Retour d’expérience sur les mesures ayant permis une amélioration de l’environnement en Méditerranée occidentale

Réflexions méditerranéennes dans la perspective de la Troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC3) (Nice 9-13 juin 2025)

Par Thierry Duchesne, directeur du département maritime de l’institut FMES

Le littoral méditerranéen français, longtemps perçu comme un espace sacrifié sur l’autel du développement et de la négligence environnementale, incarne aujourd’hui l’exemple d’un basculement possible. Depuis les années 1970, où les discours alarmistes prédisaient la mort des écosystèmes marins, les évolutions ont été majeures. À travers une combinaison de renforcement de la recherche scientifique en mer, de politiques publiques structurantes, d’investissements dans les infrastructures, de coopération territoriale et de pressions citoyennes, la trajectoire catastrophique de l’environnement en mer Méditerranée s’est infléchie. Cet article, rédigé sur la base des débats du colloque « Nouveaux enjeux de protection de l’environnement en Méditerranée dans la perspective de l’UNOC3 » (18 avril 2025 – Marseille), propose un retour sur les grandes dynamiques de cette reconquête.

Du constat d’échec à la mobilisation

Au tournant des années 1970, la situation écologique du littoral méditerranéen était désastreuse. Les eaux côtières affichaient des niveaux de pollution tels que de nombreuses plages étaient impropres à la baignade. Les déchets flottants, les rejets non traités, les résidus de pétrole, les mauvaises odeurs et les risques sanitaires constituaient la norme dans plusieurs zones urbaines ou portuaires. À cela s’ajoutait un climat de défiance entre autorités, scientifiques et usagers, chacun imputant à l’autre la responsabilité de l’inaction.

C’est sur ce fond de crise que les premières dynamiques de reconquête ont émergé. Le développement d’outils de connaissance, notamment cartographiques et hydrologiques, a permis de mieux cerner l’origine des pollutions. Ce renforcement de la base scientifique a rendu possible la mise en place de politiques plus ciblées et plus mesurables. Par ailleurs, l’évolution des mentalités avec l’apparition du concept de « laisser une mer dans un meilleur état pour les générations futures » et la pression croissante de l’opinion publique ont joué un rôle moteur dans la volonté politique de traiter la question du littoral autrement qu’en simple variable d’ajustement.

L’assainissement, fondement de la reconquête

La construction et la modernisation des stations d’épuration ont été le socle de l’amélioration de la qualité des eaux. Jusqu’au début des années 2010, les investissements ont permis de compenser l’augmentation de la population littorale en assurant un traitement minimal des rejets. Mais ce n’est qu’avec l’introduction de normes européennes strictes, accompagnée d’un soutien technique et financier aux collectivités, que la tendance s’est réellement inversée. Le volume de pollution rejeté en mer a commencé à décroître, non plus seulement en proportion, mais en valeur absolue.

Aujourd’hui, plus de 94 % des eaux côtières françaises sont conformes aux normes de qualité environnementale de l’Union européenne. Cette amélioration est tangible chaque jour dans l’expérience balnéaire des usagers des eaux littorales : les eaux de baignade sont plus saines, les effluents sont mieux contrôlés, et certaines espèces marines reviennent dans des zones où elles avaient disparu. Ce progrès illustre la puissance d’un triptyque essentiel : connaissance, réglementation, mesures correctives.

Une gouvernance territoriale en mutation

La reconnaissance du lien entre mer et continent s’est imposée lentement mais durablement. Contrairement aux rivières, dont le fonctionnement en bassin versant est intuitivement compris, la mer a longtemps été perçue comme une zone d’aval indéterminée, autonome et déconnectée de l’intérieur des terres. Cette vision a volé en éclats à mesure que les pollutions diffuses et les apports continentaux ont été mieux identifiés.

Les politiques territoriales ont alors intégré l’enjeu littoral dans une logique systémique. La coopération entre collectivités, agence de l’eau, services de l’État et acteurs de la société civile s’est renforcée. La planification territoriale a évolué pour intégrer les impératifs environnementaux. L’application de la loi Littoral a permis de considérablement limiter l’urbanisation anarchique des côtes et la destruction des petits fonds côtiers. La création du Conservatoire du littoral en 1975 a constitué un accélérateur de la protection du littoral avec aujourd’hui plus de 2000 km de côtes protégées. Désormais, ce sont plus de 16% des côtes de la région PACA qui appartiennent au Conservatoire et même 24% pour la Corse. Ces mesures ont permis un fort ralentissement du bétonnage et une meilleure intégration des zones côtières dans leur arrière-pays.

Aires marines protégées : un outil à structurer

Le fort développement des aires marines protégées (AMP) constitue une caractéristique majeure des espaces maritimes français depuis le début des années 2000. Désormais, plus de 85 % du littoral méditerranéen français est couvert par au moins un dispositif de protection. Cependant, cette densité ne garantit pas à elle seule une efficacité réelle. En effet, la coexistence de nombreuses catégories d’AMP (11 statuts différents) – aux objectifs, statuts et niveaux de contrainte variables – nuit à leur lisibilité et parfois à leur légitimité.

Le développement d’une gouvernance locale autour des AMP a tout de même favorisé le dialogue entre acteurs. Ces espaces sont devenus des laboratoires de concertation, où pêcheurs, scientifiques, associations et collectivités peuvent co-construire des règles. Certaines AMP au statut de protection plus élevé, ont démontré des effets positifs mesurables sur les stocks halieutiques, les habitats marins et même l’économie locale. Toutefois, le manque de moyens humains, le millefeuille administratif, la faiblesse des contrôles et l’absence de zones de non-prélèvement sur de nombreux sites (seulement 0,9% des surfaces sont réellement protégées) freinent encore leur potentiel. Il devient essentiel de simplifier les statuts, de renforcer les capacités de gestion et de garantir une réelle protection écologique là où c’est véritablement nécessaire. Il convient néanmoins de rappeler qu’une mer en bonne santé et en équilibre avec les activités littorales et marines dépasse le cadre des aires marines pour être un objectif applicable à l’ensemble des régions marines côtières. C’est d’ailleurs, l’essence même des directives européennes.

Réglementation et innovation contre les pollutions marines

Les pollutions issues du trafic maritime – hydrocarbures, déchets solides, eaux de cale – se sont fortement réduites depuis la fin des années 1990. La réglementation internationale, notamment grâce à la convention MARPOL1, interdit désormais tous les rejets représentant une menace pour l’environnement. Mais, surtout, la France s’est dotée d’outils de surveillance performants, combinant moyens aériens, maritimes et satellitaires mis en œuvre par toutes les administrations intervenant en mer. Grâce à un repérage rapide des pollutions, une centralisation des suspicions de rejet par le CROSS Méditerranée et la volonté ferme du préfet maritime de dérouter, en accord avec le Procureur de la République, tout navire surpris en train de réaliser une pollution volontaire, les rejets sont devenus extrêmement rares. Le dernier rejet significatif date de juin 2021, lorsqu’une très importante nappe d’hydrocarbures a été découverte dans le canal de Corse. De nombreux moyens de lutte contre la pollution ont été envoyés du continent de Corse et ont permis de la traiter en mer sans qu’elle ne touche les côtes corses. L’impact écologique sur les côtes a ainsi pu être très marginal… La dissuasion passe aussi par les sanctions lourdes qui sont désormais prononcées par les juridictions spécialisées, les JULIS (juridictions du littoral spécialisées) dont le siège, pour la Méditerranée, se trouve à Marseille. Cependant, il reste des points d’améliorations, notamment concernant le nettoyage des espaces pollués sur le littoral où la prise en compte des données écologiques est souvent négligée.

En revanche, les pollutions chroniques de faible ampleur et de faible impact, notamment issues de la plaisance, demeurent difficilement contrôlables et appellent à une meilleure responsabilisation des usagers.

La posidonie, indicateur de cette reconquête

L’herbier de posidonie est un symbole de la Méditerranée, à la fois habitat-clé pour la biodiversité, puits de carbone naturel et protection contre l’érosion (79 000 hectares de posidonie en Méditerranée française). Malgré un arsenal de protections juridiques (loi, directives européennes, conventions internationales), cet écosystème régressait annuellement. La principale cause de ces atteintes est liée à l’accroissement de l’ancrage des navires, en particulier les nombreux yachts de grande taille, qui jettent leurs ancres dans cet écosystème fragile. Des centaines d’hectares ont ainsi été détruits en quelques années et ce de manière irréversible à l’échelle humaine. Sur 100 ans, les pertes des herbiers de posidonie sont évaluées à 10%, atteignant jusqu’à 30% en 8 ans dans certains secteurs comme le golfe de Saint-Tropez, la cap d’Antibes ou la baie de Calvi. Auparavant, cet habitat ne subissait les conséquences d’un trafic maritime de cette nature (les lieux de mouillage de la plaisance ne sont pas ceux de la marine marchande) et avec cette intensité. Entre 2010 et 2018, on a observé une augmentation des mouillages de 449% sur le littoral méditerranéen. En 2024, le nombre total d’ancrages enregistrés s’est élevé à 63 000 navires de plaisance dont environ un tiers concerne les navires de plus de 24 mètres.

Face à cette menace, des mesures fortes ont été prises. Des interdictions d’ancrage ont été instaurées par le préfet maritime de la Méditerranée pour les grands navires (plus de 24 mètres) sur les herbiers, accompagnées d’un dispositif de contrôle renforcé. En parallèle, des bouées écologiques ont été installées dans certaines zones permettant l’arrêt des navires sans le jet d’une ancre. Des applications

de géolocalisation comme le système @Donia ont permis de guider les plaisanciers vers des zones de mouillages exemptes de posidonie. Ces actions entreprises dès 2019 ont porté leurs fruits : les surfaces d’herbiers impactées, entre 2020 et 2021, ont diminué de 80 % dans certains secteurs et des signes de régénération naturelle sont déjà observés.

Des efforts sont également déployés en matière de restauration active. Des techniques de bouturage et de transplantation sont expérimentées, même si la lente croissance de la posidonie en limite l’efficacité. Cette dynamique de protection et cette cohérence de mesures est un exemple réussi de convergence entre réglementation, innovation technique, sensibilisation des usagers et suivi scientifique.

Conclusion

Le littoral méditerranéen français et les espaces maritimes ont su, en l’espace de quelques décennies, inverser une trajectoire de dégradation qui paraissait irréversible. Ce basculement ne s’est pas fait en un jour, ni sans tensions, mais il démontre qu’une mobilisation collective fondée sur la connaissance, la réglementation, l’investissement et la concertation peut produire des résultats tangibles. Cette réussite partielle ne doit pas masquer les défis persistants : changement climatique, pression démographique, artificialisation, fragmentation des gouvernances. La mer Méditerranée est vivante, mais fragile. Elle appelle aujourd’hui à une vigilance toujours plus accrue, à une stratégie d’adaptation ambitieuse et à une solidarité élargie entre territoires qui doivent s’inscrire dans la durée.

Partager sur les réseaux sociaux

Rejoignez-nous

La newsletter FMES

Déposez votre mail pour vous abonner à notre newsletter mensuelle
et autres mailings (conférences, formations, etc.)

La newsletter FMES

Déposez votre mail pour vous abonner à notre newsletter mensuelle
et autres mailings (conférences, formations, etc.)