Rivalités des grandes puissances : 2+1…+1 ?

La rupture stratégique que nous vivons réorganise totalement le champ des relations internationales. Le concept de « Communauté internationale » s’appuyant sur le Droit international et les organisations issues de la deuxième guerre mondiales (FMI, Banque Mondiale et ONU), s’il a parfois été contesté, est aujourd’hui caduc tant les divergences entre les Etats et entre les populations sont fortes en termes d’intérêt, de modèle et même de communauté de destin.

Dans ce contexte en pleine recomposition géopolitique, un groupe de puissances majeures émerge :

– Le duopole sino-américain d’abord, l’ancienne hyper-puissance et son rival chinois, aujourd’hui en rivalité commerciale mais qui pourrait demain muter en confrontation militaire ;

– La Russie, ancienne grande puissance très affaiblie qui souhaite « rester dans le club » ;

– L’Europe enfin, c’est-à-dire l’Union Européenne et le Royaume-Uni, regroupement de puissances moyennes affaiblies, qui malgré l’absence d’Etat commun dispose de certains atouts pour participer aux rapports de force et qui essaie de trouver sa place.

Les équilibres entre ces quatre pôles de puissance varient selon la dimension concernée. D’un point de vue commercial, l’Europe est dépendante de la Chine, et les États-Unis de l’Europe. Concernant la démographie, la Chine est loin devant et l’Europe devance les deux autres puissances. Dans le domaine des forces armées, les États-Unis dominent clairement. Si les quatre blocs disposent d’armes nucléaires, la Russie et les États-Unis gardent une avance considérable. Par ailleurs, deux blocs exportent de l’énergie (États-Unis et Russie) et deux en consomment énormément (Europe et Chine). Ces puissances sont toutes en tension les unes avec les autres, sauf la Russie et la Chine. Point particulier, l’Europe fait face à des tensions sur tous ses flancs (Est, Sud, Ouest et Nord).

Quelles sont les relations entre ces quatre blocs ?

– Etats-Unis : Donald Trump n’hésite pas à renverser la table en politique étrangère. Considérant que l’ordre international que les États-Unis ont contribué à édifier n’est plus à leur avantage, il rompt avec le consensus bipartisan et décide de rejoindre le camp des révisionnistes (Chine, Russie). Il se rapproche d’une vision du monde structurée en termes de sphères d’influence et de connivence entre grandes puissances. La question de la place de l’Europe dans cette vision du monde est clé : Est-elle vue de Washington inscrite dans une sphère d’influence des Etats-Unis ou de la Russie ? Ou bien est-elle considérée comme une puissance avec sa propre sphère d’influence ?

– Russie : Le Président Vladimir Poutine souhaite reconstruire un nouvel ordre mondial avec ce qu’il appelle la « majorité globale » et entend placer la Russie en leader d’un nouvel ordre européen. L’enjeu du conflit en Ukraine n’est donc pas le territoire mais bien l’effacement des anciennes règles de la sécurité européenne et notamment la disparition de l’OTAN. La relation entre la Chine et la Russie devrait se renforcer dans le domaine militaire, car outre l’intérêt partagé de marginaliser « les Occidentaux », la Chine a besoin de l’énergie russe et des retours d’expérience de sa guerre en Ukraine.

– Chine : L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping à la fin de l’année 2012 a constitué un virage vers une Chine impériale et conquérante. Xi Jinping est un empereur avec une vision. Avant son arrivée, les décisions étaient prises par une direction collégiale ; aujourd’hui il contrôle tout et son objectif s’inscrit sur le temps long : l’élimination de l’influence américaine en Asie. La coopération entre la Chine et la Russie est forte et pérenne, en particulier dans le domaine de

la désinformation, ce qui constitue un danger pour les démocraties. Leur coopération est également militaire comme l’illustre la présence de trois satellites militaires chinois dans le ciel de l’ouest de l’Ukraine pendant l’opération des 6-7 octobre 2025 au cours de laquelle la Russie a lancé 300 drones et missiles.

– L’Europe, bicéphale, est constituée d’Etats autonomes associés – pour la plupart – dans un projet politique ambitieux, complexe et inachevé. Face à des Etats-Unis imprévisibles, une Chine sans état d’âme et une Russie agressive (et face à des voisins du Sud revendiquant des intérêts différents), les Européens doivent réaliser qu’ils peuvent disparaitre en tant qu’entité indépendante.

L’Union Européenne a pourtant tous les atouts d’une grande puissance, mais elle n’arrive pas à les articuler. La singularité et la force de l’UE reposaient sur son pouvoir normatif et de régulation (influencer et imposer ses normes et valeurs à d’autres espaces, notamment par sa politique de voisinage et sa politique commerciale, en portant ses règles au sein du système international), mais elle est désormais en situation de faiblesse, y compris dans ce domaine. Elle doit parvenir à élaborer son propre agenda stratégique.

Du point de vue des États membres, l’Union européenne est perçue d’abord comme amplificateur de puissance, en particulier pour les « petits Etats ». Les États membres de l’UE essaient d’abord de profiter de l’écosystème régulateur de l’UE avant d’essayer d’en faire un acteur géopolitique. Pourtant, tous en ressentent le besoin et même les États non-membres opèrent un rapprochement avec l’UE sur des intérêts communs, à travers des partenariats de sécurité et de défense ou à travers la politique énergétique.

Face à cette situation critique, les Européens doivent se réveiller. D’abord en renforçant leur puissance nationale (ce qui implique une adaptation de leur modèle social) et en changeant drastiquement de mentalité pour accepter les risques réels de confrontation. Puis en réinventant un projet partagé qui articule souveraineté (et donc démocratie) avec solidarité et communauté de destin (et donc puissance). Il y va de leur survie.

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