Par Jehan-Christophe Charles, chercheur associé à l’Institut FMES
Raymond Aron a profondément marqué le vingtième siècle comme penseur libéral de la politique et des relations internationales. Sa théorie des relations internationales élaborée dans « Paix et guerre entre les Nations » nous éclaire sur la manière d’appréhender le monde et les conflits entre puissance. Sa réflexion sur l’ère nucléaire qui s’ouvre à son époque nous incite à renouveler notre approche à l’heure où la menace ressurgit explicitement. Ses pensées sur la paix nous interrogent sur ce que nous voulons. Son deuxième ouvrage majeur,« Penser la guerre, Clausewitz », est une réflexion approfondie sur la pensée du célèbre auteur Prussien. Là aussi, il renouvelle notre approche sur cet auteur, paradoxalement mal compris et négligé à l’Ouest, mais structurant dans le monde communiste. L’article souligne les points forts de ces deux ouvrages pour mieux comprendre et appréhender les crises actuelles.
…la paix, qui n’est pas l’absence de guerre mais une force de l’âme. R. Aron[1]
En ces temps d’incertitude stratégique il peut s’avérer utile de relire les travaux de ceux qui nous ont précédés, nous les nains inintelligents[2], afin que, juchés sur les épaules des géants[3], nous puissions voir plus loin. Raymond Aron fut l’un des grands penseurs du XXème siècle : spectateur engagé, juif en Allemagne dans les années 30, combattant de 39-40 et acteur de la France Libre, gaulliste puis anti-gaulliste, professeur et éditorialiste, sociologue, mais aussi, et c’est ce qui nous intéresse, stratégiste. Sa pensée peut encore nous éclairer
A l’occasion de deux grands succès de sa carrière[4], un poste de professeur à la Sorbonne en 1955, et son admission au Collège de France en 1970, R. Aron a rédigé ce qui peut être considéré comme ses deuxièmes et troisièmes thèses[5]. Ces deux ouvrages, « Paix et guerre entre les nations[6] », et « Penser la guerre, Clausewitz », constituent un ensemble d’analyses et de réflexions sur les relations internationales, la guerre et les facteurs qui conduisent ces activités. Ce sont ces écrits que je me propose de relire, d’analyser, et de confronter au monde contemporain.
Je voudrais lever une première objection concernant l’actualité des travaux de R. Aron : n’appartient-il pas à un monde dépassé, écroulé en 1990, un monde n’intéressant que les historiens ? Lire Raymond Aron dissipe rapidement ces doutes. Intelligence, rigueur, puissance d’analyse frappent le lecteur et l’entraînent sur les chemins de sa réflexion. L’épilogue de « Penser la guerre, Clausewitz » est particulièrement éclairant sur les causes de nos malheurs actuels : tous les maux qui nous ont conduit là où nous sommes sont décrits.
Après une analyse des deux ouvrages, je présenterai une esquisse de ce que les travaux de R. Aron pourraient nous apporter aujourd’hui.
Paix et guerre entre les nations : Théoriser les relations internationales
R. Aron souhaitait réaliser un ouvrage sur la théorie des relations internationales. Il se penche donc sur les relations entre les Etats en recherchant une conceptualisation de celles-ci (première partie « Théorie – concepts et systèmes »). Il élargit cependant le spectre de son propos en conduisant une étude sociologique des principes (deuxième partie « Sociologie -déterminants et régularité »), puis une analyse historique à l’âge thermonucléaire (troisième partie « Histoire- le système planétaire à l’âge thermonucléaire »). Enfin la dernière partie de l’ouvrage, intitulée « Praxéologie – les antinomies de l’action diplomatico-stratégique »[7], est une réflexion philosophique sur la paix et les moyens de l’atteindre. L’ouvrage dépasse donc le cadre stricto-sensu d’une théorie des relations internationales. La richesse de la pensée de R. Aron l’amène à explorer de nombreuses voies et à donner un avis sur des sujets variés. Résumer un tel ouvrage revient à opérer des choix, et je me propose de présenter les principaux principes théoriques vus par Aron, de conduire une réflexion sur les questions de la nature de l’ordre international à partir de ces principes, de relever les observations sur la rivalité thermonucléaire en 1960 et, enfin, d’examiner les pensées de R. Aron sur la paix en devenir. Au cours de l’ouvrage, il s’arrête souvent sur l’analyse de la situation en Europe et ces réflexions prennent un relief particulier à l’aune de la guerre en Ukraine.
L’ombre de la guerre
Le premier constat de R. Aron est que la paix et la guerre dominent les relations internationales : « Les relations interétatiques présentent un trait original qui les distingue de toutes les autres relations sociales : elles se déroulent à l’ombre de la guerre ou, pour employer une expression plus rigoureuse, les relations entre Etats comportent par essence l’alternative de la guerre et de la paix. » [8] Contrairement aux relations intraétatiques, où la paix civile règne par l’autorité du gouvernant, des lois, de la police et de la justice, les relations internationales sont marquées par la violence, violence non obligatoire, mais violence potentielle, qui peut remettre en cause l’existence même d’une nation. En conséquence, diplomatie et stratégie sont liés, pour permettre à un Etat de survivre. Il n’est pas nécessaire de gagner toutes les guerres ou tous les conflits, ne pas perdre peut-être suffisant pour conserver l’existence « Peut-être l’alternative suprême, au niveau de la stratégie, est-elle « gagner ou ne pas perdre »[9]. Cette alternative est parfaitement illustrée par les conflits actuels. L’Ukraine, et l’Europe avec elle, ne peut pas perdre cette guerre, mais n’a aucunement la nécessité de faire entrer ses troupes à Moscou. Le bras de fer entre le Hamas et Israël montre aussi l’enjeu existentiel de survie des deux entités -ne pas perdre. C’est alors un paradoxe, ou une faute stratégique, que l’un des acteurs, le Hamas, se soit lancé dans une action suicidaire, risquant sa survie pour abattre l’adversaire.
Théorie de la puissance
R. Aron étudie ensuite la notion de puissance : « J’appelle puissance sur la scène internationale la capacité d’une unité politique d’imposer aux autres unités sa volonté. En bref, la puissance politique n’est pas un absolu mais une relation humaine. »[10]Aron distingue la puissance et la force, la première étant la capacité de mise en œuvre des éléments du deuxième terme. Ainsi, le Vatican n’a que sa force spirituelle mais s’avère être une puissance importante. Quels sont les déterminants de la puissance ? « … la puissance d’une collectivité dépend de la scène de son action, et de sa capacité d’utiliser les ressources matérielles et humaines, qui lui sont données : milieu, ressources, action collective, tels sont, de toute évidence, quel que soit le siècle et quelles que soient les modalités de la compétition entre unités politiques, les déterminants de la puissance. [11]» Le milieu, tel qu’entendu par R. Aron, est l’espace géographique d’un Etat. En 1960, il considère qu’Etats-Unis et URSS ont encore des terres vierges à conquérir, de l’espace à mettre en valeur, alors que les pays Européens ne disposent plus de cette capacité, sauf à développer de vastes métropoles. Le changement sémantique opéré par R. Aron d’espace à scène d’action, puis milieu montre qu’il ne s’agit pas seulement de km2, mais bien d’un environnement complexe dont la surface est un élément. La rapidité de développement et la capacité d’influence de pays comme Israël ou Singapour peuvent être comparées à d’autres pays occupant de grands territoires comme le Brésil, par exemple.
L’action collective est la capacité à mettre en œuvre les ressources matérielles et à les transformer en outil de puissance. Il s’agit là de savoir. En effet, à quoi bon être assis sur une mine de fer si on ne sait le transformer en acier. « Quand il s’agit d’armées régulières, le potentiel humain et industriel fixe d’étroites limites à l’action du chef. Il n’y a pas de grande armée moderne sans une grande industrie.[12] » Le facteur humain est aussi déterminant et une élite guerrière, un entrainement poussé, multiplierons l’efficacité des machines, ou, à l’inverse, les rendrons inutiles. Ainsi la puissance militaire de la France actuelle est largement dépendante de la qualité de son industrie de défense et de celle de ses soldats, tous deux reconnus dans le monde, alors que son territoire et sa population sont respectivement au 22ème et 49ème rang. Il convient également d’ajouter qu’à la notion d’industrie vue en 1960, il convient d’ajouter les capacités numériques, où l’innovation tient une grande place.
Aron se pose la question de la nature du régime de l’Etat dans ce calcul de puissance : une dictature est-elle intrinsèquement supérieure à une démocratie ? Tirant les leçons de la deuxième guerre mondiale, il écrit : « Des régimes où un seul commande, où les délibérations se déroulent en secret sont plus capables que les régimes où la presse demeure libre et où le parlement discute, de faire croire à une force irrésistible et à une résolution sans faille. Dans le poker diplomatique, le totalitaire bluffe souvent et gagne presque toujours – jusqu’au jour où l’autre tient le bluff.[13] » Ainsi, l’Ukraine, après avoir ramassé la mise russe en 2022, tient toujours tête à la Russie, sans se laisser impressionner. Israël a également toujours refusé la menace d’écrasement par les pays arabes. Cette obstination a payé, puisque l’Egypte et la Jordanie ont quitté, aujourd’hui, la table du conflit. Cette remarque ne préjuge pas de l’avenir.
La conscience d’elle-même d’une collectivité est aussi un élément de la puissance : « Une collectivité humaine, […] tire sa vitalité d’une idée historique. Que cette idée vienne à manquer […] : la collectivité paraîtra peu à peu comme vidée de sa substance, de moins en moins capable de créer des œuvres de culture.[14] » Ainsi, l’Europe a cédé sa place de phare culturel aux Etats-Unis. Si l’idée européenne contemporaine était de créer un espace de paix et d’échange, la vision historique de l’unité du continent, qui est une idée essentiellement culturelle, a été oubliée. Un peuple de consommateurs perd de son génie.
L’homme d’Etat
L’homme d’Etat est donc un élément déterminant dans la mise en œuvre de l’action collective. Rejoignant Clausewitz, Aron fait des relations internationales une lutte d’intelligence, d’astuce, de raison, de sagesse aussi. Mais la faute principale à éviter, rejoignant ainsi Marc Bloch[15], demeure de « …se rendre coupable de ce que J. Benda[16] appelait finalement la pire trahison des clercs : la sottise. [17]» Nous approfondirons cette question ultérieurement.
Le monde en 1960
Après cette partie consacrée à la théorisation des relations internationales, Aron applique ces principes à la situation de 1960. Il y voit une situation originale dans l’histoire de l’humanité, car, pour la première fois, l’humanité entière participe à l’histoire. Tous les pays sont représentés à l’ONU et donc participent à l’action diplomatique. Autre aspect, le conflit thermonucléaire entre les USA et l’URSS menace l’humanité entière. Cependant, ce monde homogène juridiquement est aussi réellement hétérogène : « […] la conjoncture de 1960, [est] dominée par deux faits majeurs : la révolution technique, origine tout à la fois de la capacité prodigieuse de détruire (armes thermonucléaires) et de produire (vanité des conquêtes), l’extension planétaire du champ diplomatique, origine tout à la fois de l’hétérogénéité réelle (diversité des principes de légitimé étatique, dimension des unités politiques) et de l’homogénéité juridique (Nations Unies, égalité et souveraineté des Etats). [18]» L’ONU met sur un pied d’égalité tous les Etats, du plus petit au plus grand. Cette organisation est passée de 51 membres en 1945, à 99 en 1960 et à 193 aujourd’hui. Mais en 1945, seul le vieux monde était représenté, Europe, les Amériques, Moyen-Orient et Inde, encore sous influence Britannique, et, en Afrique, Afrique du Sud et Ethiopie, le seul vraiment culturellement indépendant. Aujourd’hui, la mosaïque humaine, dans toute sa variété, politique, culturelle, religieuse, occupe la scène des relations internationales.
Le conflit thermonucléaire USA – URSS occupe une grande part de l’ouvrage. Nous sommes en 1960, depuis 10 ans l’URSS est entrée dans la course nucléaire et a rétabli la parité, voire dépasse les USA en nombre et en performance technologique. La conquête de l’espace est soviétique, la Chine communiste prend son envol, l’Asie du Sud-Est, après la chute de Dien Bien Phu, vire au rouge : l’Occident est en train de perdre. Que signifie la dissuasion dans un duopole où toute montée aux extrêmes est suicidaire ? La prolifération (Chine, Royaume-Uni, France) apporte-t-elle ou non, la stabilité ? Des voix s’élèvent également pour prôner la capitulation de l’occident, afin d’éviter la guerre nucléaire. Et in fine, Aron table sur les relations diplomatiques et la raison des dirigeants.
Il défend la résistance de l’Occident. Constatant la volonté du Kremlin de détruire cette civilisation, il refuse la capitulation au nom de la défense de nos valeurs. « L’Occident ne sera réellement en sécurité que le jour où le bloc soviétique cessera d’avoir pour but la destruction des régimes appelés par lui capitalistes, c’est-à-dire en fait la destruction de l’Occident lui-même.[19] » « A l’âge de la stratégie de dissuasion, on ne sauverait pas une nation ou une civilisation par la guerre, mais on ne la sauverait pas non plus par la capitulation.[20] » L’angoisse générée par la guerre froide, qui transparait dans les lignes de son ouvrage laisse place à une farouche volonté de résistance. Ce n’est malheureusement pas l’attitude qu’il constate chez les Européens. S’il comprend le déclin lié aux deux guerres mondiales, il regrette l’esprit de soumission : « Ce n’est pas le pacte Atlantique, c’est leur faiblesse [les Européens] qui les prive de leur indépendance.[21] » Il fustigeles mouvements pacifistes qui conduiraient à une capitulation et entrevoit la pente qui conduit l’Europe au renoncement : « Et les Occidentaux peuvent s’abandonner à l’illusion qu’au pire, dépouillés de leur puissance, ils devraient seulement accroître leur contribution au développement du tiers monde[22]. » Cette inquiétude de R. Aron s’est malheureusement réalisée. L’UE aide à fonds perdus Gaza, alimentant un mouvement terroriste, mais achetant une certaine bonne conscience. Le mouvement woke affiche une faiblesse voulue face à toute revendication, déstructurant l’existant, déconstruisant toute volonté de résistance. Si la virilité est combattue, vue comme toxique, l’affirmation de soi et le courage qui l’accompagne sont aussi éliminés du champ lexical et donc du champ du possible.
Quelle paix ?
Comment construire la paix ? Aron examine différentes options, oscillant entre idéalisme et réalisme, soumission à la loi ou soumission à un empire. Aucune solution ne se dégage, sauf à respecter trois conditions : « que les armes thermonucléaires (ou des armes équivalentes) ne soient pas employées, que la répartition équitable des ressources soit assurée, que les races, les peuples, les nations, les croyances s’acceptent et se respectent. Aucune de ces trois conditions n’ayant jamais été remplie, il n’est pas faux de dire que l’ordre politique est inséparable des hostilités[23]. »
En conclusion de son ouvrage, Aron constate que les relations internationales sont à la fois un jeu d’intelligence (diplomatie), choc des volontés et des astuces, et une lutte, celle-ci n’excluant pas l’emploi des armes.
« Laissons à d’autres, plus doués pour l’illusion, le privilège de se mettre par la pensée au terme de l’aventure et tâchons de ne manquer ni à l’une ni à l’autre des obligations imposées à chacun de nous : ne pas s’évader d’une histoire belliqueuse, ne pas trahir l’idéal ; penser et agir avec le ferme propos que l’absence de guerre se prolonge jusqu’au jour où la paix deviendra possible – à supposer qu’elle le devienne jamais[24]. »
Penser la guerre, Clausewitz : la réhabilitation d’une pensée complexe
L’ouvrage est publié en deux tomes intitulés « l’âge européen » et « l’âge planétaire ». Le premier tome est consacré à l’œuvre de Clausewitz, l’élaboration de la pensée du général allemand, ce que contient « De la guerre » et une étude sur la formation d’une théorie, la confrontation de celle-ci à l’histoire et aux philosophes. Le deuxième tome, quant à lui, voit R. Aron confronter Clausewitz aux conflits d’un XXème siècle couvrant la période 1870-1970. Nous voyons se succéder à la fois les généraux allemands, Foch, puis Lénine, Hitler, Mao, les résistants et les partisans. Dans une deuxième partie de ce tome II, il conduit une réflexion sur la guerre dans un contexte marqué par les armes nucléaires.
Raymond Aron ne se contente pas de faire une simple analyse de l’ouvrage de Carl von Clausewitz, mais il fixe de façon claire et contradictoire la théorie, et confronte cette théorie au monde contemporain. Je dis contradictoire parce que R. Aron se confronte aux détracteurs de Clausewitz, soit parce qu’ils récusent son approche, soit parce qu’une lecture trop rapide ou incomplète de l’ouvrage provoque une interprétation caricaturale de la théorie. Or, les huit livres du « De la Guerre » décrivent dans le détail les différents types de conflit, pas uniquement la guerre totale. Aron entre dans ce détail pour une compréhension intime de l’auteur, de l’œuvre et de son application. Insistons : dans son analyse théorique, Clausewitz décrit la guerre totale et la guerre limitée comme des archétypes entre lesquels la guerre réelle existe. Il n’est pas le chantre d’un type de guerre, mais l’analyste de situations historiques et le théoricien de la guerre. Le but de la guerre est la paix, et les conditions de la paix doivent être fixés par le politique qui en retour donne au militaire les moyens d’accomplir cette tâche. Bien sûr, la guerre totale est une réalité et quand Clemenceau dit « je fais la guerre » en abordant tous les aspects de sa politique, il fait la guerre totale. Quand Clausewitz aborde la notion de centre de gravité, il cite, selon les cas, l’armée, la capitale du pays, l’unité des intérêts dans une alliance, le chef principal et l’opinion publique[25]. La destruction de l’armée ennemie est donc bien un objectif possible, mais il n’est pas le seul. Quand Clausewitz descend dans des notions purement militaires, comme la dialectique offensive/défensive, il institue la défensive comme méthode supérieure, et non pas l’offensive à outrance. La défensive stratégique n’est pas passivité et l’Ukraine aujourd’hui mène une guerre défensive pour conserver son territoire et son indépendance, et pour cela le gouvernement ukrainien utilise des offensives, notamment en direction de Koursk en Russie. Donc opposer la politique, méthode soft, aux autres moyens paroxystiques de la violence, est un contresens. La phrase est d’ailleurs la continuation de la politique, et non pas le remplacement de celle-ci. La subordination du militaire, des buts de guerre et des moyens, au politique, tel que l’affirme Clausewitz, montre bien cette continuité. Si nous analysons l’opération spéciale Russe en Ukraine, l’attaque du 24 février 2022 était limitée à deux centres de gravité : la capitale et le chef principal. Des attaques secondaires ont aussi eu lieu, mais si ces deux cibles étaient tombées en 3 jours, la guerre s’arrêtait là et nous aurions la paix en Ukraine, sans guerre totale. Mais le défenseur en a décidé autrement. « La formule qui ravissait Lénine – que le défenseur commence réellement la guerre parce que le conquérant préférerait prendre sans combattre – se rapporte manifestement au niveau supérieur de la politique. [26]» Le président Zelensky a décidé politiquement d’entrer en guerre pour se défendre contre l’agression et pour reprendre les territoires perdus en 2014. Si l’Ukraine est en guerre totale, la Russie, malgré son effort conséquent, ne l’est pas forcément puisqu’elle s’arrête pour l’instant au seuil nucléaire. L’Ukraine mène aussi une guerre politique, diplomatique et intérieure.
L’analyse de l’ouvrage souligne encore ces éléments en reprenant d’autres aspects de l’œuvre de Clausewitz.
Le temps de la réflexion
Que peut-on retenir de l’ouvrage de R. Aron ? Tout d’abord, la lente maturation de la réflexion de Clausewitz. L’intuition initiale de 1804, où le jeune lieutenant se permet de critiquer vertement un auteur militaire connu[27], a lentement mûri au fil de la carrière et des évènements historiques des guerres napoléoniennes. Mais tout est déjà là : « Dans ces notes dispersées de 1804 apparaissent la plupart des notions à l’aide desquelles s’élèvera finalement la cathédrale conceptuelle du Traité : stratégie et tactique, attaque et défense, forces matérielles et forces morales, les moyens et la fin, les règles et le génie, l’audace et la prudence, grandeur du succès et grandeur des risques, qualités de l’esprit et qualités du caractère nécessaires au chef de guerre[28] ». La rédaction des huit livres du « De la guerre » se poursuit jusqu’à la fin de sa vie (1831, à 51 ans). Mais, au fur et à mesure de sa rédaction, il mûrit la formulation de sa pensée, reprend ses écrits et a seulement le temps de réécrire le chapitre 1 du livre I.
Au-delà de la caricature de la guerre portée aux extrêmes dont on affuble Clausewitz, R. Aron insiste sur les réflexions du Prussien sur la nature de la guerre. La théorie montre le concept idéal de guerre, mais Clausewitz, lui-même combattant, sait bien que « Les situations, abstraitement définies, prennent historiquement des caractères variés de telle sorte qu’entre le désarmement du vaincu et la partie nulle, de multiples formes intermédiaires se manifestent[29]. » R. Aron constate qu’« Il semble donc, en ce cas, que la théorie présente une double origine, d’une part l’analyse des notions, d’autre part, l’expérience[30]. »
Au cœur de cette réflexion, il y a la paix et la notion d’usage de la guerre, qui aboutit à la fameuse formule de la guerre continuation de la politique : « Concept strictement militaire, la victoire n’apparait que comme un moyen en vue de la fin véritable, à savoir la paix. La pluralité des fins politiques, la non détermination de ces fins répondent très exactement à l’exigence de Fuller : penser la guerre non en elle-même mais par rapport à la paix [31]». Le tome II reviendra sur ce point.
Forces morales
Dernier point retenu de ce tome I, la discussion sur le triptyque violence de la guerre, libre activité de l’âme et pur entendement. A partir de ces éléments, R. Aron discute des facteurs en cause dans ces trois points et souligne que c’est Clausewitz qui a introduit la notion de facteur moral : « Clausewitz passe souvent, et à juste titre, pour l’écrivain militaire qui introduisit dans la théorie la notion du moral (d’une armée) ou des forces morales (moralische Potenzen).[32] » Forces morales nécessaires au chef de guerre ou au chef politique pour exercer leur entendement, en respectant cette condition : « La politique ne détermine adéquatement la fin qu’à condition d’apprécier exactement la nature de la guerre en fonction des circonstances qui la conditionnent[33]. » Le refus de la France, en 2003, de suivre les américains en Irak illustre ce propos : examen de la situation, appréciation autonome et force morale pour résister à la pression de notre allié. Dans un monde troublé et dangereux, dans lequel les faits peuvent être masqués par de la propagande, où des agents d’influence plus ou moins bien intentionnés jouent leur rôle, il faut avoir la capacité à s’extraire de cet environnement, revenir aux faits et décider en conscience.
Les étranges héritiers de Clausewitz
A partir des analyses réalisées dans le tome I, R. Aron va analyser les conflits du XXème siècle dont il est le contemporain et l’acteur. Il décrit notamment comment Lénine et Mao se sont appropriés Clausewitz et ont développé une pensée stratégique clausewitzienne, adaptée à leur vision politique : « La conclusion s’impose d’elle-même : la pensée de Clausewitz, interprétée par un marxiste, a servi de cadre théorique ou d’idéologie justificatrice à Lénine et aux marxistes-léninistes depuis 1915 jusqu’à nos jours inclusivement[34]. » Ainsi, « Lénine a certainement compris une des composantes de la pensée clausewitzienne : la totalité politique contient la guerre qui n’en constitue qu’un moment ou même un aspect toujours partiel, y compris durant les hostilités[35]. » Mao a repris à son compte l’enseignement de Lénine, en l’adaptant aux conditions politiques locales, non seulement au début de son combat, mais aussi en s’adaptant à leurs évolutions (guerre contre les Japonais, puis contre les nationalistes). « Lénine, et surtout Mao, à la faveur de circonstances, transformèrent un mode de combat en un instrument de révolution[36]. » R. Aron rappelle que, pour ces dirigeants, la Paix est l’objectif final, mais la paix comme fin des raisons de lutter, c’est-à-dire quand le monde sera devenu socialiste. Et pour se faire : « La stratégie totale […] se confond avec la politique de l’Etat lui-même, mettant en œuvre tous les moyens ou matériaux pour s’affirmer à l’égard des autres Etats[37]. »
Nature des armes nucléaires
La dialectique nucléaire est aussi évoquée. R. Aron a participé à des travaux américains sur ce sujet, ses réflexions sont donc celles d’un acteur. Il constate que « la guerre nucléaire restitue son sens authentique à la définition de la politique par l’intelligence de l’Etat personnifié[38]. » Le feu nucléaire dans la main d’un seul homme est la représentation absolue des réflexions de Clausewitz sur la relation entre politique et militaire. R. Aron est sceptique quant à l’efficacité absolue de la dissuasion « la dialectique de deux volontés politiques n’est jamais entièrement prévisible. La thèse de l’efficacité infaillible d’une menace nucléaire […] demeure une vue de l’esprit.[39] ». Il reconnait une valeur stratégique à la dissuasion – anéantir l’intention offensive de l’adversaire[40] mais considère que c’est une traite sur l’avenir, qu’il faudra payer un jour. Le nucléaire fausse donc les rapports stratégiques, présente un coût élevé et les armes ne servent pas. Comme l’a montré l’exemple vietnamien pour les Etats-Unis « …c’est aussi l’inutilité, pour atteindre certains buts politiques, des armes que l’on n’emploie pas et que l’adversaire ne craint pas pour la simple raison qu’il sait qu’elles ne seront pas employées.[41] » Les actions asymétriques ne sont pas autre chose : passer sous la garde de l’adversaire, qui éprouve alors des difficultés pour combattre sans utiliser ses atouts. C’est ce qui caractérise aujourd’hui la stratégie iranienne vis-à-vis d’Israël, dont l’arsenal nucléaire, même s’il est maintenu dans une posture d’ambiguïté, est reconnu sur la scène internationale.
Sortir de l’Histoire ?
L’épilogue de l’ouvrage s’intitule « Adieu aux armes ou la Grande Illusion ». Déjà en 1975, R. Aron percevait une volonté de désengagement de l’Occident, au moment où le reste du monde revenait dans l’histoire : « Mais si, en Europe et peut-être aux Etats-Unis, les fondements du patriotisme ont été rongés par la civilisation commerciale industrielle de notre époque, en va-t-il de même en Union Soviétique, en Chine, en Inde, en Algérie, dans les pays arabes ? En vérité, la grande illusion, en l’an de grâce 1975, ce n’est plus celle qui lança les peuples d’Europe […] en une ardeur suicidaire, c’est l’illusion de sens contraire, celle des Européens […] qui prêtent à tous les peuples et à tous ceux qui les gouvernent une seule rationalité, celle des économistes qui comparent les coûts et les rendements. Les Européens voudraient sortir de l’histoire, de la grande histoire, celle qui s’écrit en lettres de sang. D’autres par centaines de millions, y entrent ou y rentrent[42]. » La très grande acuité d’analyse de R. Aron lui permettait de percevoir la tendance de nos sociétés conduisant à la situation de bascule actuelle, alors que les 15 années suivantes, jusqu’en 1990 et même 2001, semblait voir triompher le marché et la société de consommation.
Il existe des parades à cette illusion, notamment l’étude à laquelle devrait se soumettre nos élites « Et nunc, reges, intelligite : erudimini qui judicatis terram. [43]» car « Tout art suppose une aptitude innée, même si l’étude ou l’exercice permettent seuls de développer le talent naturel[44]. » R. Aron considère que Clausewitz fait partie des sujets d’étude : « Démocrates et libéraux, à la condition de le bien comprendre, peuvent au moins apprendre de lui la rigueur conceptuelle.[45] » Ainsi, il devrait être possible de retrouver « ce qui manque, […] c’est le sens de l’histoire et du tragique[46]. »
Raymond Aron au XXIème siècle
Au bout de ces quelques 1500 pages, la vision diplomatico-stratégique de R. Aron apparaît centrée sur le chef d’Etat, l’homme politique. Dans la vision stratégique, c’est lui qui doit fixer les objectifs de la lutte, fixer les limites et donner les moyens. Clausewitz l’a exprimé en posant la guerre comme continuation de la politique. La théorie sur la puissance dans Pays et guerre… montre bien le rôle du politique au sens de Périclès, celui qui conduit la cité, la polis.
La puissance
Reprenons les critères de puissance établis par R. Aron : si l’espace d’un Etat semble quelque chose de donné et d’immuable, dans les faits le politique peut modeler cet espace, d’abord en créant des relations avec ses voisins ; ainsi l’Union Européenne est un moyen de modeler un espace favorable pour des puissances déclinantes, mais aussi en adaptant son propre espace territorial, fût-il naturellement hostile. Il suffit de regarder comment les pays de la péninsule Arabique ont dompté leur espace, élargi leur territoire, sans trop toucher aux frontières. Le projet NEOM[47] en Arabie Saoudite en est un bon exemple, futuriste, et on pourrait ajouter pour ce même pays le développement d’Al Ula[48], permettant, au-delà du tourisme, de retrouver des racines pré-islamiques.
Une lecture trop rapide du mot ressources laisserait croire que l’exploitation des ressources naturelles existantes serait un cadeau du ciel donné, ou refusé, à exploiter au mieux. La notion de ressources est dynamique. Par exemple, le nucléaire civil français est un facteur de puissance, combattu en cela par nos adversaires, anti-nucléaires français et Allemagne, dépendants de Moscou ou d’autres puissances. Le dynamisme est aussi dans la création d’industrie ou le développement de l’instruction. Là encore, l’Arabie Saoudite contemporaine est un bon exemple de volontarisme dans le domaine des ressources autres que naturelles. A contrario, l’interdiction légale d’exploiter le pétrole guyanais maintient la France dans une dépendance aux hydrocarbures étrangers.
L’action collective dépend de l’organisation de l’Etat, de sa capacité à être efficace, à susciter l’adhésion des peuples, à mettre en action ressources et espace. Aron inclut l’idée historique dans la vitalité d’une nation. Reste à impulser et diriger ce mouvement. C’est là le rôle du politique. C’est une lourde responsabilité.
Comme souligné à la fois dans Paix et Guerre… et dans Penser la guerre…, il faut commencer par se faire une idée juste de la situation : sans compréhension précise des faits, des situations, de la psychologie des acteurs, nation et dirigeant – quelle est la psychologie du peuple américain ? De V. Poutine ? Sans analyse des rapports de force, forces intrinsèques et alliances, le dirigeant ne peut pas prendre de décisions fondées. Sun Tsu ne disait pas autre chose. Or pour reprendre l’expression de Jacques Julliard, déjà soulignée par M. Bloch et J. Benda, l’inintelligence, la sottise sont des maux profonds qui frappent les élites. Comment regarder le monde tel qu’il est si l’on est aveuglé, par son milieu, son éducation et souvent par soi-même, l’hypertrophie du moi, ayant une tendance fâcheuse à empêcher les yeux de s’ouvrir. La culture, celle qui permet d’apprendre sur l’humanité et sur soi-même, et développe l’humilité est un excellent contre-poison à la sottise des gens intelligents. Comprendre la culture d’autrui est une nécessité, mais connaitre la sienne et l’assumer est primordial.
Les armes nucléaires
Depuis 1990, nous avons oublié la terreur, telle que décrite par R. Aron, de la destruction mutuelle. Pourtant, l’arsenal nucléaire est à la fois plus performant et plus disséminé qu’en 1960. Il considère que c’est un facteur d’égalisation entre puissances car il n’est plus besoin d’avoir des armées puissantes pour dissuader. L’acquisition de telles armes est cependant un facteur de puissance marqué par une volonté, des ressources technologiques et scientifiques, et un environnement favorable, notamment via l’aide d’alliés. Les difficultés que rencontre l’Iran pour mener rapidement à bien son programme nucléaire illustre a contrario ce principe. L’emploi de ces armes est la pleine expression du pouvoir politique, quasi solitaire, avec la part de réflexion, de sagesse ou d’ego que cela comporte, et donc la part d’incertitude. La montée systématique aux extrêmes, que l’on a reproché à Clausewitz trouve là sa traduction chimiquement pure. Mais, compte tenu du risque, la palette d’action s’ouvre avant d’aller au tragique. Nos dirigeants actuels n’ont pas connu cette confrontation au tragique, contrairement à la génération de Aron. Peut-être ont-ils alors une vision différente du champ d’action, plus étroit, avec un refus du premier conflit, trop large. La lenteur des réactions concrètes de l’Europe de l’Ouest à l’invasion de l’Ukraine montre une distance par rapport à la réalité. La Pologne, les pays Baltes, la Finlande ont encore en mémoire le poids de la domination et de la menace soviétique. Leur réaction a été plus vive et radicale.
Marx, Lénine et Mao
L’anticommunisme de R. Aron n’est un mystère pour personne. J’ai cependant ressenti, dans Penser la guerre…, de l’admiration de notre auteur pour la manière dont les marxistes se sont approprié Clausewitz et ont fait leurs les théories du général prussien[49]. Aron estime que les communistes en sont d’autant plus dangereux. Ils ont un objectif politique, qui est la Paix par la destruction du capitalisme et l’imposition du socialisme sur le monde entier. Le chef d’Etat-stratège a un objectif, et il s’y tient. En conséquence, tout est subordonné à cet objectif, et tous les moyens sont bon, y compris la subversion, à laquelle Aron consacre un chapitre (chapitre XVII) dans Paix et guerre… Et comment ne pas reconnaitre certaines situations actuelles quand il écrit : « des non-communistes en viennent, sans même en prendre conscience, à militer dans une association dont les dirigeants sont tous ou des communistes ou des pions en un jeu mené par les communistes.[50] » La dialectique employée par Moscou dans sa guerre en Ukraine est dans la droite ligne de celle employée pendant la guerre froide, la destruction de l’Occident reste l’objectif des communistes. C’est donc bien ce que souligne Aron : la compréhension marxiste-léniniste de Clausewitz a abouti à un objectif politique, et toute l’action est subordonnée à cet objectif.
L’Occident, affaiblissement inéluctable ?
Notre civilisation, née au bord du Nil, grandie en Grèce puis au bord du Tibre, vivifiée par l’apport chrétien, a dominé le monde. Il y a moins d’un siècle, en 1931, Paris accueillait l’exposition coloniale internationale, célébrant l’apogée des Empires. Près d’un demi-millénaire de conquête et de domination presque totale de la planète étaient ainsi célébrées. La France célébrait les peuples et cultures rencontrés et son action civilisatrice. Apogée de l’Empire, mais aussi chant du cygne. La puissance des puissances coloniales était déjà bien émoussée par la première guerre mondiale, la seconde allait donner le coup de grâce. Aron constate ce désenchantement. Il y a probablement une forme de sidération et de culpabilité après les ravages de la guerre, une action communiste délétère – les voix pacifistes sont fortes, surtout au Royaume-Uni, et l’Allemagne est impuissante. Ce renoncement, à l’abri du parapluie américain, a aussi conduit à un renoncement de puissance, par l’abandon progressif de la volonté de celle-ci. La fin des empires coloniaux a permis la manifestation de l’hétérogénéité des nations, et donc de leur volonté d’existence. Le développement conduit par ces Etats a pris plus ou moins un demi-siècle. Dès lors que, sur les espaces à peu près stables, les ressources, notamment de savoir, sont au niveau occidental, il suffit d’une volonté pour réclamer la puissance, et déchirer les lambeaux du linceul de la nôtre. Nous nous réveillons de notre engourdissement, un peu surpris de l’Histoire qui se déroule sous nos yeux, selon les mêmes principes que ceux décris par R. Aron. Nous ne soumettrons plus le monde, comme en 1930. Est-ce une raison pour se contenter d’être le vieillard malade d’un monde revivifié ? Les facteurs de puissance sont bien connus. Nous, occidentaux, ne manquons ni d’espace, ni de ressources, surtout scientifiques et technologiques. Manquerions-nous de volonté ? Une civilisation est attractive, et donc respectée, si elle est dynamique. Il n’est pas nécessaire d’être en opposition, en conquête. Être soi-même fièrement, simplement et marcher son propre chemin devrait permettre aux Européens de retrouver un rang de Puissance, à égalité avec les autres.
En guise de conclusion
J’ai mis en exergue cette citation de R. Aron « …la paix, qui n’est pas l’absence de guerre mais une force de l’âme. » Au terme de cette réflexion, il est possible d’expliciter cette phrase. Elle est issue du chapitre VI du volume II de Penser la guerre… qui s’intitule « l’intelligence de l’Etat personnifié ». Les philosophes discutent de l’avantage de la guerre absolue pour gagner la paix définitive. Aron est désireux de cette paix, mais son côté réaliste voit les nombreux obstacles. Notamment, comme il le disait déjà dans Paix et guerre…, la paix universelle ne viendra pas de la destruction de l’humanité. La paix universelle est une illusion. La guerre est une constante de l’histoire humaine, parce qu’elle est une spécificité de l’espèce humaine. Elle est donc inéluctable. La paix doit cependant rester un objectif à très long terme, mais pour cela il faut que son idée soit ancrée dans nos âmes et reste présente malgré les vicissitudes. C’est une paix de volonté d’airain de l’Etat personnifié, non pas un refus du combat mais une volonté de dépasser la spirale où nos ennemis – nous en avons – veulent nous entraîner. C’est une paix de modestie, de reconnaissance de l’autre en tant qu’humain, avec ses droits et ses devoirs, et surtout avec son droit à l’existence, comme nous. La victoire totale d’écrasement n’est plus à l’ordre du jour, rejoignant ainsi l’analyse de Clausewitz et la soumission du militaire au plus noble de la Politique. Si vis pacem, para bellum disaient les Romains. La mise en action de la puissance dont nous disposons est la meilleure réponse aux désordres actuels. Un philosophe constate que notre âme a été abolie[51], n’est-ce pas le plus grand danger ?
[1] Raymond Aron, Penser la guerre, Clausewitz. Tome II, l’âge planétaire, Gallimard, 1976, p. 225.
[2] J’emprunte la formule à Jacques Julliard, in Le Figaro du 4 décembre 2022, « Notre déclin, nous l’avons fabriqué de nos propres mains, par démagogie sans doute, mais surtout par inintelligence des situations, et même, disons le mot au pays qui s’enorgueillit sans cesse du rôle de ses intellectuels, de la sottise la plus difficile à combattre, celle des gens intelligents. »
[3] Voir Umberto Eco, Sur les épaules des géants, Grasset, 2018, sur l’origine de cette expression.
[4] Les éléments biographiques sont tirés de Nicolas Baverez, Raymond Aron, Flammarion, 1993.
[5] Nicolas Baverez, op. cit., p. 425.
[6] Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, 1962, 1984.
[7] Praxéologie : science ou théorie de l’action.
[8] Paix et guerre… op.cit. p. 18.
[9] Ibid. p. 42.
[10] Ibid. p. 58.
[11] Ibid. p. 65 c’est l’auteur qui souligne milieu, ressources, action collective.
[12] Ibid. p. 75.
[13] Ibid. p. 77.
[14] Ibid. p. 313.
[15] Marc Bloch, L’étrange défaite, 1946.
[16] Julien Benda, La trahison des clercs, première édition Grasset 1927.
[17] Paix et guerre… p. 620.
[18] Ibid. p. 369.
[19] Ibid. p. 676.
[20] Ibid. p. 654 – C’est R. Aron qui souligne.
[21] Ibid. p. 439.
[22] Ibid. p. 745.
[23] Ibid. p. 741 – C’est R. Aron qui souligne.
[24] Ibid. p. 770.
[25] Penser la guerre, … op. cit. Tome I p. 182.
[26] Ibid. p. 268.
[27] Ibid. p. 77.
[28] Ibid. Tome I, p. 90.
[29] Ibid. Tome I, p. 108.
[30] Ibid. Tome I, p. 323.
[31] Ibid. Tome I, p. 174.
[32] Ibid. Tome I p. 194.
[33] Ibid. Tome I p. 107. C’est R. Aron qui souligne.
[34] Ibid. Tome II p. 68.
[35] Ibid. Tome II p. 76.
[36] Ibid. Tome II p. 207.
[37] Ibid. Tome II p. 259.
[38] Ibid. Tome II p. 231.
[39] Ibid. Tome II p. 242.
[40] Ibid. Tome II p. 241.
[41] Ibid. Tome II p. 153.
[42] Ibid. Tome II p. 283.
[43] Et maintenant rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre ! Psaume 2. Trad. Ecole Biblique de Jérusalem. Ed. du Cerf. 1955.
[44] Ibid. Tome I p. 292.
[45] Ibid. Tome II p. 268.
[46] Ibid. Tome II p. 285.
[47] NEOM: un accélérateur du progrès humain
[48] L’Agence française pour le développement d’AlUla (afalula.com)
[49] Paix et guerre, … op. cit. Tome II page 61 et suivantes. Aron analyse l’appropriation du traité par Lénine, puis Mao et comment le général prussien irrigue encore aujourd’hui la pensée Marxiste-Léniniste la plus orthodoxe.
[50] Paix et guerre… p. 515.
[51] Robert Redeker, L’abolition de l’âme, Editions du Cerf 2023.