« L’importance des aspects organiques dans la valeur opérationnelle d’une force » -Troisième séminaire de la 35ème Session Méditerranéenne des Hautes Etudes Stratégiques (SMHES)

« Un succès arrive toujours lorsqu’une opportunité rencontre la préparation » Albert Einstein

                Après le séminaire parisien de Novembre dernier qui portait sur le thème « connaissance et anticipation », ce sont les fonctions stratégiques « Prévention, Intervention, Dissuasion » qui ont constitué le filigrane principal du troisième séminaire de la 35ème SMHES/Cadres-dirigeants organisé à Toulon et dans ses environs immédiats du 05 au 07 décembre 2024.  Mais, au-delà des visites et des présentations des unités de la Marine Nationale qui ont permis à nos auditrices et à nos auditeurs de comprendre en détail pourquoi, comment, contre qui et avec qui se concrétisent ces fonctions stratégiques, ce séminaire était aussi l’occasion de lever le voile sur ce qui ne se voit guère. Il s’agissait de donner aux auditrices et aux auditeurs de la session un aperçu du socle de compétences et d’actions organiques qui permettent à une force de vaincre et de durer. À travers l’exemple de la Marine Nationale, il s’agissait de bien intégrer qu’une force opérationnelle de premier rang comme l‘est la Marine Nationale française s’appuie sur un socle organique particulièrement performant et capable d’assurer dans la durée, le recrutement, la formation, l’entrainement et la spécialisation d’hommes et de femmes compétents et motivés mais aussi le soutien de bâtiments modernes qui concentrent des technologies particulièrement pointues et complexes. Cet effort se développe dans la durée et nécessite à la fois une vision prospective claire sur ce dont la force sera faite à l’horizon de la décennie future (effectifs, compétences infrastructures, équipements et emploi) et la capacité à faire face aux aléas du temps présent : défis opérationnels ou technologiques, défaut de conception ou d’utilisation, pannes, pertes au combat, ruptures technologiques. Cette épaisseur stratégique repose également sur une base industrielle et technologique solide et performante capable d’accompagner la force dans ses efforts de performance, de résilience et d’innovation.

                Ce séminaire consacré au fait naval et maritime était articulé en trois parties. La première, exclusivement militaire sur la base navale de Toulon, a permis aux auditeurs de découvrir la Marine Nationale en s’intéressant notamment aux aspects organiques évoqués plus haut. La seconde partie, plus orientée vers le soutien et sur l’importance de la base industrielle et technologique de défense (BITD) a conduit la 35ème SMHES/cadres-dirigeants sur le site d’Ollioules de l’entreprise Naval Group pendant la matinée du 06 décembre. L’après-midi, la session est revenue dans la base navale de Toulon où elle a été accueillie par le Service de Soutien de la Flotte (SSF). Enfin, la dernière demi-journée a ramené les auditeurs en salle de cours. Il s’agissait pour eux de présenter un point de situation de leurs travaux académiques aux référents pédagogiques de la FMES et de l’Université de Toulon qui les suivent et les accompagnent dans le cadre du Diplôme Universitaire qui sanctionne et couronne l’année de formation des auditrices et des auditeurs.

               

À tout seigneur tout honneur, la journée sur la base navale de Toulon a débuté par un exposé fait par le chef d’état-major de l’amiral Commandant en Chef en Méditerranée (CECMED). Cet officier général, dont les manches sont ornées de quatre étoiles, cumule plusieurs fonctions qui sont toutes d’importance majeure. Sous l’autorité du Chef d’État-Major des armées, CECMED, en tant que commandant de zone maritime, est chargé du contrôle opérationnel des forces déployées en Méditerranée. De plus, CECMED est également le Préfet Maritime pour la Méditerranée. Le préfet maritime est le représentant direct du Premier ministre. Investi d’un pouvoir de police générale, il a autorité dans tous les domaines où s’exerce l’action de l’État en mer, notamment : la défense des droits et intérêts nationaux, particulièrement dans les zones sous souveraineté ou sous juridiction française (mer territoriale, zone économique exclusive); le maintien de l’ordre public; le secours et la sécurité maritime; la protection de l’environnement; la lutte contre les activités illicites en mer (pêche illégale, trafic de stupéfiants, migrations clandestines, piraterie notamment). Enfin, il coordonne en permanence l’action en mer des administrations et la mise en œuvre de leurs moyens (marine nationale, affaires maritimes, douanes, gendarmerie).      

   


La conférence qui a suivi a été faite à 3 voix. Elle visait à présenter aux auditeurs et aux auditrices de la session la Force d’Action Navale (FAN) ainsi que deux commandements organiques : la force de l’aéronautique navale (ALAVIA) et le commandement des sous-marins nucléaires d’attaque (COMESNA). Sous les ordres d’un vice-amiral d’escadre (4 étoiles, ALFAN) la FAN a la responsabilité de préparer, d’entraîner et de soutenir les unités de surface afin de les mettre à disposition du CEMA et de ses contrôleurs opérationnels pour tout emploi opérationnel. ALFAN est responsable de la disponibilité technique des bâtiments, de la préparation et de l’entraînement des équipages mais aussi de la qualification opérationnelle des unités en vue de leur emploi. Les politiques de formation spécifique, celles relatives à la préparation et à l’entraînement technique et tactique sont donc au cœur de ses responsabilités. Pour garantir que ses unités sont en mesure de répondre aux sollicitations opérationnelles, l’amiral commandant la Force d’action navale dispose d’un état-major, basé à Toulon, avec des antennes à Brest et Cherbourg, organisé en plusieurs divisions. Cet état-major a autorité sur 98 bâtiments de surface et près de 10 500 marins ainsi que sur les trois groupes de plongeurs démineurs (GPD), sur plusieurs centres experts, sur la Flotte amphibie et enfin sur les bases navales outre-mer et à l’étranger. L’amiral commandant la Force d’action navale est également commandant de la Force aéronavale nucléaire.   
Après cette présentation du grand commandement organique fait par son chef d’Etat-major, les auditrices et les auditeurs ont pu bénéficier d’un éclairage particulier sur deux autres commandements organiques spécifiques de la Marine Nationale qui ont des unités stationnées à Toulon : COMESNA et ALAVIA. À chaque reprise, l’organisation, les missions, les enjeux et les défis de chacune de ces forces ont été abordés au cours d’une table ronde pendant laquelle les autorités qui se sont succédées au micro ont évité les discours convenus et ont fait preuve d’une grande franchise.  Informés que l’objectif de la session était de bien comprendre l’importance de l’organique dans la valeur opérationnelle d’une force, les trois intervenants ont insisté sur les enjeux de systèmes de combat complexes qui reposent sur une extrême technicité des métiers qui les composent et pour lesquels la volatilité et la versatilité de la ressource humaine est un défi permanent. Les trois représentants des commandements organiques ont également évoqué les conséquences de l’évolution récente du contexte opérationnel. Face au durcissement des conditions d’exécution de ses missions en mer, la Marine Nationale doit s’adapter pour augmenter la résilience de ses bâtiments et de leurs équipages, elle doit raccourcir et renforcer ses boucles de décision en opération mais aussi dans toutes les phases qui relèvent de la démarche capacitaire afin de faire évoluer équipements, armements, méthodes et organisations dans un processus souple et agile intégrant l’innovation en boucle courte avec la BITD.

Après un déjeuner pris en commun dans les salles du conservatoire des uniformes de la Marine, la session a pu mettre du concret sur la théorie en visitant la frégate de défense aérienne « Chevalier Paul » et deux simulateurs d’entraînement de la force d’action navale. Ces visites ont permis aux auditrices et aux auditeurs d’échanger avec des marins motivés et dynamiques. La passion qui les anime en dit long sur la valeur des équipages de la Marine nationale et illustre mieux que tous les discours l’importance des aspects organiques dans la construction de la capacité opérationnelle d’une force. De surcroît, la session a pu bénéficier d’un retour d’expérience particulièrement intéressant de la part des membres de l’équipage du « Chevalier Paul ». Ce bâtiment vient en effet de rentrer d’un déploiement opérationnel très exigeant en mer rouge, zone du thème d’étude de la 35ème SMHES/Cadres –dirigeants et les enseignements opérationnels que son équipage en tire ont été très utiles à la session pour mesurer l’état de la tension qui règne dans le détroit de Bab el Mandeb et dans toute la zone avoisinante.

Le lendemain, 06 décembre, les auditrices et les auditeurs de la 35ème SMHES/Cadres-dirigeants ont pu faire le lien avec la BITD car la session a été superbement accueillie par Naval Group sur son site d’Ollioules. Accompagnés pendant toute la matinée par le directeur du site, les auditrices et les auditeurs ont pu mesurer l’importance de ce groupe essentiel pour la Marine Nationale et à quel point est exact l’adage qui dit « sans Naval Group, pas de Marine Nationale ».  Très concrètement cette entreprise est un joyau issu d’une longue filiation qui remonte à Colbert et à ses arsenaux. Aujourd’hui elle est l’acteur majeur de deux projets déterminants pour la prochaine décennie : la réalisation du futur porte-avions qui succèdera au Charles de Gaulle en 2038 et le développement du SNLE de 3ème génération, pierre angulaire de la continuité de la composante océanique de la force de dissuasion nucléaire française. Il faut à ce sujet garder en tête que les SNLE actuels passent pour être la construction humaine la plus complexe qui puisse être et les industriels qui sont capables de les réaliser se comptent sur les doigts d’une main.

Cette matinée chez Naval Group s’est articulée autour de trois conférences toutes aussi brillantes les unes que les autres. La première, parfaitement réalisée à distance par visio-conférence avec le siège parisien du groupe, a permis d’aborder sa vision et ses enjeux stratégiques. La seconde a fait entrer en détail la session dans les activités cardinales du site d’Ollioules où sont conçus, développés et réalisés les systèmes de direction de combat et les systèmes de conduite et de mission. Ces systèmes sont essentiels pour garantir à la Marine Nationale des navires de guerre au meilleur niveau opérationnel et capables d’assurer sa supériorité sur toutes les mers du globe et dans tous les contextes opérationnels y compris ceux du combat de très haute intensité. C’est sans doute la partie la plus stratégique et la plus sensible des activités du groupe et elle explique le haut degré de sécurité qui les entoure. Enfin les auditrices et les auditeurs ont entendu un dernier exposé sur les défis et les enjeux de la cybersécurité et sur ceux de l’intégration de l’intelligence artificielle appliquée aux systèmes évoqués plus haut. Par ailleurs, les auditrices et les auditeurs ont pu accéder à des démonstrateurs de systèmes de direction de combat pour sous-marins et pour navires de surface particulièrement impressionnants de réalisme et d’efficacité. Enfin, un déjeuner partagé avec tous les intervenants a clos une matinée captivante qui a bien montré à la session la somme d’efforts, de volontés, d’intelligence et de maîtrise technologique qui fonde la capacité opérationnelle d’une marine de premier rang comme l’est celle de la France. C’est bien cette convergence des visions et des volontés des militaires et des industriels tout comme l’étroite combinaison des savoir-faire des entreprises de la BITD et des armées dans leurs structures et commandements organiques qui donnent aux forces leur supériorité opérationnelle dans la durée. Il était important, après l’avoir abordé une première fois à Istres en Octobre en visitant la BA 125 et le groupe Dassault-Aviation, que les auditrices et les auditeurs de la 35ème SMHES/cadres-dirigeants puissent de nouveau l’appréhender durant ce 3ème séminaire consacré à la puissance navale.

Après cette immersion particulièrement éclairante chez le principal acteur du segment naval de la BITD française qu’est Naval Group, la session est revenue vers un opérateur institutionnel : le service de Soutien de le Flotte (SSF) pour poursuivre la découverte et la réflexion s’agissant des aspects organiques de la capacité opérationnelle d’une force. Organisée de main de maître par l’un des auditeurs de la session qui occupe un très haut poste au sein du SSF, cette dernière immersion a commencé par la visite, sous l’angle du maintien en condition opérationnelle (MCO) du porte hélicoptère amphibie « Mistral ». Ce bâtiment imposant dont la polyvalence est la principale caractéristique constitue en effet un excellent exemple des problématiques diverses et nombreuses auxquelles est confronté le SSF pour en assurer, avec grand succès, le MCO.

Ensuite, de retour dans les locaux du SSF situés au cœur de la base navale, la session y a entendu un exposé très complet sur le service, son organisation, ses missions et les défis qui s’y attachent. Créé en juin 2000, pour séparer les rôles de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre industrielle, le SSF assure dans une structure unique la maîtrise d’ouvrage du maintien en condition opérationnelle des bâtiments de surface, sous-marins et moyens navals de la Marine Nationale et des autres armées. Le SSF a également pour mission de gérer les pièces de rechange navales, de mettre en œuvre les installations indispensables au maintien en condition opérationnelle des navires à propulsion nucléaire et de faire réaliser le démantèlement des bâtiments en fin de vie à l’exception des bâtiments à propulsion nucléaire. Le SSF a aussi la responsabilité d’exploitant des infrastructures industrielles et portuaires destinées au MCO des bâtiments de surface, des sous-marins et des installations nucléaires associées. Pour ce faire, le SSF dispose d’une organisation au contact des forces mais aussi de la direction générale de l’Armement (DGA) et de l’État-major de la Marine nationale (EMM). Son objectif est de maintenir au niveau fixé par le ministre des armées la disponibilité des bâtiments et équipements qui lui sont confiés tout en maîtrisant les coûts. Maître d’ouvrage dont la mission est de garantir la disponibilité technique des bâtiments au meilleur coût, le SSF confie à des maîtres d’œuvre industriels, la responsabilité de l’entretien par des marchés globaux. Les principaux industriels titulaires de marchés de MCO sont Naval Group, les Chantiers de l’Atlantique, Thales, CNN-MCO, Piriou Naval Services, Cegelec, LGM, NEXEYA et Constructions Mécaniques de l’Ouest. Enfin, auprès du SSF, les principaux contributeurs étatiques au MCO naval sont, au sein des bases navales, les ateliers et les magasins du service logistique de la marine (SLM) et surtout le Service d’infrastructure de la Défense (SID) qui gère la construction, l’entretien et la modernisation des quais et les bassins destinés à la maintenance. Comme le disait un ancien chef d‘Etat-major de l’Armée de terre française alors que cette armée était en pleine restructuration « pendant les travaux la vente continue ».

On ne peut mieux résumer le défi que relève au quotidien le SSF. Il doit assurer la maintenance lourde et programmée mais aussi les aléas, les pannes, les imprévus et les urgences du court terme d’une flotte de guerre de tout premier rang qui, en permanence, est présente sur toutes les mers du globe et qui est prête à s’y battre. Pour ce faire le SSF, en coordination avec les acteurs de la BITD mentionnés au supra mais aussi avec le SLM et le SID gère une planification à la fois très fine et de long terme pour limiter au maximum l’immobilisation des bâtiments tout en leur assurant en permanence et dans la durée la meilleure maintenance possible.

Ainsi, avec cette journée consacrée à Naval Group et au SSF après celle dédiée aux structures organiques de la Marine nationale, le voile a pu être levé pour les auditrices et les auditeurs sur des aspects cardinaux qui fondent la capacité à combattre et à durer d’une force. On ne parle pratiquement jamais de ces aspects mais il faut pourtant bien les connaître, en comprendre l’importance et les évaluer dès lors qu’on s’intéresse à la géopolitique et aux acteurs qui entendent peser, avec leurs forces armées, sur les affaires du monde. Comment une armée se structure, se prépare, s’entraine, s’entretient et se régénère, qu’il s’agisse des équipements ou des hommes, est une question centrale à poser lorsqu’on s’intéresse à sa réelle capacité à vaincre et à durer. L’Histoire ne nous dit pas autre chose et nous rappelle que les plus belles victoires de l’Empereur Napoléon furent aussi le résultat de l’organisation méticuleuse du travail d’Etat-major faite par Jomini et Berthier tout comme celui de la capacité de l’Intendant général Daru à amener, à Austerlitz par exemple, une armée prête : nourrie, entrainée, équipée et superbement motivée. Cette même armée qui vainquit deux empereurs à Austerlitz était partie de Boulogne et, en deux mois, elle avait traversé à pied une bonne partie de l’Europe…

Pour clore ce riche séminaire toulonnais la session a, le samedi matin, retrouvé les bancs de l’école pour un rendez-vous important. En effet, le partenariat académique qui lie les SMHES à l’IHEDN et à l’Université de Toulon (UTLN) et qui se concrétise par la délivrance d’un Diplôme Universitaire (DU) validant la formation suivie, impose des rendez-vous notés très réguliers. Ainsi, au terme du premier trimestre, les auditeurs doivent présenter un premier rapport d’étape des travaux qu’ils mènent sur le thème de l’année. Dans le détail, il s’agissait pour la session de présenter à un jury composé du directeur, de la référente pédagogique des SMHES et de deux enseignants chercheurs de de l’UTLN, le plan de l’état des lieux sur le thème, la bibliographie associée et les principales problématiques qui  se dégagent du sujet à l’issue de ce premier travail qui vise à faire le tour du thème sous tous les aspects : sécurité, défense, économie, démographie, sociologie, culture, religion, histoire, religions, géographie et environnement, etc… Les trois problématiques majeures qui ont été discutées et retravaillées dans leur formulation précise, seront ensuite réparties entre les trois comités afin que chacun d’entre eux puisse, durant le premier trimestre 2025, en tirer trois ou quatre scenarii prospectifs. Il s’agira alors d’appliquer de nouveau la méthode d’élaboration de scenarii prospectifs, méthode que les SMHES ont développé en partenariat avec l’IHEDN et que la session a pu mettre en application lors de l’exercice spécifique qu’elle a joué à l’IHEDN, lors du séminaire parisien de Novembre dernier. C’est donc une démarche académique très structurée et bien jalonnée dans laquelle la session est désormais bien engagée. Les prochains séminaires : à Toulouse en janvier prochain pour y étudier l’espace et l’aéronautique, en Égypte en février pour une étude terrain puis à Bruxelles en Mars au contact de l’OTAN et des institutions européennes donneront l’occasion aux auditeurs de la 35ème SMHES de poursuivre leurs travaux à la lumière des éléments concrets que ces prochaines étapes leur apporteront.

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