Renforcer le pilier européen de l’OTAN

Par Pascal Ausseur, Directeur Général de l’Institut FMES pour France Forum publié le numéro « Faire face : L’Europe saisie par l’Histoire »

Le repli américain, une tendance lourde

La réélection de Donald Trump relance la question de l’avenir de l’OTAN, puisque ce dernier n’a jamais
caché sa volonté de rapatrier les forces armées américaines, son désintérêt pour la sécurité de l’Europe,
son désir de trouver un accord avec la Russie et la priorité qu’il accorde à la compétition stratégique
avec la Chine.

On aurait tort de considérer que cette vision est propre au nouveau locataire de la Maison-Blanche, tant
elle est en phase avec une tendance lourde liée à l’évolution stratégique du monde : les tensions croissent
partout, la conflictualité est de retour, les États-Unis – comme l’Europe d’ailleurs – sont sur la défensive
et doivent définir leurs priorités. Pour Washington ce sera un peu le Moyen-Orient et beaucoup la Chine.
L’Europe étant désormais placée aux marges du jeu stratégique mondial, elle devient secondaire. Les
Européens sont donc confrontés à un dilemme : soit ils assument leur sécurité par eux-mêmes, soit ils
continuent de s’en remettre à leur protecteur qui risque de faire monter le prix politique et économique
de son soutien tout en se gardant la possibilité de se retirer si les circonstances l’imposent.

Cette situation prend l’Europe totalement à revers. L’Union européenne s’est en effet construite sur le
rejet du rapport de force, le dépassement du nationalisme et le détachement du fait religieux. Or ces trois
concepts reviennent en force dans un mouvement de balancier qui, après deux siècles d’européanisation
du monde, rejette à la fois le modèle, les institutions et les acteurs qui ont prévalu depuis la révolution
industrielle, assimilant désormais à une forme de colonialisme le leadership économique, technologique
et intellectuel de l’Occident.

L’Europe est donc défiée, politiquement, culturellement, économiquement et militairement. Elle l’est
d’abord par la Russie qui souhaite profiter de ce chamboulement stratégique pour prendre le leadership
du continent européen. Soutenu par ses alliés d’Eurasie et en particulier chinois, Vladimir Poutine porte
son effort militaire sur l’Ukraine, lorgne sur les pays baltes, mais agit également d’une façon plus subtile
pour façonner son voisinage (Géorgie, Arménie, Roumanie, Moldavie, Hongrie, Slovaquie, Serbie) ainsi
que les opinions d’Europe de l’Ouest. L’Europe est également défiée par son voisinage sud, déçu et
frustré par le décalage en termes de développement économique et social, et dont le ressentiment
s’appuie, autour de la Méditerranée, sur un rejet culturel croissant des valeurs européennes, fédéré par
un Islam conquérant. La Russie instrumentalise astucieusement cette tension Sud-Nord pour l’utiliser
comme un front indirect face à son adversaire.

Pour les pays européens, le réveil est douloureux. Depuis un demi-siècle, ils ont désarmé aveuglément,
convaincus de l’avènement de la paix perpétuelle et des bienfaits du doux commerce. Misant sur un
apaisement structurel des tensions et sur le parapluie américain pour gérer la violence résiduelle, ils ont
réduit le volume de leurs armées, affaibli leur industrie de défense et surtout laissé insidieusement se
déliter l’esprit de défense et les forces morales sans lesquels rien n’est possible. Simultanément les
savoir-faire et les technologies ont été disséminés un peu partout dans le monde à des fins économiques,
rendant nos adversaires aujourd’hui plus puissants. Sur notre continent, seules la France et la Grande Bretagne ont préservé un embryon d’industrie et de capacités militaires à partir duquel une
reconstruction est possible.

Cet affaiblissement considérable a été masqué par la mise en commun des faibles ressources restantes.
Cela a été l’ambition de l’Union européenne depuis le sommet de Saint-Malo de 1998 avec des succès
réels mais de faible ampleur et toujours avec retard au regard de l’augmentation de la conflictualité
autour de nous. L’UE a ainsi mené dix-huit opérations militaires depuis la première opération de
stabilisation en Macédoine du Nord en 2003, la plupart étant des missions de formation ou de soutien
d’envergure limitée, la plus significative en termes de risque étant probablement la dernière en date,
l’opération Aspides, chargée de participer à la sécurisation du trafic maritime en mer Rouge face aux
attaques de la milice yéménite houthie. Il est d’ailleurs significatif que de nombreuses marines
européennes ont annulé leur participation en raison du risque considéré comme excessif. Dans le
domaine de la défense, les initiatives européennes sont nombreuses mais trop souvent cosmétiques. La
clause de défense mutuelle intégrée dans le traité de Lisbonne de 2007, pourtant très engageante en
termes de solidarité, ne rassure personne.

Développer la capacité d’action européenne

De son côté, l’OTAN reste une organisation militaire particulièrement crédible alors que la majorité de
ses membres sont également membres de l’UE (23 sur 32). Le paradoxe n’est qu’apparent : au-delà de
la standardisation qui permet l’interopérabilité des forces militaires, essentielle pour que les armées
alliées puissent opérer ensemble, sa vraie valeur ajoutée réside dans la présence des États-Unis. Leurs
capacités militaire, économique et politique sans égales crédibilisent l’Alliance et leur accordent une
place privilégiée dans la conduite et la direction de l’Organisation. Cette place exceptionnelle leur a été
accordée dès 1949, lors de la création de l’OTAN qui succédait à l’Union occidentale constituée des
seuls Européens et considérée comme trop faible. L’agressivité croissante de l’Union soviétique avait
alors imposé la participation du grand allié d’outre Atlantique qui apportait une crédibilité opérationnelle
dissuasive. La fin de la guerre froide a rendu moins essentiel ce positionnement et les Européens, poussés
par les Français, ont souhaité un rééquilibrage à leur profit, le fameux « pilier européen de l’OTAN »
que les Américains ont toujours été réticents à développer pour conserver un droit de regard sur leurs
alliés.

Le changement brutal d’environnement stratégique que nous vivons crée une situation très inconfortable
pour les Européens. Ceux-ci sont en effet soumis à une menace croissante à travers l’agression russe à
l’est et les tensions plus diffuses au sud, au moment où l’intérêt pour le continent se réduit à Washington,
concentré sur la Chine et l’Asie. Les Européens n’ont pas encore les moyens d’assurer leur défense et
souhaitent un maintien de la protection des États-Unis qui sont donc en mesure d’exiger en retour un
achat croissant d’équipements américains et un alignement sur leurs positions politiques. Joe Biden a
exercé cette forme de chantage avec succès (presque deux tiers des achats d’armement européens sont
aujourd’hui américains), Donald Trump a déjà annoncé qu’il allait l’amplifier. Le siphonnage des
budgets européens qui en résulte empêche de développer une capacité autonome de défense européenne,
rendant notre continent encore plus dépendant de son grand allié et encore plus vulnérable en cas de
lâchage.

La capacité d’action européenne ne pourra donc se construire qu’au sein de l’OTAN, progressivement,
au prix d’un effort de chacun des États en fonction de son ambition politique et de ses capacités
industrielles et militaires. La France qui dispose encore des deux, pourrait jouer un rôle important si elle
acceptait de sacrifier une partie de son bien-être à sa défense. Pour mémoire, les budgets de défense
français qui étaient compris entre 3 et 6 % du PIB pendant la guerre froide, ont été inférieurs à 3 %
depuis le milieu des années 1970 et inférieurs à 2 % depuis le milieu des années 1990, tandis que les
équivalents américains ne sont jamais descendus sous la barre des 3 % pendant la période (sauf 1999-
2001). Un tel effort financier est indispensable, mais il serait vain s’il n’était pas accompagné d’une
réflexion collective sur les raisons de nous défendre, qui nous imposent de répondre, en tant que nations
et en tant que communauté européenne, aux questions suivantes : qui sommes-nous ? Qui sont les
autres ? Quelle est notre vulnérabilité ? Qu’est-ce qui doit être défendu ? À quel prix ?

Dans un monde qui se durcit de façon structurelle et qui voit la violence et la guerre se rapprocher de
nous, il semble évident que les Européens doivent être en mesure d’assurer leur sécurité et de dissuader
toute agression. La protection américaine est extrêmement efficace et aujourd’hui irremplaçable mais
face à l’impératif chinois son temps est compté. Il est donc urgent que les Européens réalisent le danger
qui vient, fassent les efforts financiers et psychologiques qui s’imposent et assument progressivement
la relève de leur protecteur. Le défi est d’abord intellectuel : nous devons prendre conscience de la réalité
des menaces qui nous entourent, de la vulnérabilité inattendue de nos sociétés, de nos valeurs et de nos
populations et de la nécessité d’un effort collectif pour survivre en tant que communauté. L’Histoire est
de retour et les civilisations sont mortelles

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Edito

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