IRAN-ISRAËL : UNE ENTENTE IMPOSSIBLE ?

Le 27 novembre 2020, Mohsen Fakhrizadef, éminent physicien nucléaire iranien, est assassiné dans une attaque au véhicule piégé au nord-est de Téhéran. L’assassinat de celui que Benjamin Netanyahou présentait en 2018 comme le chef d’un programme nucléaire iranien à visée militaire a provoqué une escalade des tensions entre l’Iran et Israël. Les dirigeants iraniens ont très rapidement accusé Israël et brandi la menace de sévères représailles. Le président, Hassan Rohani, a explicitement incriminé Israël et averti d’une réplique à venir, tandis que le chef d’état-major des armées iraniennes promettait une « vengeance terrible » pour ses assassins.

L’Iran a déjà attribué, à plusieurs reprises, à Israël des attaques contre ses installations nucléaires ou ses scientifiques. Cet événement est symptomatique des tensions entre les deux pays, symbole de la stratégie de l’ambiguïté d’Israël, qui n’a pas revendiqué l’attaque. Cet événement est directement lié à la menace nucléaire, sur fond de politique américaine. Les invectives qui s’en sont suivies ont complété la « recette miracle » de l’opposition entre les « deux meilleurs ennemis du monde ». Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux pays semblent plutôt se diriger vers une confrontation directe qu’une entente cordiale.

Cette opposition entre les « deux meilleurs ennemis » semble être devenue, au cours des dernières années, un des prismes d’analyse de la situation géopolitique au Moyen-Orient. Le rapprochement d’Israël avec les pays du Golfe, la politique américaine vis-à-vis de l’Iran, les interventions iraniennes au Liban, en Syrie ou encore en Irak sont intimement liés à la rivalité qui oppose les deux pays. Deux pays qui, dans leur volonté de projeter leur puissance au niveau régional, semblent condamnés à se détester et à s’opposer.

Pourtant, les relations historiques entre l’Iran et Israël n’ont pas toujours été aussi tendues. L’Iran a été le deuxième pays à majorité musulmane à reconnaitre l’État d’Israël. En faisant pression sur Bagdad, l’Iran se range implicitement du côté d’Israël lors de la guerre du Kippour en 1973. Les deux pays ont entretenu des échanges économiques multiples, à commencer par le pétrole. Ils ont également partagé la particularité d’être des alliés privilégiés de Washington, par leur opposition à l’Union Soviétique et au panarabisme. La révolution islamique de 1979 marque évidemment un tournant géopolitique majeur. Toutefois, l’Iran révolutionnaire a continué à coopérer avec Israël pendant les années 1980 et 1990. En effet, malgré une rhétorique belliqueuse mutuelle en public, Israël a été un soutien incontestable de la République islamique, par la fourniture d’armes notamment, dans sa guerre contre l’Irak de Saddam Hussein. Cette position est particulièrement importante à souligner puisqu’elle exprime une logique centrale dans la relation entre les deux pays : il n’existe en réalité pas de divergences idéologiques fondamentales qui empêchent foncièrement les deux pays de s’entendre. Au contraire, il faut bien comprendre que l’hostilité entre ces deux pays est davantage motivée par des jeux de pouvoir et d’équilibres géopolitiques régionaux que par des divergences idéologiques ou religieuses.

Or, actuellement, les contentieux entre Téhéran et Tel Aviv sont nombreux. Israël craint l’influence militaire et politique croissante de l’Iran. Via des interventions au Liban, en Syrie et en Irak, Téhéran affirme son projet de mettre en place un arc chiite. S’étendant du Pakistan à la Méditerranée, cet arc géographique souhaité par l’Iran permettrait un rassemblement solidaire des chiites face aux États sunnites ralliés à l’Occident, et évidemment, Israël. Les milices non-étatiques soutenues par l’Iran, à l’instar du Hezbollah et du Hamas, sont des menaces directes pour Israël dont elles souhaitent la disparition. L’Iran a publiquement soutenu des attaques terroristes visant Israël. Couplée à une rhétorique incendiaire des dirigeants iraniens, la menace que représente Téhéran pour Israël s’est accrue au cours des dernières années, notamment avec l’activisme régional croissant de l’Iran à la suite des Printemps Arabes.

Mais c’est surtout la question nucléaire qui est au cœur de cet antagonisme. Depuis les années 2010, les suspicions quant au programme nucléaire militaire iranien n’ont fait que s’accroitre. Israël possède des armes nucléaires sans jamais l’avoir reconnu publiquement. Ainsi, cela pose problème à Israël, non pas parce que les Israéliens craignent que Téhéran utilise cette bombe contre eux ou la cède à un groupe terroriste, les dirigeants iraniens sont bien trop rationnels pour cela, mais parce qu’ils souhaitent qu’Israël reste la seule puissance nucléaire militaire au Moyen-Orient et puisse continuer d’imposer sa domination, sans risque d’escalade avec un autre acteur en mesure de contester son monopole. Les forces de lobbying d’Israël ont réussi, sous l’administration de Donald Trump, à pousser les États-Unis à se retirer de l’accord nucléaire en mai 2018.

On comprend bien que les hostilités entre les deux pays relèvent, avant tout, d’une stratégie politique et d’intérêts géopolitiques. Le régime iranien s’est posé en défenseur des musulmans opprimés, et donc des Palestiniens au moment même où les pays arabes se désengageaient de cette question. Derrière un islam politique assumé, se trouve la volonté de s’afficher comme le dernier rempart de l’islam contre les occupants israéliens et occidentaux. De la même manière, la menace iranienne justifie les politiques ultra-sécuritaires d’Israël. Malgré quelques attaques directes, il semble qu’Israël ne souhaite pas un affrontement direct avec l’Iran, puisque le Hezbollah serait alors en mesure d’infliger à Israël, en guise de représailles, des dommages tout à fait considérables. Les deux régimes opèrent ainsi un calcul politique bien précis, préférant la dissuasion à tout prix et les conflits par procuration. Cette stratégie est parfaitement illustrée par la rhétorique des dirigeants, aussi bien d’un côté que de l’autre, et la multiplication des déclarations publiques pour afficher ouvertement leurs oppositions. Celles-ci permettent aux deux pays d’asseoir leur légitimité sur la scène géopolitique. C’est, par exemple, un gage de crédibilité pour Israël vis-à-vis des monarchies du Golfe, au même titre que pour l’Iran à l’égard de certains de ses partenaires. Surtout, il semble que les dirigeants respectifs des deux pays se soient enfermés dans cette posture. En Iran, cette animosité affichée aide à minimiser la vulnérabilité aggravée du pays sur le plan intérieur, après des années de sanctions, de régime répressif et de mauvaise gouvernance. Ce conflit est tout aussi vital pour Benjamin Netanyahou et son bilan mitigé. Une entente entre les deux pays obligerait donc ces gouvernants à regarder en face la réalité socio-économique de leur pays et à préférer le dialogue et les concessions à l’unanimité sécuritaire.

Voilà autant de raisons pour comprendre l’antagonisme alimenté par deux pays qui n’ont pourtant aucune frontière commune et partagent historiquement une vigilance accrue à l’égard de leurs voisins arabes. Néanmoins, à travers un jeu d’intérêts croisés, chacun semble avoir trouvé son compte dans cette opposition violente et systématique. Celle-ci relève en effet d’une stratégie politique et géopolitique bien précise, dont aucun des gouvernants actuels ne semble vouloir, ni pouvoir, sortir. Ainsi, une détente officielle parait inenvisageable à court terme.

Si cette opposition alimente la rhétorique des deux régimes, il faut garder à l’esprit qu’une entente reste possible, mais pas souhaitée. Un apaisement ne sera permis que par des évolutions politiques et géopolitiques. Seul un nouveau régime plus souple en Iran pourra rassurer Israël. Seule une remise en cause du discours ultra-sécuritaire de la droite conservatrice israélienne pourra débloquer la situation avec la Palestine et l’Iran. Qui plus est, il semble très peu probable que ce rapprochement soit assumé. Celui-ci sera très probablement sub rosa, de peur de remettre en question le discours officiel et la qualité d’ennemi juré attribué à l’autre depuis trop longtemps.

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