Face à Poutine, le coup de déprime des Occidentaux

Pierre Razoux, directeur académique de la FMES a analysé pour l’AFP la difficulté des pays occidentaux à trouver un consensus sur la stratégie à adopter à l’égard de Vladimir Poutine.

‘Les voisins de la Russie le redoutent mais « cela arrangerait les Européens de l’Ouest et ceux qui se satisfont très bien du parapluie américain-otanien et envisagent avec angoisse physique et budgétaire l’idée d’un regain de tensions, voire la perspective d’un affrontement avec la Russie ».

– 19 février 2024 13:01 – AFP(Didier LAURAS), Paris (France)

La ville ukrainienne d’Avdiïvka est tombée, l’opposant russe Alexeï Navalny est mort, l’aide américaine à Kiev faiblit. Vladimir Poutine multiplie les victoires face à un camp occidental désuni qui peine à dissimuler son pessimisme et ses craintes.

La Conférence sur la sécurité à Munich, en Allemagne, grand- messe géopolitique et diplomatique, s’est achevée dimanche après trois jours de tables rondes et de discours parfois volontaristes, souvent désabusés.

Les économies occidentales souffrent et les sanctions contre Moscou ne donnent pas les résultats escomptés. L’armée du Kremlin conserve l’avantage du nombre sur son adversaire et le flan Est de l’Europe regarde avec consternation la détermination des alliés de l’Ukraine s’essoufler.

Dans la ville allemande, une table ronde était même consacrée à « la fatigue du combat: la victoire de l’Ukraine quoi qu’il en coûte ».

« Les choses se passent mal », s’agaçait Gabrielus Landsbergis, ministre des Affaires étrangères lituanien, en postant sur X (ex-Twitter) une photo de lui le visage sombre. « Nous sommes un livre ouvert pour notre adversaire – des lignes rouges claires de non-engagement, des désaccords sur la prolongation de l’aide et un aveuglement optimiste sur l’augmentation des risques ».

Deux ans après l’invasion russe de l’Ukraine, les dirigeants occidentaux ont certes clamé leur unité mais aussi laissé transparaître des inquiétudes face notamment au ralentissement de l’aide américaine et à la perspective crédible de voir Donald Trump revenir au pouvoir.

« Poutine joue la montre »

En filigrane triomphait l’idée que Poutine avait peut-être raison en affirmant que le temps était avec lui, au début de la guerre.

« Vladimir Poutine joue la montre, mais on le savait depuis le début », explique à l’AFP Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES). « Il attend – et prépare sûrement – l’élection de Donald Trump qui devrait considérablement réduire son soutien à Kiev ».

La possibilité du retour au pouvoir de l’ex-président américain était dans toutes les têtes. Celui qui a exprimé plusieurs fois son admiration pour Poutine lors de son premier mandat a aussi affirmé en juillet qu’il serait capable de mettre fin au conflit en Ukraine « en 24 heures » s’il était réélu.

Et pendant qu’Allemagne et France signaient des accords bilatéraux avec l’Ukraine, comme une forme de désaveu de la politique de défense européenne et de l’Otan, les regards se tournaient vers la présidentielle américaine de novembre prochain.

« Nous sommes dépendants des Etats-Unis », a rappelé le chef de l’Otan Jens Stoltenberg. « Il est donc vital que les Etats-Unis puissent prendre une décision », a-t-il ajouté, alors que Kiev attend depuis des mois le déblocage d’une aide américaine cruciale de quelque 60 milliards de dollars entravée par les Républicains.

« Cela dépend des Américains. Je ne suis pas Américain, je ne vote pas aux Etats-Unis », a relevé, lapidaire, le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, bien parti pour succéder à Stoltenberg.

« Nous devons travailler avec celui qui sera sur la piste de danse (…) C’est crucial », a-t-il ajouté. « Tous ces pleurs et ces gémissements à propos de Trump, j’entends cela constamment ces derniers jours. Arrêtons avec ça ».

« Provocations politiques et militaires »

Alors que les guerres en Ukraine et entre Israël et Gaza devaient monopoliser les discussions et les entretiens bilatéraux, l’annonce vendredi de la mort du dissident russe Alexeï Navalny dans la prison de l’Arctique, où il purgeait une peine de 19 ans d’emprisonnement, a plongé la conférence dans l’hébétude.

Le seul opposant de taille à Vladimir Poutine venait de disparaître, provoquant un torrent de condamnations.

« Nous devons nous préparer à une longue période de tensions avec la Russie (qui) sera tentée d’accroître ses provocations politiques et militaires », admettait le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.

Inébranlable chez lui, Poutine semble plus fort que jamais et pourrait pousser les Occidentaux à négocier pour valider ses gains territoriaux en Ukraine.

Les voisins de la Russie le redoutent mais « cela arrangerait les Européens de l’Ouest et ceux qui se satisfont très bien du parapluie américain-otanien et envisagent avec angoisse physique et budgétaire l’idée d’un regain de tensions, voire la perspective d’un affrontement avec la Russie », estime Pierre Razoux.

Samedi, la Russie a affirmé avoir pris le « contrôle total » de la ville d’Avdiïvka dans l’Est de l’Ukraine. D’autres communes alentours craignent subir le même sort.

Christian Mölling, du think tank allemand DGAP, constatait une « ambiance très sombre » à Munich.

« Il y avait beaucoup d’inquiétude (…). Si l’Ukraine peut de moins en moins se défendre, cela signifie que le plus grand projet actuel des Occidentaux risque d’échouer et cela aura des conséquences considérables pour notre sécurité ».

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