La guerre de Gaza provoque-t-elle de nouveaux paradigmes au Proche-Orient ?

Arnaud Peyronnet, chercheur associé à la FMES

Plusieurs mois après le drame du 7 octobre 2023, la région continue de s’enfoncer dans une crise systémique qui semble ne pas voir d’issue et qui conduit à des transformations profondes et durables du paysage stratégique régional. L’Etat hébreu et le Hamas sont engagés dans une guerre d’attrition longue qui a le potentiel de s’étendre aux autres frontières, tant l’impasse politique et diplomatique pour une résolution du conflit est grande. Ce conflit qui s’inscrit dans la durée met sous pression les voisins les plus proches d’Israël (Jordanie et Egypte) et impose un soutien humanitaire international pérenne et massif au profit de la population palestinienne. Outre le Hamas, Israël doit gérer sa confrontation avec le Hezbollah perçu comme une menace encore plus grande et dont les stratèges israéliens savent qu’ils devront l’affronter un jour ou l’autre. L’élévation du seuil de conflictualité entre Israël et l’Iran est une seconde rupture stratégique, Téhéran mettant en avant une « nouvelle équation » dans son antagonisme structurel avec Tel Aviv. En Iran, un pouvoir ultranationaliste rajeuni issu de l’élection présidentielle du 28 juin 2024 pourrait prendre davantage de risques. L’affrontement direct entre les deux Etats est donc désormais possible alors que la lutte indirecte et asymétrique était le mode d’action choisi jusqu’à présent pour éviter l’escalade. Cette « nouvelle équation » aura probablement un impact sur le programme nucléaire iranien. Enfin, la guerre à Gaza et ses ramifications provoquent l’isolement voire le découplage croissant entre Israël et l’Occident. Dans ce contexte, Washington cherche à intégrer l’Arabie saoudite dans une solution politique au Proche-Orient, ce qui lui permettrait de trouver une issue à cette crise et de contrer l’influence grandissante de la Chine dans cette région.

La guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza se poursuit 8 mois après l’attaque terroriste de groupuscules islamistes palestiniens le 7 octobre 2023. La détermination israélienne de se « venger » du Hamas et d’éviter que de telles attaques terroristes se reproduisent de nouveau, paraît intacte et inébranlable tant le choc traumatique du 7 octobre est massif dans la psyché de la société israélienne. Cette attaque a fait ressurgir dans les perceptions israéliennes les souvenirs de l’Holocauste en Europe et a de nouveau fait prendre conscience à l’Etat hébreu toute la fragilité de son existence dans un environnement profondément hostile. Il apparaît donc évident que ce conflit n’est pas près de se terminer. L’éradication des capacités militaires et politiques du Hamas à Gaza et en Cisjordanie (voire à l’étranger), est désormais un des objectifs stratégiques de Tel Aviv. Cet objectif est largement partagé par la société israélienne.

De plus, l’extrême droite locale, en progression constante ces dix dernières années, instrumentalise cette situation pour imposer progressivement ses idées et son programme : l’expulsion des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie dans une nouvelle Nakba et l’intensification de la colonisation sur les territoires évacués par les Palestiniens. Dans ce contexte de peur, de paranoïa et de colère entre les deux communautés, il est difficile d’imaginer aujourd’hui un avenir de coexistence commun. Les deux alternatives données aux Palestiniens par une frange non négligeable du spectre politique israélien sont le départ vers l’étranger ou une vie sous occupation israélienne.

Les autorités israéliennes refusent de se prononcer sur l’avenir des Palestiniens tant ce sujet est marqué par le messianisme, les traumatismes, les rivalités politiques et les dissensions sur la stratégie à suivre. Des divergences fortes apparaissent d’ailleurs sur cette thématique entre le Premier ministre et certains membres de son Cabinet de Sécurité[1], comme en témoignent les démissions des généraux Gantz et Eisenkot le 9 juin 2024. La conduite d’une guerre « longue » est un gage de survie politique pour un Premier ministre contesté par une opinion publique choquée par l’impréparation des forces de sécurité le 7 octobre. Mais si le retour politique du Hamas à Gaza n’est pas concevable en Israël et reste fermement combattu par Tsahal[2], celle de l’Autorité Palestinienne, fortement discréditée et contestée, apparaît également difficile. Faute de solution politique, le moins mauvais choix pour le gouvernement israélien pourrait être le statu quo, avec une bande de Gaza sous perfusion humanitaire massive mais soumise à une guerre d’attrition longue entre Tsahal et le Hamas. D’ailleurs, l’armée israélienne se prépare à cette guerre longue. Tsahal a ainsi redécoupé l’enclave palestinienne selon des objectifs purement militaires : l’armée a créé une zone tampon de 1 km de large à la frontière Israël/Gaza de façon à empêcher les Palestiniens de se rapprocher de la frontière ; elle a mis en place le corridor de Netzarim contrôlé par Tsahal au milieu de la Bande de Gaza, séparant ainsi le Nord et le Sud de l’enclave : elle a pris le contrôle militaire du corridor de Philadelphie entre Gaza et la frontière égyptienne. L’armée israélienne se met ainsi en position pour conduire des opérations « coup de poing » dans l’enclave palestinienne[3], afin d’éliminer les cadres militaires et politiques du Hamas. Cette guerre d’attrition, dans un environnement sécuritaire et humanitaire chaotique pour la population palestinienne de Gaza, prolongera d’autant les frictions vécues à la frontière israélo-libanaise qui pourraient fortement s’aggraver en l’absence de toute « porte de sortie politique » à Gaza. Les stratèges israéliens savent que le Hezbollah représente une menace plus importante pour eux, notamment au regard de son arsenal et de ses capacités militaires, et qu’il leur faudra y remédier d’une manière ou d’une autre. C’est la raison pour laquelle ils réorganisent leur dispositif et se préparent à un affrontement au Sud Liban avec la milice chiite, au cas où les négociations en cours ne permettraient pas de faire appliquer la Résolution 1701 (2006) du Conseil de sécurité de l’ONU qui ordonne le retrait des milices armées (et donc du Hezbollah) au nord du fleuve Litani.

Le mois d’avril 2024 a vu une rupture profonde du paradigme d’affrontement entre l’Iran et Israël. Rompant avec sa politique traditionnelle de réponse asymétrique face à Israël et de « patience stratégique »[4], Téhéran a, pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir du régime islamique en 1979, attaqué directement l’État hébreu le 13 avril 2024, au travers du lancement, depuis son territoire, de 350 missiles et drones d’attaque contre le territoire israélien. Cette attaque s’est faite en riposte à la mort, le 1er avril, de sept Pasdarans dont deux généraux de haut rang dans une frappe israélienne contre le consulat iranien à Damas, perçue comme le franchissement inacceptable d’une ligne rouge par le régime des Mollahs. Par le passé, l’Iran préférait utiliser les groupes qui lui étaient affiliés (notamment en Syrie, Irak et Liban) pour attaquer les intérêts israéliens. Cette doctrine semble révolue, Téhéran se laissant désormais la possibilité d’utiliser tant l’action indirecte que directe pour frapper l’Etat hébreu. Les autorités politiques et militaires iraniennes ont en effet souligné que, « désormais, si le régime sioniste attaque, il fera l’objet à nouveau d’une contre-attaque depuis l’Iran ; une nouvelle équation a été établie avec cette opération »[5].

Cette « nouvelle équation », véritable rupture stratégique dans le conflit qui oppose les deux pays, présente toutefois des limites pour Téhéran. D’abord, et comme le montre la riposte limitée d’Israël sur la base iranienne d’Ispahan (19 avril 2024), la dissuasion israélienne conventionnelle a été réaffirmée puisque le territoire iranien a semblé perméable aux frappes de l’Etat hébreu. Elle l’est d’autant plus que l’épisode du 13 avril a montré la suprématie de la défense anti-aérienne israélienne (certes aidée par les Etats-Unis) sur la frappe massive lancée par l’Iran. Près de 99% des projectiles auraient ainsi été interceptés avant leur impact sur le territoire israélien, provoquant finalement peu de dégâts sur les bases militaires visées, notamment la base aérienne de Nevatimqui accueille les F-35 israéliens[6]. Ce mode d’action « direct » iranien est ainsi un acte de signalement stratégique, même si Téhéran a constaté qu’il était bien plus vulnérable aux raids aériens israéliens qu’Israël l’était de son côté face aux attaques de missiles et drones iraniens. Mais qu’adviendra-t-il lorsque des élections, comme celles de ce 28 juin 2024, porteront au pouvoir un exécutif iranien rajeuni, beaucoup plus nationaliste et moins enclin à la prudence en comparaison des membres du clergé ? De tels dirigeants pourraient vouloir prendre davantage de risques.

En attendant, Téhéran semble avoir infléchi son discours et ses directives sur cette « nouvelle équation », au profit de deux axes différents mais complémentaires qui vise à renforcer à la fois son ascendant et sa dissuasion vis-à-vis d’Israël.

Le premier, et le plus important, est lié à la thématique nucléaire alors même que l’Iran est de facto un Etat du seuil. Le Major-Général du Corps des Gardiens de la Révolution Ahmad Haghtalab, chargé de la protection des sites nucléaires, a indiqué que l’Iran « révisera ses politiques en matière nucléaire si Israël frappe les sites nucléaires iraniens »[7].  Kamal Kharrazi, directeur du Strategic Council for Foreign Relations iranien, a de son côté déclaré la même chose quelques jours plus tard: « We have no decision to build a nuclear bomb but should Iran’s existence be threatened, there will be no choice but to change our military doctrine »[8]. De fait, et alors qu’Israël reste le seul Etat doté d’armes nucléaires au Moyen-Orient[9], l’Iran semble envisager d’entrer résolument dans un cycle de dissuasion avec Tel-Aviv en menaçant ouvertement de frapper (si lui-même est attaqué) les sites nucléaires israéliens et de rendre inéluctable son engagement dans un programme nucléaire militaire. Dans ce contexte, des progrès, voire des surprises, sont sans doute à attendre dans les prochains mois.

Le second axe vise à durcir les agissements des groupes pro-iraniens présents près d’Israël. C’est ainsi le cas à la frontière libanaise avec des affrontements désormais quotidiens et des pertes humaines régulières dans une guerre qui ne dit pas encore son nom. La montée des tensions à la frontière nord de l’Etat hébreu et la pression mise sur le gouvernement israélien (indécis quant à la réaction à mener pour éviter un engrenage régional) est un moyen de dissuasion puissant utilisé par Téhéran vis-à-vis d’Israël. Plus inédit, la Jordanie, « zone tampon d’Israël à sa frontière orientale », est de plus en plus soumise aux menaces venant des groupes pro-iraniens. Ceux-ci veulent déstabiliser le royaume hachémite pour accentuer la pression sur les frontières israéliennes tout en provoquant, par capillarité, le départ des forces occidentales du pays. En avril 2024, la milice irakienne Kataeb Hezbollah a indiqué « qu’elle se préparait à équiper des combattants pour mener la résistance islamique en Jordanie »[10]. Le mois suivant, une tentative de livraison d’armes de groupes iraniens présents en Syrie au profit de groupuscules du Hamas a été déjouée par les services jordaniens[11], une tendance qui ne ferait que progresser. Enfin, le 14 avril 2024, l’agence iranienne Fars news a indiqué que la Jordanie serait la « prochaine cible » si elle continuait à aider militairement Israël.

Si la solidarité avec Israël était forte aux Etats-Unis et en Europe après les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre, force est de constater que l’Etat hébreu a perdu la bataille de la communication stratégique vis-à-vis de la jeunesse européenne et américaine depuis l’entrée de Tsahal à Gaza. Cette jeunesse, fortement instrumentalisée par différents acteurs politiques et idéologiques (influence du wokisme) est désormais très éloignée des soucis sécuritaires des Israéliens. Certains gouvernements européens (Espagne, Irlande, Norvège, Slovénie) ont reconnu tout récemment et sans condition préalable un Etat palestinien. Les Etats-Unis ne sont pas en reste avec de vastes manifestations sur les campus universitaires, dont les plus prestigieux. De fait, un « découplage culturel » réel semble en voie d’accélération entre l’Occident et Israël, ce qui ne manquera pas d’impacter la politique extérieure de l’Etat hébreu qui risque de se renfermer sur lui-même dans un unilatéralisme forcené justifié par le complexe de la « citadelle assiégée »[12]. La recherche de solutions diplomatiques aux problèmes de la région n’en sera que plus compliquée. Les tensions persistantes entre le Premier ministre israélien et le Président américain renforcent ce sentiment d’isolement et de découplage avec l’Occident. Benjamin Netanyahu ignore de façon persistante les critiques américaines quant à la conduite de la guerre à Gaza vis-à-vis des civils palestiniens[13] et poursuit sans ciller son offensive terrestre à Rafah. Le Président américain a menacé de geler la livraison de munitions offensives à Israël si celui-ci continuait à agir sans retenue sur Rafah[14]. Le niveau de réponse militaire israélienne face aux attaques de l’Iran le 13 avril avait été également l’objet d’âpres discussions entre les deux capitales. Les divergences politiques sont en outre notables avec les pays européens. Dans ce contexte, la décision du 24 mai 2024 de la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui « ordonne à Israël de stopper son offensive militaire à Rafah », va accroître la pression internationale sur Tel Aviv[15]. Cette décision de la CIJ intervient aussi quelques jours après une demande historique du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) en faveur de l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre le Premier ministre israélien, son ministre de la Défense et trois dirigeants du Hamas, pour des crimes présumés commis dans la bande de Gaza et en Israël, qui finalement rejette la faute du conflit sur les deux parties, et isole d’autant l’Etat hébreu.

L’impasse politique quant au futur de Gaza et la poursuite des opérations israéliennes mettent également sous pression les plus proches voisins d’Israël qui apparaissent « sidérés » par l’ampleur et les conséquences potentielles, notamment intérieures, de ce conflit. Les autorités jordaniennes restent prudentes et jouent un rôle humanitaire actif tout en verrouillant politiquement le réengagement de la population sur la « question palestinienne ». Le Caire s’inquiète pour sa part des conséquences de ce conflit qui se déroule à sa frontière, craignant un afflux de réfugiés gazaouis susceptible de déstabiliser le Sinaï et de remettre en cause certaines dispositions des accords de paix de Camp David. L’impact économique indirect de ce conflit pour l’Egypte est également lourd, suite à la réduction des transits de navires commerciaux par le canal de Suez, conséquence des attaques houthies contre le trafic marchand en mer Rouge, conduites en « solidarité » avec le Hamas. La posture ambigüe des services de renseignements égyptiens pendant les négociations sur la libération des otages israéliens a accru la méfiance et les tensions entre Israël et l’Egypte. La coopération entre les deux pays est désormais en grande difficulté.

Les pays du Golfe se contentent d’appeler à un cessez-le-feu et un retrait des forces israéliennes de Gaza, certains s’engageant dans un rôle de médiation (Qatar) ou humanitaire (EAU). Si l’administration américaine leur a demandé un temps de contribuer à une potentielle force de sécurité internationale dans l’enclave de Gaza, le communiqué final du 33ème sommet de la Ligue Arabe demande clairement un « déploiement à Gaza de forces de maintien de la paix sous mandat onusien »[16] et refuse de s’engager sur un soutien financier à l’Autorité Palestinienne. Cette position de « détachement constructif » des Etats du Golfe, alliant critique et prudence, est le reflet de leur sentiment profond : la résolution de la question palestinienne est de la responsabilité historique d’Israël ; à lui d’y faire face seul. La position turque, soutien traditionnel du Hamas, tranche face à cet attentisme arabe. La guerre à Gaza a de nouveau mis à mal la normalisation des relations turco-israéliennes, entamée en 2022 après plus d’une décennie de tension. Le Président turc a qualifié à de nombreuses reprises Israël « d’Etat terroriste »[17] et, face à une forte pression populaire, a décidé début avril 2024 de restreindre les exportations vers l’Etat hébreu. Le ministre des Affaires étrangères turc a déclaré quant à lui que la Turquie se joindrait à la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de Justice[18]. La rupture semble ainsi consommée entre Ankara et Jérusalem.

Dans le contexte du conflit à Gaza et de menace iranienne avérée au plan régional, les Etats-Unis poussent pour intégrer l’Arabie Saoudite dans une solution politique au Proche-Orient afin de parachever, cette fois-ci avec Ryiad, les accords Abraham conçus en 2020 avec Israël, les EAU et Bahreïn. Le processus de négociation avec l’Arabie Saoudite, ralenti depuis le 7 octobre et la guerre à Gaza[19], connait un regain de dynamisme[20]. Dans le contexte de marasme et d’impasse politique lié à la situation de Gaza, Ryiad apparaît en effet comme un interlocuteur majeur de Washington pour sortir « stratégiquement » de cette crise. L’idée serait ainsi pour les Etats-Unis de convaincre l’Arabie saoudite d’entrer dans les accords Abraham en contrepartie de garanties de sécurité[21] américaines, d’un programme nucléaire civil et de l’ouverture, par Israël, de négociations en faveur de la création d’un Etat palestinien. Si le dialogue est sans aucun doute ardu (tant avec Ryiad que Tel Aviv), il s’agit d’un projet diplomatique américain ambitieux qui s’inscrit dans la compétition régionale Etats-Unis/Chine et dont l’Arabie saoudite est un rouage essentiel. Pour Ryiad, un tel pacte permettrait d’obtenir les technologies américaines les plus modernes, et pas exclusivement dans le secteur de la défense, afin de mettre en œuvre sa Vision 2030 pour la modernisation du pays. Toutefois, pour le gouvernement saoudien, la situation actuelle à Gaza, combinée à l’isolement croissant d’Israël sur la scène internationale, sont une excellente monnaie d’échange[22] dans leurs négociations avec Washington, surtout avec une administration démocrate en fin de mandat qui souhaiterait obtenir un succès diplomatique majeur avant les élections de novembre 2024. Alors que la posture de Ryiad est de plus en plus indépendante, l’avenir de ces négociations saoudo-américaines reste essentiellement dans la main israélienne, peu prompte à ce stade à faire des concessions, y compris à son plus proche allié. L’impasse semble donc là aussi probable.

* * *

L’impasse politique et militaire actuelle quant à l’issue du conflit à Gaza isole l’Etat hébreu de son voisinage immédiat et de ses soutiens traditionnels en Occident. Elle augmente la volatilité sécuritaire aux frontières d’Israël alors même qu’un nouveau seuil a été franchi dans l’affrontement avec l’Iran. Celui-ci revendique désormais une « nouvelle équation » afin d’établir un ascendant stratégique sur Israël et sur la région. Dans ce contexte, l’attentisme arabe à l’égard de la question palestinienne tranche avec la forte volonté américaine d’intégrer les pays de la région dans une architecture régionale affiliée aux accords d’Abraham, une vision qui reste difficile à mettre en œuvre. Une nouvelle réalité géopolitique s’est donc mise en place sur les rivages orientaux de la Méditerranée : celui du conflit permanent qui rend caduque la doctrine israélienne dite de la Campaign between Wars[23]. Cette nouvelle situation de guerre « sous régionale » n’est pas sans conséquence pour la sécurité de l’Europe et l’emploi de ses moyens dans les années à venir. Face aux risques structurels de déstabilisation du limes européen à cause de ces conflits (migrations massives, effondrement des Etats faillis ou en passe de l’être, urgences humanitaires, menaces aériennes), un réengagement conséquent dans la région, avec nos alliés américains le cas échéant, et encore plus en cas de nouvelle administration Trump, semble nécessaire. Il pourrait contribuer à limiter les conséquences de cette situation chaotique sur le territoire français et européen.


[1] Le Ministre de la défense, Yoav Gallant a ainsi appelé à « l’établissement d’une alternative de gouvernance pour Gaza ». Al Monitor, 16/05/2024.

[2] En témoignent les opérations encore conduites par l’armée israélienne dans des zones (Zeitoun, Jabalia, Al-Shifa) qui avaient pourtant été conquises il y a quelques mois, signe d’un retour du Hamas sitôt les forces israéliennes parties. Al Monitor, 16/05/2024.

[3] Ce qui permet de limiter le volume des forces engagées (pour ne pas utiliser trop les réservistes et pour limiter l’impact de la guerre sur l’économie israélienne), de limiter les pertes dues aux risques d’un combat urbain prolongé en l’absence d’alternative viable qui pourrait prendre le relai de Tsahal.

[4] Défini comme l’évitement du conflit direct via des actions « à retardement » essentiellement asymétriques. Le Figaro, 14/04/2024.

[5] Chef d’état-major des Forces armées iraniennes, Mohammed Hossein Baqeri, cité in Le Grand Continent, 14/04/2024.

[6] Porte-parole de Tsahal, France 24, 15/04/2024.

[7] Al Monitor, 18/04/2024. Washington Post, 25/04/2024.

[8] Middle East Trajectories Emanating from the War on Gaza, Nabeel A. Khoury – Arab Center Washington DC, 02/05/2024. Al Monitor, 09/05/2024.

[9] Même s’il n’y a rien d’officiel et de public.

[10] Al Monitor, 15/05/2024.

[11] Ibid.

[12] Le « complexe de Massada » évoque le sentiment israélien d’être en permanence isolé, seul contre tous et à la portée d’une menace existentielle. En référence au siège de Massada en 72 après JC par les Romains qui a vu, une fois la bataille perdue, le suicide collectif des rebelles juifs.

[13] CNN, 19/04/2024.

[14] Al Monitor, 09/05/2024.

[15] Le Figaro, 24/05/2024.

[16] Al Monitor, 17/05/2024.

[17] Le Monde, 02/05/2024.

[18] Euronews, 04/05/2024.

[19] Certains commentateurs pensent d’ailleurs que l’attaque du 7 octobre avait été planifiée pour faire dérailler ce processus de rapprochement entre Israël et l’Arabie Saoudite effectué dans le sillage des accords d’Abraham de 2020.

[20] Bloomberg, 01/05/2024.

[21] Qui complèterait le « pacte informel du Quincy » conclu en février 1945 entre le roi Ibn Saoud et le Président Roosevelt qui garantit à la monarchie saoudienne une protection militaire américaine en échange d’un accès à ses ressources pétrolières. La création d’une alliance régionale de défense aérienne intégrée, afin de contrer la menace iranienne, et basée sur des matériels américains, est ainsi particulièrement recherchée par les Etats-Unis depuis 2020.

[22] Post 7 octobre, et dans le cadre de ses négociations avec Washington, l’Arabie saoudite demandait la création d’un Etat palestinien et la fin des opérations israéliennes à Gaza pour normaliser ses relations avec Israël. Mais face à un conflit qui s’inscrit désormais sur la durée, et en raison de la prégnance du risque iranien, Ryiad a proposé un plan B qui exclut Israël du pacte Ryad/Washington. Bloomberg, 01/05/2024. Ce plan B est aussi une nouvelle illustration du « détachement constructif » des pays du Golfe vis-à-vis de la crise actuelle à Gaza.

[23] Elle se caractérisait par la conduite d’actions militaires préventives, discrètes, ciblées et non revendiquées qui empêchent par nature l’ennemi de riposter et donc de déclencher une escalade incontrôlée pouvant conduire à un conflit ouvert.

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