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Le bilan méditerranéen de Jacques Chirac

Le jeudi 26 septembre, le président de la République française Jacques Chirac s’est éteint à l’âge de 86 ans. Après plus de 40 années de vie politique, celui qui a été maire de Paris, Premier ministre et Président a toujours porté un regard attentif au bassin méditerranéen.

Très actif dès son arrivée à la présidence pour infléchir la situation militaire en ex-Yougoslavie et redonner à la communauté internationale sa voix pour mettre un terme à ce conflit, il fut un artisan de la paix dans cette région de la Méditerranée. Il a d’ailleurs, obtenu des Américains, sous la présidence de Bill Clinton, une conférence de paix permettant la signature des Accords de Dayton.

De tradition gaulliste et cultivant un réel intérêt pour le monde arabe et sa culture, Jacques Chirac a perpétué la diplomatie française en Afrique du Nord et au Moyen-Orient du général de Gaulle. En communication politique, il apparait comme un ami des peuples arabes. Cette proximité avec ces pays de la rive Sud de la Méditerranée s’explique notamment par les liens interpersonnels noués avec certains dirigeants. Parmi eux, figurent le monarque chérifien Hassan II, Jacques Chirac ayant d’ailleurs réservé au Maroc ses premières visites d’Etat au cours de ses deux mandats en 1995 et 2002 ou encore le Syrien Hafez el-Assad. Il entretiendra également une relation très solide avec le Liban et une profonde amitié avec l’homme d’affaires libanais Rafic Hariri qui deviendra chef du gouvernement. Cette proximité née alors qu’il est maire de Paris pousse Jacques Chirac à ériger le Liban en dossier prioritaire lorsqu’il rejoint le palais de l’Elysée. Il est d’ailleurs le premier chef d’Etat à se rendre au Liban après la guerre civile. L’amitié et la confiance entre les deux hommes se traduit en 2001 par l’organisation à Paris d’une conférence internationale pour aider le Liban sur les plans financier et économique. De plus, en 2004, Jacques Chirac obtient à l’ONU une résolution obligeant l’armée syrienne à se retirer du pays.

Cette diplomatie s’applique également à l’Afrique de l’ouest.  En nouant des amitiés avec les chefs d’Etats africains et soutenu par Jacques Foccart, le « monsieur Afrique » du général de Gaulle, Jacques Chirac se constitue un réseau fort prenant essentiellement sa source dans la francophonie. Ses tournées et voyages réguliers dans les pays du sud de la Méditerranée et de l’Afrique sont les principaux vecteurs de la diplomatie choisie par Jacques Chirac.

Le chef de l’Etat était ainsi considéré comme « pro-arabe » et notamment pro-palestinien. La sensibilité à la question arabe de Jacques Chirac s’est manifestée dès le début de son mandat, lors de sa première tournée diplomatique dans le monde arabe en octobre 1996. Au Caire, il a annoncé vouloir donner un nouvel élan à la politique arabe et méditerranéenne de la France. Tout le monde se souvient de l’événement dans la vieille ville de Jérusalem où il interpelle la sécurité qui l’oppresse alors qu’il veut échanger avec la foule qui lui réserve un accueil particulièrement chaleureux.  Sa popularité monte en flèche dans le monde arabe, notamment parce qu’il se prononce en faveur d’un processus de paix israélo-palestinien : « Tant que les Palestiniens ne peuvent pas gérer leurs propres affaires, tant qu’ils n’ont pas droit à la dignité comme tous les autres peuples […], les frustrations et le ressentiment persisteront ». Il a par ailleurs opéré un rapprochement avec Yasser Arafat, le chef de file de l’OLP. Ce lien entre les deux hommes s’est maintenu jusqu’en 2004 jusqu’à la mort du Palestinien.

De fait, les relations qu’entretient Jacques Chirac avec Israël sont complexes. En juillet 2000 pourtant, lors des négociations de Camp David examinant le statut de Jérusalem, le Président français partage la position d’Israël prenant acte du rejet des accords par Yasser Arafat. La mort du leader palestinien contribuera à une forme de stabilisation de la relation franco-israélienne.

En 2003, le refus de participer à la coalition américaine en Irak restera dans tous les esprits comme étant l’acte le plus fort du Président Jacques Chirac. La France, pour la première fois depuis 1956, a annoncé son intention d’utiliser son droit de véto concernant un projet de résolution américain et prévient sur les dangers de cette guerre : « Quelle que soit la durée de ce conflit, il sera lourd de conséquences pour l’avenir ». L’histoire retiendra le courage de ce chef d’Etat et de son ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin dont le discours en février 2003 aux Nations unies, est devenu célèbre. Dans un contexte post-Guerre froide et après les attentats du 11 septembre, ils ont su se délier de leurs alliés traditionnels et refuser une guerre qui ne bénéficiait pas de l’aval des Nations unies. Jacques Chirac connait bien l’Irak et Saddam Hussein, rencontré à Bagdad en 1974 alors qu’il était le Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing. Les relations entre l’homme politique français et le baasiste irakien ont même abouti à des relations économiques soutenues dans le domaine de la Défense et de l’énergie avec la création d’un réacteur nucléaire finalement détruit par Israël en 1981.

Isolé auprès de ses alliés et décrié dans la presse anglo-saxonne, ce choix a isolé diplomatiquement Paris. Dans les années suivantes, la position atlantiste de la France est moins tranchée et la politique arabe devient plus discrète.

L’Algérie tient une place particulière dans le bilan méditerranéen de Jacques Chirac. Il y fut sous-lieutenant puis haut fonctionnaire. Il connaissait le caractère singulier de la relation franco-algérienne au caractère passionnel où le passé pèse sur la nature des liens à construire.  Le Président Chirac a tenté de réconcilier les deux Etats. Il est, en 2001, le premier chef d’Etat français à se rendre en Algérie depuis 13 ans. Revenant dans le pays en 2003, il est salué pour sa position contre la guerre en Irak. Pour cet adepte des bains de foule, ce voyage en Algérie lui permet de cultiver son lien avec la rue arabe. Il devient l’instigateur, avec son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika, d’un traité d’amitié qui restera finalement mort-né.

En définitive, De très nombreux pays de la rive Sud de la Méditerranée ont suscité un vif intérêt de la diplomatie chiraquienne. Du Maroc à l’Irak en passant par l’Afrique, cette diplomatie s’est largement inspirée de celle de Charles de Gaulle. Des traces subsistent encore aujourd’hui et soulignent sans doute toute l’importance qu’il faut accorder aux interactions entre les pays des deux rives.

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