Par Esteban Aguado, chercheur associé à l’Institut FMES

Plus grand département français avec 83 846 km2, la superficie du Portugal, la Guyane est recouverte à 95 % par la forêt amazonienne. Ce grand morceau de France en Amérique du Sud est encadré par le Brésil à l’Est et le Suriname à l’Ouest et dispose d’un littoral de 378 km, littoral composé à 80 % d’une mangrove mouvante qui évolue au gré des saisons.

Sa façade maritime s’étend de l’embouchure de l’Oyapock à celle du Maroni, lui procurant une Zone Economique Exclusive (ZEE) de 131 506 km2, soit 1,5 fois sa superficie terrestre. Également, depuis la validation de sa demande en 2015 par la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC), la France dispose d’une extension de son plateau continental de 72 000 km2 et donc de droits souverains pour l’exploration et l’exploitation des ressources naturelles situées sur les fonds marins et dans leurs sous-sols.

Une source de richesse et d’enjeux

L’économie bleue en Guyane représente 1,5 % du PIB guyanais et 1,7 % des emplois. Le port de Dégrad-des-Cannes situé sur le fleuve Mahury est le principal vecteur pour les échanges commerciaux. 99 % du fret annuel transite en effet par le Grand Port Maritime (GPM), 23ème port français en tonnage de marchandises.

Les eaux guyanaises sont riches en ressources halieutiques avec notamment plusieurs espèces disposant d’une vessie natatoire particulièrement prisée sur le marché asiatique, cet appendice une fois séché disposant – parait-il – de propriétés aphrodisiaques. Le secteur fait cependant face à plusieurs problématiques qui dépassent la seule pêche illégale comme la vétusté des installations à terre et de la flotte ou encore la formation aux métiers de la mer[1].

Concernant le sous-sol de la ZEE, la loi Hulot de 2017 interdit les nouveaux projets de recherche d’hydrocarbures et les explorations effectuées au large entre 2011 et 2019 par Total Energie n’ont pas confirmé l’existence de réserves significatives. Des espoirs persistent cependant quant à la possibilité d’un développement du territoire via l’or noir. Ce sentiment a été renforcé par la découverte en 2015 au Guyana d’importants gisements, offrant au pays la capacité de devenir un « petit Qatar[2] » selon deux sénateurs français, le pays ayant en effet vu son PIB croître de 62,3 % en 2022 grâce aux revenus générés par l’extraction pétrolière.

Enjeux maritimes et terrestres de la Guyane (crédits : CESM).

Premier défi du théâtre, la préservation de la ressource halieutique menacée par la pêche illégale qui a des conséquences sur les plans environnementaux, économiques et sécuritaires. A l’Ouest, des pêcheurs surinamais réalisent des incursions profondes dans les eaux françaises, utilisant des barques d’une dizaine de mètres dotées d’un équipage de quelques marins. À l’Est, les tapouilles brésiliennes se concentrent elles le long de la frontière et à l’ouvert de l’Oyapock, jusqu’à la réserve du grand Connétable à quelques nautiques, et s’opposent très régulièrement aux contrôles réalisés dans le cadre de la mission de police des pêches. Plus au large, des ligneurs vénézuéliens se spécialisent dans la pêche du vivaneau. Une étude[3] datant de juin 2024 montre que sur la période 2019-2023, la pêche illégale par des navires étrangers représentait entre 0,7 et 3 fois l’effort de pêche légal local. La Lutte Contre la Pêche Illégale (LCPI) constitue ainsi une des missions permanentes d’envergure en Guyane.

Les eaux sous souveraineté française sont aussi le lieu de divers trafics illégaux. Le front de mer voit le transit des pirogues logistiques en provenance du Brésil qui approvisionnent les garimperos et les camps d’orpaillage illégal en forêt via les nombreux fleuves qui irriguent le littoral. Ces pirogues embarquent vivres et équipements indispensables au traitement de l’or comme l’indispensable mercure utilisé pour amalgamer les paillettes du précieux métal. Également, selon la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), la problématique du trafic de drogue par voie maritime dans la Zone Maritime Guyane (ZMG) devrait devenir plus forte dans les années à venir, les trafiquants choisissant des routes plus Sud que celles actuellement utilisées et qui passent par les Antilles. Cette analyse est confirmée par un rapport sénatorial[4] qui indique que ce trafic tend aussi à progresser dans la zone en raison de l’augmentation des contrôles réalisés dans le transport aérien.

Enfin, l’espace maritime est aussi un enjeu pour la protection du centre spatial guyanais à Kourou d’où décollent les fusées Ariane VI et Véga[5]. A chaque tir, dans le cadre de l’opération Titan, les Forces Armées en Guyane (FAG), dont leur composante navale, contribuent à la sécurisation du lancement et permettent à la France de conserver cette capacité stratégique pour la maîtrise de l’espace exo-atmosphérique. À ce titre, le 06 mars dernier, Ariane VI réalisait avec succès son premier vol commercial, emportant en soute le satellite militaire CSO-3, troisième satellite de la Composante Spatiale Optique qui remplace les satellites Helios. Si seulement trois lancements ont été réalisés en 2023 depuis le CSG, neuf sont prévus en 2025 (cinq d’Ariane VI et quatre de Vega-C).

Un patrouilleur Antilles-Guyane surveille au large le lancement d’une fusée depuis le centre spatial guyanais de Kourou (crédits : EMA/FAG).

La base navale de Dégrad-des-Cannes : un point d’appui central

Lors d’un discours en septembre 2017 à bord d’un bâtiment de la Marine, le premier ministre Edouard Philippe déclarait que « ce qui n’est pas surveillé est visité, ce qui est visité est pillé et ce qui est pillé finit toujours par être contesté. ». Face à ce constat et au regard des défis évoqués, les services de l’État en Guyane et la Marine nationale en particulier coopèrent. Que ce soit dans le cadre d’opérations sous la responsabilité du préfet, DDG AEM[6], ou de missions sous celles du général commandant supérieur des FAG, les acteurs opèrent avec un triple objectif : maintenir la souveraineté de la France dans ses eaux, protéger l’environnement et la biodiversité et lutter contre les trafics illicites.

L’État s’appuie ainsi sur des moyens principalement localisés à proximité de Cayenne, sur la base navale de Dégrad-des-Cannes qui vient de célébrer ses 30 ans et qui a bénéficié récemment de travaux d’infrastructures notables avec la réfection complète de ses quais. Sur cette base française qui est la seule située sur un fleuve, le Mahury, plusieurs moyens cohabitent.

La base navale de Dégrad-des-Cannes, seule BN située sur un fleuve. Au premier plan, les moyens qui y sont basés (crédits : MN/BN DdC).

Tout d’abord deux Patrouilleurs Antilles-Guyane (PAG), la Confiance et la Résolue, bâtiments récents puisqu’admis au service actif respectivement en avril 2017 et en septembre 2017, spécifiquement pensés pour le milieu guyanais et ses opérations. Construits par les chantiers Socarenam, ces unités devaient en effet initialement porter le nom de Patrouilleur Léger Guyanais (PLG) et disposent de capacités et de caractéristiques adaptés à la zone guyanaise. Dans le cadre de la police des pêches, le bâtiment possède deux Embarcations de Drome Opérationnelle (EDO) et de systèmes de mise à l’eau lui permettant de projeter rapidement deux équipes de dix personnes. Face au 200 chevaux des embarcations, le seul refuge des tapouilles restent la fuite vers la mangrove et la frontière ou la confrontation, attitude régulièrement adoptée par les pêcheurs brésiliens.Par leur tirant d’eau réduite (3,20 m), les PAG bénéficient d’un espace de manœuvre plus important et peuvent ainsi naviguer en deçà de l’isobathe des 5 m pour mieux détecter et intercepter les pêcheurs INN. Servi par un équipage optimisé de 24 marins, le bâtiment peut accueillir aisément un détachement d’une dizaine de personnes ce qui est d’ailleurs régulièrement réalisé lors des opérations dîtes « renforcées ».

Contrôle et saisie du produit de la pêche sur une barque surinamaise INN par une équipe de visite (crédits : PAG la Résolue).

Ensuite, une Vedette Côtière de Surveillance Maritime (VCSM) de la gendarmerie maritime, la Charente, servie par un équipage de dix personnes et qui est amenée à être remplacée par une des nouvelles Vedettes de Gendarmerie Maritime (VGMAR). L’Embarcation Remonte Filets (ERF) Caouanne, du nom d’une espèce de tortue présente de la région, occupe le dernier ponton de la base navale. Cette dernière est un outil efficace dans le cadre de la lutte contre la pêche illégale, permettant de saisir en mer les filets et d’impacter durement les pêcheurs INN[7]. En effet, le prix des filets est estimé à 1000 € le kilomètre et leur saisie, en complément du rejet en mer du poisson, est un des modes d’actions utilisé. Enfin, plus à l’Ouest, à Kourou, une autre VCSM, l’Organabo, et un bâtiment des douanes, l’Alizé, complètent le dispositif.

Ces moyens navals sont aussi appuyés par plusieurs aéronefs, principalement ceux de l’Armée de l’Air et de l’Espace, qui apportent une allonge certaine dans la détection et l’identification des contacts en mer. Basés sur la BA 367 « Capitaine François Massé » colocalisée sur l’aéroport Felix Éboué de Cayenne, les trois avions de transport Casa CN-235, les cinq hélicoptères Fennec et les quatre hélicoptères Puma participent aux opérations de surveillance maritime au large et le long de la côte mais assurent également une alerte sanitaire à une heure lors des opérations renforcées. Enfin, à environ 600 kilomètres d’altitude, la constellation de 300 satellites du système TRIMARAN procure une capacité de surveillance qui sert à dresser des statistiques sur la présence de navires ou à analyser les conséquences des opérations sur les comportements des pêcheurs.

Exemple de photographie satellite par le système TRIMARAN à la frontière maritime entre la France et le Brésil. Plusieurs détections semblent correspondre à des pêcheurs illégaux (crédits : EMA/FAG).

Du point de vue opérationnel, en sus des patrouilles autonomes des unités, les services de l’État organisent plusieurs fois par an des opérations « renforcées » dans le cadre de la LCPI. À cette occasion, on assiste à une concentration des moyens civils et militaires permettant d’optimiser leur emploi. En mer, les unités accueillent des détachements spécialisés en provenance des fusiliers-marins commando (opération Mokarran) ou de la gendarmerie maritime (opération Mako). Leur présence permet notamment de renforcer les capacités d’intervention des équipes de visite pour faire face à la violence des équipages brésiliens qui n’hésitent pas à s’opposer aux contrôles en utilisant des mortiers artisanaux et en projetant divers objets. À terre et afin d’assurer le continuum entre l’interception en mer et le traitement judiciaire, le parquet de Cayenne, la police aux frontières et les moyens de mise à sec des navires interpellés sont mis à profit. C’est d’ailleurs ce paramètre qui limite généralement le nombre de déroutements réalisés, la capacité de stockage à sec étant restreinte au niveau du port du Larivot à Cayenne. In fine, le bilan provisoire pour 2024 fait état de 373 contrôles de navires de pêches dans les eaux françaises de Guyane qui ont mené à la saisie de 219 tonnes de poissons, de 235 kilomètres de filets et au déroutement de 14 navires INN dont 13 seront détruits par décision de justice.

Une militarisation de l’espace maritime proche

Pour autant, l’espace maritime ne peut être apprécié que d’un point de vue sécuritaire. Au Sud le Brésil a développé le concept « d’Amazonie bleue » pour ses 4,5 millions de km2 de ZEE et cherche à se renforcer dans le domaine maritime[8] : mise en place d’un système de surveillance de son espace maritime (SISGAAz), acquisition de 4 sous-marins classiques de la classe « Scorpène » ou encore développement d’un programme de sous-marin nucléaire d’attaque.

Au Nord, la découverte d’importants gisements d’hydrocarbures offshore attise les tensions entre le Guyana et le Venezuela. Dans ce cas, en sus d’un ancien litige territorial lié à la région de l’Essequibo réclamé par le Venezuela, la manne pétrolière ravive l’intérêt de Caracas pour la zone, intérêt qui s’est matérialisé par le déploiement d’un navire à proximité des plateformes pétrolières exploitées par le groupe américain ExxonMobil[9] et de troupes vénézuéliennes à la frontière. Conséquences de ces tensions, d’autres pays voisins ou alliés renforcent leur présence militaire dans la zone telle l’US Navy qui a déployé en mars 2025 l’USS Normandy au large de Guyana.

Le différend frontalier entre le Guyana et le Venezuela et les gisements offshore découverts.

L’espace maritime en Guyane apparaît ainsi comme une zone qui partage certes des points communs avec les autres territoires ultramarins tel l’éloignement par rapport à la métropole tout en faisant face à des enjeux régionaux uniques. Ceux-ci sont pris en compte par les échelons locaux comme centraux malgré des moyens toujours comptés. A l’image de ces enjeux qui dépassent le cadre des frontières, le dialogue interrégional reste peut-être une piste sérieuse pour apporter une réponse collective à des problématiques communes. Le dialogue du plateau des Guyanes, cénacle stratégique qui regroupe à l’initiative de la France, le Brésil, le Suriname, le Guyana et la Guyane, apparaît comme un cadre pertinent pour de tels échanges.

Cet article est une version longue d’une tribune déjà parue dans l’édition de mars 2025 du magazine Cols Bleus.


[1] La Guyane maritime, Camille Valero, Note de Synthèse ISEMAR n°270, avril 2025.

[2] Le Guyana : la Qatar de demain ?, François Bonneau et Philippe Folliot, Le journal du dimanche, 16 février 2024.

[3] Étude sur l’estimation de la pêche illégale étrangère en Guyane française, Sophie Leforestier, juin 2024.

[4] Rapport d’information N°707 du Sénat au nom de la mission d’information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, 15 Septembre 2020.

[5] Et d’où décollaient les fusées Soyouz russes avant le 24 février 2022.

[6] Délégué Du Gouvernement pour l’Action de l’Etat en Mer.

[7] Pêche Illégale, Non déclarée et Non règlementée.

[8] Les ambitions de la Marinha do Brasil, Esteban Aguado, Fondation Méditerranéennes d’Études Stratégiques, janvier 2025.

[9] Guyana triggers military response after Venezuelan vessel enters its waters, Natricia Duncan, the Guardian, 1er mars 2025.

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