Retour sur les deuxièmes séminaires de SHEGA : La Corne et l’Est de l’Afrique

Les 13 et 14 février 2025 se sont tenus les deuxièmes séminaires de la Session des Hautes Études Géopolitiques Africaines, qui ont porté sur les enjeux géopolitiques de la Corne et de l’Est de l’Afrique. Ces deux journées ont rassemblé des experts et des chercheurs pour analyser les crises actuelles et les dynamiques géopolitiques complexes qui traversent cette région stratégique du continent africain.

La première intervention a été celle de Medhane Tadesse, chercheur en géopolitique à l’IMAF (Institut des mondes africains), à l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et à l’ASSN (African Security Sector Network). Il a offert une analyse approfondie de la guerre du Tigré en Éthiopie (2020-2022), en détaillant les causes structurelles du conflit et les facteurs qui ont mené à son éclatement. Selon lui, la guerre du Tigré ne peut être réduite à une simple guerre communautaire ou à une contestation du pouvoir, mais doit être comprise comme une manifestation complexe des dynamiques internes de l’Éthiopie, incluant les rivalités communautaires et politiques, ainsi que les influences extérieures. Il a souligné que cette guerre, qui s’est intensifiée avec l’implication de forces régionales et internationales, s’inscrit dans une lutte plus large pour la survie de l’État éthiopien face à des enjeux géopolitiques mondiaux, notamment la crise de l’État, la question de l’autonomie régionale, et la politique des partis. Les accords de paix de Pretoria ont également été évoqués, mettant en lumière les défis liés à la réconciliation et à la reconstruction du pays après le conflit.

Thierry Vircoulon, consultant indépendant et expert en géopolitique de l’Afrique centrale, a ensuite pris la parole pour analyser la situation au Soudan. Il a distingué trois grandes phases du conflit qui a éclaté en avril 2023, en fonction des rapports de force entre les Forces de Soutien Rapide (FSR) et l’armée soudanaise. Il a souligné les lourdes conséquences humaines et matérielles du conflit, avec une population confrontée à la famine, des déplacements massifs et l’impossibilité d’acheminer l’aide humanitaire en raison des combats. En outre, il a évoqué la régionalisation et l’internationalisation du conflit, marquée par l’implication de puissances extérieures, notamment les monarchies du Golfe (Émirats arabes unis et Arabie Saoudite), l’Iran, l’Égypte, et la Chine. Il a mis en lumière les enjeux de ces alliances et leurs implications pour la stabilité de la région, ainsi que l’impact des rivalités géopolitiques mondiales sur le terrain.

La conférence a ensuite été poursuivie par Sonia Le Gouriellec, spécialiste des relations internationales et maîtresse de conférences à l’Université Catholique de Lille, qui a analysé les rivalités régionales dans la Corne de l’Afrique. Elle a notamment examiné la période 1998-2001, marquée par l’intense conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée, un événement clé dans l’histoire géopolitique de la région. Elle a détaillé les dynamiques politiques et sociales internes de chaque pays, en retraçant les relations historiques entre l’Éthiopie et l’Érythrée, tout en abordant les crises actuelles et les implications des puissances extérieures dans la région. Le contrôle des ports, la présence militaire étrangère, et les évolutions du système international ont également été des thèmes centraux de son analyse.

Mohamed Ag Alhousseini, formateur en consolidation de la paix et chercheur sur le Sahel, a poursuivi avec une présentation sur le Tchad et les tensions régionales. Il a décrit le pays comme un îlot de stabilité relative, mais souligné la vulnérabilité de cette stabilité face aux crises dans les pays voisins. Le Tchad est en effet directement affecté par des tensions dans des pays comme la Libye, le Soudan, et la République Centrafricaine. Il a détaillé les différents foyers de tension à l’intérieur du pays, notamment la présence de groupes ethniques qui influencent la politique et la gouvernance, et les rivalités internes entre les Arabes, les Zaghawa, et les Gorane. L’analyse de l’impact des conflits régionaux, comme la présence de Boko Haram ou la crise au Darfour, a mis en lumière l’importance pour le Tchad de maintenir un équilibre fragile entre ses différentes communautés tout en répondant aux menaces extérieures.

Nous avons eu l’honneur d’accueillir l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, Maurice Bandaman, avec qui les participants ont pu échanger sur sa vision des relations entre la Côte d’Ivoire et la France, ainsi que sur les dynamiques structurelles de l’Afrique de l’Ouest. La journée s’est conclue par ce moment d’échange enrichissant autour d’un dîner éthiopien.

Le séminaire s’est poursuivi avec une présentation par Medhane Tadesse sur l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD) et les autres organisations régionales de l’Est africain. Il a mis en évidence l’historique de leur mise en place, leurs objectifs, leurs mécanismes de gouvernance, et leur rôle dans la gestion des conflits dans la Corne de l’Afrique. Les défis auxquels ces institutions font face ont été abordés, notamment la question de leur efficacité face à l’instabilité interne des pays membres et les tensions géopolitiques croissantes, notamment avec les pays du Golfe et les grandes puissances internationales. Il a également souligné le rôle de l’IGAD dans la résolution des conflits, mais aussi ses limites face à des crises prolongées comme celles en Somalie, au Soudan ou en Éthiopie.

L’Amiral Ausseur, Directeur Général de l’Institut FMES, a ensuite pris la parole pour aborder la géopolitique de la mer Rouge. Il a expliqué comment cette zone stratégique illustre la fragmentation du monde actuel, où les forces centrifuges dominent. Selon lui, le monde est de plus en plus polarisé, notamment entre les blocs Est-Ouest et Nord-Sud, avec une intensification des rivalités géopolitiques. Il a mis en évidence l’instabilité structurelle de la mer Rouge, un espace vital pour le commerce mondial, qui fait face à des enjeux sécuritaires, avec l’essor des acteurs régionaux tels que l’Iran, l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Égypte. L’Amiral a expliqué que si la mer Rouge reste un point névralgique pour les puissances mondiales, elle n’est plus le principal axe du commerce maritime global, les nouvelles routes maritimes contournant de plus en plus cette zone.

Enfin, Dr Niagalé Bagayoko, Directrice de la formation, a clôturé les interventions avec une analyse du rôle croissant des puissances moyen-orientales en Afrique. Elle a détaillé les stratégies d’influence de pays comme la Turquie, Israël, l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats Arabes Unis et l’Iran, chacun adoptant des approches bilatérales pour établir des partenariats stratégiques en Afrique. En particulier, la Turquie, membre observateur de l’Union africaine, et Israël, avec des relations fluctuantes, ont joué un rôle clé dans la diplomatie régionale. Le Qatar, de son côté, a utilisé une stratégie plus discrète pour étendre son influence, en misant sur des partenariats flexibles.

Les séminaires se sont terminés par des travaux de groupe, où les auditeurs ont élaboré une problématique pour le dossier commun sur le thème « Vers un arc de crise sahélo-soudanais ».

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