SÉMINAIRE À BRUXELLES DE LA 30ÈME SESSION MÉDITERRANÉENNE DES HAUTES ÉTUDES STRATÉGIQUES (SMHES)

Adenauer, Churchill, Schuman, Monnet, autant de noms donnés à des stations d’arrêt du tram, métro ou bus bruxellois dans une capitale européenne évidemment marquée par des hommes politiques prestigieux engagés au lendemain de la Seconde guerre mondiale à l’union des européens du vieux continent ! Pour les auditeurs de la 30ème session des hautes études stratégiques, la cartographie des transports bruxellois n’a presque plus de secret car ils ont eu la chance d’arpenter une partie de la ville pour aller à la rencontre des acteurs qui font vivre les grandes instances européennes et internationales. Sous un ciel chargé, définitivement décidé à nous rappeler que l’hiver existe encore, cette distance nous séparant de la Méditerranée s’imposait pour consolider l’analyse des relations entre l’Europe et la Chine en consultant les experts qui, à Bruxelles, assurent la mise en œuvre des dispositions européennes décidées par les membres de l’Union.  Car ne nous y trompons pas, le dynamisme européen se manifeste ici en reflet de celui voulu par les Etats membres.  En la matière, ce dynamisme pourrait paraître un peu fragile au regard des enjeux d’un monde qui change. Et ce monde change vite. Nous voilà donc revenu sur notre thème d’étude relatif aux risques et opportunités des nouvelles routes de la soie en Méditerranée. L’actualité, avec cet épisode inquiétant de risque pandémique lié au coronavirus, met d’ailleurs en avant un facteur de risque inattendu dont les conséquences pourraient peser sur la stratégie chinoise même s’il est encore un peu tôt pour en mesurer toutes les conséquences directes ou indirectes. Mais avant de mesurer les interactions entre l’Europe et la Chine, il était intéressant de rappeler aux auditeurs les mécanismes de fonctionnement de l’Europe.

La matinée du mercredi 26 février passée à la commission européenne n’a certes pas été suffisante mais elle s’est avérée utile et indispensable.  Elle a permis de mieux appréhender le rôle de la commission, organe exécutif de l’Union européenne, vis-à-vis des représentations nationales au sein du conseil de l’Europe et du parlement européen qui se partagent le pouvoir législatif. Les auditeurs ont pu, à cette occasion, mesurer le pouvoir normatif de la commission au travers des règles, directives et décisions qui en constituent les éléments dérivés structurant l’action européenne au sein des nations. La première intervention de la commission visait à bien comprendre l’articulation entre la voix de l’Union européenne, celle des Etats et celle des citoyens s’appuyant sur ce triangle institutionnel constitué de la commission, du conseil et du parlement. Si cette organisation paraît simple en première approche, sa mise en œuvre n’en reste pas moins complexe avec, au sein de la commission, quelques 30 000 fonctionnaires à la tâche. C’est finalement peu en volume au regard de ce que représente l’Union européenne dans son ensemble. Cette présentation fut suivie par une intervention centrée sur les relations entre l’Europe et la Chine. Sans surprise, c’est le prisme économique qui a dominé l’approche du conférencier. Cela s’inscrit donc dans une forme de continuité car cette dimension économique a sous-tendu la plupart des travaux européens dans un monde en paix depuis la fin de la Seconde guerre. Cette dimension a contribué à la stratégie de puissance de l’Europe. Sans doute faudrait-il aujourd’hui la repenser dans une dimension plus globale.

Pour conclure cette séquence à la commission, une présentation très dynamique et précise a été réalisée sur les enjeux énergétiques. Ce fut l’occasion de mettre en avant le Green Deal européen. A l’évidence cette démarche souligne une réelle ambition des Européens visant à faire de leur continent un continent climatiquement neutre d’ici à 2050.  C’est un véritable pacte vert pour l’Europe. Il est associé à un ensemble de mesures qui devrait permettre aux citoyens et aux entreprises de l’Union européenne de profiter d’une transition écologique durable. Ces mesures nécessitent également de stimuler la recherche et l’innovation de pointe afin de protéger l’environnement naturel de l’Europe. Au-delà, c’est aussi une impulsion donnée à une nouvelle stratégie de croissance dans une transition juste et socialement équitable. Cette approche européenne est évidemment unique et s’inscrit bien dans les traces des conférences internationales sur le climat, notamment celle de Paris. S’agissant des enjeux énergétiques, l’intervenant a finalement confirmé les présentations antérieures faites au cours des derniers séminaires sur le rôle et la place de la Chine dans cet environnement énergétique. A ce titre, il ne faut pas sous-estimer le niveau des investissements chinois réalisés dans ce domaine en Europe. Il ne faut pas non plus occulter le caractère stratégique de ces investissements. Quant au Green Deal, il revêt sans doute un caractère d’importance pour la nation chinoise très exposée aujourd’hui à des risques sérieux de pollution. Dans cette ambition des nouvelles routes de la soie, le développement et la recherche d’énergie nouvelle à faible émission de gaz à effet de serre constitue un objectif au travers des investissements consentis à l’extérieur.

En début d’après-midi, la dimension sécuritaire de la politique européenne a été au cœur des sujets présentés par le service européen pour l’action extérieure (SEAE). Ce Service, organe diplomatique institutionnel de l’Union européenne placé sous l’autorité du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, est la voix de l’Europe à Bruxelles et à l’extérieur. Sa portée, certes importante, révèle aussi la difficulté d’être à l’unisson sur les grands sujets sécuritaires qui concernent l’Europe. Il possède un réseau de plus de 140 délégations et bureaux dans le monde, chargés de promouvoir les valeurs de l’Union et de protéger ses intérêts. Il était donc indispensable de pouvoir en apprécier les outils, notamment l’état-major de l’Union européenne (External European Military Staff), dont le rôle est de planifier et de conduire des opérations militaires sous le drapeau européen ou en coopération avec l’Alliance atlantique.

Le directeur des opérations de cet état-major a tenu à accueillir lui-même les auditeurs de la session. Ses officiers ont ainsi pu présenter les ambitions d’une structure de taille modeste qui veille, à partir d’un flux d’informations provenant des pays membres, sur l’état du monde et le cas échéant doit planifier les interventions là où l’Union européenne doit tenir son rang. Ainsi, deux opérations intéressant le bassin méditerranéen ont été présentées, l’une visant à interdire le trafic d’armes à destination de la Libye et l’autre fixant les suites à donner à l’opération EUNAVFOR MED SOFIA pour laquelle une décision doit être prise sur les conditions de sa prorogation.

Cette opération, qui a évidemment secouru certains migrants en Méditerranée, vise surtout à empêcher les commanditaires d’une forme de commerce humain promettant à des migrants d’origine diverse de rallier l’Europe. Ce rendez-vous a permis aux auditeurs de présenter leurs premiers travaux sur les risques et opportunités des nouvelles routes de la soie en Méditerranée. Cet exercice, toujours difficile, a suscité un réel intérêt auprès de nos hôtes soulignant la qualité de la réflexion conduite et l’originalité des scénarii présentés.

Cette séquence s’est poursuivie au SEAE dans une dimension plus politique avec l’intervention d’un ancien ambassadeur présentant le rôle et les priorités du service européen pour l’action extérieure. Ce fut l’occasion de mesurer l’implication déterminée du Haut représentant pour les affaires étrangères de l’Union et la sécurité commune en charge de mise en œuvre de la politique de défense et de sécurité commune. Les avancées sont certes incontestables au regard des 16 missions civiles et militaires conduites par l’Union européenne. La légitimité des actions est toujours systématiquement recherchée auprès des Nations unies ou du pays sollicitant l’aide de l’Europe. Dans un monde qui change vite où la voie du multilatéralisme s’efface bien souvent devant le jeu des puissances, les enjeux de l’Europe dans les domaines de la sécurité et de la défense n’ont jamais été aussi forts et méritent d’être très largement relayés pour redonner à l’Europe toute sa place dans le concert des nations.

Au terme de cette journée bien remplie, les auditeurs allaient pouvoir apprécier l’engagement des autres acteurs européens responsables de la sécurité et de la défense auprès des autres grandes instances internationales installées à Bruxelles, en particulier l’état-major de l’OTAN. C’est donc au cours de la matinée du 27 février qu’ils furent accueillis dans la structure monumentale de l’état-major de l’OTAN installé à Ever. La représentation militaire française, en la personne de son représentant militaire de la défense adjoint, a dressé l’état des principaux défis à relever par Alliance atlantique dans un contexte où la nécessité de repenser la stratégie globale de cet outil s’impose. Elle s’impose notamment au regard de l’affaiblissement du multilatéralisme dans la gestion des affaires des membres de l’organisation transatlantique d’une part et par une bascule évidente du centre de gravité des intérêts de notre principal allié, lui-même, à la tête de la sécurité collective de l’Europe portée par cette organisation depuis sa création d’autre part.

Cette intervention a été suivie par celle d’un officier général, représentant national militaire français au sein du grand quartier général des puissances alliés en Europe, plus connu sous le nom de SHAPE pour Supreme Headquarters Allied Powers Europe, installé à Mons. Les auditeurs ont ainsi pu mesurer les capacités de cette structure de commandement totalement dédiée à la planification et la conduite des opérations. Comptant à son actif nombre d’opérations mené en associant non seulement les membres de l’OTAN mais aussi les partenaires associés, à l’instar de ceux ayant rejoint de l’ISAF (international Security Assistance Force) en Afghanistan, cet état-major dispose de tous les moyens ad-hoc pour conduire des opérations d’envergure. De plus, il peut compter sur toutes les structures implantées en Europe sous le nom de Joint Force Command à Naples et Brunssum pour les états-majors interarmées et à Northwood, Ramstein ou Izmir pour les états-majors de composantes maritimes, aériennes et terrestres. Une organisation éprouvée et rôdée au fil du temps depuis les lendemains de la Seconde guerre mondiale.

Pour clore ce séjour Bruxellois, il était intéressant d’échanger avec une structure originale, l’assemblée parlementaire de l’OTAN, créée en 1955 sous forme d’organisme interparlementaire consultatif dont la vocation est de rassembler des parlementaires de l’OTAN pour conforter le consensus parlementaire et public autour des politiques alliés. Sans entrer dans le détail du fonctionnement de cette assemblée parlementaire, il faut cependant souligner son rôle dans le renforcement des relations transatlantiques et dans l’apport d’analyses favorisant une meilleure compréhension des objectifs et missions de l’Alliance. Soulignons au passage que des travaux ont été conduits sur la persistance du défi russe, le Moyen-Orient et l’Afrique et sur l’essor de la Chine parmi d’autres sujets. Une façon de ramener nos auditeurs au cœur de leurs préoccupations avec leur étude sur les risques et opportunités des nouvelles routes de la soie en Méditerranée. Une belle manière, pour la 30ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques de reprendre la route !

En quittant nos stations de transport bruxelloises aux noms emblématiques des Pères fondateurs de l’Europe, nous pourrions méditer tranquillement ce que nous rappelait Jean Monnet qui compte parmi ces grands hommes européens : « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Pour les sessions méditerranéennes, cette réflexion sur l’avenir est, à elle seule, un facteur de changement…

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