En 1994 la guerre en Bosnie, accompagnée de massacre de population civile (qui culminera en juillet 1995 par la tuerie de Srebrenica) occupait tout l’espace médiatique, éclipsant le génocide rwandais qui avait entrainé le massacre dans des conditions atroces de plus de 800 000 personnes en quelques mois.
Sommes-nous en train de vivre le même phénomène ? obnubilé par les guerres en Ukraine et en Palestine, une forme d’indifférence entoure les évènements au Soudan. Le pays s’enfonce dans une guerre civile qui est en train de provoquer « l’une des pires catastrophes humanitaires de mémoire récente » selon le bureau de l’ONU en charge des opérations humanitaire (OCHA).
On estime que la moitié des 47 millions de Soudanais ont besoin d’aide humanitaire, qu’un tiers souffre de malnutrition et qu’un quart a dû fuir leur domicile, dont presque 2 millions ont quitté le pays en raison des combats. Le nombre de morts est inconnus, mais évalué à plusieurs dizaines de milliers. Des centaines de viols et d’enlèvement de femmes ou de fillettes réduites en esclavage ont été dénoncés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH). A l’heure des comptes, le bilan risque d’être terrible.
Comment en est-on arrivé là ? cette guerre est d’abord une rivalité entre deux chefs militaires , le général Abdel Fattah al-Burhan et le général Mohamed Hamdan Dogolo, surnommé Hemetti, respectivement président et vice-président du Conseil de souveraineté de transition qui a succédé à la dictature génocidaire du président Omar el-Bechir. Après avoir renversé ensemble le processus civil en octobre 2021, Al-Burhan a pris le pouvoir et Hemetti souhaite prendre sa place.
Cette guerre s’appuie également, comme au Sahel, sur une rivalité exacerbée par la désertification, entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires plus riches et également sur le suprématisme arabe à l’égard des populations noires habitant au Darfour, dans le sud du pays. Les Forces de soutien rapide (FSR) de Hemetti, issues en partie des milices Janjawid qui s’étaient déjà faites connaitre lors du conflit de même nature qui avait abouti à un génocide au Darfour en 2003 et à la sécession du Soudan du Sud en 2011, massacrent, terrorisent et quelquefois recrutent au sein de ces populations.
De son coté, Al-Burhan et l’état-major de l’armée régulière se revendiquent d’un islamisme politique dans la filiation du régime de Bachir, ce qui permet à Hemetti de se présenter comme luttant contre l’extrémisme religieux.
Une autre spécificité de ce conflit est l’implication de puissances étrangères. Le Soudan est riche en ressources (or et pétrole) et stratégiquement positionné entre la mer Rouge, le Sahel et l’Afrique centrale. Al Burhan est soutenu par l’Egypte et par les soutiens traditionnels du régime islamiste de Béchir : l’Iran, le Qatar, la Turquie et l’Erythrée. La Russie reste en négociation pour l’installation d’une base à Port Soudan, même si Moscou joue double-jeu dans le pays.
Les FSR bénéficient en effet du soutien de la milice russe Africa Corps (ex-Wagner) qui livre des armes, des vivre et du carburant via les frontières poreuses de la Libye, de la Centrafrique ou du Soudan du Sud. Hemeti peut également compter sur l’assistance militaire des Emirats arabes unis via le Tchad et sur le soutien politique d’Abou Dhabi en lutte partout contre l’islam politique.
Les Occidentaux sont prudemment restés en dehors du conflit et soutiennent les médiations internationales qui ont toutes échouées. L’Arabie saoudite avec le soutien des Etats-Unis, le Bahreïn, l’Autorité intergouvernementale de développement africaine (IGAD), l’Egypte, le Tchad ou la France avec la conférence humanitaire du 15 avril 2024, les multiples initiatives sont restées sans lendemain, soient parce que les puissances ne souhaitaient pas être impliquées, soit parce qu’elles l’étaient trop, soit parce que les regards sont focalisés ailleurs.
L’équipe de direction de l’Institut