Un regard des 2 rives…
Fernand Braudel est souvent cité lorsque l’on évoque la Méditerranée. Il n’est pas le seul auteur à s’être consacré à l’étude de ce bassin mais cet historien français et académicien compte parmi les référents de la mare nostrum. Dans les études qu’il réalise, il soulignait que la Méditerranée n’a d’unité que par le mouvement des hommes, les liaisons qu’il implique, les routes qui le conduisent. Ce bassin est donc un évident centre d’intérêt pour les pays des deux rives et c’est légitimement l’une des raisons qui a motivé la création des sessions méditerranéennes des hautes études stratégiques en format 5+5 à l’occasion du Sommet des deux rives organisé à Marseille au mois de juin 2019. La première session fut organisée en 2021 sous forme de webinaires aux mois de janvier et mai compte tenu des contraintes induites par le contexte sanitaire.
La session 2022 était donc très attendue car elle offrait la possibilité de rassembler, pour la première fois, les auditeurs en présentiel du 21 au 25 mars 2022 à Toulon. Les participants dont la cible était fixée à deux par pays avec un étudiant des universités ou organismes équivalents dans le domaine des relations internationales et un officier-élève des académies militaires étaient attendus pour suivre un parcours conjuguant des conférences, des visités thématiques et des travaux de comité visant à échanger et partager pour mieux comprendre ensemble les grands enjeux du bassin méditerranéen. 13 auditeurs ont répondu à cette invitation avec l’absence de représentants de la Mauritanie et de l’Algérie dont la présence est évidemment souhaitée pour les sessions ultérieures.
Rendez-vous leur était donné le dimanche 20 mars pour partager un dîner en présence de l’équipe pédagogique de l’institut FMES. Le directeur de la session, le général (2s) Patrick Lefebvre et madame Sarah Sriri, cheffe de projet « analyse et stratégie », ont d’emblée fixé le cadre général de cette première semaine de session sur la rive Nord. Liberté des échanges, convivialité et esprit d’équipe doivent animer le groupe d’auditeurs tout au long de ce parcours singulier. Car il faut garder à l’esprit qu’il y aura un deuxième temps pour cette session avec une semaine de séminaire réalisée à la fin du mois de mai à l’université euro-méditerranéenne de Fès au Maroc. Les SMHES 5+5 affichent donc une belle ambition et une originalité dans la déclinaison des programmes.
Cette ambition se traduira par la publication de recommandations dont le caractère n’est bien sûr pas officiel mais qui alimenteront les pays partenaires du 5+5 et les instances euro-méditerranéennes. Du Food for Thought comme diraient les pays anglo-saxons. Elle se traduira aussi par le maintien dans le temps des liens tissés entre les auditeurs de la session. L’objectif est bien de créer une communauté des auditeurs des SMHES 5+5.
Pour ouvrir cette SMHES 5+5 le lundi 21 mars, monsieur Karim Amellal, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée a tenu à s’adresser aux auditeurs marquant ainsi l’attachement porté à cette initiative et confirmant le rôle fondamental de la coopération en Méditerranée. Ce soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères s’est immédiatement manifesté et confirme la puissance de cette dynamique d’échanges portée par l’institut FMES. Il s’est réjoui de la diversité des thèmes retenus dans un programme très dense permettant d’aborder de nombreux sujets d’intérêt qu’ils soient relatifs à la sécurité, à l’environnement, aux évolutions sociétales ou technologiques ou à la culture. Autant de sujets qui autorisent des convergences en tenant compte des différences.
Dans un monde globalisé où le numérique tient une place singulière, il était important de partager la vision de la cyber sécurité qui apparaît comme une conséquence de la digitalisation dont les effets ont d’indéniables portées géopolitiques. Monsieur Gilles Ginestet, chef de centre du centre ressources régionales cyber (C2RC) s’est livré à cet exercice avec un réel talent pédagogique. De la même manière, monsieur Stéphane Claisse de System Factory accompagné de messieurs Jean-Yves Kbaier, dirigeant d’Ennovia et Thierry Carlin, président directeur général de Marinetech, ont présenté les grands enjeux de l’innovation au sein des entreprises et les interactions entretenues avec les grands groupes industriels et les pôles de compétitivité. Cette séquence consacrée aux technologies émergentes et aux entreprises issues des startups accompagnées lors de leur incubation par des clusters ou des pôles de compétitivité a permis aussi de mesurer les coopérations potentielles entre les deux rives. Pour clore cette première journée, la promotion a assisté une vision portugaise de la Méditerranée à travers l’intervention de l’institut d’Orient de l’université de Lisbonne. La professeure Madame Teresa de Almeida e Silva et Monsieur Diogo Cardoso, étudiant et secrétaire général de l’institut d’Orient, ont confirmé l’identité méditerranéenne du Portugal soulignant ainsi ce paradoxe géographique et cette réalité géopolitique.
La journée du mardi 22 mars était consacrée à l’approche environnementale. Deux temps allaient la rythmer avec la visite du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de la Méditerranée (CrossMed) permettant de mesurer l’étendue de ses missions et celle de l’IFREMER Méditerranée où Monsieur Vincent Rigaud, son directeur, a tenu personnellement à présenter les grands enjeux des fonds marins. Dans ce domaine, les potentielles ressources sont immenses et pourraient permettre de relever de grands défis pour les pays du pourtour méditerranéen.
Le mercredi 23 mars était dédié au thème de la défense et de la sécurité. À Toulon, la marine nationale, avec la plus importante base navale d’Europe, offrait là une opportunité formidable pour apprécier les missions réalisées dans ce bassin méditerranéen, véritable laboratoire de la mondialisation. L’occasion était également donnée de présenter l’action de l’Etat en mer soulignant ainsi la singularité française qui, historiquement, confie cette responsabilité à une force armée en coordination avec tous les autres acteurs institutionnels tels que les douanes, la police ou la sécurité civile. Cette présentation traduisait concrètement toutes les formes de coopération existantes. Et elles sont déjà très importantes. La visite dynamique, avec la présentation d’une frégate multi-missions et les outils de simulation associés ont suscité le plus vif intérêt des auditeurs.
Le lendemain, le jeudi 24 mars était réservé à l’histoire et la culture ! L’histoire de Toulon est intimement liée au regard que cette cité porte au large ! Le musée de la marine le confirmait soulignant que tout s’est construit autour d’un arsenal dont le sens premier, faut-il le rappeler, est bien celui d’un établissement militaire royal ou national où l’on construit, entretient, répare et préserve des navires de guerre ou leurs équipements et où les avitaillements sont réalisés. Cette séquence fut suivie par la visite du mémorial du Mont Faron. Dans ce fort bâti au 19ème siècle devenu mémorial en 1964, les auditeurs ont pu revivre le débarquement de Provence d’août 1944. Cette visite symbolise aussi le volet mémoriel d’une coopération qui, au cours de la Seconde Guerre mondiale, a permis le retour de la liberté d’une Nation.
Pour clore cette première semaine du séminaire SMHES 5+5, la dimension académique devait dominer cette dernière journée du vendredi 25 mars avec une conférence axée sur la géopolitique dans la région Méditerranée – Moyen-Orient prononcée par monsieur Pierre Razoux, directeur académique et de la recherche de l’institut FMES, et une conférence centrée sur les enjeux économiques du bassin méditerranéen au lendemain de la crise sanitaire du COVID 19 animée par Madame Cécile Bastidon, professeure à l’université de Toulon.
Mais le dernier mot revenait naturellement à nos jeunes auditeurs qui ont décliné avec beaucoup de précision les premières recommandations issues de leur réflexion commune. Nul doute que d’autres suivront lors de la deuxième semaine de séminaire organisée au Maroc au mois de mai prochain. Au bilan, Honoré de Balzac disait de la jeunesse qu’elle a d’étonnants privilèges ; elle n’effraye pas. Cette session méditerranéenne des hautes études stratégiques en format 5+5 donne donc une certaine confiance en l’avenir même si cet avenir sera parfois difficile. Mais l’essentiel est bien de le permettre ensemble et d’en débattre !
A l’évidence, cette semaine fut un beau moment de partage et d’échanges ! A suivre…