Compte rendu de la conférence prononcée par Louis CAPRIOLI, le 18 janvier 2019. Les analyses décrites ci-dessous représentent les seules opinions du conférencier et n’engagent pas l’institut FMES.
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L’institut FMES a eu le plaisir de recevoir Louis Caprioli, inspecteur général honoraire de police, conseiller et spécialiste en géostratégie et ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la Surveillance du Territoire (DST).
Pendant deux heures, Louis Caprioli a fait un retour sur les évènements terroristes qui ont bousculé le monde et plus particulièrement la France ces dernières années.
Bien avant l’effondrement de l’Etat Islamique en 2017, l’organisation s’était engagée dans un terrorisme de basse intensité en s’adressant via les réseaux sociaux à une frange de ses sympathisants installés dans les pays occidentaux mais incapables de rejoindre les terres de djihad. Ce terrorisme low-cost est un mode opératoire de l’organisation qui n’est plus capable aujourd’huide mettre en place des frappes du type du 13 novembre 2015. Daech apparaît défait mais se trouve dans un état de veille sur les terres de djihad du monde entier en attendant une opportunité due à la lassitude des Occidentaux pour relancer suivant d’autres modalités ses frappes. L’organisation continue à envoûter des extrémistes.
- La situation en France
L’attentat commis le 26 juin 2015 à Saint Quentin Fallavier par Yassin SALHI qui a égorgé son patron et tenté de faire exploser une usine en projetant le camion de l’entreprise sur des bouteilles de gaz, a marqué le début de ce que Louis CAPRIOLI qualifie de « terrorisme de basse intensité ». Les auteurs de ce terrorisme se caractérisent de plusieurs façons : ils n’ont jamais séjourné en zone syro-irakienne, sont radicalisés et formés sur les réseaux sociaux, certains ont été en contact avec un correspondant de Daech et les armes utilisées sont principalement des armes à feu (pistolet, révolver, Kalachnikov) ou des armes blanches (couteau, sabre, marteau, bombe avec bouteille de gaz).
Depuis cette date, ce ne sont pas moins de 24 attaques de basse intensité qui ont été commises en France. Louis CAPRIOLI a tracé un historique rapide de ces attentats terroristes que nous connaissons malheureusement tous. Ces attaques ont provoqué la mort de 249 personnes et fait plus de 900 blessés. Elles ont impliqué 151 auteurs directs et donneurs d’ordre, plus de 20 femmes et une vingtaine de mineurs. Les cibles prioritaires de ces attentats sont des civils, des militaires ainsi que des cibles confessionnelles.
Malgré tout, les services œuvrent quotidiennement pour lutter contre ces attaques. Depuis 2011, 86 projets d’attentats ont été déjoués. 8 projets d’attentats préparés par des salafistes djihadistes ont été empêchés en 2018.
Concernant les individus radicalisés en France, Louis CAPRIOLI nous donne plusieurs chiffres-clés. 21.000 individus radicalisés sont inscrits au Fichier des Signalements pour la Prévention et la Radicalisation à caractère Terroriste (FSPRT) et 12.000 sont fichés S. 730 individus sont détenus pour terrorisme et entre 1.800 à 3.000 sont des détenus de droit commun radicalisés. 3.391 sont de nationalité étrangère et 619 ont une double nationalité. Il s’agit majoritairement d’hommes à 75% contre 20% de femmes et 5% de mineurs.
- Les revenants
Louis CAPRIOLI nous dresse un historique des « revenants », ces djihadistes européens partis combattre qui reviennent en Europe et en France, de 1979 à aujourd’hui. Il nous dépeint les différentes filières selon les différentes époques :
– Les premières filières afghanes : En 1979 on assiste aux premières filières afghanes à la suite de l’intervention soviétique le 25 décembre. 20.000 volontaires, dont quelques Français, avaient rejoint, entre 1980 et 1988, les combattants afghans.
– Les deuxièmes filières afghanes entre 1990 et 2001 : en Afghanistan, de nombreux individus ont suivi des formations dans des camps dédiés au terrorisme, chargés de préparer des attaques en Europe, aux Etats-Unis, dans le Sud-Est de l’Asie ou encore au Moyen-Orient. De nombreux Français ou résidents français s’y sont rendus et les services français ont alors démantelé de nombreux réseaux empêchant la commission d’attentats, notamment celui du marché de noël de Strasbourg en 2000.
– Les premières filières irakiennes dès 2003 : des milliers d’individus, dont de nombreux Français, s’y sont rendus afin de combattre les Américains. Entre 2004 et 2008 ces filières ont été démantelées et Al Qaïda entre dans la clandestinité en Irak. En 2006, Al Qaïda prend le nom d’Etat Islamique. Son réveil en Syrie et en Irak correspond au Printemps arabe de 2011 et au retrait des troupes américaines.
– Les deuxièmes filières irakiennes à partir de 2011 : On assiste à l’essor de la branche d’Al Qaïda en Syrie, Jabat Al Nosra. On dénombre plus de 2 000 Français sur les 40 000 volontaires étrangers.
Louis CAPRIOLI constate que les revenants de ces quatre filières ont pour beaucoup été impliqués dans des cellules terroristes. Il nous donne également plus en détail le nombre de Français et d’étrangers engagés sur la scène syro-irakienne. De 2011 à 2017 ce sont 2 000 individus français ou résidents en France qui ont rejoint l’Etat Islamique. Plus globalement ce sont 42 000 étrangers venant de 120 pays dont 5 000 d’Europe qui ont rejoint la zone syro-irakienne. En 2018, 730 Français ou résidents en France, dont 350 à 500 mineurs, sont présents en zone syro-irakienne.
- Daech et Al Qaida, le cas de la Syrie
Le spécialiste des réseaux islamistes quantifie les combattants en Irak et en Syrie : ils seraient respectivement entre 15 500 et 17 000 et 14 000. Concernant la renaissance de Daech en 2018, force est de constater que les combattants de ces organisations ont été résistants et déterminés. Ils se sont notamment adaptés à la pression antiterroriste accrue en Irak et en Syrie, en Afghanistan, en Libye, en Somalie et au Yémen.
Monsieur CAPRIOLI dresse également la situation d’Al Qaïda en Syrie et nous explique : « La plus grande base de djihadistes se trouve dans la province d’Idlib au Nord-Ouest de la Syrie, contrôlée à plus de 80 % par une coalition dominée par l’ancienne représentation d’Al Qaïda en Syrie, le Front Al Nosra, qui – en théorie – a abandonné Al Qaïda et a muté en juillet 2016 par opportunisme en devenant Fatah Al Cham. Après absorption d’autres groupes djihadistes salafistes, il est devenu en janvier 2017 Hayat Tahrir Al Sham (HTS) – L’Organisation de la Libération du Levant. Les estimations des effectifs du HTS sont d’environ 25 à 30 000 combattants. Une organisation, Tanzim Hurras ad Din, qui a fait allégeance à Al Qaïda le 12 avril 2018, et dont les combattants proviennent de Hayat Tahrir Al Sham – Les Gardiens de la Religion, a émergé en février 2018. En avril Tanzim Hurras ad Din fusionne avec Ansar al Tawhid, les Partisans de l’Unicité pour devenir Nusrat Al Islam – Le Front de L’Islam – comportant 2 à 3 000 combattants qui sont actifs à Idlib, Lattaquié et Hama. Dans l’avenir, Nusrat Al Islam se renforcera et selon l’évolution de HTS, un rapprochement avec Al Qaïda n’est pas à écarter ».
En bref, Al Qaïda est toujours présent et a su s’adapter aux diverses attaques à son encontre. Al Qaïda est également déployé en Tunisie, en Algérie, au Sahel, au sud de la Libye, en Somalie, au sud du Yémen ou encore dans les zones tribales du Pakistan.
- Des futures frappes contre la France ?
Louis CAPRIOLI précise que la France est un acteur majeur des croisés de la lutte contre le djihadisme salafiste partout dans le monde. La laïcité est perçue comme une agression contre les musulmans et les français ne sont pas moins que les héritiers des conquêtes coloniales en terres d’islam.
Plusieurs constats sont faits :
– en France, des centaines de djihadistes salafistes sont en prison ;
– des cellules dormantes clandestines existent un peu partout en France et en Europe et sont chargées de frapper dans les mois à venir.
Plusieurs inquiétudes :
– la libération des prisonniers radicalisés dès 2019 (environ 450) ;
– la gestion des revenants ;
– les radicalisés isolés en mesure de réaliser du terrorisme de basse intensité.
- Comment faire face au terrorisme de basse intensité ?
Pour Louis CAPRIOLI, plusieurs actions peuvent être mises en place afin de lutter contre le terrorisme de basse intensité. Tout d’abord, l’exploitation systématique des renseignements collectés serait une clé fondamentale dans cette lutte, mais il s’accorde pour dire que cela reste difficile à mettre en œuvre. En revanche, il serait nécessaire de réaliser des opérations d’interpellations systématiques qui prendraient le relais sur l’état d’urgence, afin de déstabiliser des individus prêts à passer à l’acte, à recruter des informateurs ou encore à créer un sentiment d’insécurité. Louis CAPRIOLI reste lucide sur les limites de ces actions, notamment la saturation du personnel, la durée des gardes à vue, l’exploitation des saisies, etc…
Louis Caprioli souligne que l’organisation des services est performante mais pourrait être améliorée. Depuis juin 2018, le gouvernement a annoncé un Plan d’Action contre le Terrorisme – PACT. Ce ne sont pas moins de trente-deux actions publiques qui sont identifiées dans cinq domaines prioritaires.
Concernant la communauté du Renseignement français on retrouve : la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (DRSD), la Direction du Renseignement Militaire (DRM), la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), le Bureau Central du Renseignement Pénitentiaire (BCRP).
En ce qui concerne le Ministère de l’Intérieur la lutte anti-terroriste a été centralisée en quatre directions générales. La Direction Générale de la Police Nationale, elle-même segmentée en quatre sous-directions, la Préfecture de Police de Paris, la Direction Générale de la Gendarmerie Nationale composée de deux sous-directions et enfin la Direction Générale de la Sécurité Intérieure dans laquelle on retrouve la sous-direction du renseignement et la sous-direction judiciaire.
Cette multiplication des services rend le dispositif trop lourd et moins performant. Le renforcement de la DGSI est une piste à creuser, notamment par l’intégration de personnels d’autres services (police, gendarmerie, etc…) et par le rattachement de la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police.
- Conclusion
En conclusion Louis CAPRIOLI dresse un avenir plutôt sombre, un avenir dans lequel nous devrons vivre avec cette menace permanente. Il constate que bien qu’affaiblis, les djihadistes salafistes ont diversifié leurs modes d’actions et reprendront tôt ou tard leurs attaques.. De nombreuses années seront nécessaires pour sortir de cette spirale délétère. Notre faiblesse principale ? Notre méconnaissance du religieux en tant qu’Occidentaux et notre incapacité à contrer la doctrine salafiste par un discours qui ferait écho aux combattants.