L’Inde en Afrique de l’Est et au sud de l’océan Indien : une diplomatie de défense discrète mais stratégique

Par Mélissa Levaillant chercheuse associée à l’Institut FMES, et Sonia Le Gouriellec, maîtresse de conférences en Science politique à l’Université catholique de Lille (FD/C3RD)

Depuis une décennie, l’Inde renforce ses relations avec l’Afrique de l’Est et le sud de l’océan Indien, motivée par la montée en puissance de la Chine et la nécessité d’assurer la sécurité maritime. L’initiative SAGAR (Security and Growth for All in the Region) et la vision Indopacifique définissent cette approche stratégique centrée sur la libre navigation et la coopération régionale. En matière de défense, l’Inde a multiplié les partenariats bilatéraux et les dialogues multilatéraux, comme le Conclave Inde-Afrique et l’India-Africa Defence Dialogue. Elle joue aussi un rôle croissant dans la sécurité maritime en fournissant des navires militaires, du matériel et de la formation à des États comme Maurice, les Seychelles et Madagascar. Sa participation aux opérations de maintien de la paix et aux exercices militaires conjoints souligne son engagement en Afrique. Pour la France, la présence renforcée de l’Inde dans la région représente une opportunité stratégique de coopération en matière de sécurité et de développement. Une synergie entre Paris et New Delhi pourrait renforcer la stabilité régionale et élargir leur influence face à la Chine, notamment en s’appuyant sur la présence française dans la zone.

Depuis une décennie, l’Inde s’emploie à redéfinir ses relations avec les pays d’Afrique de l’Est et du sud de l’océan Indien, s’appuyant sur des liens historiques, culturels et géographiques, mais surtout sur une vision géostratégique accrue. Le lancement de la Belt and Road initiative (BRI) par la Chine en 2013 et l’installation en 2017 d’une base chinoise sur le territoire djiboutien n’y sont pas étrangers. La montée de la présence chinoise dans ce théâtre élargi a poussé l’Inde à reconsidérer l’appréhension de son environnement et de son voisinage immédiat à une prise en compte plus extensive de l’océan Indien, de la côte orientale de l’Afrique jusqu’à la mer d’Andaman. Au-delà des domaines sécuritaires, la connectivité de l’Inde avec les pays d’Afrique de l’Est et de l’océan Indien est également un prolongement naturel du désir de l’Inde d’accroître ses débouchés commerciaux et de renforcer ses partenariats bilatéraux avec les nations littorales et insulaires.

Tout en continuant de se concentrer sur les opérations de maintien de la paix (OMP) de l’ONU et la sécurité maritime, domaines d’intérêt commun traditionnels, le repositionnement indien s’est traduit par des partenariats renforcés en matière de défense, articulés autour de cadres institutionnels, de projets bilatéraux, et d’une émergence de son industrie d’armement.

La place croissante du sud de l’océan Indien dans la stratégie indienne

L’intégration de l’océan Indien dans la vision stratégique indienne s’inscrit dans une évolution plus large de la politique étrangère du pays, qui vise à asseoir son rôle de future puissance globale. Cette dynamique s’est matérialisée à travers l’initiative SAGAR (« Security and Growth for All in the Region »), annoncée par Narendra Modi en 2015 à Maurice, qui affirme l’ambition de l’Inde de jouer un rôle moteur dans la sécurité maritime et le développement régional. En 2018, lors du Shangri-La Dialogue, Modi a précisé la vision indienne de l’Indopacifique, insistant sur la liberté de navigation, la coopération régionale et le respect du droit international. Peu de temps après sa réélection en 2024, Narendra Modi a réaffirmé son engagement pour renforcer les liens avec cette partie de l’Indopacifique[1]. Il s’est notamment rendu pour la première fois au Nigéria et dans dix autres pays d’Afrique.

L’océan Indien a progressivement pris une place centrale dans la politique étrangère indienne en raison de plusieurs facteurs : la montée de la piraterie et du terrorisme maritime, la nécessité de protéger les ressortissants indiens à l’étranger et, surtout, l’affirmation croissante de la Chine dans la région. À cela s’ajoute un enjeu énergétique important : l’Inde dépend du commerce maritime pour 85 % de ses importations de pétrole et 50 % de son gaz naturel liquéfié, ce qui la rend particulièrement vulnérable aux perturbations des routes maritimes. Or ces dernières années, les attaques des Houthis en mer Rouge, la guerre au Soudan et l’instabilité dans le golfe d’Aden ont entraîné une redirection du trafic maritime vers la route contournant le cap de Bonne-Espérance. Cette reconfiguration a accru l’importance stratégique du sud de l’océan Indien.

Dans ce contexte, l’Inde cherche à diversifier ses sources d’hydrocarbures afin de réduire sa dépendance aux fournisseurs traditionnels du Golfe arabo-persique qui fournissent la moitié de ses besoins. L’Afrique représente aujourd’hui environ 20 % des importations de pétrole de l’Inde, même si l’Afrique de l’Est y contribue encore modestement[2]. L’Inde explore de nouvelles opportunités dans la zone, notamment au Mozambique où les sociétés pétrolières et gazières détiennent 30 % des parts du bloc 1 mené par Total (16 % pour Oil and Natural Gas Corp, 10 % pour Bharat Petroleum Corp et 4 % pour Oil India Limited)[3]. Cependant, l’insurrection islamiste dans le nord du Mozambique depuis 2017 a entraîné une instabilité croissante, forçant l’Inde à adapter sa posture et à renforcer la surveillance maritime dans le sud de l’océan Indien.

Des cadres institutionnels adaptés pour répondre aux défis sécuritaires

De nouveaux dialogues multilatéraux

Les relations de défense entre l’Inde et les pays d’Afrique de l’Est s’inscrivent dans un cadre régional plus large. Ces dernières années, l’Inde et les pays africains ont multiplié les dialogues de coopération, notamment régionaux, pour répondre aux enjeux communs de sécurité. En 2020, le lancement du Conclave des ministres de la Défense Inde-Afrique (IADMC) a marqué un jalon important, rassemblant 154 délégués africains et aboutissant à la « Déclaration de Lucknow » de la coopération en matière de paix, de cybersécurité, et de lutte contre le terrorisme.

En 2022, le Dialogue de défense Inde-Afrique (IADD) organisé lors de la DefExpo a réuni 50 pays africains, adoptant la « Déclaration de Gandhinagar » qui a appelé à une collaboration accrue dans les domaines de la formation militaire et des technologies émergentes. Enfin, les 28 et 29 mars 2023 a eu lieu le tout premier conclave conjoint des chefs d’armée. En parallèle de ces nouveaux formats, l’Inde a continué à s’investir dans les foras préexistants tels que l’IONS[4], l’IORA[5] ou encore IOC[6]. Si chacune de ces organisations a des ambitions différentes, l’IONS visant à renforcer les coopérations entre les Marines, et l’IORA et l’IOC étant plus politiques, elles contribuent au renforcement du multilatéralisme dans la zone.  À côté de ces structures de coopération régionale, un exercice militaire, l’AFINDEX (Africa-India Field Training Exercise), axé sur l’aide humanitaire (lutte anti-mines par exemple) et les OMP, avait déjà été organisé en 2019.

Des relations bilatérales de défense dynamiques

Les partenariats bilatéraux, principaux leviers de coopération pour l’Inde et les pays de la zone, sont en expansion. Toutefois la formalisation de ces liens est récente. En Afrique de l’Est, la Tanzanie et l’Inde ont signé un accord stratégique en 2023, incluant la création d’un comité conjoint de coopération en matière de défense et l’établissement d’une feuille de route sur cinq ans[7]. Ce modèle pourrait être étendu à d’autres pays tels que le Kenya, qui bénéficie déjà d’un soutien important en formation militaire. Dans le sud de l’océan Indien, des accords bilatéraux de coopération en matière de défense ont été signés dès 2003 avec les Seychelles, puis en 2018 avec Madagascar et en 2019 avec le Mozambique[8]. Plusieurs pays africains, dont Maurice et les Seychelles, disposent en outre d’un cadre de coopération en matière de cybersécurité avec l’Inde[9]ou encore d’accords pour la fourniture de matériels militaires ou le partage d’informations.

Au-delà de la multiplication des enceintes de coopération et de l’approfondissement hétérogène des relations bilatérales, plusieurs thématiques intéressent l’Inde et ses partenaires. À côté des transferts de matériels et de la coopération en matière de sécurité maritime, la lutte contre le terrorisme islamique reste un sujet majeur de préoccupation. Chaque rencontre, multi ou bilatérale, est une occasion pour ces pays d’afficher leur engagement commun contre le terrorisme et l’extrémisme. Si l’Inde affirme soutenir le rôle de l’Union africaine et des Nations unies dans la lutte contre le terrorisme et la construction de la paix et de la stabilité en Somalie et dans l’ensemble de la Corne de l’Afrique, sa contribution financière à ces opérations reste toutefois symbolique. Cette question peut être étendue aux autres développements en matière de sécurité, la multiplication des initiatives dispersant nécessairement les moyens indiens.

Priorité à la sécurité maritime

Depuis plusieurs années, l’Inde a intensifié ses efforts de coopération maritime dans la zone.  C’est sans doute le domaine dans lequel Delhi possède le plus d’avantages comparatifs par rapport à la Chine. Sa proximité géographique, son bilan en matière de lutte contre la piraterie et ses capacités navales en font partie[10].

Au niveau bilatéral, l’Inde a su, depuis le début des années 2000, se présenter comme un fournisseur de sécurité maritime pour Maurice, les Seychelles, Madagascar et le Mozambique en développant des coopérations liées principalement au renforcement des capacités de ces États. L’Inde s’est ainsi imposée comme le premier fournisseur de navires militaires à Maurice, et jouit d’une forte influence sur le système de sécurité insulaire, d’autant que le commandant du Mauritian Coast Guard est traditionnellement un officier de marine indien, et que les militaires et officiers de police mauriciens sont en partie équipés et formés par l’Inde. A l’île Maurice, l’Inde poursuit le développement d’un port en eaux profondes et d’une installation aérienne sur l’île mauricienne d’Agalega.

L’Inde et les Seychelles disposent d’une architecture élaborée de coopération en matière de défense et de sécurité, tout comme pour Maurice. Un accord de sécurité signé en 2015, bien que rejeté par l’opposition en 2018, a particulièrement accéléré la relation de défense. Sur le plan opérationnel, un exercice militaire conjoint Inde-Seychelles est organisé tous les deux ans (le dernier ayant eu lieu en mars 2024). Certains rapports indiquent que l’Inde envisage également d’établir une base militaire aux Seychelles, au nord du canal du Mozambique. Pour l’Inde, la sécurité maritime passe également par l’installation d’infrastructures de surveillance, généralement incluse dans les accords de défense bilatéraux, et par le don d’avions de surveillance maritime à ses partenaires[11]. Outre les projets de bases militaires précités, un poste d’écoute au Nord de Madagascar permet de suivre les mouvements des navires et assurer la sécurité dans la région[12]. De la même façon, des radars ont été mis en place par l’Inde aux Seychelles et à Maurice[13]. Depuis 2019, New Delhi accroit également ses relations avec le Mozambique qui a sollicité la coopération de l’Inde pour faire face à la menace croissante du terrorisme maritime. La visite du ministre indien de la Défense Shri Rajnath Singh à Maputo en 2019 a aussi été l’occasion pour les deux pays de signer un protocole d’accord de coopération pour l’échange d’informations sur le trafic maritime commercial (Whiteshipping).

Plus au nord, le Kenya et la Tanzanie constituent également des points d’intérêt de l’Inde pour assurer la stabilité de la région. En décembre 2023, l’Inde et le Kenya ont adopté une vision commune sur la coopération maritime, identifiée comme domaine d’action prioritaire[14]. Celle-ci est basée sur une approche holistique de la sécurité maritime englobant largement les enjeux de sécurité tels que l’Humanitarian Assistance and Disaster Relief ou la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, en plus du terrorisme maritime. Des protocoles d’accord devraient être prochainement signés pour concrétiser cette vision avec une aide indienne à l’augmentation des capacités du Kenya. Un officier de Marine indien a également été déployé au Kenya Navy Training College (KNTC) en 2024. Sur le développement capacitaire, un MoU a été signé en 2024 entre les chantiers navals Goa Shipyard Ltd et Kenya Shipyard Ltd.

De manière générale, l’Inde a multiplié les initiatives de diplomatie militaire et élargi sa compréhension de la sécurité maritime. La Marine indienne a participé à de nombreux exercices, parmi lesquels l’exercice américain Cutlass Express visant à promouvoir la sécurité de la région occidentale de l’océan Indien, dont les éditions 2021 et 2023 se sont déroulées respectivement sur la côte est de l’Afrique et dans la région du Golfe arabo-persique[15]. La toute première patrouille conjointe indo-malgache de la zone économique exclusive malgache a été entreprise en mars 2021[16]. En octobre 2022, les marines indienne, mozambicaine et tanzanienne ont également mené leur premier exercice maritime conjoint baptisé IMT TRILAT. Les attaques actuelles des Houthis au large du Yémen ont également suscité des réponses navales de la part de l’Inde. Début 2024, l’Inde a envoyé une dizaine de navires de guerre et avions de surveillance pour aider les navires marchands naviguant dans le golfe d’Aden lorsque les Houthis ont commencé à attaquer des navires.

La question de la sécurisation des câbles sous-marins en fibre optique, comme le Seacom/Tata entre l’Afrique de l’Est et l’Inde occidentale, témoigne également de la convergence croissante des intérêts indo-africains. L’Inde est aussi particulièrement reconnue pour son engagement dans des opérations de HADR (Humanitarian Assistance and Disaster Relief) et ses capacités d’intervention rapides. Depuis 2015, le Premier ministre indien Narendra Modi a mis en place l’exercice annuel conjoint HADR baptisé « Opération Chakravat » afin de démontrer les capacités de l’Inde en la matière. Elle a ainsi été la première à fournir de l’aide lors du cyclone Idai au Mozambique en mars 2019 (envoi de trois navires de guerre) et du cyclone Diane à Madagascar en janvier 2020[17].

Enfin, l’Inde aspire à devenir un pays leader dans le renforcement de la connaissance du domaine maritime. Le centre de fusion de l’Information pour l’océan Indien (IFC-IOR) basé dans la banlieue de Delhi renforce son réseau de partenaires dans la zone. En février 2023, L’IFC-IOR a signé un MoU avec le Centre régional de coordination des opérations des Seychelles (RCOC) pour promouvoir le partage mutuel d’informations et d’expertises. Le centre a également un partenariat avec le Centre régional de fusion de l’information (CRFIM) basé à Madagascar.

Au niveau multilatéral, Delhi a su exploiter l’IORA, l’IONS ou encore la COI comme plateformes de ses actions en matière de sécurité maritime. À titre d’exemple, l’Inde soutient une collaboration internationale harmonisée en matière de sûreté et de sécurité maritime et une meilleure coordination sur ces sujets via l’IORA. Au sein de l’IONS, elle a co-organisé en 2022 avec la France l’exercice multinational IMEX, axé sur l’assistance humanitaire[18].

D’avantage d’implication dans les opérations de maintien de la paix, les formations militaires et l’exportation d’armements

De nombreuses missions de l’ONU et de l’UA sont déployées en Afrique de l’Est et comprennent des forces de maintien de la paix issues de cette région, mais aussi de l’Inde. Sur le continent africain, l’Inde s’investit principalement dans la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUS/UNMISS) dont elle assure le commandement[19]. Elle participe également à la Force intérimaire de sécurité des Nations unies pour Abiyé (Soudan du Sud). Ces deux opérations dans la Corne de l’Afrique regroupent de nombreux personnels issus de la région et notamment des pays membres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Intergovernmental Authority on Development, IGAD)[20].

L’Inde cherche aussi à accroître son offre de formations. La « Déclaration de Gandhinagar » de l’Inde en octobre 2022 a appelé à ouvrir davantage de créneaux de formation militaire professionnelle pour les pays africains dans le cadre de son programme de coopération économique et technique (ITEC)[21]. Depuis 2023, des opportunités d’ouverture de nouvelles formations sont explorées avec le Kenya[22], et on peut noter un accroissement du nombre de places de formations délivrées à Madagascar entre 2017 (5) et 2021 (22). L’« India-Africa Security Fellowship » hébergé par le Manohar Parrikar Institute for Defence Studies and Analyses (IDSA), le think tank rattaché au ministère indien de la Défense, se veut un autre exemple de cette coopération étendue en matière de formation. Enfin, l’Inde déploie des délégations militaires pour assurer sur place des formations sur demande des pays partenaires, comme cela a été le cas à Madagascar en décembre 2021, où la Marine indienne a assuré une formation de quatorze jours pour les forces spéciales malgaches[23]. Enfin, depuis 2017, une équipe de formateurs militaires (Indian Military Training Team) est déployée en Tanzanie, au sein du Command and Staff College situé à Duluti. Début 2024, l’Inde s’est également engagée à soutenir la Tanzanie pour la mise en place d’un bataillon d’infanterie mécanisée[24].

A côté de ces deux domaines de coopération traditionnels, l’Inde s’est plus récemment engagée en Afrique dans la promotion de ses équipements et systèmes de défense. Un rapport publié en 2022 par l’Indian Exim Bank souligne ainsi le rôle émergent de l’Inde en tant qu’exportateur d’armes vers l’Afrique. Toutefois, moins de 20 % des exportations d’armes indiennes sont actuellement destinées au continent, et l’Afrique de l’Est représente une part encore plus faible de ce pourcentage. Entre 2017 et 2021, Maurice a représenté 6,6% des exportations indiennes d’armes vers le continent, suivie du Mozambique (5%) et des Seychelles (2,3%). Le Mozambique a pu recevoir des véhicules blindés et des patrouilleurs indiens. Le ministère de la Défense indien a également établi des cadres de coopération avec l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie, Maurice, les Seychelles et Madagascar[25].

Ces dernières années, l’inscription des questions industrielles dans la politique de défense et étrangère de Delhi a cru, comme en témoigne l’India-Africa Defence Dialogue (IADD) qui s’est tenu en marge du salon DefExpo en 2022[26]. De la même façon, la deuxième session du tout premier conclave conjoint des chefs des armées, en mars 2023, s’est concentrée sur le rayonnement de l’industrie de défense indienne en Afrique, alors qu’était conduit parallèlement l’exercice AFINDEX-23. S’est ajouté en mars 2023 la tenue d’un évènement dédié à la présentation de produits et de solutions technologiques militaires d’origine indienne à Pune, dans l’état du Maharashtra[27]. Malgré ce volontarisme politique de la part de Delhi, les ventes d’armes indiennes à l’Afrique demeurent limitées, notamment en comparaison des ventes chinoises. Pékin reste le plus grand exportateur asiatique d’armes vers l’Afrique (22 % de ses importations entre 2010 et 2021), principalement vers la Tanzanie, le Nigéria, le Soudan, le Cameroun et la Zambie[28]. Afin de soutenir ses propres efforts, l’Inde a annoncé en 2025 déployer pour la première fois des attachés de défense dans plusieurs pays d’Afrique, y compris Djibouti, l’Éthiopie, la Côte d’Ivoire, le Mozambique et la Tanzanie. Cette initiative vise à structurer davantage la coopération militaire et à mieux positionner l’industrie de défense indienne sur le marché africain.

Conclusion

L’Inde se positionne progressivement comme un acteur clé de la sécurité en Afrique de l’Est et dans le sud de l’océan Indien. En combinant des partenariats bilatéraux solides, des initiatives multilatérales structurantes et un soutien croissant à son industrie de défense, Delhi affirme sa présence face à une concurrence régionale accrue. Toutefois, pour transformer ses ambitions en résultats concrets, une meilleure allocation de ressources et des partenariats renforcés seront nécessaires. Une coopération plus importante entre l’Inde et la France en Afrique de l’Est pourrait constituer un moyen, si ce n’est d’étendre leur influence, du moins de renforcer la portée de leurs actions respectives et conjointes. En Afrique de l’Est, il est difficile de concurrencer des puissances comme la Chine. Le concept d’Indopacifique est toutefois créateur d’opportunités pour la France. Si elle ne peut pas être une puissance majeure, celle-ci se doit d’être présente, de capitaliser à partir de ses avantages dont sa présence à Djibouti à à La Réunion, et son partenariat croissant avec l’Inde. Pourtant et au-delà des déclarations d’intention et de la prise de conscience de l’importance de la côte Est africaine, les actions diplomatiques de la France restent relativement réduites dans la région.

La France et l’Inde pourraient notamment prioriser ensemble les préoccupations humanitaires de l’Afrique de l’Est, un domaine où les attentes locales sont fortes. Les récents épisodes climatiques extrêmes, comme les ouragans qui ont frappé les Comores, puis La Réunion, rappellent l’urgence d’un renforcement des coopérations en matière d’Assistance Humanitaire et de Secours en cas de Catastrophe (HADR). Face à ces défis, l’Inde et la France disposent de capacités complémentaires, notamment en matière d’intervention rapide, de logistique et d’assistance médicale[29]. Alors que les États-Unis mettent l’accent sur la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique, la plupart des Africains restent davantage préoccupés par les enjeux de développement et d’aide humanitaire. La France aurait ainsi l’opportunité de contribuer positivement à cet effort en s’appuyant sur les perceptions favorables dont bénéficie l’Inde dans la région, et en intégrant davantage ces préoccupations dans une approche concertée et pragmatique.


[1] Voir aussi la déclaration du ministre Indien de la Défense lors du forum indopacifique en octobre 2024 : “India’s vision for Indo-Pacific is based on fostering partnerships through sustainable development, economic growth & mutual security: Raksha Mantri at Indo-Pacific Regional Dialogue 2024”. Disponible : https://pib.gov.in/PressReleasePage.aspx?PRID=2062068

[2] BP, Statistical Review of World Energy, 2022.  

[3] Tristan Coloma et Quentin René François Ygorra, “Le canal du Mozambique : un espace de compétition crisogène”, Note de l’IFRI, juin 2022.

[4] Indian Ocean Naval Symposium

[5] Indian Ocean Rim Association

[6] Indian Ocean Commission

[7] Joint Statement during the State Visit of the President of Tanzania to India and launch of Strategic Partnership between India and Tanzania (8-10 October 2023)”, New Delhi, 8 octobre 2023, https://www.mea.gov.in/bilateral-documents.htm?dtl/37174/Joint_Statement_during_the_State_Visit_of_the_President_of_Tanzania_to_India_and_launch_of_Strategic_Partnership_between_India_and_Tanzania_810_Octobe

[8] India, Ministry of External Affairs, “India, Mozambique Enter Defence Cooperation”, 2019.

[9]“Samir Bhattacharya, Global Insecurity and Evolving India-Africa Defence Cooperation”, Modern Ghana, 28 novembre 2023, https://www.modernghana.com/news/1276260/global-insecurity-and-evolving-india-africa-defenc.html

[10] Xavier Constantino, “Unbreakable Bond: Africa in India’s Foreign Policy”, in David M. Malone, C. Raja Mohan, et Srinath Raghavan (eds), The Oxford Handbook of Indian Foreign Policy, Oxford Handbooks, 2015.

[11] High Commission of India Victoria, Mahé, “India-Seychelles Bilateral Relations”, novembre 2023, https://www.hciseychelles.gov.in/pdf/Updated%20Bilateral%20Brief%20-30.11.2023.pdf

[12] Faareha Usman, ”India-Africa’s Deepening Defence Partnership and Avenues Ahead”, Indian Council of World Affairs, 23 juin 2023, https://www.icwa.in/show_content.php?lang=1&level=1&ls_id=9533&lid=6189#_edn13

[13] Ibidem.

[14]Ministry of External Affairs, Government of India, “India- Kenya Joint Vision Statement on Maritime Cooperation in the Indian Ocean Region – “BAHARI””, 5 décembre 2023, https://www.mea.gov.in/bilateral-documents.htm?dtl/37341/India_Kenya_Joint_Vision_Statement_on_Maritime_Cooperation_in_the_Indian_Ocean_Region__BAHARI

[15] Abhishek Mishra, “Boosting India-Africa defence and security partnership“, India with Africa, Observer Research Foundation, 24 mars 2023, https://www.orfonline.org/research/boosting-india-africa-defence-and-security-partnership

[16] Embassy of India, Antananarivo, “India-Madagascar”, Unclassified Bilateral Brief, Août 2023, https://www.eoiantananarivo.gov.in/page/madagascar-bilateral

[17] Ministry of Defence Raksha Mantri Shri Rajnath Singh says, Africa is at the top of India’s priorities. Says India is an all weather friend of Africa; Partnership with Africa is an open partnership. First India – Africa Defence conclave held in Lucknow coinciding with DefExpo-2020, 6 février 2020, https://pib.gov.in/PressReleaseIframePage.aspx?PRID=1602238

[18] Marine nationale, “IMEX 22 : retour sur un exercice multinational d’assistance humanitaire conduit par la France et l’Inde”, 31 mars 2022, https://www.defense.gouv.fr/marine/actualites/imex-22-retour-exercice-multinational-dassistance-humanitaire-conduit-france-linde

[19] Le général de corps d’armée Mohan Subramanian a été nommé en 2022 au poste de commandant de la force de la Mission des Nations Unies au Sud-Soudan (MINUS).

[20] Si nous nous focalisons sur les pays qui intéressent particulièrement cette étude (Djibouti, Éthiopie, Mozambique, Madagascar, Maurice, Seychelles et Tanzanie), on constate une participation principalement à la mission au Soudan du Sud. La Tanzanie participe principalement à des opérations en RDC et en RCA. Madagascar participe de façon symbolique à la mission en RDC et à Haïti. Djibouti n’envoie des troupes au sein des opérations de l’ONU qu’en Centrafrique et en RDC (et au sein de la mission de l’UA en Somalie, voire plus bas).

[21] Paul Nantulya, “Africa-India Cooperation Sets Benchmark for Partnership”, Africa Center for Strategic Studies, 12 décembre 2023, https://africacenter.org/spotlight/africa-india-cooperation-benchmark-partnership/

[22] Commander Kenya Army visit India’s National Defence Academy, KDF, 30 mars 2023, https://mod.go.ke/news/commander-kenya-army-visit-indias-national-defence-academy/

[23] Embassy of India Antananarivo, “India-Madagascar Unclassified Bilateral Brief“, 24 avril 2022, https://www.mea.gov.in/Portal/ForeignRelation/India-Madagascar-24-Apri-2022.pdf

[24] Sidhant Sibal, “India to assist Tanzania in raising mechanised infantry battalion”,Wion, 3 janvier 2024, https://www.wionews.com/india-news/india-to-assist-tanzania-in-raising-mechanised-infantry-battalion-676103

[25] Hamdy Bashir‏‏, “Stronger Partnerships: Why is India Pursuing Active Military Diplomacy in Africa?”, InterRegional for Strategic Analysis, 8 avril 2023, https://www.interregional.com/article/Stronger-Partnerships:/1708/En

[26] Sidhant Sibal, “African defence ministers to attend India-Africa Defence Dialogue in Gujarat next week”, Wion, 16 octobre 2022, https://www.wionews.com/india-news/major-gathering-of-african-defence-ministers-in-gujarat-next-week-525875

[27] Ministry of Defence, “India- Africa joint military exercise ‘Afindex-23’ concluded at foreign training node, Aundh, Pune”, 29 mars 2023, https://www.pib.gov.in/PressReleasePage.aspx?PRID=1911766

[28] Hamdy Bashir‏‏, “Stronger Partnerships: Why is India Pursuing Active Military Diplomacy in Africa?”, Op.Cit.

[29] Sur les besoins HADR en Indopacifique, voir Frédéric Grare, Mélissa Levaillant, “What is the future for HADR cooperation in the Indo-Pacific?”, FRS, Observatoire du multilatéralisme, 2023.

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