à réduire la part du principal fournisseur pour une sélection de métaux et à renforcer les stocks a été introduite. En 2021 a été créé le KOMIR, organisation dédiée au soutien des projets miniers à l’étranger. Des accords ont été signés avec l’Australie (2020, 2021), la Mongolie (2023), le Kazakhstan (2024) dans le cadre de l’initiative « K-Silk Road Cooperation ». L’inde a adopté une approche similaire fondée sur la signature d’accords avec des pays fournisseurs et sur des prises de participation dans des projets miniers à l’étranger à travers la société KABIL[6].

Aux États-Unis, le renouveau du « friend shoring » ?

Avec l’IRA (Inflation Reduction Act), l’administration Biden avait opté pour un soutien à la demande et pour une stratégie de rapprochement avec les partenaires aussi préoccupés qu’elle d’une domination technologique de la Chine. Des crédits d’impôt étalés dans le temps visaient à encourager les industriels à recourir de plus en plus à des métaux et des technologies originaires des États-Unis ou de pays proches. À travers la loi « Big Beautiful bill », les autorités américaines ont réduit la durée et le montant des crédits d’impôts. Un soutien significatif a néanmoins été apporté au secteur des terres rares (8,5 milliards lui ont été alloués, dont 3 pour le stockage). Le ministère de la Défense a pris des participations directes dans plusieurs entreprises et un prix plancher a été établi pour l’une des terres rares (le dysprosium). Par ailleurs, un soutien financier a été apporté à des sites de raffinage, notamment dans le Texas, État qui abrite des industriels du secteur de l’armement et des gisements de terres rares. L’objectif affiché par le ministère de la Défense est de construire une filière allant de la mine à l’aimant permanent d’ici 2027.

Les États-Unis ont par ailleurs redoublé d’ambition en matière de diplomatie minérale. Le partenariat a été renforcé avec l’Arabie Saoudite (pour l’exploitation de mines). Les ambitions territoriales à l’égard du Groenland ont été (provisoirement ?) remisées mais un acteur industriel américain s’est invité dans l’actionnariat d’une des deux mines susceptibles de produire des terres rares. Un accord a été signé avec l’Ukraine en mai 2025. Dans la foulée, le Président américain a également suggéré une collaboration avec la Russie où la faible demande intérieure, la concurrence de la Chine et les conditions climatiques expliquent qu’un seul gisement soit aujourd’hui valorisé (par Rosatom dans l’oblast de Mourmansk). Moscou ambitionne néanmoins d’accroître sa part de marché (d’environ 1% à ce jour) grâce notamment au projet Tomtor en Yakoutie confié à Rosneft en 2025. Dans l’immédiat, Washington a scellé un partenariat avec l’Australie qui prévoit un engagement financier commun autour de huit projets situés dans l’ouest de l’Australie et aux États-Unis. Pour plusieurs autres pays occidentaux, l’Australie s’impose comme un pôle majeur en devenir grâce à des investissements conséquents tant dans l’exploration (40% des dépenses mondiales en la matière relèvent de l’Australie), l’extraction (le principal site minier du pays, Mount Weld, doit être étendu) que les secteurs aval (une première raffinerie a été ouverte à Kalgoorlie en 2024), l’essentiel du raffinage étant jusque-là opéré en Malaisie.

L’administration américaine se résout-elle à la doctrine du « friend shoring » invoquée sous Joe Biden[7] ? Celle-ci semble prisée par les parlementaires. Une initiative bipartisane a abouti à une proposition de loi sur la sécurité des métaux critiques appelant à renforcer la coopération avec les pays amis. Si l’initiative n’a pas encore été adoubée par le Président, les responsables américains se sont évertués à présenter les contentieux Chine-États-Unis et Canada-USA comme un sujet de discorde opposant la Chine, seule, face au reste du monde. Le G7 d’octobre 2025 s’est opportunément conclu par l’annonce d’un Plan d’action concerté.

Au Brésil, les sites miniers Aclara et Carina (État de Goias) illustrent à la fois l’ambition américaine et les défis à relever. Les deux sites ont bénéficié en 2025 de capitaux publics américains, mais la totalité de leur production est destinée à la Chine dans le cadre de contrats de raffinage courant jusqu’en 2027. Sur le sol américain, la mine californienne de Mountain Pass, dont la relance en 2012 illustrait les nouvelles ambitions américaines, expédiait également jusqu’en avril 2025 l’essentiel de sa production à l’industrie chinoise du raffinage. Depuis, les volumes non consommés sur le sol américain alimentent les sites de stockage. Autant d’exemples qui illustrent combien le succès dans le secteur des terres rares réside moins dans la géologie que dans la technologie. L’ouverture de nouvelles mines n’est qu’une première étape. La mise en place d’une chaîne de valeur nécessite un savoir-faire, des capitaux et une capacité à résister à la volatilité des prix du marché.

Une stratégie européenne esquissée

Dans l’Union européenne, aucune mine de terres rares n’est en activité et les responsables des sites miniers les plus prometteurs (en Suède) invitent à patienter entre 10 et 15 ans. L’industrie du raffinage est à peine plus avancée et repose pour l’essentiel sur une entreprise canadienne située à Narva (Estonie).

L’autonomie stratégique à l’épreuve des métaux critiques

Évoquée depuis 2013, l’autonomie stratégique européenne a longtemps reçu une attention limitée au sein de l’UE. Mise en exergue par la France, la notion fut jugée trop vague par des partenaires pressentant une manœuvre destinée à leur imposer les priorités françaises[8]. La thématique est néanmoins devenue prioritaire avec les bouleversements survenus en Russie, en Chine et aux États-Unis ces dernières années. S’agissant des métaux critiques, la prise de conscience est désormais avérée.

D’ici à 2030, l’UE vise à extraire de son sol 10% des métaux dont elle a besoin, à en raffiner 40% et à recourir à hauteur de 25% à des matériaux recyclés. Une Loi sur les métaux critiques[9] a été adoptée en 2024 et, début 2025, 47 projets dits stratégiques répartis dans 13 États membres de l’UE et dans plusieurs pays non européens ont été retenus en vue de leur garantir à la fois un accès facilité au financement et des procédures administratives accélérées. La politique commerciale de l’UE tente de convaincre les pays partenaires de renoncer à toute restriction aux exportations. De fait, la plupart des partenaires avec lesquels des accords ont été récemment signés (Mercosur, Mexique, Australie, Nouvelle-Zélande, Chili) sont d’importants pourvoyeurs (actuels ou en devenir) de métaux dits critiques. Des partenariats sur les matières premières ont par ailleurs été signés afin de sécuriser l’approvisionnement de l’UE en respectant les principes sociaux et environnementaux. Plateforme mondiale visant à renforcer et développer les chaînes d’approvisionnement en minéraux, le Partenariat pour la sécurité minérale (MSP) rassemble 13 pays partenaires, dont l’Union européenne, les États-Unis et la Corée du Sud.

À la suite du rapport Varin de 2022, la France s’est dotée d’une stratégie nationale de sécurisation des approvisionnements en métaux critiques reposant sur un soutien aux projets industriels qui couvre l’ensemble de la chaîne de valeur (de l’extraction au recyclage) en France et à l’étranger. Fruit d’un partenariat franco-japonais, le site de Caremag (voir plus haut) est en construction (près de Lacq) depuis mars 2025. A l’instar d’un autre projet situé à La Rochelle, il sera principalement alimenté en minerais issus du recyclage. Compte-tenu des faibles volumes disponibles sur le marché et des délais d’ouverture de mines, les Européens revoient également leur stratégie globale d’approvisionnement.

L’autonomie par le partenariat

Dans son action extérieure, l’UE affiche volontiers sa différence. L’accent est mis sur la constitution de filières et sur le développement durable quand la Chine est supposée privilégier ses seuls intérêts. En Asie centrale, la présidente de la Commission européenne soulignait en 2025 : « L’offre européenne est spécifique (…) la valeur ajoutée doit rester sur place ». L’année précédente, en Argentine, le Président français pointait les « entreprises prédatrices » qui « imposent des clauses léonines pour mieux exploiter les ressources du continent, ne laissant derrière elles qu’une population appauvrie et une nature ravagée »[10]. Les acteurs européens sont ici confrontés à plusieurs défis. D’une part, les États partenaires peuvent être réticents à se reconnaître dans des principes européens de durabilité définis sans eux et contestés au sein même de l’UE. D’autre part, la montée en gamme suppose que le pays partenaire dispose d’un cadre règlementaire et de conditions favorables à l’investissement étranger. Sans oublier que si l’Europe abrite les deux pôles majeurs du commerce mondial des métaux (Genève et Londres), aucun n’est lié par les règles édictées par l’UE en matière de développement durable.

Enfin, dans les pays miniers, l’UE est en concurrence avec d’autres acteurs, la Chine notamment qui pour répondre à ses besoins doit importer de nombreux métaux, y compris des terres rares. Les investissements opérés au titre de la BRI[11] ont connu une forte hausse en 2025, dépassant au cours du premier semestre le montant de l’année 2024. Les acquisitions minières de Pékin ont atteint leur plus haut niveau depuis plus d’une décennie. Les acteurs chinois confortent ainsi leur position avant une éventuelle dégradation du contexte politique mondial. Les États partenaires sont-ils enjoints à s’endetter au-delà du raisonnable par Pékin ? Vérifiée dans de nombreux cas, l’hypothèse est moins pertinente dans le cas de l’industrie minière. Le quart des prêts est adossé à un garant chinois, un niveau supérieur à celui observé dans d’autres secteurs[12].

L’image d’une Chine puissance coloniale rapatriant les matières premières sans égard pour les intérêts des pays fournisseurs doit également être nuancée, notamment en Asie centrale, pôle majeur pour l’Europe en raison de sa proximité géographique et des nombreuses découvertes récentes de gisements de terres rares (notamment au Kazakhstan[13] et en Ouzbékistan[14]). La présence chinoise y est devenue significative (75% de la production d’or du Tadjikistan est aux mains d’entreprises chinoises) et la stratégie s’adapte aux pays d’accueil.

Avec le Kazakhstan (où les acteurs chinois ont investi 23 milliards de dollars au cours du seul premier semestre 2025) qui a des ambitions industrielles, des filières se constituent. Les groupes chinois verticalement intégrés ont l’expertise nécessaire aux différentes étapes de la chaîne de valeur pour se conformer aux attentes des autorités. Cette approche leur permet en outre le cas échéant de contourner les barrières douanières érigées dans le monde contre les importations chinoises. Avec les autres pays (au Kirghizstan par exemple où le gisement de Kutessay a fait l’objet d’un accord en février 2025 entre Xi Jingping et Sadyr Japarov), la coopération se limite pour l’essentiel à des activités extractives. Dans ce contexte, l’UE mise pour sa part sur une coopération élargie à différents secteurs, l’accès aux métaux critiques n’étant qu’un volet parmi d’autres. Lors du premier sommet UE- Asie centrale de 2025, un soutien technique et financier a ainsi été apporté aux infrastructures de transport. L’axe terrestre « middle corridor » est ici concerné au premier chef. Reliant l’Asie centrale (ainsi que l’ouest de la Chine) à l’UE par la route la plus courte, il permet d’éviter la Russie.

Conclusion

La plupart des principaux États importateurs de terres rares ont esquissé une stratégie basée sur le stockage, le recyclage, la recherche de technologies alternatives et la construction d’alliances avec d’autres pays soucieux de réduire leur dépendance à l’égard de la Chine. L’affirmation du secrétaire américain au Trésor S. Bessent estimant que la Chine perdra sa capacité de chantage sur les terres rares en moins de 24 mois[15] paraît optimiste, mais l’émergence de nouveaux pôles d’extraction et de raffinage indépendants de la Chine est désormais acquise. Au-delà des instruments de politique « intérieure » (relance de l’activité minière, recyclage), l’Union européenne peut s’assurer de points d’appui dans le monde grâce à une diplomatie commerciale active, même si les financements alloués par l’UE (notamment au titre de la stratégie Global Gateway) et par les États-membres paraissent encore modestes au regard des initiatives prises par la Chine et les États-Unis.


[1] Aux 15 lanthanides sont ajoutés le scandium et l’yttrium en raison de leurs propriétés voisines.

[2] Yuzhou Shen, Ruthann Moomy, Roderick G. Eggert (2020), « China’s public policies toward rare earths, 1975–2018, Mineral Economics 33:127–151.

[3] L’exportation de ces matériaux vers les États-Unis était interdite depuis décembre 2024, cette décision faisant suite à une mesure américaine similaire concernant les semi-conducteurs.

[4] Japan Organization for Metals and Energy Security (Organisation japonaise pour la sécurité des métaux et de l’énergie). Jusqu’en novembre 2022, l’organisme s’intitulait « Japan Oil, Gas and Metals National Corporation » (Corporation nationale japonaise du pétrole, du gaz et des métaux).

[5] https://www.info.gouv.fr/actualite/la-france-agit-pour-securiser-ses-approvisionnements-en-minerais-et-metaux-critiques-indispensable-aux-transitions-energetique-et-numerique.

[6] Khanij Bidesh India Ltd.

[7] Relocalisation des chaînes d’approvisionnement vers des pays considérés comme amis. L’idée avait notamment été précisée par la Secrétaire d’État Janet Yellen. https://www.atlanticcouncil.org/news/transcripts/transcript-us-treasury-secretary-janet-yellen-on-the-next-steps-for-russia-sanctions-and-friend-shoring-supply-chains/.

[8] Pierre Vimont, Keynote speech à la conférence « Strategic Autonomy and Asia amid Rising Geoeconomic Competition ». Conférence organisée par l’IFRI, 6.11.2025, Paris.

[9] Critical Raw Materials Act.

[10] https://reporterre.net/Macron-a-la-conquete-du-lithium-en-Amerique-latine.

[11] Belt and Road Initiative.

[12] Escobar, B., Malik, A. A., Zhang, S., Walsh, K., Joosse, A., Parks, B. C.,Zimmerman, J., & R. Fedorochko. (2025). Power Play book: Beijing’s Bid to Secure Overseas Transition Minerals. Williamsburg, VA: AidData at William & Mary.

[13] “Kazakhstan to Boost Investments in Rare Earth Metals Production,” The Astana Times, May 2, 2024, https://astanatimes.com/2024/05/kazakhstan-to-boost-investments-in-rare-earth-metals-production/.

[14] “Uzbekistan launches $2.6B initiative to bolster minerals sector,” mining.com, https://www.mining.com/uzbekistan-launches-2-6b-initiative-to-bolster-minerals-sector/.

[15] Demetri Sevastopulo, “China ‘made a real mistake’ by ‘firing shots’ on rare earths, says Scott Bessent”, Financial Times, 30.10.2025.

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