Septième Séminaire de la 34ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques/ Cadres-Dirigeants : Istanbul : Voyage d’études

« Si le monde était une nation, Istanbul en serait la capitale » Napoléon Bonaparte


Alors que le thème retenu pour structurer l’ensemble des travaux académiques de la 34ème
session méditerranéenne des hautes études stratégiques/Cadres-dirigeants porte sur « les
conséquences en Méditerranée de la guerre en Ukraine » le choix d’une destination pour le voyage
d’étude de la session n’a pas longtemps fait débat. Il s’agissait de trouver la zone, le pays et la ville
où ces conséquences sont à la fois les plus nettes, les plus perceptibles et les plus fortes. Par sa
position exceptionnelle sur le détroit du Bosphore, là où la Méditerranée se mêle à la Mer Noire et
où l’Europe embrasse l’Asie, Istanbul s’est très rapidement imposée comme la destination
évidente. C’est donc dans cette incomparable métropole que la 34ème SMHES/Cadres-dirigeants
est arrivée le 03 avril pour un voyage d’études intense car concentré sur deux journées pleines.


Dès leur arrivée à l’aéroport d’Istanbul, les auditeurs ont pu prendre la mesure de cette
ville unique au monde. Il faut dire que les infrastructures aéroportuaires impressionnent. Cet
aéroport est en effet à ce jour le plus grand du monde en terme de capacité. En 2028, lorsqu’il sera
complètement achevé, il sera doté de 6 pistes et pourra accueillir 200 millions de passagers par
an. Lorsqu’on se remémore aussi que la compagnie nationale turque «Turkish Airlines » figure
parmi les cinq premières mondiales en termes de nombre de destinations desservies et de
passagers transportés, on comprend mieux l’importance géopolitique d’Istanbul et de la Turquie.


Istanbul, anciennement connue sous le nom de Byzance puis de Constantinople, est la plus
grande ville de Turquie. Elle est son centre économique, culturel et historique. La ville chevauche
le détroit du Bosphore, située à la fois en Europe et en Asie et compte une population de plus de
16 millions d’habitants, soit 19% de la population de la Turquie. En outre, Istanbul est la ville
européenne la plus peuplée et la 15ème plus grande ville du monde. Son histoire est ancienne car elle a été fondée sous le nom de Byzance sur le promontoire de Sarayburnu vers l’an 667 avant Jésus Christ. et, son influence et sa population allant grandissant, elle est devenue l’une des villes les plus importantes de l’histoire mondiale. Depuis sa refondation sous le nom de Constantinople en 330 après Jésus Christ, Istanbul est successivement devenue capitale des empires romain et byzantin (330-1204 / 1261-1453), latin (1204-1261) et ottoman (1453-1922). C’est également l’un des berceaux du christianisme primitif puis orthodoxe. Après la chute de Constantinople tombée aux mains des Ottomans en 1453, la ville est devenue le siège du califat ottoman et s’est peu à peu islamisée, sans pour autant se défaire de ses influences chrétiennes. Istanbul a été et est toujours un creuset culturel, ethnique et religieux. Par
conséquent, la ville compte de nombreuses mosquées, églises, synagogues et monuments
historiques qui valent le détour. Pour ces raisons, l’UNESCO a déclaré les quartiers historiques
d’Istanbul site du patrimoine mondial en 1985.


La vieille ville s’étend le long des deux rives de la Corne d’Or. Cette baie étroite en forme
de corne était le port primitif de la ville. Au sud de la Corne d’Or se trouve l’ancienne Byzance et
au nord furent installés les entrepôts et les habitations des marchands étrangers (quartier de
Gálata, aujourd’hui Karaköy), principalement génois, qui forme un second noyau ancien. La ville
moderne est naturellement bien plus vaste et s’étend sur les deux rives (européenne et asiatique)
du détroit. En tant qu’ancienne capitale des empires byzantin et ottoman, Istanbul fut
probablement, jusqu’au XVIe siècle, la ville la plus civilisée et cosmopolite au monde. À ce titre,
elle possède des monuments extraordinaires : églises, hippodrome, mosquées Süleymaniye et
Sultanahmet, palais de Topkapı, etc. Même si le tourisme était loin d’être le principal objectif du
séjour stambouliote de la 34ème SMHES/Cadres-dirigeants, les auditeurs, dont certains étaient
accompagnés par leur conjoint, ont néanmoins pu profiter de la découverte de quelques-uns de
ces trésors.


Afin de poser le décor et les éléments de compréhension essentiels, le voyage d’études de
la 34ème SMHES/Cadres dirigeants a fait une première étape à l’institut français d’études
anatoliennes (IFEA) situé à proximité du Palais de France et du Consulat Général de France. L’IFEA
est l’un des 21 instituts et centres de recherches français à l’étranger dépendant de la Sous-direction des Sciences Sociales et Humaines de la Direction Générale des Relations Culturelles,
Scientifiques et Techniques du Ministère des Affaires Étrangères. C’est un établissement d’accueil
et de recherche pluridisciplinaire dont le domaine d’activité s’étend, chronologiquement de la
préhistoire à l’époque contemporaine et géographiquement au territoire de la République de
Turquie et, d’une manière générale, au monde ottoman, voire turc partout où n’est pas déjà
implanté un institut français analogue. À côté des programmes de recherche personnels de ses
membres, l’IFEA développe ses propres programmes, ponctuels ou permanents, seul ou en
collaboration avec d’autres institutions scientifiques françaises, turques ou de pays tiers. Outre sa
vocation archéologique, l’institut offre donc une plate-forme privilégiée à des chercheurs
spécialisés. C’est grâce au Professeur Yohanan Benhaïm, responsable des études contemporaines
au sein de l’IFEA, que les auditeurs ont pu d’emblée se plonger dans un panorama passionnant de
la politique intérieure et extérieure de la Turquie contemporaine. Dans une intervention de trois
heures qui a paru bien trop brève tant elle était passionnante, les auditeurs ont pu mieux
comprendre les origines et les grandes tendances de la politique intérieure et extérieure turque
et expliquer la logique de ce qui paraît souvent, vu depuis la France et l’Europe, être des positions
ambigües ou ambivalentes. L’attitude et le positionnement de la Turquie à l’égard de l’UE, de
l’OTAN, de la Russie et de son voisinage immédiat ne peuvent en effet pas se comprendre sans les
références douloureuses que sont le Traité de Sèvres et les divers épisodes du démantèlement de
l’empire ottoman. De même, bien connaître et comprendre la nature profonde et les objectifs
précis du virage politique et culturel que Mustapha Kemal Atatürk fit prendre à la toute jeune
république de Turquie permet une lecture bien plus fine et nuancée du paysage politique actuel
du pays. Au bilan, les auditeurs ne pouvaient pas espérer meilleure introduction à leur bref voyage
d’études et ils sont ressortis complètement transformés de ces trois heures de conférence.
L’immense culture et l’impressionnant talent pédagogique du Professeur Benhaïm resteront
longtemps dans les mémoires des auditeurs de la 34ème SMHES/Cadres-dirigeants.


Après ce démarrage en fanfare, la journée s’est poursuivie dans le décor prestigieux du
Palais de France. Le Palais de France incarne la longue amitié, vieille de presque cinq siècles, entre
la France et la Turquie. Cette relation débuta précisément en 1536 lorsque Soliman le magnifique
et François Ier nouèrent contre Charles Quint la première alliance stratégique de l’histoire. Le
sultan accorda alors à la France un terrain pour y construire son ambassade ainsi que des
privilèges pour les marchands et les catholiques français. Le palais a brûlé à plusieurs reprises. Le
bâtiment contemporain est l’œuvre de l’architecte Pierre- Léonard Laurécisque et il a été construit
entre 1839 et 1847. C’est la résidence de l’ambassadrice de France lors de ses déplacements sur
zone et celle du consul général de France à Istanbul. Les pièces de réception du palais sont
magnifiquement décorées, les tapisseries des Gobelins, des vases précieux et des lustres
flamboyants reflètent le style à la française. Enfin le jardin du palais est à l’avenant. Outre une
superbe vue sur la Bosphore, il est orné de bustes byzantins, de fontaines ottomanes, de statues
baroques, d’un puits de marbre blanc sans oublier des cycas, phénix, jasmins, citronniers et tilleuls
centenaires. L’ensemble, palais et jardin, dégage une profonde impression de calme et de
raffinement et c’est dans cet écrin que le consul général de France à Istanbul a donné aux auditeurs
une riche conférence sur l’histoire de la relation franco-turque et celle de ses évolutions
contemporaines. Le consul général a souligné la persistance des grands axes qui structurent la
relation franco -turque depuis ses débuts : un axe stratégique, un axe commercial et enfin un axe
culturel. De nos jours, ces piliers sont toujours présents. Dans le domaine stratégique, la Turquie
en tant que membre influent de l’OTAN reste un acteur stratégique important pour la France et
son positionnement à l’égard des crises et des conflits régionaux est déterminant pour l’Alliance
atlantique comme pour notre pays. Sur le plan commercial et on ne le sait pas assez, la Turquie
est un partenaire majeur pour la France tant par le nombre important d’entreprises françaises qui
opèrent dans le pays que par les flux de capitaux et de biens qui s’échangent entre la France et la
Turquie. Souvent oubliée, la dimension de la relation culturelle doit également être citée. Incarnée
par le nombre et le dynamisme des établissements publics et privés qui enseignent le français et
en français à Istanbul, à Ankara, à Izmir et dans d’autres grandes villes, cette dimension se mesure
également par l’importance des mouvements de personnes entre la Turquie et la France.
Rappelons que la France compte une diaspora turque ou d’origine turque forte de 700 000
personnes et que les échanges sont fréquents entre deux pays situés à trois heures de vol l’un de
l’autre. Les 1000 visas délivrés tous les jours par les consulats français en Turquie témoignent de
la vigueur de ces échanges. Au terme de cette conférence aussi dense que celles de la matinée tout
en étant très complémentaire, les auditeurs ont retenu l’importance de la relation de notre pays
avec un partenaire essentiel mais aussi compétitif. La relation n’est pas toujours simple et des
pommes de discorde existent mais de part et d’autre se lit l’intention de trouver les voies et les
moyens de renforcer une relation bilatérale unique par sa nature, ses ambitions et sa longue
histoire puisqu’elle remonte au XVIème siècle. A l’issue de la conférence, le consul général a tenu
à nous faire lui-même l’honneur de visiter les lieux. Ses explications détaillées et ses
commentaires érudits ont éclairé les auditeurs sur les nombreux joyaux, décrits plus haut, que
renferme ce palais.


Après une première journée consacrée à entendre la parole de Français sur la Turquie et
sur la thématique qui a conduit la 34ème SMHES à Istanbul, la seconde, celle du vendredi 06 avril a
été conçue afin d’entendre aussi les Turcs s’exprimer sur cette même thématique et sur d’autres
aspects qui leur paraissent importants notamment dans le positionnement stratégique et
géopolitique de leur pays. A cette fin, la session a été reçue dans la matinée par l’Université de
Défense Nationale. La mission officielle de cette institution crée en 2016 est la suivante « éduquer
et former les officiers et sous-officiers de haut niveau dont les forces armées turques ont besoin.
Loyaux envers leur patrie, leur nation, leur État et les principes du droit démocratique, laïc et social
de l’État, ces cadres doivent avoir le sens du devoir, de l’honneur de la loyauté et de la responsabilité.
Ils doivent avoir intégré les principes et les réformes d’Atatürk tout en étant intellectuellement
épanouis et confiants. L’université de Défense contribue au potentiel scientifique et culturel des forces
armées turques et du pays par l’intermédiaire des recherches, des publications et des
recommandations dans le domaine de la défense, de la stratégie et cela au niveaux national et
international. » Son implantation au cœur d’Istanbul et ses bâtiments grandioses témoignent de la
place d’importance que tient cette université au sein du ministère turc de la défense. Accueillis
par le Vice-Amiral Vice-recteur de l’université et par ses très nombreux collaborateurs, les
auditeurs ont suivi trois conférences au cours de cette matinée. La première, très classique a été
consacrée à l’université en elle-même, à ses missions et son organisation. La seconde a décrit les
forces armées turques : leurs missions, leur organisation, mais aussi les défis qu’elles affrontent :
recrutement et attractivité du métier des armes ainsi que les menaces qu’elles perçoivent. Parmi
ces dernières le terrorisme d’origine kurde est celle qui est le plus souvent revenue dans le
discours. La dernière conférence enfin a porté sur la perception turque des conséquences de la
guerre en Ukraine, thème qui est celui qui structure la réflexion et les travaux de la session. Les
recompositions géopolitiques régionales et plus globales sont assez naturellement au centre des
analyses des officiers et des chercheurs de l’université de défense qui se sont exprimés à cette
occasion. Néanmoins, ils ont insisté sur le rôle et l’évolution de deux pays voisins : la Syrie et l’Irak
avec en filigrane la question kurde qui reste, dans la bouche de tous les interlocuteurs, la difficulté
centrale voire obsessionnelle pour la Turquie.


Enfin, après cette séance édifiante dans les murs de l’Université, le dernier après-midi a
conduit les auditeurs au musée Rahmi M. Koç où se trouve, à bord d’un superbe bateau à vapeur
amarré à demeure, le think tank du Vice-Amiral en retraite Cem Gürdeniz. Cet amiral de la marine
turque, aujourd’hui en retraite, s’est adressé à la session sur le thème de la géopolitique maritime
de la Turquie. Père de la théorie de la « Patrie bleue » l’amiral Gürdeniz a exposé et argumenté ses
vues personnelles sur la manière dont la répartition des responsabilités (eaux territoriales et
zones économiques exclusives notamment) doit être redistribuée dans le domaine maritime
environnant. Ce qui marque dans ces explications, c’est leur caractère très argumenté et leur
logique puissante. A travers cette approche, les auditeurs ont mesuré les ambitions et le caractère
résolument assertif de certaines figures de l’intelligentsia turque tout comme les argumentaires
sur lesquels elles s’appuient. Il en ressort l’image de personnalités influentes qui estiment que leur
pays est victime des décisions prises par les grandes puissances pour démanteler l’empire
ottoman il y a un siècle et qui, de ce fait aspirent à réviser les choses voire à bousculer l’ordre
établi. A l’issue de cet exposé tout à la fois passionnant et déstabilisant le Vice-Amiral Gürdeniz a
tenu à faire lui-même fait les honneurs du musée Rahmi M. Koç, au sein duquel son think tank est
situé, à tous les membres de la session. Ce musée privé est consacré à la technologie des transports
et à ses évolutions entendues au sens large et on y trouve pêle-mêle mais dans d’excellentes
conditions d’exposition des trains, des voitures, des avions, des bateaux, des machines à vapeur,
des moteurs de hors-bord et des ordinateurs datant du début de l’informatique !


C’est par cette visite pittoresque ainsi que se sont achevées ces deux journées, hélas trop
courtes, passées à Istanbul. L’objectif de ce voyage d’études était de faire sentir et comprendre aux
auditeurs de la 34ème SMHES/Cadres- dirigeants à quel point et pourquoi la Turquie est un pays
important dans le jeu des recompositions géopolitiques à l’œuvre au niveau régional comme au
niveau mondial. En entendre les raisons de la bouche d’experts français, aussi qualifiés fussent-ils, était alors indispensable mais n’était pas suffisant. C’est la raison pour laquelle la seconde
journée du séjour a été exclusivement consacrée à des intervenants turcs. Ceux de l’université de
défense dans un premier temps qui ont délivré un discours institutionnel très cadré et normé d’où
ressortent clairement des tendances fortes avec notamment la centralité de la question kurde
dans tous les aspects qu’elle recouvre. Le Vice-Amiral en retraite Gürdeniz ensuite qui n’a, quant
à lui, pas du tout mâché ses mots. Dans une intervention dont la forme et le cadre sont restés très
amicaux et chaleureux, il a démontré pourquoi et comment, selon lui, la Turquie doit rebattre les
cartes de la répartition des zones en méditerranée orientale, en Mer noire et dans le mer Egée en
osant remettre en cause un ordre établi sur des bases qu’il juge injustes et contestables. Au bilan,
au fil de ces deux journées denses mais bien différenciées, les auditeurs de la 34ème
SMHES/cadres dirigeants auront entendu des points de vue à la fois complémentaires et
dissonants. Certains ont même été hétérodoxes. C’est sans doute un moyen efficace pour, en peu
de temps, balayer les poncifs et les raccourcis et ainsi mieux approcher le kaléidoscope de la
réalité riche et complexe de ce magnifique pays qu’est la Turquie

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