SÉMINAIRE DE LA 33ÈME SESSION MÉDITERRANÉENNE DES HAUTES ÉTUDES STRATÉGIQUES (SMHES)

« AIMONS LA FRANCE COMME ELLE NOUS A AIMÉS »

Cette phrase écrite en serbo-croate figure sur l’une des faces d’un pilier du monument construit en 1930, commémorant l’alliance entre la France et la Serbie durant la Première Guerre mondiale. Sur l’autre face, on peut y lire en français – A la France – sur une œuvre exposée au cœur du parc de Kalemegdan à Belgrade. Ce monument témoigne des sacrifices conjointement consentis de 1915 à 1918 sur le Front d’Orient. Nous y reviendrons un peu plus loin dans cette courte synthèse retraçant une mission d’étude particulièrement adaptée au thème de la 33ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques consacrée à l’influence des Balkans en Méditerranée.

Cette marque d’amitié franco-serbe reste un symbole fort entre la France et la Serbie. Il fut d’ailleurs de mise lors de la visite du Président de la République en Serbie en juillet 2019 venu renforcer le rôle de la France dans les Balkans, au moment où l’influence des pays n’appartenant pas à l’Union européenne s’affirme davantage, notamment avec la Russie, la Chine et la Turquie. Pour autant, il ne faut pas sous-estimer le poids de l’histoire dans les relations bilatérales et prendre garde à l’influence de pays capables de créer un imaginaire, auquel les populations ne sont pas insensibles. Ce socle historique est donc précieux, sans nous exonérer des potentielles divergences ultérieures. Ce renforcement du rôle de la France dans les Balkans est indéniablement déterminant dans la réalisation d’un processus d’adhésion de la République de Serbie à l ’Union européenne.

A défaut, l’alternative serait de se tourner vers l’espace eurasiatique et donc vers la puissance russe. Dans cet espace de centre Europe, les stratégies d’influence sont les facteurs structurant les nouveaux équilibres multipolaires auxquels nous faisons face aujourd’hui. Les Balkans occidentaux influeront donc en Méditerranée et ailleurs !

En atterrissant à l’aéroport de Belgrade le mercredi 5 avril, les auditeurs ont d’emblée été confrontés au climat continental de la Serbie. En l’occurrence, et de façon un peu exceptionnel, des températures très basses pour la saison et un enneigement récent en cette période de l’année. Les auditeurs ont séjourné à l’hôtel Metropol, un établissement construit dans les années soixante qui a accueilli le Comité central de la jeunesse yougoslave. Cette architecture spécifique est bien visible et rappelle les immeubles de l’ère communiste. L’édifice, réalisé selon les plans de l’architecte Dragisa Brasovan, est caractéristique du mouvement moderne dans sa variante dite fonctionnaliste.

En somme, un bâtiment strictement fonctionnel à l’image de la plupart des édifices construits à l’Est à cette époque. Au-delà de son caractère fonctionnel, les aménagements effectués depuis en font un lieu de séjour très agréable avec des salles de conférences bien adaptées aux besoins des séminaires quelle qu’en soit la nature. 

Le jeudi 6 avril se devait de commencer par une présentation générale de la Serbie sous le prisme économique. Monsieur Pierre Grandjouan, chef du service économique régional « Balkans occidentaux », a présenté la situation économique des différents pays de sa zone de responsabilité. Chiffres à l’appui, il a pu dresser un état des lieux qui démontre que les Balkans occidentaux ont plutôt bien résisté aux crises. La crise financière de 2008 d’abord puis la crise du COVID 19 suivies des effets collatéraux de l’invasion russe en Ukraine. Evidemment, cette croissance s’est un peu tassée avec une réelle tension sur certaines ressources alimentaires et divers matériaux avec en corolaire une hausse marquée de l’inflation malgré tout stabilisée autour de 9%. Rappelons enfin que la Serbie est quasiment totalement dépendante au niveau énergétique. S’agissant du gaz, 100% est fourni par la Russie. Ce volet n’est évidemment pas neutre dans la posture serbe vis-à-vis des Russes. D’autant moins neutre que la Serbie ne croit pas à la portée des sanctions de l’Union européenne.

Cette analyse s’appuie sur leur expérience et le dixième paquet récemment prononcé tend à confirmer l’inefficacité des sanctions antérieures. C’est clairement leur perception. Ces besoins énergétiques sont complétés par l’utilisation massive du charbon nécessaire à l’alimentation des centrales thermiques.  Evidemment, ce volet peut paraître éloigné des clauses de l’article 37 de l’Union européenne qui préconisent un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité qui doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable. Mais au bilan de cette présentation, la Serbie semble s’en tirer plutôt bien sous l’angle macroéconomique ainsi que la plupart des pays des Balkans occidentaux.  

La deuxième séquence de cette journée a permis aux auditeurs d’aller à la rencontre de chercheurs du Belgrade Centre for Security Policy (BCSP).

Ce Think Tank de vingt-cinq ans d’âge affirme une réelle maturité en proposant de multiples orientations pouvant intéresser les décideurs politiques ou institutionnels. Son rayonnement dépasse le périmètre des Balkans occidentaux lui permettant d’interagir avec de nombreux centres de réflexions équivalents en Europe et à l’extérieur.

Par ailleurs, il est le référent régional pour ce qui concerne les volets de défense et de sécurité. Une certaine similitude se dégage donc ici avec l’institut FMES offrant une opportunité exceptionnelle aux auditeurs d’approfondir les travaux de leur thème d’étude. Au cours de cet échange, c’est le volet influence qui a été privilégié. Dans un contexte où la Serbie met en avant sa volonté d’adhérer à l’Union européenne, il était en effet important de mieux comprendre les influences des puissances, fussent-elles régionales, dans une équation européenne très complexe.

Au-delà de cette complexité, une forme de fatigue apparaît au regard de la lenteur du processus d’adhésion. Cette fatigue est sans doute démultipliée par les annonces de candidature accélérée communiquées comme ce fut le cas pour l’Ukraine et la Moldavie. Alors l’influence russe s’envole ! Ressurgissent alors les agressions menées contre la Serbie avec en particulier les frappes de l’OTAN de 1999 au cours de l’opération « Allied Force » devant mettre fin aux massacres de la guerre du Kosovo. Ressurgit aussi le refus russe de reconnaître l’Etat autoproclamé du Kosovo. Autant d’éléments pour lesquels la population serbe considère que la Russie ne les inspire pas pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle n’est pas.

L’influence chinoise apparaît quant à elle un peu plus diffuse avec un affaiblissement de la dynamique économique des nouvelles routes de la soie mais une convergence politique au niveau régional appréciée.

Enfin, une influence turque qu’il faut appréhender sous le prisme strictement économique. Mais en tout état de cause, la Turquie a été et est historiquement l’un des plus puissants acteurs régionaux affichant un certain pragmatisme dans sa posture pouvant garantir une stabilité régionale. Sans aller plus loin dans la description de ces échanges très denses, ce rendez-vous fut indéniablement un temps fort où il faut souligner le remarquable niveau d’organisation et l’immense qualité de l’accueil réservé à nos auditeurs. A n’en pas douter, les travaux qu’ils conduisent seront infléchis à l’aune des analyses et éléments acquis lors de cette rencontre.

Pour clore cette journée du jeudi 6 avril, nous avions programmé une visite de Véolia (plus exactement de BEO Cista energija) sur le site de Vinca à proximité de Belgrade. Nous l’avons vu antérieurement, la Serbie utilise massivement les énergies fossiles, elle enregistre par ailleurs de vraies vulnérabilités dans le traitement des déchets et figure parmi les plus mauvais élèves de l’Europe centrale.

Pour autant, le savoir-faire français est bien présent et n’a pas d’équivalent parmi les compétiteurs internationaux. Dans le lancement d’un partenariat public-privé, c’est donc un groupe français, Véolia, qui allait l’emporter pour assainir un site dont l’état était déplorable et proposer pour vingt-cinq ans une réponse environnementale adaptée aux besoins d’une ville aussi importante que Belgrade. 

Messieurs Philippe Thiel, directeur général de BEO Cista Energija (consortium du partenariat public-privé), et Nathanaël Tilly, directeur des opérations chez Véolia, nous ont accompagnés toute l’après-midi pour exposer aux auditeurs les défis techniques et les perspectives de développement de l’un des sites les plus importants en Europe. Cela passe presque inaperçu en France lorsque nous réalisons ce type d’investissements qui nous place au rang des meilleurs. Cela passe moins inaperçu au cœur de la Serbie où le lixiviat[1] pollue les fleuves et rivières et les sous-sols.

Cette visite répond donc à de multiples objectifs où il est réconfortant d’apprécier un niveau de performance nationale qu’il nous faut impérativement valoriser et la chance de développer sur nos territoires des dispositifs de traitements conformes aux exigences que nous imposons à l’échelle européenne.

Le vendredi 7 avril était réservé aux rencontres institutionnelles. Le ministère de la défense serbe nous a donc ouvert ses portes. L’institut de recherche stratégique, pilier académique de l’université de défense, s’est concentré sur les enjeux de défense et de sécurité. Un point d’attention a été porté au retour d’une conflictualité plus classique mêlant des modes hybrides à ceux de la haute intensité dans l’usage des armes. Sa directrice, Madame Jovanka Saranovic, accompagnée de ses collaborateurs civils et militaires, a accueilli les auditeurs de la 33ème SMHES en appliquant le protocole réservé aux autorités. Nous y avons été particulièrement sensibles.

Elle a présenté son institut où de nombreuses similitudes ont été relevées avec notre équivalent en France au sein de l’institut de recherche stratégique de l’école militaire. L’occasion de ce rendez-vous a permis d’aborder le volet de la coopération franco-serbe avec un rappel historique. Hyppolite Mondain alors qu’il était capitaine de génie a été envoyé à Belgrade de 1853 à 1856. Il sera nommé en 1861, alors qu’il a été promu au grade de colonel, à la tête du ministère de la défense du royaume de Serbie jusqu’en 1865. Il organisera l’armée serbe selon le modèle français. Deuxième figure française emblématique de la relation franco-serbe, le maréchal d’Espérey qui commandera les forces du front de Salonique en 1918. Son action sera largement commentée par l’intervenant, un officier supérieur de l’armée serbe.

Ces faits historiques auront nourri cette amitié franco-serbe. Elle sera scellée lors de l’édification du monument à la France dans le parc de Kalemegdan en 1930. S’agissant des enjeux de défense et de sécurité, la présentation faite aux auditeurs n’aura pas surpris en prolongeant les échanges réalisés avec le Belgrade Centre for Security Policy d’une part et en reprenant souvent des analyses partagées par nos instituts de recherche ou nos universités spécialisées dans les relations internationales d’autre part. Evidemment, un point spécifique fut consacré au Kosovo et Métochie, principal point d’achoppement avec les pays ayant reconnu cet État.

En ajoutant Métochie, nos interlocuteurs serbes nous rappellent le lien extrêmement fort de cette province avec le berceau de l’église orthodoxe serbe. A n’en pas douter, ce sujet reste très présent dans les esprits et le restera probablement dans l’avenir. Dans une région fragmentée lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, il apparaît très difficile d’établir une harmonie régionale avec des peuples eux aussi dispersés par cette fragmentation. A cet égard le sujet de la Bosnie-Herzégovine, lui aussi, est très sensible au regard de la stabilité régionale.

Pour poursuivre cette approfondissement géopolitique, les auditeurs ont eu la chance de se rendre au ministère des affaires étrangères. Il est situé à proximité du quartier général des forces yougoslaves bombardé en 1999 et resté en l’état. Un symbole en somme pour ne pas oublier cet événement considéré comme une véritable agression contre la Serbie. 

Madame Dijana Ivancic, vice-ministre des affaires étrangères, le rappellera aux auditeurs tout en déclarant la volonté stratégique de la Serbie d’adhérer à l’Union européenne. Dans un discours ciselé prononcé en français, les auditeurs auront pu décrypter de précieux messages très utiles à leurs travaux. Ils auront entendu cette lassitude d’un pays candidat mal à l’aise avec la lenteur d’un processus d’adhésion qui pourrait s’interrompre à tout moment. Ce message est très présent. Dans la reconfiguration géopolitique du monde à laquelle nous assistons, il ne faut pas en négliger la portée.

Pour clore ce séminaire et avant de profiter d’un déjeuner débat animé par Monsieur Stanislav Stretenovic, historien francophone, les auditeurs ont été accueillis par Monsieur Pierre Cochard, ambassadeur de France près de la République de Serbie. Cette ambassade se distingue par son architecture Art-Déco des années 1930 avec un édifice surmonté par trois statues faisant référence à la liberté, l’égalité et la fraternité. A lui seul, ce bâtiment vaut le déplacement.

L’intervention remarquable du premier représentant français a résonné comme une synthèse de l’ensemble des séquences présentées antérieurement. Elle n’aurait bien sûr pas suffi à elle-seule mais elle a fourni cet écho nécessaire et attendu de la position française sur tous les dossiers portés par notre pays dans une région à bien des égards stratégique pour l’avenir de l’Europe.

L’occasion m’est donnée ici de saluer l’appui précieux de l’ambassade de France dans la réalisation de cette mission d’étude. Elle me permet aussi de remercier très chaleureusement le colonel Pierre Desjeux et Monsieur Olivier Buchbinder qui nous ont constamment aidés dans la construction d’un magnifique programme. Quant à cette phrase d’entrée en matière où il est écrit sur un monument « Aimons la France comme Elle nous a aimés ». Au-delà de nous faire plaisir, elle devrait nous inspirer…

[1] Lixiviat : Produit de la dissolution des matières organiques et des éléments traces (métaux lourds, polluants organiques et chimiques, radionucléides…). Source de pollution des sols et des eaux y compris souterraines.

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