« La décision a besoin d’un esprit de maître » Louis XIV
Le second séminaire de la 36ème session méditerranéenne des hautes études stratégiques/Cadres-dirigeants (36ème SMHES/ Cadres-dirigeants) s’est déroulé à Paris du 13 au 15 Novembre 2025. C’est la préparation à la prise de décision au niveau de l’Etat en matière de politique étrangère et de relations internationales qui en a été le thème principal. Arrivant assez tôt dans la formation, cette étape parisienne est toujours un rendez-vous majeur dans le parcours des auditrices et des auditeurs des SMHES/Cadres-dirigeants. En effet, cette étape vise à leur présenter les principaux organismes et directions de l’appareil d’Etat français qui participent aux fonctions stratégiques « connaissance et anticipation » et « prévention ». Après Istres et Cadarache où, en octobre, les auditrices et les auditeurs de la 36ème SMHES/Cadres-dirigeants ont abordé quelques aspects fondamentaux et structurants de la puissance d’un Etat : sa capacité à maîtriser ses ressources et son approvisionnement énergétique, sa volonté d’innover, les efforts qu’il consent pour préparer son avenir technologique et industriel, les outils de puissance et d’influence qu’il se forge ; il était donc opportun de poursuivre l’étude des facteurs de puissance de l’Etat en explorant quelques-unes de ses institutions qui œuvrent dans les domaines cardinaux que sont les relations diplomatiques et internationales. Ce séjour parisien prépare aussi le séminaire qui sera organisé à Bruxelles au mois de mars 2026 et qui donnera à la session une vision complémentaire, élargie et approfondie de l’ensemble des centres de décisions impliqués dans la mise en œuvre de la défense et de la sécurité collective à l’échelle de l’Union Européenne et de l’OTAN. Alors que la situation internationale présente une configuration particulièrement alarmante et sans équivalent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, venir ainsi à Paris à la rencontre des acteurs qui, au quotidien, proposent des options au pouvoir exécutif pour répondre aux multiples exigences d’un monde en pleine reconfiguration, avait donc beaucoup de sens pour une session dont le thème d’étude est : « la mer Noire, espace européen au carrefour des rivalités Est-Ouest et Nord-Sud ». Par ailleurs ce séjour a été l’occasion pour la 36ème SMHES/Cadres-dirigeants d’avoir un premier contact direct avec son parrain : Monsieur Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France au Sénégal, au Brésil et en Russie.

A l’instar de la session précédente, la première matinée du séminaire a ramené les auditrices et les auditeurs de la 36ème SMHES/Cadres-dirigeants sur les bancs de l’école et plus précisément sur ceux de l’IHEDN dans le bel écrin de l’École militaire. Un exercice d’application, organisé par la Direction de l’Enseignement et de la Recherche de l’IHEDN, a fait entrer les auditrices et les auditeurs dans la méthode qui doit guider leurs travaux sur le thème retenu pour cette année. Cette matinée passée à l’IHEDN a été particulièrement utile pour leur apprendre à jongler avec les paramètres et les variables qui structurent la démarche d’élaboration de scenarii prospectifs. La session a aussi pu constater à quel point le partenariat académique avec l’IHEDN est solide et performant même si, à partir d’une méthode commune, les objectifs poursuivis par nos sessions respectives diffèrent. Alors que la session nationale/politique de défense de l’IHEDN cherche à envisager des stratégies françaises sur des problématiques qui touchent directement notre pays, l’approche des SMHES est plus large et davantage axée sur la prospective géopolitique. Concrètement et à partir d’une méthode partagée par les deux instituts, cette différence se manifeste par le fait que, pour l’IHEDN, les scenarii prospectifs ne sont qu’une étape intermédiaire permettant de développer ensuite stratégies et recommandations destinées à des autorités françaises. Pour les SMHES, ces scenarii beaucoup plus développés sont l’objectif principal destiné à mettre en lumière et à documenter précisément et de manière prospective les dynamiques géopolitiques à l’œuvre à l’échelle de la région étudiée.

Après cette matinée studieuse et un déjeuner pris au mess des Invalides, la session s’est ensuite dirigée vers le centre de conférences du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE) où les auditrices et les auditeurs ont été reçus par deux diplomates appartenant au Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS). Au cours d’un passionnant exposé fait à deux voix, l’organisation et les missions de ce centre ont été expliquées et tout particulièrement son rôle volontairement disruptif et décalé par rapport au travail et aux positions des directions thématiques ou géographiques du ministère. Ensuite, pour bien coller au thème d’étude de la session, les orateurs ont davantage détaillé les problématiques liées à la mer Noire et aux tensions qui s’y nouent. La séquence de questions-réponses qui a suivi a permis à l’auditoire de décrypter le jeu des grands acteurs régionaux de la région et l’orientation que peuvent prendre les crises et les conflits qui la déchirent. En définitive, cette après-midi passée au contact de diplomates français expérimentés a ouvert les yeux des auditrices et des auditeurs de la 36ème SMHES/Cadres-dirigeants sur la mission cardinale du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Il porte la voix et la vision de la France hors de ses frontières tout en tenant le gouvernement précisément informé de l’état et de l’évolution du monde. Vaste et exigeante mission qui oblige celles et ceux qui la remplissent à un travail de veille incessant face à l’imprévu et à l’inattendu. « Connaissance et anticipation » s’obtiennent à ce prix et doivent beaucoup à notre réseau diplomatique tout comme à la qualité et à l’abnégation de ses agents.


Après une soirée studieuse qui a permis aux trois comités de se réunir pour désigner leurs responsables respectifs et débuter leurs travaux, c’est dans les somptueux salons du gouverneur militaire de Paris que la session s’est retrouvée le lendemain pour y entendre une série de conférences. Situés à l’Hôtel national des Invalides, ces salons sont des espaces prestigieux qui accueillent des événements culturels et caritatifs, tout en offrant des visites guidées exceptionnelles. L’Hôtel national des Invalides, où ces salons se trouvent, est lui-même un site emblématique qui a été établi par Louis XIV. Ce lieu a une riche histoire militaire et abrite le musée de l’Armée, qui est l’un des musées les plus visités de France, attirant plus de 1,3 million de visiteurs par an. Le gouverneur militaire de Paris, officier général de haut rang qui est responsable de la défense de la capitale, utilise ces salons pour des événements officiels et des réceptions. À l’occasion des journées du patrimoine, les salons ouvrent régulièrement leurs portes au public pour des visites guidées. Elles permettent au public de découvrir le bureau du général, le grand hall et les salons d’apparat, tout en étant guidé par des militaires et des réservistes citoyens. C’est une occasion unique d’explorer ces espaces d’exception. Les salons accueillent également divers événements culturels et caritatifs. Par exemple, des expositions-ventes d’œuvres d’art y sont régulièrement organisées pour soutenir les blessés des armées et les familles des soldats décédés en service. Ces événements permettent de collecter des fonds pour des causes importantes tout en mettant en avant des artistes. Le cœur de cet espace, le grand salon, qui est une salle centrale de l’Hôtel des Invalides, est particulièrement remarquable. Avec ses grandes baies vitrées, il offre une vue imprenable sur la cour d’honneur et le Dôme doré des Invalides. Ce salon peut accueillir jusqu’à 300 personnes pour des cocktails et est souvent utilisé pour des événements prestigieux. Les salons du gouverneur militaire de Paris sont non seulement des lieux de pouvoir militaire, mais aussi des espaces culturels dynamiques qui jouent un rôle important dans la vie sociale et artistique de la capitale. Les visites guidées et les événements qui s’y déroulent offrent une opportunité unique de découvrir l’histoire et la culture française dans un cadre exceptionnel. C’est dans ce lieu que la 36ème SMHES/Cadres dirigeants a eu le privilège de passer la journée du 14 Novembre. Cette journée a débuté par une conférence sur le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Rouage essentiel du fonctionnement de l’Exécutif et placé sous l’autorité du Premier ministre, le SGDSN a une mission centrale de coordination et de synthèse entre les ministères et cette mission s’exprime tout particulièrement par les Conseils de défense que le SGDSN prépare, conduit et dont il suit la mise en œuvre des décisions. Particulièrement utiles pour décider vite et bien en situation de crise et d’urgence tout en assurant le secret le plus absolu des débats, les conseils de défense sont de plus en plus fréquemment utilisés par l’Éxécutif. Plus particulièrement tourné vers les questions de défense et de sécurité, le SGDSN est donc un organe singulièrement important pour coordonner la réponse du gouvernement face aux crises et aux chocs nationaux et internationaux comme ceux des conflits au Proche et Moyen-Orient ; des turbulences en Afrique ou de la guerre en Ukraine.


S’agissant ensuite du ministère des armées, les auditrices et les auditeurs ont pu tout d’abord entendre un représentant de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Figurant, avec le Secrétariat général pour l’administration (SGA), la Délégation générale de l’armement (DGA) et l’EMA, parmi les quatre organismes subordonnés directs du ministre des armées, la DGRIS est l’instance de pilotage du ministère des armées en matière de stratégie et de relations internationales. C’est à cette direction qu’échoit, en coordination étroite avec le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, la gestion des relations de la France avec ses partenaires en matière de défense que ce soit dans un cadre bilatéral ou dans celui d’alliances, comme l’OTAN, auxquelles la France est partie. Le représentant de la DGRIS a dressé un tableau complet des missions de sa direction notamment en matière de stratégie et de prospective tout en faisant un focus sur la mer Noire et son espace environnant ; éclairant ainsi pour la session la zone qui constitue son thème d’étude.


A l’issue d’un déjeuner au mess des Invalides, la session a eu le privilège d’entendre un universitaire chevronné, expert de la Russie et plus particulièrement de la géopolitique de ce pays sur son flanc sud et en mer Noire. Reprenant la volonté historique de la Russie d’accéder aux mers chaudes, l’intervenant a ainsi mis en lumière le caractère central de la mer Noire et de sa région dans la politique extérieure russe. Sa culture et les innombrables références historiques sur lesquelles il appuie son propos ont permis aux auditrices et aux auditeurs de la session de mieux comprendre les racines des tensions et des conflits qui touchent cette région et notamment les plus récents : celui d’Abkhazie dans les années 1990, celui d’Ossétie du Sud en 2008, celui de Crimée en 2014 et bien évidemment l’invasion de l’Ukraine en 2022. Cette conférence, bien que s’éloignant un peu de l’objectif global du séminaire, qui était d’approcher quelques organismes centraux qui participent aux fonctions stratégiques « connaissance et anticipation », a permis à la session, en profitant de son séjour à Paris, d’y entendre un très brillant expert de la zone qu’elle étudie. L’après-midi s’est ensuite terminée par une conférence donnée par l’un des officiers généraux du pôle relations internationales militaires de l’Etat-major des armées. Au cours d’une conférence très dense, l’orateur a décrit les missions et l’organisation de ce pôle et comment il articule son action avec celles de la DGRIS et du MEAE. Il a brossé un panorama complet de nos principaux partenaires en matière de relations internationales militaires, celui des alliances auxquelles la France est partie et enfin, il s’est appesanti sur la zone de la mer Noire. Trois des pays riverains de cette mer sont en effet membres de l’OTAN : la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie et deux : l’Ukraine et la Géorgie, aspirent à le devenir. A l’inverse la Russie est farouchement opposée à ces adhésions et elle fait de ces aspirations une pomme de discorde. La question de l’expansion de l’OTAN dans cette région est donc un point central des frictions et des conflits de la région et il est probable que cette question sera aussi à l’ordre du jour lorsque la 36ème SMHES/Cadres-dirigeants ira à Bruxelles en mars 2026 à la rencontre de l’UE et de l’OTAN.

Le lendemain matin, la dernière matinée du séminaire s’est déroulée dans les locaux parisiens de la Caisse nationale militaire de sécurité sociale, qui les a généreusement mis à la disposition de la FMES pour une ultime conférence portant sur la guerre en Ukraine. Prononcée par un expert renommé, cette conférence visait à donner aux auditeurs une connaissance et une compréhension approfondies du déroulement de cette guerre, de ses enjeux stratégiques, opératifs et tactiques et de la façon dont ils ont pu varier au fil des différentes phases des combats. Son impact sur la région du thème étudié par la session justifiait d’essayer de mieux comprendre cette guerre de haute intensité dont la résonance est forte dans la région de la mer Noire mais aussi, comme le prouve l’actualité récente, au cœur même de l’Europe et de notre pays. Ce que vivent les Ukrainiens, la façon dont ils résistent et s’adaptent suscitent immanquablement des questionnements profonds. Profitant de la paix depuis 80 ans, serions-nous capables, militairement, économiquement et socialement, de supporter de semblables sacrifices ?
C’est ainsi que s’est achevé le second séminaire de la 36ème SMHES/Cadres-dirigeants. Visant à donner aux auditrices et aux auditeurs l’occasion de mieux comprendre pourquoi « connaissance et anticipation » est toujours la première citée dans l’énoncé des fonctions stratégiques qui structurent la défense et la sécurité de la France, il a spécifiquement été organisé autour de ces fonctions stratégiques. Sans elles, aucune autonomie d’appréciation et de décision n’est en effet possible. Hélas trois journées, aussi denses fussent-elles, ont été insuffisantes pour faire le tour d’un tel sujet mais fort heureusement, entre les séminaires, les auditrices et les auditeurs poursuivent leurs travaux et leurs recherches. Ils sont pour cela guidés et accompagnés par une solide équipe pédagogique composée de cadres de la FMES et de deux professeurs-chercheurs de l’Université de Toulon avec laquelle la FMES a un partenariat étroit. Les facettes de ce dernier sont multiples mais, pour les SMHES, ce partenariat se matérialise par l’attribution d’un diplôme universitaire en fin de session. Reconnaissance concrète de la qualité de la formation, ce diplôme s’articule en trois modules d’enseignement de 40 heures chacun et il s’appuie sur la notation d’une dizaine de travaux et d’examens écrits et oraux, individuels et collectifs. L’ensemble représente une somme de travail conséquente et demande beaucoup d’investissement aux auditrices et aux auditeurs. L’investissement n’est cependant pas vain car, en retour, ils en retirent une vraie expertise sur le thème étudié et plus généralement en matière de raisonnement géopolitique et géostratégique. De fait, il faut en suivant une session être conscient que les neuf séminaires pléniers n’apportent pas tout ; ils servent davantage à aider les auditrices et les auditeurs à se poser les bonnes questions et à les orienter vers les bonnes pistes qu’à leur donner des réponses exhaustives. La prochaine étape de la session restera dans cette veine et, début décembre, conduira les pas de la session à Toulon. Concrètement, il permettra à la session d’approfondir le sujet des outils de puissance de l’Etat en découvrant la Marine nationale et l’importance du fait maritime pour la géopolitique et la géostratégie de la France.

