L’Institut FMES organise le 18 décembre 2024 à Marseille un colloque national sur les enjeux de la surveillance maritime et sur la manière dont la France les aborde. En préalable de ce colloque, cet article a pour vocation de poser la problématique qui sera abordée à cette occasion.
La surveillance maritime représente aujourd’hui un enjeu crucial pour la sécurité et la souveraineté des États. Elle doit permettre de défendre nos approches maritimes, de protéger les personnes, les biens et les infrastructures situées sur le littoral, de sécuriser les réseaux sous-marins de communication et de préserver les ressources naturelles des espaces maritimes. L’anticipation des menaces multiples comme le terrorisme, la prolifération des trafics illicites, l’immigration clandestine, l’espionnage économique ou les stratégies hybrides n’a jamais été aussi essentielle. Elle passe par le développement de nouvelles technologies, comme les drones et les satellites qui offrent de nouvelles opportunités de renforcement du contrôle des espaces maritimes. L’innovation technologique connait par ailleurs une dynamique sans précédent à laquelle s’ajoute les progrès de l’intelligence artificielle au service de l’exploitation de la donnée collectée.
La façon de surveiller les espaces maritimes doit donc pouvoir bénéficier des progrès technologiques de tous ses systèmes. Mais comment en tirer le meilleur parti, quels arbitrages faire, notamment pour des contraintes de coûts ?
I) Les enjeux de la surveillance maritime et l’évolution des menaces.
Les menaces maritimes se sont considérablement diversifiées au cours des dernières décennies. Au-delà des menaces classiques, telles que la piraterie et le trafic de drogue, de nouveaux défis émergent, liés à l’instabilité géopolitique et aux conflits hybrides. La piraterie, par exemple, reste un problème persistant dans certaines régions, notamment dans le Golfe de Guinée, qui représente 90 % des incidents de piraterie recensés dans le monde. Les gouvernements doivent aussi faire face à de nouvelles menaces terroristes comme celle qui pèsent sur le trafic maritime en mer Rouge avec les attaques menées sur les navires marchands par les rebelles Houthis.
Avec la dissémination de nombreuses technologies, la sensibilité de certaines installations telles que les ports, les bases navales et les sites éoliens offshore s’est considérablement accrue. Ces infrastructures sont des cibles potentielles pour des attaques terroristes ou des opérations clandestines. Par conséquent, la sécurité des ports et des installations fixes exige une vigilance constante, renforcée par des moyens technologiques modernes capables de détecter et d’identifier les menaces en temps réel.
Avec un des plus grands espaces maritimes mondiaux et l’adhésion à de nombreuses Conventions internationales, la France est aussi très impliquée dans les missions de sécurité et de police en mer. La France est responsable de la coordination des secours aux personnes dans des zones de recherche très vastes situées aux quatre coins du globe ; missions qui se sont considérablement complexifiées avec les flux de migrants prenant la voie maritime. Avec la deuxième ZEE du monde, les missions de police des pêches ont pris une grande importance en raison de la présence de nombreuses flottilles de pêche illégale qui rêvent de rentrer dans les eaux préservées de la France. Le trafic de drogue a aussi pris un essor sans égal sur toutes les mers ; plaçant la France en première ligne face à ce que certains n’hésitent plus à qualifier de tsunami des drogues.
Enfin, la surveillance des aires marines protégées (AMP) est devenue aussi un enjeu politique dans la préservation de la biodiversité et la conservation des écosystèmes marins. Au cours des dernières années, les superficies classées en aire marine protégée (AMP) se sont considérablement accrues, nécessitant le renforcement de leur surveillance avec des moyens adaptés. Cette expansion a engendré de nouveaux besoins en termes de surveillance.
II) Les drones, une révolution technologique pour la surveillance maritime
L’introduction des drones dans les opérations de surveillance maritime constitue une avancée majeure car ils offrent une surveillance quasi-permanente des océans, permettant de couvrir des zones étendues sans s’arrêter, contrairement aux équipes humaines. Ces drones complètent les moyens traditionnels en améliorant la capacité de détection des menaceset en réduisant les délais de réaction, sans pour autant les remplacer.
Les drones navals sont essentiels dans la surveillance des pipelines sous-marins, des câbles de télécommunications et d’autres infrastructures critiques. En 2022, une série d’attaques contre des pipelines en mer a mis en lumière la vulnérabilité de ces installations. Le rôle des drones s’est accru dans la détection de ce type de menaces, renforçant la capacité des États à protéger leurs infrastructures stratégiques.
Deux grands constats se dessinent aujourd’hui. D’une part, les technologies des drones ont beaucoup évolué ces dernières années, offrant des solutions de plus en plus performantes. D’autre part, les menaces maritimes se sont diversifiées et l’intensité des attaques est croissante. Que ce soit dans la surveillance des côtes, la lutte contre le terrorisme ou la protection des ressources naturelles, les drones navals jouent un rôle clé dans la détection des menaces et permettent d’y apporter une réponse appropriée le plus rapidement possible.
Pour les drones aériens, plusieurs catégories de drones sont à distinguer selon leurs spécificités techniques. Les drones à voilure tournante sont souvent utilisés pour la surveillance des zones proches des côtés. Ils offrent une grande flexibilité, mais leur autonomie est limitée. Les drones à voilure fixe, en revanche, ont une plus grande endurance et peuvent être utilisés pour des missions plus éloignées. Enfin, les drones hybrides VTOL[1] combinent les avantages des deux premiers types, avec une grande flexibilité et une autonomie relativement longue.
Les drones peuvent également jouer un rôle clé dans les missions de sauvetage en mer. Leur capacité à repérer rapidement des navires en détresse ou à surveiller les zones de trafic intense, comme les routes migratoires, en font des outils indispensables pour les administrations de la fonction garde-côtes. Ces missions s’effectuent en complément des autres moyens aériens et maritimes, offrant une couverture étendue des zones à risque.
III)…dont l’usage pourrait être ralenti par des freins administratifs
L’usage croissant des drones de surveillance maritime s’accompagne de défis juridiques et réglementaires. En mai 2024, la France a adopté un décret encadrant l’utilisation des drones navals, établissant un cadre juridique pour leur emploi dans les eaux françaises. Ce cadre réglementaire, bien que nécessaire, introduit des contraintes supplémentaires, notamment en ce qui concerne la formation des pilotes de drones et les critères de certification des drones eux-mêmes, parfois antinomique d’un usage militaire.
Dans le domaine aérien, les drones sont soumis à des restrictions de vol lorsqu’ils opèrent dans des espaces aériens partagés. Celles-ci sont imposées par les autorités de l’aviation civile et visent à éviter les collisions avec d’autres aéronefs, mais elles sont souvent perçues comme un frein au développement de l’usage des drones aériens.
IV) L’irruption d’acteurs privés du Newspace qui accroit les possibilités du satellite au service de la surveillance maritime
Les satellites sont un autre outil essentiel pour la surveillance des océans car ils assurent une surveillance continue et une couverture mondiale. Les satellites offrent une vue d’ensemble des océans, capturant des données à une échelle impossible à atteindre pour des systèmes terrestres ou aériens. Les capteurs radars et optiques infrarouge permettent une observation jour et nuit, dans toutes les conditions météorologiques, ce qui est particulièrement utile pour surveiller des zones où les drones ou les navires ne peuvent pas intervenir immédiatement.
Les satellites jouent un rôle clé dans la surveillance des activités illégales, telles que la pêche non déclarée ou les rejets polluants en mer. Les satellites peuvent repérer les navires qui désactivent leurs systèmes d’identification automatique des navires (AIS) pour échapper à la surveillance. En 2023, la surveillance par satellites a permis de détecter une pêche illégale massive dans l’Atlantique sud, permettant aux autorités de saisir plusieurs tonnes de poisson capturés illégalement.
Cependant, la réactivité des systèmes satellitaires reste un défi. Si les satellites peuvent capturer des images précises, le temps nécessaire pour analyser et envoyer ces informations aux équipes sur le terrain peut compromettre l’efficacité de la réponse. Le New Space, avec ses acteurs privés, vise à combler cette lacune en développant des constellations de petits satellites capables de fournir des données en temps réel. Ces nouvelles entreprises offrent une flexibilité et une rapidité accrues, permettant de répondre plus efficacement aux menaces maritimes.
V) La gestion des données et l’intégration des systèmes de commandement
Mais pour tirer le meilleur parti de ces capteurs, l’enjeu majeur est la gestion des données. La collecte massive d’informations provenant des drones, des satellites, des radars, et des navires de surveillance, crée une telle quantité de données qu’il devient difficile de les traiter et les exploiter efficacement. Les systèmes de commandement et contrôle (C2) jouent ici un rôle central en centralisant les données et en permettant une prise de décision rapide.
L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) permet d’automatiser une partie de l’analyse des données en identifiant les menaces et en filtrant les informations non pertinentes. Cependant, l’intégration de ces technologies dans les systèmes de commandement existants reste un défi. La Marine nationale a par exemple commencé à expérimenter des outils d’IA pour la surveillance des ports, mais il reste à former les opérateurs à l’utilisation de ces systèmes.
La coordination entre les différentes administrations est également un enjeu critique. Chaque administration utilise encore des systèmes d’information distincts, ce qui complique la centralisation et l’échange des données. En 2004, la France a créé une cellule de coordination de l’information maritime, mais des progrès restent à faire pour améliorer l’échange d’informations entre les différents acteurs. La standardisation des protocoles de communication entre les systèmes est donc une priorité pour garantir une surveillance maritime fluide et efficace.
Conclusion : le besoin d’une stratégie globale de surveillance maritime
Face aux menaces multiples que sont le terrorisme, la prolifération des trafics illicites, l’immigration clandestine, les activismes de toutes origines impactant la sûreté et les stratégies hybrides de compétiteurs étatiques, mais également pour répondre aux impératifs de sécurité maritime et de protection de l’environnement marin, l’emploi étendu de drones, de satellites et les progrès de l’IA pour gérer des flux massifs de données, apportent des solutions nouvelles déjà partiellement prises en compte.
Mais les autorités en charge de la surveillance maritime sont encore loin de disposer d’un outil intégré d’aide à la décision, s’appuyant sur l’intelligence artificielle, pour fusionner l’information provenant de sources multi capteurs, détecter les évènements anormaux, classifier les menaces.
L’évolution technologique rapide nécessite une approche holistique qui implique non seulement des choix technologiques judicieux, mais aussi une transformation des processus, de la culture organisationnelle et la levée de certains freins juridiques ou simplement d’habitudes opérationnelles. C’est un défi complexe qui requiert une vision stratégique à long terme et une capacité d’adaptation continue.
Les pistes sont tracées. C’est à ce prix qu’un principe essentiel guidant les pouvoirs publics dans le domaine de la sûreté maritime et portuaire, « Savoir pour anticiper et alerter », pourra bénéficier pleinement du dynamisme de l’innovation dynamique qui constitue un levier majeur d’efficacité des systèmes de surveillance maritime.
[1] Vertical Take-Off and Landing