« Dissuader, Prévenir, Intervenir » Séminaire toulonnais de la 34ème SMHES

Après le thème « connaissance et anticipation » qui a structuré le séminaire parisien de Novembre dernier, ce sont les fonctions stratégiques « Prévention, Intervention, Dissuasion » qui ont constitué le thème majeur du troisième séminaire de la 34ème SMHES qui, début Décembre, s’est déroulé à TOULON et dans ses environs immédiats. Ce sont tout particulièrement les visites et les présentations des unités de la Marine Nationale qui ont permis à nos auditeurs d’aborder en détail pourquoi, comment, contre qui et avec qui se concrétisent ces fonctions stratégiques. Qu’on ne s’y trompe pas, ces dernières ne sont pas l’apanage exclusif de la Marine Nationale ; les trois armées et les directions et services interarmées participent toutes aux cinq fonctions stratégiques et c’est bien l’amalgame de toutes les compétences et de toutes les capacités qui y produit des effets. Les futurs séminaires pendant lesquels les auditeurs iront à la rencontre des autres armées et des services l’illustreront avec force. Le fait d’être cette fois dans le grand port militaire français en Méditerranée a aussi permis d’orienter les regards vers la dimension maritime de la géopolitique et de la géostratégie : la problématique des flux, des détroits, des fonds, des réserves halieutiques, des câbles, des gazoducs et des oléoducs, des ZEE, de la dégradation de l’environnement marin sont des aspects qui tous participent à la dialectique géopolitique des pays méditerranéens. S’y intéresser de près en visitant un institut comme l’IFREMER avait donc du sens.

Ce séminaire orienté vers le fait naval et maritime s’est articulé en trois parties. Le première exclusivement militaire sur la base navale de TOULON a permis aux auditeurs de découvrir la Marine Nationale et quelques-unes de ses plus belles unités. La seconde partie, plus orientée vers la recherche et l’industrie a ouvert à la 34ème SMHES les portes de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et celles de l’Atelier Industriel Aéronautique de CUERS-PIERREFEU. Enfin, la dernière demi-journée a renvoyé les auditeurs en salle de cours. Il s’agissait pour eux de présenter un point de situation de leurs travaux académiques aux référents de l’Université de Toulon qui les suivent et les accompagnent dans l’obtention du Diplôme Universitaire qui sanctionne et couronne l’année de formation au sein des SMHES.

La journée sur la base navale de TOULON a rassemblé les deux formations que dispense la Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques puisqu’aux auditeurs de la 34ème SMHES se sont joints ceux de la 2ème Session des Etudes Maritimes. Bien que les programmes et les publics de ces deux formations soient différents, il était particulièrement opportun de les regrouper pour cette présentation de la Marine Nationale et de ses principales unités stationnées à TOULON. A tout seigneur tout honneur, c’est au chef d’Etat-major de la Force d’Action Navale (FAN) qu’est revenue la responsabilité d’introduire la journée. Sous les ordres d’un vice-amiral d’escadre (4 étoiles, ALFAN) la FAN a la lourde responsabilité de préparer, d’entraîner et de soutenir les unités de surface afin de les mettre à disposition du CEMA et de ses contrôleurs opérationnels pour tout emploi opérationnel. ALFAN est responsable de la disponibilité technique des bâtiments, de la préparation et de l’entraînement des équipages et de la qualification opérationnelle des unités en vue de leur emploi.  Les politiques de formation spécifique, de préparation en d’entraînement technique et tactique sont au cœur de ses responsabilités. Pour garantir que ses unités sont en mesure de répondre aux sollicitations opérationnelles, l’amiral commandant la Force d’action navale dispose d’un état-major, basé à Toulon, avec des antennes à Brest et Cherbourg, organisé en plusieurs divisions. Cet état-major a autorité sur 98 bâtiments de surface et près de 10 500 marins ainsi que sur les trois groupes de plongeurs démineurs (GPD), sur plusieurs centres experts, sur la Flotte amphibie, la Force aéronavale nucléaire et enfin sur les bases navales outre-mer et à l’étranger. 

Après cette présentation du grand commandement organique dont la base navale de Toulon est le siège, les auditeurs ont pu bénéficier d’un éclairage particulier sur les trois autres forces organiques spécifiques de la Marine Nationale qui ont des unités stationnées à Toulon : la Force Maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO), les forces sous-marines et la force océanique stratégique (FOST) et La force de l’Aéronautique navale (ALAVIA). A chaque reprise, l’organisation, les missions, les enjeux et les défis de chacune de ces forces ont été abordés au cours de débats très libres pendant lesquels les autorités qui se sont succédées au pupitre ont évité les discours convenus et ont fait preuve d’une grande franchise. Tous ont insisté sur les fragilités de systèmes complexes qui reposent sur une extrême technicité des métiers qui les composent et pour lesquels la volatilité et la versatilité de la ressource humaine est un défi permanent. Pour autant le ton n’était pas du tout au pessimisme et les auditeurs ont tous remarqué et commenté la flamme, la fierté et l’enthousiasme de ces officiers généraux et supérieurs lorsqu’ils décrivent et caractérisent les forces et les unités qu’ils commandent.

La journée s’est poursuivie par une visite à bord du porte-avions Charles de Gaulle. Le bâtiment étant en phase de maintenance, les auditeurs y ont donc vu les multiples chantiers en cours, mesurant de ce fait la complexité et le très haut niveau de technicité de cette exceptionnelle machine de guerre et qui est tout à la fois une base aérienne flottante, une centrale nucléaire à deux réacteurs, un dépôt de munitions et un dépôt de carburant. C’est dans ce milieu idyllique que vivent et servent les 2000 marins qui constituent l’équipage de bâtiment et qui sont sa plus grande richesse. Cœur du groupe aéronaval, le PA Charles de Gaulle est un formidable outil de projection de puissance indispensable à un pays à vocation globale et mondiale comme l’est le nôtre. Tout à la fois arme de guerre et atout diplomatique, le PA donne indubitablement à la France une place privilégiée dans le club très fermé des nations qui entendent peser sur le destin du monde. Enfin cette visite, pendant laquelle la Force aéronavale nucléaire (FANU) a été plusieurs fois évoquée, a donné l’opportunité à l’auditeur issu de la Marine Nationale de présenter à tous les grands principes de la dissuasion nucléaire et la place qu’y tient la FANU. Avec les Forces aériennes stratégiques (FAS) de l’armée de l’Air et de l’Espace, la Force aéronavale nucléaire constitue une partie de la composante aéroportée de la dissuasion. Concrètement, il s’agit de la capacité pour les Rafale Marine de l’aéronautique navale embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle à mettre en œuvre le missile air sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) depuis la mer. Il faut souligner que parmi les pays dotés qui possèdent un porte-avions, la France est la seule à conserver une telle option qui ajoute une forte dose de souplesse et de versatilité dans la dialectique de dissuasion.

Au terme de cette journée déjà bien dense, toute la 34ème Session a eu la grande chance de pouvoir assister à la conférence mensuelle publique que donne la FMES dans l’amphithéâtre de l’Université de Toulon. L’orateur n’était autre que le Docteur Pierre RAZOUX, directeur académique de la FMES, qui se proposait de décrypter le conflit qui oppose ISRAEL au HAMAS dans la bande de Gaza. Dans un grand amphithéâtre dont le remplissage traduisait l’intérêt manifesté par le public local et régional sur ce sujet très délicat voire explosif, Pierre RAZOUX a délivré une conférence magistrale dont la clarté, la richesse et l’objectivité ont frappé l’auditoire. L’expérience de Pierre RAZOUX en matière de conduite stratégique et opérative d’un conflit, sa parfaite connaissance de Tsahal et plus largement de toute la région et de tous les acteurs qui s’y trouvent et interagissent, ont permis à l’auditoire de mieux appréhender les causes, les enjeux et les perspectives de court, moyen et long terme d’un conflit dont bien peu de commentateurs ont une aussi bonne compréhension.

La seconde journée et deuxième volet de ce séminaire a conduit, pendant la matinée, les pas des auditeurs à la SEYNE-SUR-MER où se trouve le centre Méditerranée de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER). Le directeur du centre a exposé la raison d’être de l’institut qui assure des missions et des études scientifiques portant sur les ressources vivantes et minérales des fonds marins dans un but de connaissance toujours plus approfondie de ces milieux. Plus précisément, l’institut conçoit et développe différents engins d’exploration sous-marine profonde capables de réaliser des missions de récolte de données à des fins scientifiques. Une fois collectées et agrégées à d’autres informations, ces données permettent de modéliser l’évolution océanographique grâce à l’utilisation de puissants outils numériques et, de plus en plus, grâce à celle de l’intelligence artificielle. Parmi les 8 sites de l’IFREMER, c’est celui de la SEYNE-SUR-MER qui conçoit, développe et utilise les outils et les technologies d’intervention dans les grands fonds. Dans les ateliers du site, les auditeurs ont ainsi pu approcher les robots Ulyx et Ariane et surtout le ROV VICTOR 6000, un des rares robots sous-marins au monde à pouvoir effectuer de manière répétée des opérations à 6000m de profondeur. Au-delà des prouesses techniques que représentent la conception et l’exploitation de tels engins, cette visite fut surtout l’occasion de rappeler les enjeux qui s’attachent à l’espace géostratégique océanique ainsi que la richesse des fonds marins, réservoirs de ressources multiples à propos desquels l’un des défis consiste à en assurer une exploitation durable. Si le contact avec la Marine Nationale la veille a bien attiré l’attention des auditeurs sur le fait que la mer est un espace de transit et d’expression de la puissance qu’il s’agit de maîtriser avec les outils adéquats, elle est aussi un régulateur climatique et un immense réservoir de ressources qu’il s’agit aussi de connaître, de comprendre et de préserver.

Après cette matinée consacrée au milieu maritime, les auditeurs de la 34ème SMHES sont revenus, pour l’après-midi, à l’étude des outils et instruments de la puissance navale militaire en visitant le site du SIAé – Service industriel de l’aéronautique et de l’AIA- Atelier industriel de l’aéronautique de CUERS-PIERREFEU. Il s’agissait cette fois de bien faire comprendre aux auditeurs qu’une capacité militaire dépend autant de la performance des engins, bâtiments, aéronefs et de tous les équipages qui les arment que de la structure qui est chargée de les maintenir en condition opérationnelle.  Le SIAé est en effet un acteur complet dont la mission est la maintenance industrielle du matériel aéronautique militaire à haute valeur ajoutée opérationnelle. Le SIAé assure ainsi un soutien opérationnel indispensable aux armées en rationnalisant les contrats de maintenance passés avec les industriels et en hébergeant une grande partie de leur exécution. Cette verticalité de la contractualisation, de l’exécution et du contrôle de la maintenance industrielle a été décidée en 2016 et elle a généré des gains importants de productivité mais elle a surtout considérablement amélioré la disponibilité technique opérationnelle (DT0) des aéronefs. Dans cette recherche d’amélioration de la DTO des appareils les plus pointus en service dans les trois armées et dans une logique de proximité avec l’Ecole de l’Aviation Légère de l’Armée de terre du LUC, le site de Cuers qui originellement n’assurait que la maintenance industrielle des aéronefs de la Marine nationale, accueille désormais les aéronefs les plus sophistiqués de l’armée de terre comme les hélicoptères NH90-Caïman. Les auditeurs ont pu en approcher dans les ateliers où ces aéronefs passent leurs grandes visites.

Enfin, la journée de séminaire s’est achevée par une présentation de l’une des spécialités industrielles de l’AIA : la conception et la production des Radômes. Contraction de radar et de dômes, les radômes conçus et produits par l’AIA constituent la pointe située à l’avant des aéronefs civils ou militaires afin d’améliorer leur aérodynamisme tout en protégeant leurs systèmes électromagnétiques contre les multiples agressions et les perturbations extérieures. L’intérêt de cette pièce d’apparence anodine est surtout de permettre au radar qu’elle abrite de fonctionner au mieux de ses performances. Seule une savante alchimie de matériaux et de techniques de fabrication et de façonnage le permet ; c’est donc un secret d’importance stratégique que cet atelier discret entretient précieusement au profit des armées françaises comme à celui des armées partenaires qui choisissent de s’équiper du rafale et du NH 90.

La partie finale de ce très riche séminaire toulonnais a, le samedi matin, ramené les auditeurs en salle de classe pour un rendez-vous important. Dans le cadre du partenariat qui lie les SMHES à l’Université de Toulon (UTLN) et qui se concrétise par la délivrance d’un Diplôme Universitaire (DU) validant la formation suivie, les auditeurs devaient présenter un premier rapport d’étape des travaux qu’ils mènent et qui sont centrés sur les conséquences en Méditerranée de la guerre en Ukraine. Plus précisément il s’agissait pour chaque comité de présenter à un jury composé du directeur des SMHES et de deux enseignants chercheurs de de l’UTLN, trois scenarii possibles et de dégager celui qui leur paraît à la fois le plus intéressant et le plus probable. Cette matinée a été extrêmement riche et les trois comités ont présenté des scenarii originaux et de très grande qualité. Sans qu’ils se soient concertés, les travaux des trois comités esquissent ensemble une réponse globale assez générique à la question implicitement posée par leur thème d’étude. Cette réponse pourrait se formuler ainsi : la guerre en Ukraine impose et ouvre la voie à des repositionnements majeurs de tous les acteurs géopolitiques de l’espace méditerranéen : les grands ensembles et les alliances (OTAN, UE), les pays en recherche d’affirmation et d’émancipation, les groupes non étatiques en recherche d’opportunité, les grands de ce monde ( Chine et Etats Unis) qui trouvent dans l’espace méditerranéen, à l’occasion de la guerre en Ukraine, une aire propice à pousser leurs avantages. Nul doute que les prochaines étapes du cursus, à Toulouse en janvier prochain pour y étudier l’espace et l’aéronautique, puis à Bruxelles en février au contact de l’OTAN et des institutions européennes donneront l’occasion aux auditeurs de la 34ème SMHES d’approfondir cette réponse à la lumière de ce que ces prochains séminaires leur apporteront.

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