LES QUARANTE ANS DE LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER

Le 10 décembre 1982 était signée, à Montego Bay (Jamaïque), la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). C’est cette date importante qui était commémorée le 5 décembre dernier, à l’Ecole militaire, à l’occasion d’un colloque organisé par l’Académie de marine et l’Institut français de la mer, sur « L’Océan, 40 ans après Montego Bay : et maintenant ? ».

Cette Convention internationale a véritablement structuré l’organisation juridique de l’océan mondial en apportant les nouveaux outils juridiques dont les Etats avaient besoin pour agir en mer.   

La négociation de cette nouvelle convention des Nations Unies sur le droit de la mer avait commencé dans les années soixante-dix pour répondre à la demande des Etats côtiers, devenus plus nombreux après les vagues de décolonisation, de pouvoir se réserver l’exploration et l’exploitation des espaces maritimes situés au large de leurs côtes. Face à eux, les Nations maritimes historiques tenantes du principe de liberté des mers et donc de la libre circulation de leurs flottes militaires et marchandes.

La signature à Montego Bay de cette Convention internationale a permis de trouver un équilibre remarquable entre les principes de la liberté des mers pour les flottes et ceux de l’exploitation et de la protection des espaces maritimes adjacents par les Etats côtiers.

La France a réalisé alors qu’elle se trouvait sur un point d’équilibre, celle de l’Etat maritime et de l’Etat côtier. Si la France a clairement soutenu le volet maritime de la négociation, privilégiant la liberté de ses flottes à travers le monde, elle a aussi nettement gagné avec ce nouvel Accord international en renforçant l’importance de ses espaces sous juridiction sur tous les océans.  

En devenant le deuxième Etat côtier du monde, avec sous sa juridiction près de 11 millions de km2 d’espaces maritimes, la France a revu toute son organisation de l’Etat en mer qui est désormais très aboutie et enviée par de nombreux pays. A la différence des organisations « garde-côtes », majoritaires dans le monde, la France a renforcé le rôle de sa marine nationale, aux côtés des autres administrations intervenant en mer, pour lui permettre d’assurer la police de la deuxième zone économique exclusive mondiale. L’organisation française, issue de Montego Bay, permet à l’Etat de disposer, sur toutes les mers du globe, d’un représentant unique de l’Etat en mer, d’un espace de compétence pour cette autorité (la zone maritime), de juridictions de rattachement et de moyens de l’Etat aptes à constater toutes les infractions à nos droits, qu’ils appartiennent à la marine nationale, à la douane, aux affaires maritimes ou à la gendarmerie.

Acteur majeur de la scène internationale et grande démocratie, la France veille à avoir une mise en œuvre exemplaire de Montego Bay. Celle-ci est d’autant plus importante que la France ne peut pas risquer de se voir appliquer, par mesure de réciprocité ou de rétorsion, des mesures abusives à l’encontre de ses propres navires marchands dans les espaces maritimes des autres Etats côtiers.

La meilleure illustration est actuellement la manière dont la France rappelle les grandes règles du droit international en mer de Chine. Dans cette mer très disputée, notre pays déploie régulièrement des moyens navals qui y effectuent des transits rappelant de manière très concrète les principes de Montego Bay comme le respect des règles du passage en transit sans entrave dans les détroits internationaux ou la liberté de navigation dans la zone économique exclusive. 

La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer est un traité remarquable et qui constitue le meilleur outil de droit international que la mer ait connue. Malgré cela, de nombreuses critiques sont émises sur les insuffisances de cette Convention. Mais, à l’analyse il apparait que, si elle rencontre parfois des échecs, ce n’est pas en raison de dispositions inopérantes mais plutôt en raison de la non-application, par certains Etats maritimes, de leurs obligations internationales. Comme tous les Traités internationaux, l’efficacité de Montego Bay repose d’abord sur la volonté des Etats à mettre en œuvre les obligations qui sont les leurs. Le pavillon de complaisance a fait beaucoup de tort à Montego Bay. Certains Etats ont, en effet, pavillonné des flottes contre rétribution mais sans exercer la réalité du contrôle des navires prévue par Montego Bay. Une meilleure effectivité de Montego Bay devrait passer par la mise en cause de la responsabilité internationale des Etats qui ferment les yeux sur la sécurité de leurs navires, sur l’absence de qualification des équipages et sur la poursuite effective des crimes et délits commis par leurs navires en haute mer.

Si des évolutions sont aujourd’hui nécessaires, c’est sans doute dans la dimension environnementale qu’elles sont les plus pertinentes. Montego Bay avait en son temps constitué un net progrès en faveur de la protection de l’environnement marin. En effet, toute une partie (Partie XII) est consacrée à la « Protection et préservation du milieu marin ». Mais, cette partie est désormais datée. En effet, dans l’esprit des années soixante-dix, ce sont principalement les situations liées à la pollution accidentelle ou volontaire qui sont visées et à la mise en place d’un système de garanties et de responsabilités afférent.

C’est pourquoi, il est désormais nécessaire de faire rentrer pleinement Montego Bay dans le XXIème siècle afin qu’elle soit en mesure de répondre aux graves menaces représentées par la perte de la biodiversité, la dégradation alarmante du milieu marin, les menaces représentées par le changement climatique et le partage des ressources génétiques marines.

C’est là tout l’enjeu des négociations en cours sur la protection de la haute mer, délaissée à l’époque par Montego Bay au nom du principe de liberté des mers ; à une époque où les enjeux environnementaux n’avaient rien à voir avec ceux d’aujourd’hui.

C’est pour compléter sur ce point Montego Bay, que l’Assemblée générale de l’ONU a convoqué une  conférence intergouvernementale[1] afin d’élaborer un nouvel instrument international juridiquement contraignant et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.

Le nouvel avenir de Montego Bay se joue désormais sur la conclusion de cet accord BBNJ (Biodiversity Beyond National Juridiction). Nous verrons si la communauté internationale aura le même sens des responsabilités que celle qui a su sceller, le 10 décembre 1982, les accords de Montego Bay, créant ce nouveau droit de la mer qui nous a apporté les outils juridiques adaptés à nos ambitions de protection et de paix entre les Nations.


[1] Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies N° 72/249 du 24 décembre 2017.

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