Quel bilan, quels enseignements et quelles conséquences des douze jours de guerre entre Israël et l’Iran ? (12-24 juin 2025)

Par Pierre Razoux, directeur académique de la FMES

La victoire israélienne dans la guerre de juin 2025, bien que spectaculaire, n’est pas totale. Israël a conquis la supériorité aérienne au-dessus de l’Iran qui l’autorise à renouveler ses frappes à tout moment, mais le programme nucléaire iranien n’a été que retardé, Téhéran conserve une capacité de tir de missiles balistiques et le régime iranien n’a pas chuté. Malgré tout, l’Iran ne semble plus en capacité de saturer la défense antimissile israélienne, à moins que celle-ci se retrouve à court de missiles intercepteurs ou que les Etats-Unis retirent leur propre bouclier. Israël reste donc plus que jamais dépendant du bon vouloir de la Maison Blanche. Le risque pour Israël serait de se laisser entraîner dans une guerre d’usure sans fin avec Téhéran. En attendant, on assiste à un durcissement et une « pasdarisation » du régime iranien qui, fragilisé et très isolé à l’international, accroît la répression sur le front intérieur. Une négociation avec la Maison Blanche reste possible, mais tout indique que le régime iranien va vouloir revenir très vite au seuil nucléaire pour être en mesure de le franchir en cas de désintérêt américain ou d’une guerre sans fin avec Israël. Par certains aspects, cette séquence cinétique très courte est un contre-exemple de la guerre en Ukraine (frappes aériennes décisives, supériorité aérienne acquise, rôle clé de la très haute technologie, drones peu efficaces). Cet article fait suite à celui publié deux semaines avant le conflit par l’institut FMES sur les défis de la supériorité aérienne au Moyen-Orient, dont les conclusions ont été pour l’essentiel validées par cette nouvelle guerre[1].

Dans la nuit du 12 au 13 juin 2025, Israël a lancé une offensive aérienne surprise contre l’Iran (opération « Am Kelavi » – Réveil du Lion), alors même qu’une sixième session de négociation bilatérale entre Washington et Téhéran était planifiée quarante-huit heures plus tard à Oman. Contrairement aux raids ponctuels des 19 avril et 25 octobre 2024 qui visaient à affaiblir les défenses aériennes iraniennes et à préparer le terrain pour une opération plus vaste, les forces armées israéliennes ont lancé cette fois une campagne aérienne massive qui s’est étalée sur douze jours. La Syrie et l’Irak n’ayant plus aucune capacité antiaérienne, et celle de l’Iran ayant été affaiblie lors des raids précédents, l’aviation israélienne a pu agir facilement en suivant la trajectoire la plus directe lui faisant survoler la Syrie et l’Irak avant de pénétrer en Iran.

Lors des premières vingt-quatre heures, les opérations ont mobilisé 370 aéronefs de combat, soit la quasi-totalité de l’Armée de l’Air et de l’Espace israélienne. A maints égards, cette offensive aérienne surprise rappelle celle qui a servi de prélude à la Guerre des Six Jours de juin 1967. L’aviation israélienne aurait ensuite effectué plus de 1 500 sorties offensives sur l’Iran et procédé à plus de 600 ravitaillements en vol, frappant 900 cibles principales et 600 cibles secondaires. La frappe la plus lointaine a visé l’aéroport de Mashhad à 2 500 kilomètres des bases israéliennes. Israël reconnait avoir déployé des forces spéciales sur le territoire iranien et avoir mis en place depuis plusieurs mois des drones suicides à proximité de certains sites visés. L’Iran a répliqué par des salves quotidiennes de missiles balistiques (555) et de drones visant l’ensemble du territoire israélien (opération « Promesse tenue III »). Une soixantaine de missiles balistiques auraient percé le bouclier antimissile israélien et américain tandis qu’une quarantaine d’autres auraient mal fonctionné, aboutissant à un taux d’interception moyen de 88 %. Dans la nuit du 21 au 22 juin, l’US Air Force (7 bombardiers B-2) et l’US Navy (tir de missiles de croisière Tomahawk depuis des sous-marins) ont frappé durement le site nucléaire profondément enfoui de Fordo, de même que les sites nucléaires de Natanz et Ispahan (opération « Marteau de Minuit »). Téhéran a riposté par une attaque symbolique « téléphonée » sur la base américaine d’Al-Udeid au Qatar et sur un site radar en Irak qui avaient été tous deux évacués (aucune victime). Le 24 juin, l’Iran, puis Israël (à contre-cœur car Benyamin Netanyahu aurait préféré poursuivre les bombardements), ont accepté le cessez-le-feu imposé par le président Donald Trump. Les frappes réciproques auraient fait 29 morts et 3 500 blessés côté israélien et 935 morts dont une trentaine de hauts responsables sécuritaires (certaines sources indépendantes évoquent près de 1 200 tués dont une moitié de civils) et plus de 5 000 blessés côté iranien.

Quels étaient les buts de guerre israéliens ?

  1. Détruire le programme nucléaire iranien ou le retarder de plusieurs années. En douze jours, Israël a frappé l’ensemble des installations liées directement ou indirectement[2] au programme nucléaire iranien, à l’exception du site d’enrichissement de Kuh-e Kolang Gaz La profondément enfoui près de Natanz et dont l’existence n’a été révélée qu’en décembre 2024. En une nuit, les bombardiers américains B-2 ont largué 14 bombes anti-bunkers GBU-57 de 13 tonnes contre les sites de Fordo, Natanz et Ispahan[3]. Donald Trump, qui cherchait à imposer par tous les moyens l’arrêt des hostilités après la frappe américaine, s’est empressé d’annoncer que le programme nucléaire iranien avait été « oblitéré » et qu’il était inutile de poursuivre la campagne de bombardements. Son bilan très optimiste a été repris par les autorités américaines, mais il a rapidement été contesté par la communauté du renseignement qui a laissé entendre que le programme nucléaire iranien ne serait retardé que d’un ou deux ans[4]. Plus inquiétant, l’AIEA a perdu toute trace des 400 kg d’uranium enrichi à 60 % qui ont probablement été déplacés du site de Fordo vers des sites clandestins inconnus avant la frappe américaine, comme l’a admis son directeur Rafael Grossi qui souligne que « le programme nucléaire iranien a subi d’énormes dégâts, mais d’autres sites en Iran n’ont pas été atteints »[5]. De leur côté, les Israéliens ont annoncé avoir détruit plusieurs milliers de centrifugeuses et neutralisé durablement le site de conversion d’Ispahan. Ils ont admis avoir éliminé 11 scientifiques de premier rang. Prudent, le porte-parole de Tsahal a déclaré « La capacité d’enrichissement à 90 % a été neutralisée pour une période prolongée. La capacité à produire un cœur d’arme nucléaire a été temporairement neutralisée. L’axe de développement de l’arme a été significativement endommagé par l’atteinte aux vastes connaissances à travers les dommages aux infrastructures de recherche et de développement, l’élimination de scientifiques et la destruction de connaissances documentées »[6]. L’agence de presse officielle iranienne a reconnu pour sa part que « les sites les plus importants du programme nucléaire iranien ont été sévèrement endommagés par les frappes américaines »[7], ce qui est un moyen pour elle de minimiser l’impact réel des raids israéliens auprès de la population iranienne. Des images satellites montrent une intense activité de déblaiement des débris sur le site de Fordo dont le gouvernement iranien a affirmé qu’il serait remis en état et que l’enrichissement se poursuivrait également sur d’autres sites.
  • Réduire au maximum les capacités de frappes balistiques de l’Iran. Dès le début de l’opération « Réveil du Lion », les forces israéliennes ont ciblé 35 sites de stockage et de production de missiles balistiques iraniens, mais également les véhicules permettant de transporter et tirer ces missiles. Outre les attaques de chasseurs et de drones, des forces spéciales et des drones suicides prépositionnés à proximité ont frappé ces sites et ces vecteurs. Après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le porte-parole de Tsahal a déclaré que l’armée israélienne avait détruit la moitié des 400 lanceurs de missiles balistiques iraniens (et donc probablement les 200 missiles qu’ils transportaient), plus un certain nombre de missiles stockés. La capacité de fabrication de missiles balistiques aurait en outre été stoppée pour au moins un an. Avant le début des frappes, les experts estimaient que l’Iran détenait entre 800 et 1 300 missiles capables d’atteindre Israël[8]. Si cette évaluation est exacte et compte-tenu des missiles tirés, de l’attrition et de ceux détruits préventivement, l’Iran ne disposerait donc plus, au mieux, que de 450 missiles capables d’atteindre Israël (plus probablement la moitié), ce qui explique que les gardiens de la révolution aient économisé leur stock de missiles pendant la seconde moitié des hostilités.

Avec au mieux 450 missiles et 200 lanceurs, l’Iran ne semble plus en capacité de saturer la défense antimissile israélienne, à moins que celle-ci se retrouve à court de missiles intercepteurs Fronde de David et Arrow 2 et 3[9]. Il est probable que les Etats-Unis soient en train de recompléter ces stocks et qu’ils maintiennent plusieurs mois en Israël leurs batteries d’intercepteurs THAAD ainsi qu’un navire de défense anti-missiles. Quant aux 570 drones iraniens lancés, les faits montrent qu’ils ont quasiment tous été interceptés par la chasse et la défense antiaérienne israélienne.

  • Détruire les capacités sol-air et de détection iraniennes afin de conserver le plus longtemps possible la supériorité aérienne au-dessus de l’Iran. Lors du bilan des opérations, le porte-parole de Tsahal[10] a affirmé que les forces armées israéliennes avaient détruit 70 radars à moyenne et longue portées et 80 des 100 batteries de missiles sol-air iraniennes, dont toutes celles qui étaient équipées des missiles les plus performants (notamment les Bavar-373). Les S-300PMU2 livrés par la Russie avaient déjà été détruits en avril et octobre 2024. Six bases aériennes ont été neutralisées et 15 chasseurs ont été détruits au sol ou abattus en vol. Des dizaines de quartiers généraux et de centres de communication ont été également détruits, dont ceux chargés de coordonner la défense antiaérienne. Le Kremlin n’ayant rien fait pour aider Téhéran pendant les frappes, et compte tenu de ses besoins matériels sur le front ukrainien, il est très improbable que la Russie rééquipe l’Iran à brève échéance. La Chine pourrait en revanche profiter de la situation pour réarmer l’Iran en matériel « défensif » (chasseurs et batteries de missiles sol-air de dernière génération, radars et équipements de brouillage). L’armée de l’air israélienne tentera probablement, sauf véto américain, de frapper préventivement ces équipements dès leur livraison et avant leur mise en service effective.
  • Affaiblir au maximum le régime iranien pour espérer provoquer indirectement sa chute. Au sein de l’opération « Réveil du Lion » s’est déroulée une autre opération baptisée « Noces sanglantes » qui visait à décapiter l’échelon décisionnel des forces armées iraniennes en ciblant les généraux pasdarans, notamment ceux en charge de la protection des programmes nucléaire et balistique, les responsables de la défense antiaérienne, des drones et du cyber, de même que les chefs des forces de sécurité intérieure. Lors de la première nuit, l’aviation israélienne a tué une trentaine de généraux dont le chef d’état-major des armées (Mohammad Bagheri), le commandant en chef des pasdarans (Hossein Salami), et le commandant des forces de réaction d’urgence (Gholam Ali Rachid et son remplaçant Ali Shadmani)[11]. Au vu de la réussite spectaculaire de ces frappes de décapitation et compte tenu de la tournure favorable de la campagne aérienne, le gouvernement israélien a réorienté progressivement une partie de ses frappes pour affaiblir le régime, le décrédibiliser et le couper de la population. La chute du régime des mollahs constitue en effet l’un des objectifs stratégiques d’Israël depuis des décennies. Si le gouvernement du président Massoud Pezeshkian n’a apparemment jamais été ciblé, la Maison Blanche a fait savoir qu’elle s’était fermement opposée à l’élimination du Guide suprême Ali Khamenei (qui avait été envisagée) réfugié dans un bunker profondément enfoui au nord de Téhéran. Même s’il a tremblé, le régime s’est ressaisi, a coupé Internet, limité les communications téléphoniques et pris toutes les mesures pour s’assurer que la population ne profiterait pas du chaos ambiant pour descendre manifester dans les rues. Pour qui connait la société iranienne, il était de toute façon illusoire d’espérer une révolte populaire tant que les forces de maintien de l’ordre (pasdarans, bassidjis et forces de sécurité intérieures) resteront capables d’agir de manière coordonnée.

La victoire israélienne est donc loin d’être totale puisque le programme nucléaire iranien n’a été que retardé, que le régime iranien n’est pas tombé même s’il a vacillé, et que celui-ci conserve une capacité de tir de missiles balistiques visant Israël, même si cette capacité a été significativement réduite. La neutralisation durable des capacités antiaériennes iraniennes est le seul objectif pleinement atteint. Israël a de son côté subi des dommages sur ses infrastructures militaires et industrielles qu’il est très difficile d’évaluer car Tsahal exerce une censure très rigoureuse sur ce sujet. Une analyse des sources ouvertes croisée à l’exploitation d’images satellites rendues publiques permet de dresser une première liste d’objectifs sensibles touchés : plusieurs bases aériennes (Nevatim, Ramat David, Tel Nof, Ovda), le QG du Mossad, l’école du renseignement militaire (Camp Moshé Dayan), l’Institut Weizmann pour la Science, des infrastructures pétrolières et énergétiques à Haïfa et Ashdod. Plusieurs missiles seraient tombés à proximité immédiate de la Kirya (ministère de la Défense) et deux autres, apparemment détruits, auraient visé la centrale nucléaire de Dimona. Les grandes villes israéliennes ont été sciemment visées (notamment Haïfa, Tel-Aviv et leurs banlieues) et l’hôpital de Beersheba durement touché. Sans la présence systématique d’abris durcis, les pertes civiles israéliennes auraient été bien plus importantes[12].

Le gouvernement israélien s’est-il concerté avec la Maison Blanche et a-t-il bénéficié de l’appui militaire américain ?

Dans ses déclarations publiques consécutives au déclenchement des frappes, Benyamin Netanyahou affirme qu’il a pris la décision d’attaquer l’Iran début novembre 2024, après le raid réussi d’octobre et une fois acquis le principe de l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Sa décision a été validée par le conseil de sécurité israélien en mars. La nouvelle administration américaine se serait opposée à trois reprises aux fenêtres de tir proposées par le gouvernement israélien (les 7 et 14 avril et le 28 mai 2025). Il n’est pas possible de prouver pour l’instant une coordination militaire entre forces armées israéliennes et américaines avant le déclenchement des frappes, d’autant que Donald Trump recherchait indubitablement un succès diplomatique. Il avait prévenu publiquement de l’imminence de frappes israéliennes en cas de blocage persistant des négociations. S’il avait été de mèche avec le premier ministre israélien, il est peu probable qu’il aurait tenu de tels propos publics. Il est beaucoup plus probable qu’il se soit lui-même piégé en affichant d’emblée un calendrier de 60 jours pour aboutir à un accord avec Téhéran (les Israéliens ont frappé le 61e jour après le début des négociations). De leur côté, les Iraniens n’ont peut-être pas réellement cherché un accord qu’ils considéraient irréalisable concrètement et qu’il convenait dès lors de gagner du temps en faisant traîner la négociation pour accélérer l’enrichissement de l’uranium. Le gouvernement iranien a déclaré dans la foulée ouvrir un nouveau site d’enrichissement. Le directeur de l’AIEA Rafael Grossi, informé de ces faits, a publié le 12 juin une résolution très critique sur le manque de coopération de l’Iran qui a servi de prétexte à Israël pour agir.

Une fois les frappes débutées, les Etats-Unis ont fourni un appui défensif décisif à Israël (présence de 2 batteries renforcées de missiles antimissiles THAAD sur place et de plusieurs navires armés de systèmes AEGIS/SM-3). Sur le plan offensif, il est très probable qu’ils aient ensuite coopéré dans le domaine du renseignement, de la détection, du C4ISR, des communications stratégiques et du ravitaillement en vol. 

Pourquoi le régime iranien a-t-il accepté le cessez-le-feu ?

Comme en 1988 à la fin de la longue guerre Irak-Iran, le régime iranien s’est retrouvé très affaibli militairement, épuisé économiquement et incapable de s’opposer aux frappes ennemies. Il lui a donc fallu trouver un prétexte pour mettre fin à une séquence conflictuelle qui affaiblissait chaque jour davantage les forces armées iraniennes, sans toutefois paraître concéder une défaite à l’ennemi (l’Irak hier, Israël aujourd’hui). En 1988, l’intervention militaire américaine autour du détroit d’Ormuz au cours de laquelle l’US Navy avait infligé une défaite sévère à la marine iranienne et aux pasdarans (opération « Mante religieuse ») avait permis à l’ayatollah Khomeini de sauver la face et de « boire la coupe de poison » (c’était l’expression qu’il avait utilisée), considérant que l’Iran pouvait se battre contre l’Irak, mais pas contre les Etats-Unis. Cette fois, les bombardements limités américains ont servi de prétexte à l’ayatollah Khamenei pour mettre un terme aux hostilités, reconnaissant que l’intervention militaire des Etats-Unis avaient été décisive, pour éviter d’admettre une défaite vis-à-vis d’Israël.

Quels enseignements militaires retenir ?

Tous les enseignements tirés des raids israéliens précédents, synthétisés dans l’article précité restent valables, même s’il convient d’insister sur les points suivants au regard du bilan des douze jours de frappes intensives de part et d’autre :

  1. L’avantage est plus que jamais à l’offensive. Pour être crédible et dissuasif, il faut pouvoir frapper loin, fort et dans la durée et disposer d’un stock suffisant de munitions. Une planification méticuleuse très en amont accroit les chances de succès.
  2. Pour ce faire, il est indispensable de conquérir la supériorité aérienne en neutralisant tous les moyens antiaériens adverses (radars, missiles sol-air, chasseurs, centres de contrôle et de communication) grâce notamment à des armements stand-off conçus pour la destruction des radars et batteries sol-air, mais aussi grâce à une masse de vecteurs suffisants pour saturer les défenses adverses.
  3. Pour y parvenir avec un maximum d’efficacité, il est nécessaire de raccourcir et d’optimiser au maximum la boucle OODA (Observer, Orienter, Décider et Agir) en la boostant grâce à l’intelligence artificielle et au cyber, afin d’acquérir la supériorité informationnelle et opérationnelle.
  4. Quelle que soit sa densité et sa sophistication, aucun bouclier antimissile n’est hermétique. Il convient donc de durcir au maximum les infrastructures critiques et de préparer la population à l’acceptabilité de pertes civiles.
  5. L’enfouissement profond reste le meilleur moyen de préserver une capacité critique (et la population par la même occasion – Les Israéliens ont redécouvert les leçons du Blitz). Les forces armées vont devoir adapter leurs modes d’actions et leurs équipements pour faire face à cette évolution significative.
  6. Le nucléaire reste sans doute l’enjeu ultime que chaque belligérant essaie de détruire ou de préserver.

A quoi s’attendre maintenant ?

  1. Côté iranien :

Un durcissement et une « pasdarisation » du régime iranien qui accroît la terreur sur le front intérieur. Tous les indicateurs montrent une extrême nervosité d’un régime qui, se sachant affaibli et militairement humilié, a pris des mesures pour terroriser la population (arrestations, procès sommaires pour espionnage au profit d’Israël, exécutions, coupure des communications, censure impitoyable, îlotage des bassidjis) et bien lui faire comprendre qu’elle ne devait pas saisir l’occasion de cette faiblesse momentanée pour descendre dans la rue et se rebeller. Le Guide suprême Ali Khamenei, âgé et usé, semble être sorti groggy et affaibli par la quinzaine de jours qu’il a passés cloîtré profondément sous terre dans un bunker entouré uniquement de sa famille la plus proche. La plupart de ses proches conseillers ont été éliminés par Israël. Deux décisions qu’il a prise pendant cette période d’isolement montre que les choses bougent au sein du régime : sa demande au Conseil des experts de nommer son successeur au cas où, que l’on peut interpréter comme « je préfère savoir de mon vivant qui me succédera pour être certain qu’il y ait un successeur et qu’il ait les qualités requises », ce qui ne va pas forcément de soi pour une partie de la classe politique et des pasdarans ; sa décision de nommer un Haut Conseil des Gardiens de la Révolution auquel il a délégué une partie de ses pouvoirs, une première dans l’histoire de la République islamique. Ces deux décisions illustrent l’évolution des rapports de forces au sommet du régime. La mainmise du clergé sur les affaires du pays semble s’atténuer au profit des pasdarans. Ces derniers cherchent à tout prix à préserver leurs intérêts économiques dans un système largement corrompu qu’ils ont contribué à mettre en place, tout en poussant un agenda beaucoup plus nationaliste et moins religieux. Au sommet de la hiérarchie des Gardiens de la révolution, l’idéologie et l’affairisme prévalent. Dans les échelons inférieurs, le pragmatisme, l’hyper-nationalisme et la volonté d’en découdre, par la force si nécessaire, l’emportent. Sans le garde-fou du clergé, tout porte à croire que les pasdarans tenteront de franchir le seuil de la capacité nucléaire militaire.

L’Iran plus isolé que jamais sur la scène extérieure. Le régime iranien n’a pu que constater qu’il était absolument seul pendant les frappes israéliennes. Malgré son appartenance au BRICS+ et les partenariats stratégiques qui lient Téhéran à Moscou et Pékin, la Russie a lâché l’Iran et n’a rien fait pour lui venir en aide, pas plus que la Chine qui se positionne très certainement pour rééquiper à terme l’armée iranienne. Ni Vladimir Poutine, ni Xi-Jing Ping n’ont souhaité entrer en choc frontal avec la Maison Blanche sur le dossier iranien. L’Inde, qui entretient d’excellentes relations avec Israël et l’Iran, est restée muette. Une majorité d’Etats du Sud ont discrètement donné raison à Téhéran par détestation d’Israël et des Etats-Unis, comme le souligne Igor Delanoe dans une interview très éclairante[13]. Seule l’Algérie et la Corée du Nord ont soutenu ouvertement l’Iran. Le régime iranien sait donc qu’en cas de nouvelle escalade militaire, il se retrouverait seul, exactement comme lors de la guerre Irak-Iran. Conscient de cet état de fait, le régime iranien semble aujourd’hui très divisé. Une majorité emmenée par le président Massoud Pezeshkian prône la réouverture du dialogue avec les Américains et les Européens pour tenter de trouver un compromis qui préserve l’avenir, sauve le régime et fasse tomber suffisamment de sanctions pour donner de l’air à l’économie iranienne. Ceux-là font valoir que Donald Trump reste intéressé par un deal avec Téhéran. Une minorité ultraconservatrice, fondamentalement hostile à l’Occident, revancharde et frustrée des pertes subies, maintient pour sa part une ligne très dure et sans concession. Cette faction ne peut qu’être favorable au franchissement du seuil nucléaire. Elle encouragera le recours à la diplomatie des otages et à l’affaiblissement indirect (notamment via le terrorisme) des pays occidentaux qui ont soutenu Israël. Le président Pezeshkian va devoir composer avec elle s’il veut se maintenir au pouvoir lorsque l’ayatollah Khamenei disparaîtra.

Reprise des négociations avec les Etats-Unis sur de nouvelles bases. Steve Witkoff, représentant spécial de la Maison Blanche pour le Moyen-Orient, a déclaré qu’il était prêt à relancer les négociations avec Téhéran et à rencontrer le ministre des Affaires étrangères iranien Abbas Araghtchi à Oslo, sachant que le cessez-le-feu imposé par Donald Trump n’a été formalisé par aucun document officiel. La Maison Blanche paraît ouverte à un accord très large comprenant une dimension économique. De nombreux industriels américains voient l’Iran comme un Eldorado potentiel. La seule ligne rouge consiste à s’assurer que « l’Iran n’aura pas la bombe atomique ». De leur côté, les Iraniens veulent être certains que l’administration Trump sera techniquement et juridiquement capable de supprimer les sanctions primaires et secondaires qui impactent l’Iran, redoutant un effet d’annonce sans lendemain. Nul doute qu’ils observent avec attention la manière dont les Etats-Unis sont en train de supprimer les sanctions à l’encontre de la Syrie, comme Donald Trump s’y est engagé. Côté iranien, il faudra tenir compte de l’influence des durs du régime qui sont hostiles par principe à tout accord avec les Etats-Unis et qui estiment, à l’instar d’Ali Shamkhani (conseiller du Guide suprême pour les questions de sécurité), que les cinq rounds de négociation précédant les frappes israéliennes n’étaient qu’un leurre destiné à endormir la méfiance du gouvernement iranien[14].

Côté israélien, Benyamin Netanyahou et Ron Dermer ont réaffirmé leurs lignes rouges : l’Iran doit arrêter totalement tout enrichissement de l’uranium et doit soumettre l’ensemble de ses sites nucléaires à un contrôle international strict. La menace sous-jacente est claire : sinon Israël poursuivra sa campagne de destruction du programme nucléaire iranien. Le premier ministre israélien s’est toutefois engagé à n’agir militairement qu’avec le « feu vert » de Washington. Les déclarations de Donald Trump montrent qu’il ne souhaite pas poursuivre lui-même les opérations militaires contre l’Iran, d’autant qu’il semble s’intéresser de nouveau à la Corée du Nord et à la Chine. Dans ce contexte, deux membres républicains du Congrès américain viennent de présenter une proposition de loi autorisant le président Trump à transférer à Israël plusieurs bombardiers stratégiques B-2 ainsi qu’un lot de bombes anti-bunker GBU-57 afin qu’Israël puissent agir (à la place des Etats-Unis) si l’Iran poursuivait son programme nucléaire[15].

L’Iran va très certainement vouloir revenir très vite au seuil de la capacité nucléaire militaire pour être en mesure de le franchir en cas d’échec des négociations ou en cas de nouvelles attaques israéliennes. Après un vote du parlement (Majles) et un aval de l’ayatollah Ali Khamenei, le président iranien Massoud Pezeshkian a annoncé officiellement le 3 juillet 2025 la suspension de la coopération avec l’AIEA. Le but est limpide : pouvoir poursuivre le programme nucléaire sans le moindre contrôle international, même si Téhéran se doute qu’Israël dispose d’informations de première main sur celui-ci. L’étape suivante consistera à dénoncer le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Le parlement iranien a déjà voté en ce sens. Il ne reste plus qu’à obtenir le feu vert du Guide suprême (et certainement du Haut Conseil des Gardiens de la révolution) et la promulgation de la loi par le président Pezeshkian.

  • Côté israélien :

Priorité à Gaza et à la Cisjordanie avant de reprendre des frappes ponctuelles sur l’Iran. Après la campagne de bombardements, l’Iran ne représente plus une menace immédiate pour Israël. Compte tenu de la fragilité de sa coalition gouvernementale et de l’extrême pression mise par les ministres d’ultra-droite Ben Gvir et Smotricht, Benyamin Netanyahou a compris qu’il lui fallait être intraitable dans la négociation sur Gaza. Il sait que l’offensive aérienne contre l’Iran lui a permis de briser très ponctuellement l’isolement international d’Israël, notamment vis-à-vis de plusieurs pays européens – dont l’Allemagne – qui ont pris immédiatement fait et cause pour Israël contre Téhéran. Berlin en a d’ailleurs payé le prix puisqu’un ressortissant allemand a été arrêté en Iran et accusé d’espionnage au profit d’Israël. Le premier ministre israélien sait qu’il peut rester inflexible sur Gaza à condition de ménager la Maison Blanche. Il y a fort à parier qu’il cherchera à obtenir carte blanche de la Maison Blanche pour gérer à sa façon le conflit à Gaza et en Cisjordanie, en échange de retenue sur le dossier iranien. Et si un accord devait malgré tout lui être imposé, nul doute qu’il le négocierait contre l’acceptation par Washington de l’annexion de pans entiers de la Cisjordanie.

Guerre d’usure avec l’Iran jusqu’à la chute du régime iranien ou le franchissement du seuil nucléaire par Téhéran. Maintenant que les forces armées israéliennes ont anéanti toute défense antiaérienne iranienne, elles peuvent agir à volonté et à n’importe quel moment au-dessus du territoire iranien. Puisque le tabou consistant à frapper le programme nucléaire iranien a été brisé le 13 juin 2025, et qu’aucune des grandes puissances n’a véritablement réagi, le gouvernement israélien pourrait, à moins d’un véto américain, se sentir libre de poursuivre les frappes contre le programme nucléaire iranien[16] et contre toute cible militaire iranienne qui constituerait une menace potentielle. Il n’a plus besoin de prétexte et peut poursuivre sa guerre d’usure contre le régime iranien comme il le fait contre le Hezbollah au Liban et en Syrie, et contre les Houthis au Yémen. Ces derniers continuent en effet de tirer ponctuellement des missiles balistiques contre Israël malgré le cessez-le-feu[17]. Mais cet effort militaire sera-t-il soutenable ? Pourra-t-il provoquer la chute du régime des mollahs ?  Empêchera-t-il Téhéran de franchi le seuil nucléaire et aura fait la démonstration qu’il détient l’arme atomique ? Le risque pour Israël est de se laisser entraîner dans une guerre d’usure qui débouchera à terme sur une nouvelle guerre majeure qui pourrait le mettre en grande difficulté, exactement comme Israël s’est laissé entrainer dans une guerre d’usure avec l’Egypte après la victoire éclatante de la guerre des Six Jours de juin 1967, qui a pavé la voie au choc de la guerre du Kippour en octobre 1973.


[1] Les défis de la supériorité aérienne au Moyen-Orient – Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques

[2] Notamment l’université Shahid Beheshti et le centre de recherche nucléaire de Téhéran.

[3] « What really appened to Fordow ? », New Atlanticist, 26 juin 2025. Pour une analyse détaillée des frappes visant le programme nucléaire iranien, se reporter à l’excellent article de David Albright et Spencer Faragasso « Post-Attack Assessment of the first 12 Days of Israeli and US Strikes on Iranian Facilities », Institute for Science and International Security, 24 juin 2025.

[4] Reuters & France 24, 2 juillet 2025.

[5] Rafael Grossi, RFI, 26 juin 2025 ; lire également l’entretien d’Héloïse Fayet, « On a perdu toute traçabilité sur le programme nucléaire iranien », Le Point, 25 juin 2025.

[6] Effie Defrin, I24News, 27 juin 2025.

[7] IRNA Agency, 30 juin 2025.

[8] Sur un total d’environ 3 000 missiles balistiques en tenant compte de ceux à courte portée incapable d’atteindre Israël.

[9] Se fondant sur les vidéos prises pendant les hostilités par des citoyens israéliens filmant les séquences d’interception depuis les 6 sites antimissiles israéliens, les experts du site Arms Control Wonk estiment qu’au moins 45 Arrow 2 et 3 (à 3 millions de dollars l’unité) et 39 THAAD (à 12 millions de dollars l’unité) ont été tirés contre les missiles balistiques iraniens susceptibles d’atteindre une cible cruciale, pour un total minimum de 600 millions de dollars (pour ces 84 missiles). Le nombre réel de missiles intercepteurs tirés pourrait aisément être le double. Certains experts israéliens auraient évoqué une centaine de missiles Arrow 2-3 et une cinquantaine de missiles THAAD tirés. Les autres missiles balistiques iraniens ont été interceptés par des missiles SM-3 américains et par les systèmes israéliens Fronde de David et Dôme d’Acier (en dernier ressort) ; « Exhaustion and Inflection : Estimating Interceptor Expenditures in the Israel-Iran conflict », Arms Control Wonk, 24 juin 2025.

[10] I24News, 27 juin 2025.

[11] Contrairement à ce qu’Israël avait annoncé, l’amiral Ali Shamrani (conseiller spécial du Guide suprême pour les questions de sécurité) et le général Esmaïl Ghaani (commandant de la Force Al Qods) ont survécu et ont repris leurs fonctions.

[12] Même si plusieurs abris vétustes situés sous des immeubles percutés par des missiles se sont effondrés sur la population réfugiée à l’intérieur, obligeant le gouvernement israélien à lancer un nouveau plan de construction d’abris.

[13] Igor Delanoe, « Les relations entre la Russie et l’Iran dans le contexte du conflit israélo-iranien », entretien avec Anne-Lucie Chaigne-Oudin, Les clés du Moyen-Orient, 25 juin 2025.

[14] Iranian TV, 29 juin 2025.

[15] I24News, 3 juillet 2025.

[16] Pierre Razoux, « Israël a brisé le tabou des frappes contre le programme nucléaire iranien », Le Point, 14 juin 2025 ; « Nous sommes à un moment décisif de la partie d’échecs qui oppose Israël à l’Iran », Les Echos, 16 juin 2025.

[17] Les Houthis auraient tiré une dizaine de missiles balistiques sur Israël entre le 13 et le 24 juin 2025.

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