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Les nouvelles routes de la soie : quels enjeux stratégiques ?

Etudiant au sein du master 2 Défense Sécurité et Gestion de crise de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Simon Rousseau s’intéresse tout particulièrement aux nouveaux enjeux de défense et de sécurité, notamment au rôle et à la place du renseignement à l’heure du big data, ainsi qu’au Moyen Orient dans son ensemble. Diplômé, il entamera une carrière d’analyste au sein de l’appareil de défense français.

Symbole historique des échanges entre l’Orient et l’Occident, la « Route de la soie » connait depuis quelques années un intérêt inédit en ce qu’elle souligne tant l’importance d’échanges commerciaux croissants avec la Chine que différents enjeux géopolitiques et stratégiques sous-jacents. En effet, loin de n’être qu’un projet économique, les nouvelles Routes de la soie – ou initiative « One Belt, one Road » – répondent à plusieurs impératifs stratégiques chinois tandis qu’elles aspirent à modifier en profondeur les équilibres géopolitiques régionaux voire mondiaux.

La représentation cartographique des routes envisagées rend compte de l’ampleur du projet : les deux axes créeront une boucle massive reliant trois continents, replaçant dès lors la Chine dans sa position historique et revendiquée d’« Empire du Milieu ». Officiellement lancée en 2013 par le président Xi Jinping, cette initiative cherche à développer les lignes de communications routières, ferroviaires et maritime tout en créant de nombreuses infrastructures pour relier la Chine à l’Europe en passant par l’Afrique. Evitant l’Inde, la route terrestre concerne directement l’Asie centrale, le Caucase du sud, l’Iran et la Turquie pour aboutir en Europe tandis que la voie maritime doit permettre de toucher la corne de l’Afrique comme l’Afrique orientale. Si les premiers impératifs sont économiques, avec l’objectif affiché de doper le commerce extérieur chinois et de relancer une croissance en berne, le projet recouvre également une importance géopolitique et stratégique indéniable alors que le géant chinois cherche à conduire une politique de desserrement vis-à-vis des Etats-Unis et de rayonnement à l’échelle mondiale.

Histoire et représentation de la Route de la soie

Les Routes de la soie s’inscrivent dans un riche contexte historique comme dans une volonté de rayonnement ancienne de la Chine. Ainsi, au 2ème siècle avant Jésus Christ plusieurs réseaux d’échanges commerciaux et culturels unissent déjà l’Empire du milieu aux terres d’Asie centrale voisines, à savoir la Bactriane, la vallée de Ferghana et la Sogdiane – une région qui engloberait aujourd’hui l’Afghanistan, du Tadjikistan, et de l’Ouzbékistan. Sous l’empereur Han Wudi et nourrie par la fougue d’ambitieux voyageurs et commerçants chinois, une première voie relie la Chine à l’Ouest contribuant dès lors à la propagation de la culture et des biens chinois en Asie centrale et, dans une moindre mesure, en Europe.

Cette première route de la soie va progressivement s’éteindre sous l’effet de facteurs conjoints : la fin de la Pax Mongolica durant le XIVème siècle rend le chemin peu sûr tandis que la Chine, particulièrement sous les dynasties Ming au XVIe et Qing au XVIIe, se ferme peu à peu à l’extérieur. Dans le même temps, l’Europe s’intéresse de plus en plus à l’Amérique et à l’Afrique tandis que la route des Indes devient la voie commerciale privilégiée du vieux continent. Néanmoins, la Route de la soie demeure un symbole fort de l’imaginaire chinois et souligne une période de rayonnement et d’influence indéniable.  En effet, comme le soulignent Claudia Astarita et Isabella Damiani, « la mémoire de cette importante représentation des liens anciens entre les deux extrémités de l’Eurasie n’est jamais vraiment tombée dans l’oubli ». Si l’importance de cette route – plutôt un ensemble de chemins commerciaux – doit être remise en perspective, il n’en reste pas moins que le concept de Route de la soie a durablement marqué l’imaginaire chinois tout en prenant une importante dimension géopolitique, comme voie d’accès vers les terres convoitées d’Asie centrale et vecteur d’influence.

Aujourd’hui, alors que la Chine cherche de nouveaux débouchés commerciaux et souhaite renforcer sa place de puissance globale, la Route de la soie retrouve une importance essentielle, notamment pour contourner l’encerclement américain.

Entre sécurisation de l’étranger proche et des intérêts économique et contournement de l’endiguement américain

Si l’initiative « One Belt, One Road » répond indéniablement à des impératifs économiques – notamment détaillés dans la note de Monsieur Jean-Charles Colombani du 20 février 2018 – les nouvelles Routes de la soie recouvrent également une importante dimension géopolitique et stratégique. Que ce soit par voie terrestre ou maritime, le tracé des routes est révélateur des ambitions de Pékin. La Chine conduit en effet une stratégie de long terme qui doit lui assurer une influence certaine en Eurasie tout en lui permettant de contrer ses principaux rivaux régionaux et de se défaire de la politique d’endiguement américaine, un temps matérialisée par l’Accord de partenariat transpacifique (TPP). Ainsi, le pays a patiemment élargi sa présence, de sa périphérie proche jusqu’aux confins du continent asiatique tout en encerclant progressivement l’Inde et en évitant soigneusement les principaux alliés de Washington. Les nouvelles Routes de la soie participent de cette stratégie.  Grâce à elles, la Chine compte profiter de différents points d’appui en Asie centrale, matérialisant et renforçant une coopération économique et des investissements anciens. Dans le même temps, ces routes doivent permettre de sécuriser et de stabiliser l’étranger proche chinois afin de lui permettre un développement serein. Cet axe permet en outre d’encercler et de contenir l’Inde et d’assurer un prolongement maritime vers l’Océan Indien, et l’Afrique, par un axe sino-pakistanais. En effet, depuis le lancement de l’initiative, les relations, notamment économiques, entre la Chine et le Pakistan se sont intensifiées. Sur le plan maritime, les routes envisagées permettent à la chine de contourner l’influence américaine en Mer de Chine et dans le Pacifique comme en atteste la carte ci-contre.

Enfin, l’ensemble de ces axes doit permettre à la Chine de sécuriser ses approvisionnements énergétiques en provenance de Russie et du Moyen Orient contre la menace de la piraterie dans le golfe d’Aden, le détroit d’Ormuz, le détroit de Malacca ou en Mer de Chine méridionale ou contre un éventuel « blocus » américain sur les approvisionnements chinois en cas de vives tensions entre les deux puissances.

 

Un rayonnement chinois mondial ?

Plus que de simples impératifs géopolitiques et économiques, les nouvelles Routes de la soie servent également le soft power chinois tout en permettant au régime de Xin Jinping d’offrir une alternative – crédible ? – au modèle américain. Ainsi, en se basant sur des investissements massifs dans des infrastructures locales, en jouant la carte du long terme et de liens « gagnant-gagnant », la Chine cherche à se positionner comme un partenaire privilégié et viable pour de nombreux pays, capitalisant, dans le même temps, sur le repli américain. Pékin veut ainsi présenter son projet comme un important vecteur de développement pour les pays qui y prendront part tout en espérant que celui-ci permette la large diffusion du modèle chinois et la création de liens culturels et politiques forts.

Néanmoins plusieurs problèmes de taille peuvent contraindre le développement du projet chinois. Outre les fonds draconiens qu’il implique, celui-ci peut se heurter à certaines zones d’instabilité en Asie centrale et au Moyen Orient tandis que la topographie de certaines régions rend la construction d’infrastructures difficile.

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