Ce séminaire, réalisé en présentiel, était évidemment très attendu par les auditeurs de la 31ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques. Après les rencontres organisées avec les Nations unies au mois de mai où ils ont pu apprécier les démarches engagées par cette instance dans sa dimension multilatérale, cette rencontre avec les instances européennes leur a permis d’appréhender les grands enjeux de défense portés par l’Union européenne d’une part et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord d’autre part ainsi que les dossiers environnementaux de la Commission européenne. Si la dynamique du multilatéralisme, à l’échelle mondiale, est ralentie sans doute par l’effet d’une redéfinition de l’équilibre des puissances, la solidarité européenne est, elle aussi, assez fragile comme cela fut démontré dans la gestion de la crise migratoire ou dans celle de la COVID 19 avec des approches pour le moins asynchrones.
Les auditeurs de la 31ème SMHES ont pu vérifier que le dynamisme européen ne se manifeste finalement que par l’engagement résolu des Etats membres dans les dossiers portés aux différents niveaux des instances européennes. Un facteur dominant se dégage donc de cette visite à Bruxelles où l’Europe doit faire face à de nombreux défis dans un monde qui change très vite. Ce constat renvoie aux publications [simple_tooltip content=’L’Europe au défi – Le monde change’][1][/simple_tooltip] rédigées par l’institut FMES, au cours de l’année 2020, qui soulignent quelques éléments clés de ces défis auxquels il nous faudra répondre. Enfin, même si ce séjour n’était pas pleinement consacré au strict volet environnemental, il a permis de disposer d’une approche globale des grandes questions européennes. Dans les faits, il répond parfaitement aux attentes de nos auditeurs particulièrement fortes en matière d’analyses géopolitiques.
La matinée du 1er juillet fut consacrée à une première approche relative aux questions de défense et de sécurité de l’OTAN. Le capitaine de vaisseau Denis Camelin de la représentation militaire française s’est livré à cet exercice et a dressé l’état des principaux défis à relever par Alliance atlantique au lendemain du Sommet réalisé au mois de juin dernier. Instance où le consensus des Etats membres s’impose et où rien n’est jamais acquis, cette organisation repense sa stratégie alors que les engagements militaires se réduisent en volume, notamment avec le retrait américain d’Afghanistan.
Un constat s’impose au terme de 70 ans d’existence et il fut rappelé lors de la célébration de cet anniversaire de l’OTAN à Londres: l’Alliance Atlantique est la plus solide et la plus réussie des alliances de l’histoire. Elle continue de garantir, sans faillir, la démocratie et ses valeurs ainsi que la liberté individuelle, les droits de la personne et l’Etat de droit. L’OTAN reste en somme le fondement de la défense collective et l’organisation essentielle de prise de décisions pour les Alliés pour traiter les questions de défense et de sécurité. Elle dispose en outre de nombreuses structures implantées en Europe pour conduire ses opérations, à commencer par le SHAPE (Supreme Heardquarters Allied Powers Europe) ainsi que les Joint Force Command à Naples et Brunssum pour les états-majors interarmées et Northwood, Ramstein ou Izmir pour les états-majors de composantes maritimes, aériennes et terrestres ; une organisation éprouvée et rôdée au fil du temps depuis les lendemains de la Seconde guerre mondiale.
En début d’après-midi, la dimension sécuritaire de la politique européenne a été au cœur des sujets présentés par le service européen pour l’action extérieure (SEAE). Ce service, organe diplomatique institutionnel de l’Union européenne placé sous l’autorité du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, est la voix de l’Europe à Bruxelles et à l’extérieur. Il était donc très intéressant de poursuivre les présentations des outils de défense et de sécurité en s’intéressant à l’outil du SEAE qui se consacre aux opérations militaires et aux missions civiles de l’Union européenne. Le directeur des opérations militaires au sein de l’état-major de l’Union européenne (External European Military Staff), dont le rôle est de planifier et de conduire des opérations militaires sous le drapeau européen ou en coopération avec l’Alliance atlantique, a tenu à recevoir les auditeurs de la session accompagné de ces principaux collaborateurs. Près de 5000 personnes, militaires et civils sont déployées pour des opérations ou des missions extérieures, au Mali, en République Centrafricaine, en Somalie et au Kosovo avec l’opération EUFOR Althéa réalisée selon les accords dits de Berlin plus, soit avec la participation d’un état-major de l’OTAN.
Pour une structure de taille modeste d’environ 200 personnes en comparaison du format des institutions européennes qui ne comptent pas moins de 40 000 fonctionnaires, le niveau d’engagement est plus que respectable et presque équivalent à celui de l’OTAN au lendemain du désengagement des militaires d’Afghanistan qui avoisinera un peu plus 9 500 hommes sur le terrain. Rappelons ici que 4 000 personnes travaillent à temps plein au siège de l’OTAN et 500 personnes servent l’état-major militaire international. Au-delà des opérations emblématiques européennes telles que l’opération de lutte contre la piraterie en océan Indien Atalanta, la dernière opération lancée en Méditerranée a été présentée aux auditeurs. Il s’agit de l’opération EUNAVFOR Irini dont la vocation est d’imposer un embargo sur les armes à la Libye. Ce rendez-vous a indéniablement permis aux auditeurs de mesurer les défis qui s’imposent à l’Europe, notamment dans la mise en avant d’une défense européenne dans laquelle la plupart des Etats sont aussi membres de l’OTAN.
Cette séquence s’est logiquement poursuivie au SEAE dans une dimension plus politique consacrée aux enjeux environnementaux en Méditerranée. Madame Georgia Papagiani a ainsi pu souligner les facteurs déterminants des évolutions environnementales pouvant influencer les relations entre les Etats. En première approche, le bassin méditerranéen, déjà très exposé, le restera à moyen terme même si les objectifs européens sont ambitieux, notamment avec le Green Deal. Il restera sans nul doute à mesurer l’engagement des Etats qui devront en supporter les coûts financiers au lendemain des crises financière de 2008 et sanitaire toujours en cours. L’Europe sera bien au défi et la Méditerranée sera très exposée aux risques nouveaux induits par une tension sur les ressources quelles qu’elles soient et d’inévitables flux migratoires d’origine climatique.
La matinée du vendredi 2 juillet était réservée à la représentation permanente de la France à l’Union européenne. Le colonel François Aunis a réalisé une présentation très complète. Il s’est par ailleurs livré à un exercice d’évaluation des auditeurs de la session, très bien accueilli par ces derniers, à partir d’un questionnaire établi par l’Union européenne permettant ainsi de mesurer certaines lacunes y compris chez ceux pour qui ce sujet semblait presque acquis. C’est une manière habile de souligner la complexité du dossier européen relatif à la défense et la sécurité qui s’est construit, non sans peine, depuis les traités de Dunkerque et de Bruxelles en 1947 et 1948. C’est finalement sous l’impulsion du président Jacques Chirac et du Premier ministre Tony Blair lors du Sommet de Saint-Malo en 1998 qu’a été officiellement créée la politique européenne de sécurité et de défense. Le poste de Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (HR PESC) en est une conséquence pour faciliter le dialogue avec les autres acteurs internationaux. Enfin, une nouvelle étape a également été atteinte lors de l’établissement des accords de « Berlin Plus » (2003), qui visaient à permettre à l’UE d’utiliser les structures militaires de gestion de crise de l’OTAN. Il était alors légitime de mettre en œuvre un outil pour agir à l’extérieur avec le SEAE évoqué antérieurement. Il suffit, en quelque sorte de retenir que ce Haut représentant compose sur deux segments particuliers, le premier au titre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union européenne (PESC) permettant à l’Europe de tenir son rang dans le champ diplomatique et le second relatif à la politique de sécurité et de défense (PSDC) lui permettant de couvrir le volet opérationnel militaire et civil de cette politique étrangère et de sécurité commune. Enfin, il faut noter que les Etats membres ont entamé une réflexion autour de ce que les cercles bruxellois appellent une boussole stratégique (Strategic Compass). Concrètement, il s’agit d’un Livre blanc qui doit permettre d’élaborer une forme de stratégie globale de l’UE en matière de sécurité et de défense à l’horizon 2030 et s’organise autour de quatre volets : gestion de crise, résilience, développement capacitaire et partenariats. Au terme de cette présentation, les auditeurs amélioreront sans conteste le test d’évaluation présenté sous de forme de QR code accessible en ligne.
Pour conclure ce volet de sécurité et de défense, c’est le vice-amiral d’escadre Henri Schricke qui a livré aux auditeurs sa vision des principaux enjeux d’un domaine stratégique clé. Singularité française, il couvre les deux grandes organisations, l’OTAN et l’Union européenne, en étant le représentant militaire français et donc représentant du chef d’état-major des armées. Il dispose donc d’une vision extraordinairement précise de ces structures. Les auditeurs ont réellement été impressionnés par la profondeur des analyses et ont mesuré toute la richesse d’un parcours consacré aux relations internationales après une expérience opérationnelle très riche. En un mot, une présentation remarquable donnant un éclat particulier à ce séminaire bruxellois.
L’après-midi fut consacré à la présentation de la Commission européenne. Elle a permis de mieux appréhender le rôle de la commission, organe exécutif de l’Union européenne, vis-à-vis des représentations nationales au sein du Conseil de l’Europe et du Parlement européen qui se partagent le pouvoir législatif.
Les auditeurs ont pu, à cette occasion, mesurer le pouvoir normatif de la Commission au travers des règles, directives et décisions qui en constituent les éléments dérivés structurant l’action européenne au sein des nations. La première intervention de la Commission était en relation directe avec le thème d’étude de la 31ème SMHES en abordant avec monsieur Patrick Wegerdt le Green Deal européen. La seconde, animée par madame Petya Genova, a recentré le débat sur le bassin méditerranéen. Ce fut l’occasion de mettre en avant la démarche environnementale européenne qui souligne une réelle ambition des Européens visant à faire de leur continent un continent climatiquement neutre d’ici à 2050. Cette approche est évidemment unique et doit susciter l’engagement des Etats membres qui ont tous souscrit aux actions en faveur de l’environnement de la COP 21 ou accords de Paris.
Pour clore ce séjour Bruxellois, il était intéressant d’échanger avec une référence internationale en matière de Think Tank. Nous avons sollicité le George C. Marshall European Center for security studies, l’un des cinq centres régionaux américains relevant du département d’Etat à la défense. Ce sont aussi des instruments de coopération bilatérale entre l’Allemagne et les Etats-Unis depuis leur création. Son vice-président à Bruxelles, monsieur Ian Lesser, est intervenu devant nos auditeurs. Son approche, qui a tenu compte des enjeux environnementaux, s’est voulue plus globale avec la vision de l’Etat du monde de la nouvelle administration américaine. Ce fut une rencontre d’excellence où les échanges ont été libres et ouverts, et l’occasion d’initier une relation plus soutenue entre ce centre de réflexion et l’institut FMES. A n’en pas douter, notre focus« Méditerranée et Moyen-Orient» a suscité un très vif intérêt.
En quittant la « Grand place » de Bruxelles que nos auditeurs ont pu pratiquer à l’envi au regard d’un contexte sanitaire moins tendu, nous retiendrons de ce séminaire la véritable richesse des échanges et des rencontres. Dans cet environnement qui change, les auditeurs sont désormais convaincus qu’il n’y a pas de plus grand risque que de rester immobile. Ils sont donc toujours en mouvement….