Les nouvelles technologies au service de la Méditerranée

Par Thierry Duchesne, Directeur du département maritime de la FMES

Photo : Andromede Oceanologie

Dans deux articles précédents, nous avons pu examiner les importantes avancées de la protection de l’environnement en Méditerranée mais aussi les nouvelles priorités qu’ils seraient pertinents de retenir pour poursuivre nos efforts de rétablissement du bon état écologique de nos eaux sous juridiction. Le défi reste important. Mais, à la différence des années 70, la protection de l’environnement en Méditerranée va bénéficier aussi de nouvelles technologies qui arrivent à maturité. Celles-ci ouvrent des perspectives inédites pour la connaissance, la surveillance et la restauration des écosystèmes marins.

Il s’agit d’abord des technologies spatiales qui permettent, déjà, une surveillance de cette mer en temps réel, une meilleure gestion des ressources maritimes et des informations précieuses en cas de crise environnementale.

 Il y a aussi le développement considérable des drones et les véhicules autonomes sous-marins autonomes qui complètent les observations scientifiques en collectant en permanence des données précises mais, qui vont également apporter des capacités de surveillance inégalées.

L’IA et le big data transforment aussi la gestion des données environnementales en permettant le traitement de grandes quantités de données pour identifier, classer et modéliser les écosystèmes marins.

Enfin, la restauration écologique est en train de prendre une importance majeure. Cette technique a pour vocation de mettre en œuvre des techniques scientifiques et écologiques visant à améliorer la qualité et le fonctionnement écologique d’un milieu « naturel » dégradé par l’homme.


Cet article est le dernier d’une trilogie issue du colloque qui s’est tenu le 18 avril 2025 et qui a été consacré aux « Nouveaux enjeux de protection de l’environnement en Méditerranée » dans la perspective de la troisième Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC3) qui s’est tenue à Nice du 9 au 13 juin 2025.

Le premier article était consacré au bilan positif des actions entreprises dès les années 70 pour revenir sur une situation qui conduisait la Méditerranée à la catastrophe écologique. Le deuxième article a permis d’identifier les cinq nouvelles grandes priorités environnementales identifiées en Méditerranée pour que la France soit au rendez-vous des nouveaux défis environnementaux qui sont désormais les siens dans ses eaux sous juridiction.

Cette dernière contribution a pour objet d’identifier ces nouvelles technologies qui ouvrent des perspectives inédites pour la connaissance, la surveillance et la restauration des écosystèmes marins. Il doit permettre de dégager une vision intégrée dans laquelle le spatial, la robotique, l’intelligence artificielle et les approches de restauration écologique se complètent pour offrir des solutions innovantes répondant aux enjeux environnementaux, économiques et sociétaux.

La Méditerranée, mer semi-fermée et soumise à de fortes pressions, devient un terrain privilégié pour l’expérimentation de ces technologies démontrant que l’articulation entre science, innovation et action publique est en train de transformer profondément les modalités de gestion du vivant marin.

Le spatial, futur pilier de l’observation et de la surveillance de la Méditerranée ?

Le premier apport considérable à la protection de la Méditerranée est celui des technologies de télédétection par satellite qui permettent déjà une surveillance de cette mer en temps réel, une meilleure gestion des ressources maritimes et des informations précieuses en cas de crise environnementale. L’avancée des technologies d’observations spatiales permet, en outre, une collecte de données environnementales d’une précision inédite. Les satellites équipés de capteurs multiples assurent le suivi de paramètres essentiels, comme la productivité primaire, facilitant ainsi une meilleure compréhension des dynamiques océaniques et la mise en place d’outils pour la gestion et la préservation des ressources naturelles.

Le développement de l’observation de l’océan depuis l’espace s’est fait, en quelques décennies, sans bruit, mais constitue désormais une vraie révolution dans les méthodes de suivi de l’environnement marin et de surveillance de nos espaces maritimes.

Ainsi, les aires marines protégées bénéficient des technologies spatiales, permettant un renforcement de leur surveillance. C’est le cas, notamment, du système de surveillance Trimaran 3 de la Marine nationale qui combine de l’imagerie satellitaire recueillie auprès de 300 satellites d’observation optique ou radar, la détection des radiofréquences émises par les navires, les données d’identification des navires (AIS) et l’exploitation de bases de données commerciales (liste Lloyd’s). Ces technologies permettent un renforcement considérable de la surveillance des aires marines protégées, notamment celles du large qui sont les moins accessibles aux méthodes classiques.

La lutte contre les rejets de produits polluants en mer a aussi bien bénéficié des nouvelles technologies spatiales avec le système européen de surveillance de la pollution marine CleanSeaNet. Ce dispositif est basé sur la télédétection par satellite. Il a été développé par l’Agence Spatiale Européenne (ESA) et il est géré dans le cadre du programme Copernicus. CleanSeaNet permet de fournir au préfet maritime de la Méditerranée une surveillance en temps réel des pollutions marines, principalement celles liées aux rejets d’hydrocarbures. Peu fiable au début, CleanSeanet est désormais d’une grande efficacité et permet de détecter tout éventuel rejet volontaire de produits polluants. Son aspect dissuasif n’est plus à démontrer désormais.

Le suivi de l’état du milieu marin par les capteurs spatiaux était initialement centré sur des paramètres physiques tels que la température ou la topographie de surface. Désormais, l’océanographie spatiale permet un suivi fin de la couleur de l’eau, des blooms planctoniques, de la salinité, des vents de surface ou encore des polluants atmosphériques. Ces données sont mobilisées par une multitude d’acteurs, des agences publiques aux opérateurs privés, pour des applications allant de la gestion portuaire à la planification écologique. Actuellement, les données satellitaires utilisées proviennent de capteurs tels que Sentinel (résolution de 10 m), Planet (résolution de 3 à 5 m) et Pléiades (images jusqu’à 30 cm en mode payant).

La multiplication des capteurs radar, optiques ou spectrométriques embarqués sur les satellites, ainsi que les progrès des systèmes de positionnement GNSS[1] comme Galileo, ont permis de gagner en précision et en fréquence. En parallèle, les coopérations internationales – qu’elles soient européennes, sino-françaises ou issues de partenariats bilatéraux – enrichissent le volume et la diversité des données disponibles. Le programme européen Copernicus Marine Service illustre cette capacité à produire des données standardisées et accessibles, de plus en plus pertinentes et indispensables aux politiques de préservation des milieux littoraux.

Drones et robots : une nouvelle ère pour l’exploration océanique

Complémentaires de l’observation satellitaire, les drones et véhicules autonomes sous-marins permettent, désormais, de collecter des données en surface ou en immersion, avec une grande précision et dans des zones parfois inaccessibles aux moyens d’observation classiques. Développés initialement pour des usages militaires ou industriels, ces engins sont aujourd’hui utilisés pour des applications civiles telles que la bathymétrie, le suivi des habitats, la détection des mammifères marins ou l’inspection des fonds marins dans le cadre de projets d’éolien offshore.

Les drones vont constituer un outil essentiel dans la lutte pour la préservation de l’environnement marin. Ils offrent une alternative plus efficace, plus rentable et moins invasive aux méthodes traditionnelles, tout en fournissant des données précieuses pour les autorités publiques, les scientifiques et les ONG qui travaillent à la protection de la biodiversité et des habitats.

Ces systèmes offrent des performances remarquables en termes de durée d’opération et de couverture de zones difficiles d’accès. Leur utilisation permet une réduction significative des temps d’intervention et une optimisation de la collecte de données par rapport aux méthodes traditionnelles.

Les technologies robotiques permettent, notamment, de réduire drastiquement les délais d’opération par rapport aux méthodes traditionnelles et de limiter l’empreinte environnementale (réduction significative des émissions de CO₂).

La mer et tout particulièrement la Méditerranée est à l’aube d’une révolution considérable avec une massification prévue de l’emploi des drones. Ces derniers vont avoir un rôle croissant dans le suivi de des écosystèmes marins en collectant des données de plus en plus en plus précises sur la qualité de l’eau, la compréhension des changements écologiques, l’état des populations des mammifères marins et des poissons et des habitats sensibles, dans des zones où bien souvent il était très difficile d’avoir un suivi. La surveillance des herbiers de posidonie ou des coralligènes pourrait profiter à plein de ces nouvelles technologies.

Les drones aériens avec une capacité de permanence à la mer à faible cout vont aussi permettre d’assurer également une surveillance en continu des aires marines protégées, notamment les plus sensibles comme les réserves naturelles ou cantonnement de pêche. Cette permanence en mer sera sans doute une des meilleures réponses à la demande de renforcement de surveillance exprimée par les institutions environnementales.

Intelligence artificielle et big data : la nouvelle frontière de la connaissance

L’essor des capteurs et des images satellitaires a généré une explosion des volumes de données socio-environnementales. L’intelligence artificielle (IA), et en particulier les réseaux de neurones profonds, permet désormais de traiter ces données massives, hétérogènes et parfois incomplètes. En écologie marine, l’IA devient un outil décisif pour identifier, classer, modéliser et anticiper les dynamiques écosystémiques.

Des applications concrètes illustrent cette évolution. Par exemple, un détecteur de poissons lapins[2] basé sur la reconnaissance d’images permet de cartographier en temps réel l’expansion de cette espèce exotique en Méditerranée à partir de photos issues de plateformes participatives. En matière de pêche industrielle, des algorithmes en IA permettent désormais d’identifier les navires en pêches sur des images satellites, y compris ceux n’utilisant pas de balises AIS (obligatoires mais souvent désactivées). Les expérimentations en cours dans ce domaine montrent que la majorité de la flotte de pêche industrielle opérant en Méditerranée échappe encore à toute forme de suivi officiel.

Autre illustration, l’IA peut être également mobilisée pour estimer la pollution sonore générée par les navires grâce à l’analyse de leurs données de vitesse, de tonnage et de localisation. Des études récentes ont fait apparaitre des résultats alarmants en Méditerranée notamment dans le sanctuaire Pelagos de protection des mammifères marins où les niveaux sonores peuvent être très élevés.

Par ailleurs, l’analyse d’images très haute résolution permet aujourd’hui de détecter des comportements de pêche, des concentrations de déchets plastiques, ou encore la présence de mammifères marins. L’intelligence artificielle transforme ainsi une masse de pixels en information directement exploitable pour la gestion.

Au-delà de l’image, le recours à l’ADN environnemental (ADNe) révolutionne la manière d’appréhender la biodiversité marine. Le séquençage de traces génétiques prélevées dans l’eau permet d’identifier de nombreuses espèces présentes sur un site donné, y compris celles qui sont rares ou discrètes. Couplé à l’IA, ce type de données permet désormais de dépasser les limites des inventaires classiques.

L’exploitation conjointe de données ADNe, d’images satellites et issues de capteurs acoustiques ou thermiques donne naissance à de nouvelles approches intégrées pour la surveillance. Des modèles « vision transformers » permettent ainsi d’établir des liens entre biodiversité et pressions environnementales à différentes échelles. Ces modèles s’affranchissent d’une vision localisée pour intégrer des effets régionaux, comme les refuges sonores ou la connectivité des habitats.

La modélisation permet également d’élaborer des scénarios de gestion (« contrefactuels ») : que se passerait-il si l’on réduisait la fréquentation d’une baie ? Si l’on interdisait les ancrages ? Si l’on augmentait la densité de bateaux ? Ces outils de simulation vont devenir des supports décisionnels de plus en plus puissants pour les autorités en charge de la protection de l’environnement marins.

Parmi les nouveaux outils, n’oublions pas ceux qui, en rendant possible le partage de connaissance, renforcent la protection de l’environnement. La meilleure illustration de ce type d’application est Donia, développée par Andromède Océanologie, dont la vocation est d’aider les usagers de la mer à naviguer et à ancrer leurs bateaux de manière responsable, en ne dégradant pas les écosystèmes marins sensibles.  En permettant à, déjà, plus de 80 000 capitaines de navires et de plaisanciers de disposer de la cartographie fine des fonds marins et de la règlementation maritime en vigueur, cette application a été déterminante dans la protection des herbiers de posidonie et dans l’amélioration, en cours, de leur état.

Restauration et réhabilitation : de la technologie à l’écologie appliquée

Enfin, une dernière approche prend une importance grandissante ces dernières année avec la restauration écologique qui met en œuvre des techniques visant à améliorer la qualité et le fonctionnement écologique d’un milieu « naturel » dégradé par l’homme.

Un débat de fond oppose les scientifiques sur le sujet. Faut-il laisser la nature reprendre ses droits toute seule dans une zone dégradée par l’Homme ou doit-on lui donner un « coup de pouce » pour gagner du temps et permettre un redémarrage qui dans certains cas serait impossible ?

En réalité, le choix entre la restauration active et le fait de laisser faire la nature dépend souvent du contexte spécifique qui peut-être le type d’habitat, le degré d’artificialisation, les ressources disponibles et les objectifs de conservation. Dans de nombreux cas, une approche combinée, où la restauration active est utilisée pour donner un coup de pouce initial suivi d’une période de récupération naturelle, peut-être la plus efficace. Sans perdre de vue qu’il est également crucial de continuer à réduire les pressions humaines sur les écosystèmes marins dégradés pour permettre une récupération durable (cas des herbiers de posidonie).

La Méditerranée est actuellement un remarquable laboratoire des techniques de restauration écologique avec, notamment, des sociétés comme Ecocean et Andromède Océanologie. Ces deux entreprises de la région de Montpellier ont mis au point des technologies de restauration écologique qui font de plus en plus leurs preuves. En s’investissant dans la protection et le rétablissement des habitats naturels des espèces marines, la restauration écologique a pour finalité de maintenir la diversité biologique et certaines fonctionnalités écologiques (ex : nurserie). Ainsi, en restaurant des habitats dégradés, comme les herbiers de posidonie ou le coralligène, on améliore la santé globale des écosystèmes marins, ce qui profite à toutes les espèces qui en dépendent. Si la restauration écologique est un succès, une chaine vertueuse se met en place avec l’amélioration de la qualité de l’eau, le maintien de l’intégrité des habitats, l’augmentation des ressources halieutiques et l’accroissement de la séquestration du carbone.

En parallèle des outils de suivi, des initiatives concrètes en Méditerranée ont été déjà prises pour restaurer des habitats marins dégradés. Des opérations de réhabilitation de substrats coralligènes, de transplantation d’herbiers de posidonie[3] ou d’implantation de nurseries artificielles dans les ports sont en cours et montrent déjà d’importants résultats positifs.

Ces projets, parfois expérimentaux, s’appuient sur des projets de recherche robustes scientifiquement, des savoir-faire techniques (pompage, stabilisation des substrats, ancrages écologiques) et sur une meilleure compréhension des cycles biologiques. Certaines initiatives, comme la replantation rapide d’herbiers à Monaco ou la restauration à Beaulieu-sur-Mer, démontrent que les résultats écologiques peuvent être significatifs, avec des taux de survie et de recolonisation élevés si les conditions sont réunies.

Dans les milieux artificialisés, des dispositifs comme les Biohut permettent de réhabiliter une fonction écologique de nurserie à des environnements appauvris et artificialisés à jamais. Ces habitats de substitution abritent une chaîne trophique active, attirent de nombreuses espèces, et constituent des supports de sensibilisation efficaces tout en n’induisant aucune contrainte pour l’exploitation du port. La restauration écologique, qu’elle soit passive ou assistée, suppose de rétablir les conditions favorables au retour de la biodiversité

Conclusion

Les capteurs et le numérique bouleversent notre rapport à l’océan. Grâce au croisement des données spatiales, aux drones autonomes, à l’IA et aux biotechnologies, les capacités d’observation, de diagnostic et d’action sur le milieu marin s’élargissent à grande vitesse. Ces innovations permettent non seulement de mieux comprendre les écosystèmes, mais aussi de les surveiller, de les restaurer et de tester des scénarios de gestion adaptés.

Toutefois, cette révolution technologique pose aussi des défis d’éthique, d’accessibilité, de gouvernance et de priorisation. La donnée, aussi précise soit-elle, ne saurait remplacer le débat démocratique, ni se substituer à des politiques publiques ambitieuses. L’avenir de la mer ne pourra se jouer uniquement sur les écrans : il dépendra de notre capacité à mettre ces outils au service d’une relation renouvelée entre les sociétés humaines et le vivant marin.


[1] Le Global Navigation Satellite System ou système de positionnement par satellites est un ensemble de satellites (constellation) qui permet d’obtenir les coordonnées géographiques des navires sur les océans.

[2] Le poisson lapin est une espèce tropicale venue de la mer Rouge qui est présente actuellement en Méditerranée orientale. Cette espèce en décimant les algues présentes sur le fond bouleverse certains équilibres écologiques.

[3]La transplantation, depuis 2017, d’herbiers de posidonie à Monaco par Andromède Océanologie à Monaco dans le cadre de travaux d’extension en mer de la Principauté montre que cette technique est désormais maitrisée. En un an (2024 / 2025), ces herbiers transplantés ont connu 25% de croissance en surface.

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