LA NOUVELLE STRATÉGIE RÉGIONALE DE LA GRÈCE

Aris Marghelis est chercheur associé au Centre de droit maritime et océanique de l’université de Nantes

La fuite en avant de la politique régionale turque à partir de la fin 2019 a eu comme effet de bousculer la Grèce, faisant de 2020 une année très particulière pour sa politique étrangère. Outre de nouvelles délimitations maritimes, la Grèce a surtout cherché à développer des synergies, y compris avec des puissances militaires du Moyen-Orient via lesquelles elle puisse contrer les desseins turcs en Méditerranée orientale, dont elle est la première cible avec Chypre. Elle cherche également à moderniser son aviation et sa marine. Plusieurs inconnues questionnent toutefois cette nouvelle stratégie, notamment l’évolution de la question chypriote, les conséquences de l’élection de Joe Biden, le facteur russe et la situation en Libye.

À partir du moment où la Turquie a « franchi le Rubicon » en signant un accord de délimitation empiétant sur les droits maritimes de la Grèce le 27 novembre 2019[1], Athènes a rapidement procédé à deux délimitations, avec l’Italie en juin 2020[2] et l’Égypte en août suivant[3], de manière à contrer la délimitation turco-libyenne. En octobre 2020, la Grèce s’est entendue avec l’Albanie, partenaire stratégique de la Turquie, pour confier à la justice internationale l’arbitrage de leurs frontières maritimes. Enfin, en janvier 2021 elle a étendu à 12 milles marins (nautiques) ses eaux territoriales en mer Ionienne, réitérant son droit discrétionnaire de faire de même au large de toutes ses côtes si besoin était, sachant que pour la Turquie une extension au-delà de 6 milles nautiques en mer Égée serait un casus belli[4]. Autant d’actions intervenant après des décennies d’immobilisme en la matière.

Les vecteurs traditionnels de politique étrangère s’avèrent insuffisants

Devant le danger d’escalade militaire avec la Turquie en 2020, la Grèce a pris acte à la fois de la nécessité incontestable, mais aussi des limites de ses liens avec l’Union européenne et l’OTAN. L’UE reste l’atout essentiel de la Grèce mais elle est pénalisée par ses divisions en matière de politique étrangère. Des États comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Hongrie et Malte se montrent très réticents à adopter une position dure à l’égard de la Turquie. À l’inverse, la France, l’Autriche ou encore la Slovénie défendent une attitude ferme et un soutien substantiel à la Grèce et à Chypre.

De son côté, dans son souci de maintenir sa cohésion, l’OTAN s’est montrée fidèle à son équidistance traditionnelle entre la Grèce et la Turquie. Une posture mal vécue par la Grèce à partir du moment où, se considérant comme agressée, être traitée à égalité avec son agresseur fait, selon elle, automatiquement le jeu de celui-ci. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la Turquie préfère largement le cadre de l’OTAN à celui de l’UE et qu’elle a multiplié les pressions en direction des Alliés et des structures de l’Alliance atlantique, conférant à ses diplomates en poste dans ces structures le rôle de « quasi-commissaires politiques[5] ». La mise en place du « mécanisme de déconfliction » au sein de l’Alliance atlantique est d’ailleurs très caractéristique de la manière dont fonctionne le trio OTAN-Grèce-Turquie. Après qu’il a été annoncé début septembre 2020 par le secrétaire général Stoltenberg et le gouvernement turc, la Grèce a immédiatement fait savoir que le seul moyen de faire baisser la tension était d’en éliminer la cause, demandant à ce que le navire turc de recherches sismiques Oruç Reis et son escorte se retirent du plateau continental grec. Pour les autorités grecques, accepter une « baisse de tension » sous l’égide de l’OTAN sans le départ préalable de cette flottille était inacceptable. Ce mécanisme a finalement été mis en place début octobre, une fois les navires turcs rentrés au port, et la Grèce a veillé à ce qu’il soit limité à une dimension strictement opérationnelle sans production d’effets politiques.

Athènes a donc pris note des limites inhérentes à ces deux cadres d’action qui sont, par ailleurs, des vases communicants, ce qui l’a amené à créer des alternatives bilatérales pour endiguer la fuite en avant de la Turquie : des partenariats militaro-diplomatiques bilatéraux et régionaux, combinés à un important programme de réarmement.

De nouveaux partenariats militaro-diplomatiques

Avec la France

Excepté les États-Unis, de tous les partenaires européens de la Grèce, la France est indéniablement le plus important et le plus puissant pour Athènes. Elle a fait preuve d’un soutien sans faille durant la crise de 2020 ce qui a incontestablement fait la différence au niveau de son déroulement et de son dénouement. Outre la multiplication des exercices militaires communs[6], Athènes et Paris ont également réhaussé leur coopération dans le domaine de l’armement comme évoqué plus loin. Cet appui précieux, lié aux relations traditionnelles entre les deux pays, n’est évidemment pas étranger à la politique turque en Afrique du Nord et au Sahel, qui incite la France à investir dans des soutiens grecs et égyptiens en Méditerranée orientale, à la fois comme relais régionaux et facteurs de rééquilibrage.

Avec les pays du Golfe

Après plusieurs années de désintérêt apparent pour le monde arabe, la Grèce semble opérer un retour dynamique dans les pays arabo-musulmans. Elle a conclu avec les Émirats arabes unis (EAU) un certain nombre d’accords de coopération[7], mais aussi un partenariat stratégique incluant un accord de défense mutuel[8] signé le 18 novembre 2020, une première pour la Grèce dans un cadre hors OTAN. Théoriquement, cela signifie qu’en cas d’agression, elle pourrait compter sur le soutien de la respectable armée de l’air émiratie. Signe de la nouvelle dynamique de coopération militaire entre les deux pays, quatre F-16 émiratis ont stationné au moins d’août en Crète, en pleine crise avec la Turquie. En outre, ce partenariat pourrait s’avérer très bénéfique pour l’armée de l’air hellénique sur le long terme, étant donné la similitude du matériel utilisé par les deux armées qui souhaitent toutes deux acquérir des chasseurs bombardiers furtifs F-35 et qui disposent déjà de F-16 modernisés.

Avec l’Arabie saoudite, les relations sont plus discrètes mais se développent, profitant de la rivalité turco-saoudienne. Cela touche au domaine spatial[9], mais surtout militaire. Des manœuvres aériennes gréco-saoudiennes devraient se dérouler dans les prochaines semaines en Méditerranée[10]. Un accord de déploiement de missiles Patriot grecs est également en passe d’être signé à la demande des Américains, avec pour objectif de protéger les infrastructures pétrolières saoudiennes régulièrement visées depuis 2019. En retour, Riyad les modernisera à ses frais. La Grèce rappelle néanmoins qu’il s’agit d’armes défensives et ne souhaite pas être associée à un soutien actif à la guerre au Yémen[11].

En revanche, cette ouverture vers le Golfe, facilitée par la récente normalisation des relations entre Israël et plusieurs pays arabes opérée sous la précédente administration américaine, semble se faire aux dépens des relations gréco-iraniennes, pourtant longtemps cordiales[12]. De fait, les lobbys pro-grecs à Washington semblent s’être rapprochés de ceux favorables à Israël, à l’Arabie saoudite et aux EAU.

Au Levant

Proche du monde arabe jusqu’en 1990 (date de la reconnaissance d’Israël par Athènes), la Grèce a densifié ses liens avec Tel Aviv à partir de 2010 dans un contexte de détérioration des relations turco-israéliennes. La coopération gréco-israélienne, qui implique Chypre dans la plupart de ses schémas, repose sur la double dimension énergétique et militaire. Sur le plan énergétique, les trois États planifient d’installer le plus long câble électrique sous-marin du monde (1 200 km), visant à relier Israël à l’Europe pour assurer à l’État hébreux un approvisionnement en cas d’urgence[13]. Mais leur projet-phare est bien sûr celui du gazoduc East Med[14]. Cependant, l’architecture régionale qu’il implique, mais surtout la question de sa faisabilité technique et de sa rentabilité économique sèment le doute quant aux réelles perspectives de sa réalisation. Tant que ce projet n’est pas réellement lancé, rien n’est certain et il s’apparente davantage à un outil géopolitique. En marge de l’énergie, la Grèce vient d’annoncer qu’elle ouvrait ses portes aux touristes israéliens, malgré la crise sanitaire[15]. Au niveau militaire, la coopération entre la Grèce et Israël, qui a débuté dans les années 2010[16], connaît aujourd’hui une embellie et se focalise sur l’entraînement conjoint, le partage d’information et la cybersécurité[17]. Israël offre à la Grèce et à Chypre un axe Est-Ouest complémentaire de l’axe Nord-Sud établi avec l’Égypte, qui leur permet de couvrir la Méditerranée orientale. De leur côté, ces deux pays européens offrent à Israël une connexion directe avec l’Europe ainsi que des zones d’entraînement et une profondeur stratégique régionale qui lui font défaut, notamment après la « perte » de la Turquie, partenaire militaire précieux d’antan[18]. De surcroît, la politique régionale de la précédente administration américaine montre qu’il est désormais possible de développer des liens avec l’État hébreux sans impliquer mécaniquement une dégradation des rapports avec le monde arabe, enrayant au passage la stratégie turque de fédération du monde sunnite contre Israël. L’Autorité palestinienne et Israël participent même au Forum gazier est-méditerranéen, établi en février 2020, qui est devenu en septembre une organisation régionale intergouvernementale siégeant au Caire[19].

Avec l’Égypte, la Grèce a développé une relation stratégique approfondie depuis l’avènement au pouvoir du président al-Sissi en 2013, intensifiant la coopération militaire, qui implique régulièrement la France et les EAU[20]. Et ce d’autant plus que le régime d’al-Sissi, très lié à Riyad et Abu Dhabi, est en très mauvais termes avec Ankara au sujet de la Libye et du soutien turc aux Frères musulmans égyptiens. Malgré tout, l’Égypte reste prudente et ne souhaite pas contrarier la Turquie plus que nécessaire, observant par exemple une position neutre au sujet des délimitations maritimes à l’est du 28e méridien, où la Grèce réclame des zones maritimes à partir du complexe d’îles de Kastellorizon, revendication ardemment refusée par la Turquie. L’acceptation par l’Égypte de délimiter avec la Grèce à l’est du 28e méridien équivaudrait donc à un parti pris retentissant contre la Turquie, sans que ses intérêts vitaux ne soient pourtant impliqués.

Source : carte non officielle diffusée par le ministère grec des Affaires étrangères (les précisions en français sont celles de l’auteur).

L’Égypte reste incontestablement l’État-clé de Méditerranée orientale pour la Grèce, car ses orientations détermineront nombre d’évolutions ; il est bien évident que la situation régionale aurait été radicalement différente et autrement plus compliquée pour la Grèce si les Frères musulmans avaient dominé en Égypte.

Une stratégie inscrite dans la durée ?

La nouvelle stratégie grecque régionale s’est déployée en réponse à une fuite en avant de la Turquie, même si ses éléments étaient déjà en germe depuis plusieurs années. Pour contrer durablement les desseins turcs, la Grèce doit donner de la consistance à ces synergies par la promotion d’une architecture régionale crédible et fédératrice. Cela repose sur trois axes : économique, diplomatique et militaire.

Au niveau économique, outre l’enjeu gazier, l’un des grands défis est d’assurer la maîtrise des couloirs de connexion entre le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord d’une part, et l’Europe d’autre part, mais surtout d’en être le point d’arrivée pour les connecter au reste de l’Europe. D’où une certaine rivalité entre d’un côté l’Italie et Malte qui en raison de leurs relations économiques, commerciales et politiques privilégiées avec la Turquie souhaitent ménager la présence de celle-ci en Méditerranée afin de soutenir leur réseau de connexion transméditerranéen[21], et de l’autre côté, la Grèce[22] et l’Égypte, soutenues par la France. Dans ce cadre, le facteur chinois est décisif. Désormais contrôlé par le géant COSCO, Le Pirée est devenu le premier port de Méditerranée pour les conteneurs en 2019 (devant Valence)[23]. Combiné à l’inclusion de la Grèce par la Chine dans son mécanisme de coopération avec les pays d’Europe centrale et orientale en 2019[24], cela renforce considérablement la stratégie régionale grecque d’attraction des flux commerciaux maritimes. À cet égard, la coopération avec l’Égypte qui contrôle le canal de Suez[25], mais aussi avec l’Arabie saoudite qui borde la mer Rouge, est évidemment essentielle. S’agissant de cette nouvelle stratégie régionale, la Grèce doit toutefois prendre en compte le facteur chinois même s’il ne faut pas surestimer la capacité de Pékin à faire pression sur Athènes car les autorités américaines conservent plusieurs bases cruciales en Grèce et observent avec vigilance toute nouvelle infrastructure chinoise en mer Égée.

Au niveau diplomatique, le ministre grec des Affaires étrangères, Nikos Dendias, a assumé la tâche fort ardue d’établir, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, un groupe d’États favorables à l’architecture régionale promue par la Grèce tout en dénonçant l’expansionnisme turc. Le récent forum « Philia » (signifiant « amitié » en grec)[26], qui a regroupé Chypre, les EAU, l’Arabie saoudite, l’Égypte, Bahreïn et la France, mais pas l’Italie, est caractéristique de cet effort de la Grèce d’opérer la jonction entre le Golfe et la Méditerranée en se positionnant comme point d’entrée vers l’Europe de manière à contrer plus efficacement la stratégie turque agressive d’occupation de l’espace est-méditerranéen. En outre, la décision d’Athènes de rétablir une représentation à Damas[27], d’ouvrir une ambassade au Sénégal et de plaider pour l’accroissement de la présence européenne – y compris grecque – au Sahel[28] témoigne que la Grèce a bien saisi le fait que les questions est-méditerranéennes, sahéliennes et moyen-orientales sont désormais imbriquées.

Au niveau militaire, la Grèce opère le plus gros investissement de son histoire, l’armée de l’air en étant le premier bénéficiaire. La France va fournir 18 Rafale à la Grèce pour une valeur de 2,8 milliards d’euros, les premiers étant attendus dès l’été 2021. La Grèce a aussi convenu avec les États-Unis de la modernisation de 84 chasseurs F-16 et de l’achat de 7 hélicoptères MH-60R, une acquisition déterminante pour ses capacités militaires en mer Égée et en Méditerranée orientale. Par ailleurs, Athènes a procédé à une demande officielle d’achat de 18 à 24 chasseurs bombardiers furtifs F-35. Enfin, la Grèce a conclu avec Israël un accord de location de drones Heron, ainsi que l’établissement d’un centre international de formation de pilotes de chasse pour une valeur de 1,4 milliard sur 20 ans, accompagné de la vente et de la modernisation d’avions d’entraînement. Ce centre sera situé à Kalamata, dans le sud-ouest du Péloponnèse, et sera géré par la compagnie israélienne Elbit Systems. Ces nouvelles mesures devraient d’autant plus rehausser la valeur dissuasive de l’armée de l’air hellénique que ses pilotes de chasse sont réputés très performants[29], là où les pilotes turcs sont notoirement sous-entraînés depuis les purges qui ont affecté l’armée de l’air turque. Des investissements très importants sont également consacrés à la marine nationale, la Grèce souhaitant se procurer quatre frégates. Malgré les équilibres à maintenir avec les États-Unis, très influents auprès des élites militaires grecques, le projet franco-grec Belharra semble être privilégié. D’une valeur de 5 milliards, la proposition française remplit tous les critères posés par la Grèce : la modernisation des quatre frégates que détient actuellement la marine hellénique, l’acquisition de deux frégates modernisées comme solution intermédiaire et la construction de deux des quatre frégates neuves dans les chantiers navals grecs. Ces frégates de défense et d’interventions (4 500 t) sont de type mixte : anti-sous-marins et anti-aérien. Les Néerlandais et les Britanniques vont également soumettre des propositions[30]. Concernant l’armée de terre, l’industrie hellénique de véhicules militaires (ELVO), longtemps en difficulté, a été rachetée par un consortium de compagnies israéliennes et va renouveler au cours des prochaines années la flotte de camions et autres véhicules de l’armée de terre. En sus, la Grèce a décidé de fixer de nouveau à 12 mois la durée du service militaire obligatoire, tombée à 9 mois en 2009, en introduisant toutefois la possibilité d’un service plus court – donc plus attractif – si celui-ci est entièrement effectué en zone frontalière, afin de mieux pourvoir en personnel les unités qui y sont déployées. En outre, 15 000 recrutements supplémentaires sont prévus dans les trois prochaines années. Ces initiatives interviennent après plus de dix ans de sous-investissements et dans un contexte de vieillissement du personnel professionnel et du matériel. Elles ont été indéniablement accélérées par la nature très militarisée de la politique régionale turque, même si elles étaient objectivement nécessaires.

Plusieurs inconnues subsistent

La question chypriote

L’année 2021 pourrait marquer un nouveau tournant sur le dossier chypriote. La Turquie rejette désormais sans ambiguïté[31] le cadre onusien de règlement de la question chypriote – celui d’une fédération bizonale bicommunautaire – au profit d’une solution à deux États. Cela constitue un saut très important des revendications turques et un moyen de pression qui n’est évidemment pas étranger aux évolutions régionales. À cet égard, la réunion informelle à cinq prévue entre la Grèce, le Royaume-Uni et la Turquie en tant que puissances-garantes, ainsi que la République de Chypre et les représentants de la communauté chypriote-turque en avril 2021 à Genève pourrait s’avérer cruciale pour le futur de l’île mais aussi pour la région et la répartition des espaces maritimes. L’objectif de la Grèce reste de conserver le cadre onusien de résolution de ce conflit vieux de près d’un demi-siècle.

La politique de Joe Biden

Alors que Donald Trump était régulièrement dépeint comme trop complaisant à l’égard du président turc, c’est pourtant sous son administration que les relations gréco-américaines ont connu leurs plus beaux jours. La présence militaire américaine sur le sol grec a atteint des sommets[32] et les États-Unis ont, pour la première fois, adopté un comportement déviant de leur stricte équidistance entre Grèce et Turquie. Ainsi, le secrétaire d’État Pompeo a visité Chypre sans rencontrer le leader chypriote-turc, une première, et il a signé au passage une série d’accords dans le domaine sécuritaire[33], incluant – au grand dam d’Ankara – une levée de l’embargo américain pour les armes non létales. Mike Pompeo a également rendu visite au patriarche œcuménique orthodoxe établi en Turquie sans rencontrer d’officiels turcs. Cependant, si cela a été perçu en Grèce comme un soutien clair de la part des États-Unis, le développement de la coopération avec Athènes et Nicosie vise avant tout à punir Ankara pour sa relation jugée trop proche avec Moscou, tout en détricotant les liens traditionnels de Chypre avec le Kremlin. La toile de fond de ce relatif revirement américain est donc bien la Russie ; pour preuve, les seules sanctions prises par Washington contre Ankara à l’heure actuelle concernent l’acquisition par la Turquie de missiles S-400 russes et aucunement le comportement turc en Méditerranée. D’ailleurs, le vocabulaire utilisé par les officiels américains veille bien à ne pas fermer la porte à la Turquie en Méditerranée orientale, comme en témoigne le récent exercice naval qui a vu l’interaction du porte-avions nucléaire USS Eisenhower avec la frégate turque Gemlik, début mars 2021, même si l’ambassadeur américain en poste à Athènes a souligné l’excellence des manœuvres militaires américano-grecques qui s’étaient déroulées quelques jours auparavant, déclarant : « Les relations de défense entre les États-Unis et la Grèce ont atteint un niveau record et elles se renforcent chaque jour[34]. »

Dans ce contexte, l’arrivée de Joe Biden pourrait bien changer la donne. En effet, deux partenaires proches de la Grèce se sont immédiatement retrouvés dans le collimateur de la Maison Blanche au sujet des droits de l’homme : l’Égypte et l’Arabie saoudite. En revanche, la Turquie n’a pas encore été sérieusement inquiétée. Le président turc a veillé à prendre les devants pour diminuer ce risque[35], sachant que plusieurs membres du Sénat et du Congrès ont demandé à Joe Biden de se saisir de la question des droits de l’homme en Turquie. Mais il semble que toute sévérité à l’égard du président Erdogan aura avant tout comme objet les relations russo-turques. Au demeurant, la vision de la Méditerranée orientale[36] partagée par la nouvelle responsable « Europe » du Conseil de sécurité nationale de l’administration Biden, Amanda Sloat, coïncide étonnamment bien avec les positions turques. Les États-Unis sont présentés comme beaucoup plus légitimes à intervenir que l’UE, dont l’approche, qui serait forcément biaisée, lui retirerait toute crédibilité dans la gestion du conflit gréco-turc. Cela correspond parfaitement à la vision de la Turquie et à sa volonté de découpler la Grèce de l’UE. La Turquie devrait également être associée « sans préconditions » – un terme très cher à Ankara – aux synergies énergétiques régionales, sans pour autant que soit faite la moindre référence au respect du droit international, qui est justement la précondition en question. Enfin, c’est l’agenda de la Turquie qui est repris comme définition du « différend gréco-turc » (eaux territoriales, espace aérien, souveraineté sur des îlots, zones maritimes) alors que la Grèce maintient que le seul vrai différend est celui de la délimitation des zones maritimes, le reste constituant des revendications turques unilatérales et illégitimes ne pouvant pas faire l’objet de négociations car relevant de sa souveraineté.

La Russie

Ayant joué un rôle crucial dans l’établissement de l’État grec moderne mais aussi de la république turque un siècle plus tard, la Russie est, d’une certaine manière, un facteur incontournable dans l’équation gréco-turque. Ce n’est pas un hasard si le développement des relations russo-turques s’est opéré en parallèle avec celui des relations gréco-américaines, éloignant, au passage, toute perspective de dialogue chaleureux entre Athènes et Moscou. Les relations historiques des deux États sont tombées au plus bas en 2018[37], lorsque la Grèce et son voisin septentrional, l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont décidé de régler le différend qui les opposait depuis 1992 au sujet du nom de la petite république balkanique, afin que celle-ci, au grand dam de Moscou, puisse intégrer l’OTAN. Malgré tout, depuis l’été 2019 et l’élection du gouvernement grec actuel, les contacts semblent avoir repris, ce qui n’est pas étranger aux dissensions croissantes entre la Russie et la Turquie. En revanche, la perspective d’un partenariat durable et productif n’est pas réaliste. En effet, le degré de coopération de la Grèce avec les États-Unis et les orientations de l’administration Biden devraient permettre tout au plus un retour à la cordialité entre Athènes et Moscou. Cependant, une nouvelle donne en Méditerranée orientale pourrait recalibrer la politique régionale russe, ce qu’Athènes suivra de près, notamment sur le dossier libyen qui est perçu comme le baromètre des tensions régionales et qui fait désormais partie de l’équation gréco-turque.

La Libye

Ulcérée par l’accord turco-libyen mais sans emprise sur les évolutions libyennes, la Grèce a cherché à reconstruire dans l’urgence une politique libyenne élémentaire en coupant les ponts avec le gouvernement tripolitain d’al-Sarraj et en multipliant les contacts avec les autorités militaires et politiques de Cyrénaïque. Cependant, le nouveau pouvoir établi à Tripoli depuis février 2021 a reçu les félicitations des concurrents les plus féroces sur le terrain libyen (Turquie d’un côté, EAU et Égypte de l’autre), ce qui semble indiquer l’amorce d’un processus de redistribution des influences. Dans ce contexte, la Grèce a immédiatement décidé de rouvrir son ambassade à Tripoli et d’établir un consulat à Benghazi. La Grèce ne souhaite plus perdre de vue la Libye après le choc de l’accord turco-libyen qui a brutalement intégré ce pays dans l’équation gréco-turque et a rappelé à Athènes les réalités géographiques de son environnement régional (la Crète est équidistante de Tobrouk et du Pirée).

* * *

Pour conclure, la fuite en avant de la politique régionale turque, combinée à la politique de Donald Trump, a eu un effet catalytique : celui d’extraire les relations gréco-turques de leur cadre bilatéral traditionnel – arbitré par les États-Unis soucieux de maintenir à tout prix la cohésion de l’OTAN – pour les projeter dans un cadre régional plus large nécessitant une approche radicalement différente, à savoir celle de nouveaux partenariats diplomatiques et militaires. Dans cette configuration, la Grèce a quelques atouts. Si la Turquie conserve des avantages indéniables comme l’importance de son marché et une stature régionale conséquente, la Grèce, tout comme Chypre, est membre de l’UE. Cette appartenance démultiplie son poids diplomatique, sa capacité d’action et son attractivité dans une région sans autres pays européens. En sus, elle possède un savoir-faire et un ancrage dans le milieu maritime, essentiels dans sa stratégie d’utilisation de l’espace, ce qui accroît sa crédibilité globale. Enfin, sa relative petite taille par rapport à la Turquie n’est pas nécessairement un désavantage : elle élimine tout soupçon d’agenda hégémonique dissimulé qui pourrait provoquer une méfiance de ses partenaires.

En revanche, la Grèce va devoir faire face à de véritables défis. Mis à part le cas particulier de la Syrie, elle seule et Chypre sont menacées dans leur substance territoriale et l’exercice de leurs pouvoirs régaliens par la Turquie, ce qui constitue une différence structurelle fondamentale avec ses partenaires européens et régionaux. Ainsi, une normalisation, même relative, des relations de la Turquie avec les pays de la région, pourrait conduire au détricotage des partenariats que la Grèce s’est évertuée à nouer et à une « re-bilatéralisation » des relations gréco-turques selon des modalités qui pourraient contenir les germes d’un nouvel isolement.

Il est donc essentiel pour la Grèce de cultiver son attractivité comme partenaire tout en promouvant son projet régional indépendamment du facteur turc, afin que cette nouvelle stratégie puisse survivre à un éventuel changement d’attitude durable de la Turquie. Car la résistance à la poussée turque, indéniablement fédératrice dans le contexte actuel, ne peut constituer à elle seule un dénominateur commun durable. C’est un pari bien difficile, notamment au vu des divisions européennes et de l’inconnue que constitue la vision régionale qui sera in fine celle de la nouvelle administration Biden.


[1] « Full text of Turkey-Libya maritime agreement revealed », The Nordic Monitor, 5 décembre 2019 (https://nordicmonitor.com/2019/12/the-full-text-of-turkey-libya-maritime-agreement-revealed/).

[2] Aris Marghelis, « The maritime delimitation agreement between Greece and Italy of 9 June 2020: An analysis in the light of International Law, national interest and regional politics », Marine Policy, vol. 126, avril 2021.

[3] Aris Marghelis, « Le mémorandum d’accord entre la Turquie et le gouvernement d’entente national libyen et l’accord de délimitation entre la Grèce et l’Égypte dans leur contexte régional », Annuaire de droit maritime et océanique (ADMO), à paraître.

[4] « Turkey says Greece’s decision to extend its territorial waters in the Aegean is cause of war », Hurriyet Daily News, 30 août 2020 (https://www.hurriyetdailynews.com/turkey-says-greeces-decision-to-extend-its-territorial-waters-in-aegean-is-cause-of-war-157805).

[5] Interview avec Pierre Razoux, familier des structures otaniennes, le 15 mars 2021.

[6] « Greece, France ‘hold joint drills’ amid tensions with Turkey », China Daily, 13 août 2020 (https://www.chinadailyasia.com/article/139944) ; « France joins military exercises in east Mediterranean », Reuters, 26 août 2020 (https://www.reuters.com/article/us-turkey-greece-france-idUSKBN25M0UF) ; « Skyros : la grande tournée des Rafale », L’Opinion, 8 février 2021 (https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/skyros-grande-tournee-rafale-235949).

[7] « Greece & UAE sign four memoranda », Greek City Times, 24 juillet 2020 (https://greekcitytimes.com/2020/07/24/greece-uae-sign-four-memoranda/).

[8] « Greece, UAE commit to mutual defense assistance », Kathimerini, 23 novembre 2020 (https://www.ekathimerini.com/news/259450/greece-uae-commit-to-mutual-defense-assistance/).

[9] « Saudi Arabia Signs MoU with Greece in the Field of Space », Saudi Press Agency, 5 février 2020 (https://www.spa.gov.sa/viewfullstory.php?lang=en&newsid=2030738).

[10] « Saudi and Greek air forces begin joint exercise in Greece », Arab News, 18 mars 2021 (https://www.arabnews.com/node/1826716/saudi-arabia).

[11] « Greek FM to discuss military ties with Saudi Arabia », Saudi Press Agency, 20 février 2021 (https://www.arabnews.com/node/1812761/saudi-arabia).

[12] « Iran threatens retaliation against Greece for US use of military bases », The Jerusalem Post, 15 janvier 2020 (https://www.jpost.com/Middle-East/Iran-threatens-retaliation-against-Greece-for-US-use-of-military-bases-614185).

[13] « Israel inks deal to link electricity grid with Cyprus, Greece via undersea cable », The Times of Israel, 8 mars 2021 (https://www.timesofisrael.com/israel-inks-deal-to-link-electricity-grid-with-cyprus-greece-via-undersea-cable/?utm_source=The+Daily+Edition&utm_campaign=daily-edition-2021-03-08&utm_medium=email).

[14] « Greece, Israel, Cyprus sign deal for EastMed gas pipeline », Israel Hayom, 3 janvier 2020 (https://www.israelhayom.com/2020/01/03/greece-israel-cyprus-sign-deal-for-eastmed-gas-pipeline/).

[15] « Greece might allow in Israeli tourists as early as April », The Jerusalem Post, 10 mars 2021 (https://www.jpost.com/israel-news/greece-might-allow-in-israeli-tourists-as-early-as-april-661575).

[16] « Turkey Out – Greece In. As Turkey rattles its saber at Israel, the Jewish state signs a security deal with its neighbor, Greece », Israel national News, 4 septembre 2011 (https://www.israelnationalnews.com/News/News.aspx/147529).

[17] « Israel, Greece sign status of forces agreement », The Jerusalem Post, 19 juillet 2015 (https://www.jpost.com/Israel-News/Israel-Greece-sign-status-of-forces-agreement-409492) ; « Israel, Greece and Cyprus agree to boost defense cooperation », The Times of Israel, 13 novembre 2020 (https://www.timesofisrael.com/israel-greece-and-cyprus-agree-to-boost-defense-cooperation/) ; « Israel pivotal in Greece’s defense plans », Kathimerini, 15 février 2021 (https://www.ekathimerini.com/news/262372/israel-pivotal-in-greeces-defense-plans/) ; « Israel leads naval drill with Greece, Cyprus as countries deepen ties », The Times of Israel, 12 mars 2021 (https://www.timesofisrael.com/israel-leads-naval-drill-with-greece-cyprus-as-countries-deepen-ties/?utm_source=The+Daily+Edition&utm_campaign=daily-edition-2021-03-12&utm_medium=email).

[18] « Israeli Air Force Trains in Turkey », Jewish Telegraphic Agency, 16 avril 1996 (https://www.jta.org/1996/04/16/archive/israeli-air-force-trains-in-turkey ) ; Michael Eisenstadt, « Turkish-Israeli Military Cooperation: An Assessment », The Washington Institute for Near East Policy, 24 juillet 1997 (https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/turkish-israeli-military-cooperation-assessment).

[19]  « Signing the EMGF Statute to become a Regional Intergovernmental Organization », Ministry of Petroleum and Mineral Resources, Arab Republic of Egypt, 22 septembre 2020 (https://www.petroleum.gov.eg/en/media-center/news/news-pages/Pages/mop_22092020_01.aspx).

[20] « Egyptian, Greek naval forces conduct joint drills », State Information Service, Arab Republic of Egypt, 29 janvier 2021 (https://www.sis.gov.eg/Story/154008/Egyptian,-Greek-naval-forces-conduct-joint-drills/?lang=en-us  ; « Méditerranée orientale : Fin d’exercice MEDUSA-10 pour l’Aconit », Ministère des Armées, 10 décembre 2020 (https://www.defense.gouv.fr/actualites/international/mediterranee-orientale-fin-d-exercice-medusa-10-pour-l-aconit).

[21] Michaël Tanchum, « Italy and Turkey’s Europe-to-Africa Commercial Corridor: Rome and Ankara’s Geopolitical Symbiosis Is Creating a New Mediterranean Strategic Paradigm », Fokus 10/2020, Austria Institut für Europa und Sicherheitspolitik (AIES), 28 août 2020 (https://www.aies.at/download/2020/AIES-Fokus-2020-10.pdf).

[22] Michaël Tanchum, « Greece’s Rise as a Trans-Mediterranean Power: Greece’s Eastern Mediterranean strategic shift to Europe-to-Africa and Europe-to-Middle East connectivity », Policy paper 56, Hellenic Foundation for European & Foreign Policy (ELIAMEP), février 2021 (https://www.eliamep.gr/wp-content/uploads/2021/02/Policy-paper-56-Tanchum-final.pdf).

[23] « Le Pirée a pris la tête en Méditerranée en 2019 », Le Journal de la marine marchande, 26 mai 2020 (https://www.journalmarinemarchande.eu/actualite/portuaire/le-piree-a-pris-la-tete-en-mediterranee-en-2019).

[24] « Xi Jinping welcomes Greece to join China-CEEC cooperation », China Global Television Network (CGTN), 5 novembre 2019 (https://news.cgtn.com/news/2019-11-04/President-Xi-meets-with-Greek-PM-Mitsotakis-LlMofUYGk0/index.html).

[25] « Egypt, Greece sign MoU to cooperate in maritime transport », Egypt Today, 4 février 2021 (https://www.egypttoday.com/Article/3/97236/Egypt-Greece-sign-MoU-to-cooperate-in-maritime-transport).

[26] « Philia Forum a ‘bridge’ between Europe, Mideast: Greek official », Arab News, 19 février 2021 (https://www.arabnews.com/node/1811096/middle-east).

[27] « Ministry of Foreign Affairs announcement on the appointment of a Special Envoy for Syria », Ministère grec des Affaires étrangères, 5 mai 2020 (https://www.mfa.gr/en/current-affairs/statements-speeches/ministry-of-foreign-affairs-announcement-on-the-appointment-of-special-envoy-for-syria.html).

[28] « Written statement of the Minister of Foreign Affairs, Nikos Dendias, following the videoconference of the first Ministerial Meeting of the International Coalition for the Sahel (12 June 2020) », Ministère grec des Affaires étrangères (https://www.mfa.gr/en/current-affairs/statements-speeches/written-statement-of-the-minister-of-foreign-affairs-nikos-dendias-following-the-videoconference-of-the-first-ministerial-meeting-of-the-international-coalition-for-the-sahel-12-june-2020.html).

[29] Comme l’a souligné Pierre Razoux qui a eu l’opportunité de s’entretenir récemment avec plusieurs pilotes français et américains s’étant entraînés avec leurs homologues grecs ces derniers mois.

[30] Pour les détails de toutes les propositions : « The frigate candidates for the Hellenic Navy’s new frigate program », Navales Analyses, 8 mars 2021 (https://www.navalanalyses.com/2021/03/infographics-46-frigate-candidates-for.html?fbclid=IwAR3Wzd_6cJmZzX3pm_bDHrODVsR6i5xBFWlpBOdoDCtCcmU6-rKJlQqO67o).

[31] « Erdogan : “Il n’y a plus d’issue à Chypre, sauf pour la solution à deux États. Que vous l’acceptiez ou pas” », Agence Anadolu, 10 février 2021 (https://www.aa.com.tr/fr/turquie/erdogan-il-ny-a-plus-dissue-%C3%A0-chypre-sauf-pour-la-solution-%C3%A0-deux-%C3%A9tats-que-vous-lacceptiez-ou-pas-/2139991).

[32] « Greece ratifies major military expansion with US », Greek City Times, 31 janvier 2020 (https://greekcitytimes.com/2020/01/31/greece-ratifies-major-military-expansion-with-us/).

[33] « Secretary Michael R. Pompeo At the Cyprus Center for Land, Open-seas, and Port Security Memorandum of Understanding Signing Ceremony », Ambassade des États-Unis à Chypre, 12 septembre 2020 (https://cy.usembassy.gov/secretary-michael-r-pompeo-at-the-cyprus-center-for-land-open-seas-and-port-security-memorandum-of-understanding-signing-ceremony/).

[34] Laurent Lagneau, « Le porte-avions Eisenhower fait le service minimum lors d’un exercice avec la marine turque », blog Zone militaire Opex 360, 20 mars 2021.

[35] « ‘New human rights plan for the people’: Turkish leader », Anadolu Agency, 2 mars 2021 (https://www.aa.com.tr/en/politics/new-human-rights-plan-for-the-people-turkish-leader/2162111).

[36] « Stronger Together: A Strategy to Revitalize Transatlantic Power », Belfer Center for Science and International Affairs, décembre 2020 (https://www.belfercenter.org/publication/stronger-together-strategy-revitalize-transatlantic-power).

[37] « Greece ‘orders expulsion of two Russia diplomats’ », BBC, 11 juillet 2018 (https://www.bbc.com/news/world-europe-44792714).

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