Moyen-Orient : entre fragmentation et multi-alignement

Depuis l’été 2023, la configuration stratégique du Moyen-Orient a profondément évolué sous l’impact de plusieurs évènements.

Tout d’abord, l’implication diplomatique de la Chine a permis de faire aboutir la normalisation entre l’Arabie Saoudite et l’Iran et s’est immédiatement étendue aux Emirats Arabes Unis. C’était la démonstration claire que les Etats-Unis sont perçus par les acteurs régionaux comme une partie du problème, alors que la Chine est perçue comme l’une des nouvelles solutions. Cette dynamique s’est poursuivie par l’intégration de l’Iran, des Emirats Arabes Unis et de l’Egypte dans le groupe des BRICS+. L’Arabie Saoudite, initialement invitée, a préféré renoncer sous forte pression américaine.

Dans un deuxième temps, les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, suivis de la violente réaction israélienne à l’encontre de ses adversaires, ont gelé le processus de normalisation entre les pays arabes et Israël, menaçant même les Accords d’Abraham. Dans la foulée, l’affrontement direct entre Israël et l’Iran à partir du printemps 2024, qui a culminé avec la guerre des douze jours de juin 2025, a considérablement affaibli le régime iranien qui se bat désormais pour sa survie. La chute du régime syrien de Bachar el-Assad (décembre 2024) a brisé durablement « l’axe de la résistance à Israël » et a porté le coup de grâce aux ambitions régionales de l’Iran. Ces succès militaires ont exacerbé l’hubris des décideurs israéliens qui poussent leur avantage toujours plus loin.

Enfin, l’arrivée à la Maison Blanche d’une nouvelle administration Trump en janvier 2025 a brouillé les cartes. L’imprévisibilité, la brutalité et la détermination de Donald Trump à trouver des « deals » et à privilégier les intérêts économiques des Etats-Unis à n’importe quel coût diplomatique, a modifié les termes de l’équation stratégique.

Il y a encore trois ans, le Moyen-Orient se partageait entre pays pro-iraniens alignés sur l’axe Téhéran, Moscou et Pékin et les pays hostiles à l’Iran regroupés autour des Etats-Unis et d’Israël. Aujourd’hui, les pays qui s’en remettent exclusivement aux Etats-Unis se comptent sur les doigts d’une seule main : Israël, la Jordanie, le Koweït, Bahreïn et la Turquie. Si R.T. Erdogan donne l’impression de s’émanciper de la tutelle américaine pour jouer ses propres cartes, il reste stratégiquement dépendant des Etats-Unis et du parapluie – y compris nucléaire – de l’OTAN pour tenir à distance la Russie, l’Iran et dans une moindre mesure la Chine. Grâce à l’aide américaine et aux pressions exercées par Washington, le président turc a réussi à sécuriser un axe terrestre turcique reliant la Turquie à l’Azerbaïdjan qui contrecarre les intérêts de la Russie et de l’Iran dans la région (corridor TRIPP sur la carte).

Hormis l’Iran qui a fait un choix anti-américain radical et exerce encore une influence importante en Irak et plus difficilement sur la partie du Yémen contrôlée par les Houthis, tous les autres Etats pratiquent allègrement le multi-alignement pour optimiser leurs débouchés économiques et multiplier les partenariats stratégiques et par là-même les protections militaires. Ils mettent leurs œufs dans des paniers très différents, misant sur des partenariats à géométrie variable, conscients que leurs défis sont aujourd’hui autant économiques, politiques, sociétaux et environnementaux, que sécuritaires et diplomatiques. Globalement, les pays du Moyen-Orient se tournent de plus en plus vers l’Asie et délaissent très largement les Européens. Les Russes, en recul, paient les conséquences de leur guerre en Ukraine et de leur très faible soutien à Bachar el-Assad et au régime iranien.

Dans cette reconfiguration régionale, les deux nouveaux-venus sont l’Inde et le Pakistan qui font preuve d’entrisme à l’égard des monarchies du Golfe, mais aussi de l’Irak et de l’Egypte. L’accord de défense mutuelle conclu le 17 septembre 2025 entre l’Arabie Saoudite et le Pakistan pourrait constituer un tournant. En attendant, la « nouvelle Syrie » demeure très fragile et son président intérimaire Mohammed Al-Charaa, ancien djihadiste, reste tiraillé entre son aile droite islamiste qui cherche à établir un califat sunnite radical, et son sens du réalisme qui l’oblige à donner des gages aux Occidentaux pour faire tomber les sanctions économiques qui ont frappé le pays depuis deux décennies. Daech profite de cette ambivalence pour sortir de clandestinité et menacer de nouveau l’est de la Syrie, de même que la frontière syro-irakienne.

Ces thématiques feront l’objet de deux tables rondes consacrées au Levant et au Golfe lors des Rencontres Stratégiques de la Méditerranée qui se dérouleront au palais Neptune de Toulon les 8-9 octobre 2025. Il est encore temps de vous y inscrire.

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EDITO

Ce mois de septembre a illustré la bascule stratégique à l’œuvre. Le 80ème anniversaire de l’assemblée générale des Nations Unies aurait dû être l’évènement international majeur de la rentrée. Cela n’aura pas été le cas...

Nesrine Akharouid

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